mardi 23 septembre 2014

RDC, lorsque l’éducation est commercialisée…

Plusieurs observateurs admettent que la qualité de l’enseignement au Congo est en baisse, et ce, tant au niveau primaire, secondaire qu’au niveau universitaire. Cette situation n’est pas un phénomène récent et n’est pas étonnante vu les politiques publiques qui ont mené ce pays depuis 54 ans. Cet état des lieux actuel de l’enseignement est l’aboutissement d’un plan prémédité et bien ficelé au fil des années pour détruire le système éducatif congolais. Rappelons que déjà la colonisation belge n’avait pas vraiment promu l’instruction contrairement à la puissance coloniale anglaise.

Platon (428-348 av. JC) disait: "L’Etat ne souffrira pas si les cordonniers ne connaissent pas leur métier, les athéniens seulement seront mal chaussés. Si les éducateurs accomplissent mal leurs devoirs, alors ils forment des générations d’ignorants et de vicieux qui amènent à la ruine de la patrie". Ceci s’applique aujourd’hui à la RD Congo, vu la gestion du pays dans tous les secteurs de la vie nationale. Actuellement on a vraiment l’impression de vivre cette maxime: "Science sans conscience n’est que ruine de l’âme" comme l’a si bien dit Jean Rabelais.

Depuis les années 1970 jusqu’aujourd’hui, beaucoup de grands professeurs d’université participent à la gouvernance de la République mais les résultats sont tels que le pays occupe toujours les dernières places dans les classements internationaux. Le cadre macro-économique du pays a été fortement perturbé d’abord par des politiques iniques des différents régimes, ensuite par des guerres continues qui ont déstabilisé l'ensemble du pays. Ainsi, l'offre des services éducatifs en a souffert et par conséquent le financement privé est devenu significatif depuis les années 1990. Durant les deux dernières décennies, il est devenu la source principale de financement à tous les niveaux d'enseignement.

A l’analyse des différents budgets exécutés dans le pays depuis la deuxième république, il ressort le constat que la rubrique enseignement n’a jamais dépassé 5% du budget national alors que les dotations présidentielles sont toujours 4 à 6 fois supérieures. L’affectation d’un si maigre budget à l’éducation (alors que l’histoire du développement des nations prouve que le facteur clé qui leur a permis de connaître l’apogée sur le plan socio-économique est l’ampleur du budget dans le domaine de l’éducation de la jeunesse) est une mort douce administrée à ce secteur. Un penseur disait que le plus grand drame d’un peuple c’est d’avoir des dirigeants médiocres. La théorie de l’expansion de la médiocrité explique comment les médiocres ne promeuvent pas l’excellence par peur de se faire effacer. C’est pourquoi ils se font entourer par d’autres médiocres.

Face à l’incapacité du régime Mobutu de satisfaire aux revendications des enseignants, l’année scolaire 1990-1991 fut déclarée blanche. L’église catholique proposa le système de prime comme alternative à la question du paiement des enseignants. Les parents commencèrent à s’occuper des salaires des enseignants. Cette solution, fût-elle provisoire, est devenue une épine dans les pieds des parents. Vingt-trois ans plus tard, ce système de prime, au lieu de s’éteindre, s’amplifie et a tendance à prendre une forme légale. La libéralisation du système éducatif congolais a été et reste fatale pour l’avenir du pays. On assiste à une grande profusion d’écoles du secteur privé. Tout le monde est devenu promoteur d’une école, d’une université même sans en remplir le minimum de critères. Les écoles sont devenues des boutiques commerciales. Les écoles privées foisonnent partout dans les villes comme des points de vente de cacahuètes, sans infrastructure ni respect des normes exigées.
Désormais on achète l’éducation. Les enfants dont les parents sont incapables de la leur payer restent à la maison, déscolarisés. Le programme d’éducation nationale reste un simple document de référence. Conséquence : il y a régression de la qualité de l’enseignement.

Ce qui intéresse abondamment les gestionnaires des écoles aujourd’hui c’est l’effectif d’élèves qui implique une rentabilité financière. Désormais l’homme n’est plus au centre de l’enseignement congolais mais l’argent. Le clientélisme est devenu le mode opératoire dans les milieux scolaires puisque les "élèves-clients" sont toujours gardés dans les effectifs malgré leurs résultats à la fin de l’évaluation. C’est pourquoi les grandes écoles de renom ayant formé la grande partie de l’élite du pays ont fait faillite. Rares sont les élèves voire les parents qui acceptent encore de se soumettre à la rigueur et à la discipline de ces écoles. Un enseignant d’histoire disait récemment à Bukavu que le fait de mettre l’éducation à genoux est une façon d’abrutir les congolais. Quel genre de société construit-on pour demain ?

Selon l’inspecteur de l’enseignement primaire, secondaire et professionnel, monsieur Prosper Lituli Gay, la baisse de la qualité de l’enseignement au Congo relève de la déliquescence de la société congolaise en général. Puisque, explique-t-il, dans la situation de crise sociopolitique durable qu’a connue le pays, il est difficile d’avoir un système éducatif performant. A cela pensons-nous il faut ajouter la carence en infrastructures scolaires, la non-motivation des enseignants et le manque de matériel didactique, l’inadaptation du programme national d’enseignement au contexte technologique mondial.

