vendredi 23 octobre 2015

RDC : une fronde au sein de la majorité présidentielle ou le revers de l’inconstance politique

Le premier novembre 1980, alors que la dictature de Mobutu Sese Seko Kuku Ngbendu Wa Zambanga annonçait ses couleurs et se radicalisait de plus en plus, un groupe de 13 parlementaires prit son courage à deux mains en adressant au léopard une lettre où ils dénoncèrent tous les méfaits de son régime.
C’était au risque de leur vie. Il faut en effet se rappeler que précédemment, le 2 juin 1966, quatre compatriotes avaient été pendus à la Grand-Place de Pont Cabu (actuel Pont Kasa-Vubu) pour atteinte à la sûreté intérieure de l’Etat.

Trente cinq ans plus tard, on dirait que l’histoire est en train de se répéter puisque sous les tentatives saugrenues du régime de Joseph Kabila de se maintenir au pouvoir au-delà du mandat constitutionnel qui prend fin le 19 décembre 2016, un groupe de sept partis politiques (1) (G7) membres de la majorité présidentielle vient de claquer la porte de cette majorité, le 14 septembre 2015, en dénonçant dans une correspondance adressée au chef de l’Etat toutes les manœuvres dilatoires pour prolonger son mandat et ne pas respecter la constitution de la république.
Cette correspondance est à la base d’une grande et importante fronde au sein du régime Kabila. Elle entraîna plusieurs démissions en cascade dans les institutions publiques allant du gouvernement central aux gouvernements provinciaux. La dernière démission en date est celle du mardi 29 septembre 2015 du tout puissant gouverneur du Katanga, Moise Katumbi Chapwe qui a démissionné du parti présidentiel le PPRD (2) et de son poste de gouverneur de province. Comme ses pairs du G7, il dénonce la volonté délibérée du régime en place de ne pas respecter la Constitution qui limite à deux seulement le mandat du chef de l’Etat.

Une minute de courage peut-il récompenser des années (9 ans) de lâcheté ?

Au regard de ce théâtre politique qui ressemble a du déjà vu et déjà entendu, les citoyens se demandent si pareille situation fait avancer ou reculer la démocratie puisque tous ces gens ont géré le système depuis dix ans. Pourquoi est-ce seulement à une année de la fin du règne qu’ils se précipitent à quitter le régime. Comme qui dirait «quand le bateau veut chavirer, le rat en sort toujours le premier». Toutes les stratégies appliquées actuellement par les faucons du régime en vue de prolonger le mandat de Kabila ont été concoctées et ficelées avec eux: la tricherie électorale de 2011, la sortie du livre du professeur Evariste Boshab sur le troisième mandat de Kabila ou l’inanition de la nation congolaise, les évènements de janvier 2015 autour de la fameuse loi électorale et son article 8 (loi dite loi Evariste Boshab), les concertations nationales, les violations graves des droits humains, les détournements faramineux des biens publics… ils étaient tous là.

Il n’est jamais tard pour mieux faire, dit-on, mais en politique tout se fait par calcul des dividendes et pas vraiment par souci du bien-être de la population. Il y a donc lieu d’être dubitatif sur la sincérité de cet acte de démission de la majorité présidentielle posé par ces véreux et vétérans politiciens congolais. Ce doute peut doublement induire quelques appréhensions de la situation. D’abord, on peut certes croire que le G7 en a eu ras-le-bol du régime Kabila puisque ce serait la troisième fois qu’ils auraient écrit au chef de l’Etat pour lui faire part des malaises qui gangrenaient leur famille politique.

Ensuite, rien n’empêche de penser qu’il s’agisse là d’une stratégie interne à la majorité et ou des katangais pour flouer finalement l’opposition qui, soutenue par la population, s’oppose farouchement au 3e du mandat de Joseph Kabila. Le chef de l’état est lui-même du Katanga. Cette hypothèse se défendrait par l’inconstance des opérateurs politiques congolais qui n’ont ni convictions idéologiques, ni une vision politique à long terme pour lesquelles ils accepteraient de tout perdre. Cette culture de renier facilement sa tendance politique la journée et la confesser la nuit et vice versa date de 50 ans. On dit que toute l’opposition d’Etienne Tshisekedi n’a consisté qu’à ce jeu-là, faire le jeu de la survie politique par le mensonge public. Où s’arrêtera donc la honte congolaise ? Il faudrait une nouvelle éthique de l’engagement politique devant cette incertitude démocratique qui risque de conduire à une régression. Cette culture qui apprendrait aux politiciens congolais de s’assumer et d’avoir le courage de leurs convictions.

Quelle incidence sur la démocratie congolaise ?

Le retrait du G7 de la majorité présidentielle pourrait donc être une stratégie katangaise de conserver le pouvoir au Congo, dès lors que tout potentiel dauphin à Kabila, de quelle trempe qu’il soit, fut-ce Moise Katumbi, n’aurait pas la chance d’être élu à la présidentielle sous le label du PPRD à cause des crises de légitimité, de pénétration et de distribution des richesses nationales surtout quand s’ajoutent le détournement des biens publics et la corruption qui caractérisent le régime depuis 15 ans.
Légalement investi, Joseph Kabila n’a pas été accepté par les gouvernés à cause de son inefficacité face aux demandes des congolais; sa gouvernance n’a pas su contrôler le territoire national avec des politiques publiques conséquentes et une stratégie de communication adéquate. Cela étant, il était stratégiquement indispensable aux potentiels présidentiables de se lancer en opposition pour se faire accepter par les citoyens, mais là encore tout n’est pas gagné.

Le G7 est constitué de personnalités bien rodées en politique mais dont l’acte de démission, perçu comme une bravoure par certains, souffre tout de même d’un handicap gênant: celui d’avoir collaboré avec le régime de Joseph Kabila et bénéficié de ses faveurs depuis 10 ans mais aussi des nostalgiques du mobutisme.

Il sied de remarquer que certaines institutions d’appui à la démocratie sont (momentanément peut-être) en difficulté de fonctionnement suite à cette démission, car beaucoup d’entre elles fonctionnent sur base de quota des parties de la majorité présidentielle. C’est pourquoi par exemple la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI), dont certains animateurs appartenaient aux partis du G7, doit procéder à leur remplacement. Ce processus de remplacement aura certainement des répercussions