Outre les grandes écoles construites sous l’époque coloniale et quelques rarissimes construites par des ONG et agences des Nations Unies, l’Etat congolais n’a pas beaucoup investi dans les infrastructures scolaires. Pourtant l’enseignement fait partie de cinq chantiers (projet de société) lancés par le Président de la République lors des élections de 2006. Il était dit que près de 1000 écoles devraient être construites dans chaque province. La République Démocratique du Congo compte onze provinces avec plus de 140 territoires. Le bilan est trop faible: difficile de trouver plus de 10 écoles construites dans chaque province dans ce programme national.

Par ailleurs, alors que d’autres pays africains allouent à l’enseignement des crédits allant à 15% du budget national, au Congo les crédits alloués au secteur de l’éducation sont trop insignifiants par rapport à la croissance exponentielle du nombre des élèves que connaît le pays. 1% du budget national est une goutte d’eau dans un sol désertique. Mais les réclames politiques font savoir que la bancarisation est venue résoudre le problème de paye des agents de la fonction publique. Loin s’en faut. Ce système a certes résolu un peu l’irrégularité de paie des salaires mais sans l’améliorer. Les enseignants touchent ce qu’on appelle le "SIDA", le Salaire Insignifiant Difficilement Acquis. La bancarisation a résolu à moitié ce "SIDA". Il reste qu’il est insignifiant.

Beaucoup d’enseignants le sont devenus sans avoir suivi de cours soutenus par du matériel didactique. Eux-mêmes enseignent sans support didactique. Comment l’apprenant pourra-t-il alors prétendre comprendre les cours et lier la théorie à la pratique? Cette situation est encore plus ressentie en milieu rural où l’école se vide petit à petit de ses enseignants à cause des disparités tous azimuts qui existent entre la ville et les campagnes.

Le système de prime : une annihilation de l’éducation...


La prime constitue en effet, une euthanasie imposée à l’enseignement pour mettre fin à son existence. Depuis 20 ans, le taux élevé de déperdition scolaire s’est accru. Alors qu’ailleurs l’école s’est démocratisée, disait l’inspecteur Prosper, au Congo l’instruction est devenue un luxe réservé à une bourgeoisie. Que d'enfants jetés dans la rue par ce système de prime en dépit du fait qu’aux termes de la Constitution toute personne a droit à l’éducation scolaire et que les parents ont le droit de choisir le mode d’éducation à donner à leurs enfants (Article 43).
Les pouvoirs publics ont l’obligation de protéger la jeunesse contre toute atteinte à sa santé, à son éducation et à son développement intégral (Article 42).
L’enseignement primaire est obligatoire et gratuit dans les établissements publics. Aucun Congolais ne peut, en matière d’éducation (…), faire l’objet d’une mesure discriminatoire, qu’elle résulte de la loi ou d’un acte de l’exécutif, en raison de sa religion, de son origine familiale, de sa condition sociale, de sa résidence, de ses opinions ou de ses convictions politiques, de son appartenance à une race, à une ethnie, à une tribu, à une minorité culturelle ou linguistique (Article 13).

La discrimination liée à ce système de prise en charge de l’enseignement par les parents à travers la prime est fatale aux enfants. Ses conséquences sont importantes sur la société. Une famille la moins nombreuse au Congo compte huit personnes mis à part les responsabilités dans la famille élargie. Il est difficile pour les parents chômeurs et/ou sans salaire décent de payer la prime pour six enfants et subvenir à d’autres besoins vitaux (soins de santé, nourriture, logement,...). Conséquence, on adopte alors une scolarisation sélective dans la famille et souvent les filles sont les plus pénalisées.

Au niveau des établissements scolaires, beaucoup de gestionnaires se réservent de ne pas faire échouer les élèves de peur de les voir aller ailleurs ce qui baisserait l’effectif. Rares sont encore les écoles où l’application et la conduite des élèves préoccupent le corps enseignant. L’on se garde de punir un élève à cause de conduite, de le soumettre à un critère objectif de délibération. Voilà à quoi ressemble aujourd’hui la vie dans les écoles congolaises.

L’enseignement en République Démocratique du Congo exige de profondes réformes de fond et de forme. Le contenant et le contenu doivent être revisités sans complaisance pour enfin espérer former des générations de citoyens utiles à eux-mêmes, à la société, à la nation et au monde. Et pour combattre le régime de la prime payée aux enseignants et aux autres maux qui rongent ce secteur noble de la vie nationale, l’Etat congolais doit impérativement améliorer le salaire des enseignants et de tous les agents de la fonction publique, appliquer la gratuité à l’éducation garantie par la Constitution, accélérer et déployer la bancarisation jusqu’au fond du territoire national et adapter le programme national d’enseignement.

En outre, les enseignants devraient cesser de peser sur le dos des parents. Ils doivent refuser de continuer à manger simultanément sur deux plats: le maigre salaire de l’Etat et la prime des parents. En revendiquant leur dû auprès du gouvernement congolais, ils doivent simultanément dire non au régime de la prime. A ce moment-là, ils auront l’appui et la solidarité des parents dans ce combat de revendication. Les églises elles aussi devraient se pencher du côté des pauvres (la population) et non du côté des commerçants de l’éducation. C’est elle qui, pour sauver l’éducation, en des temps très difficiles avait pris l’initiative de la prime. C’est elle qui, aujourd’hui, devrait avoir une parole prophétique pour y mettre fin.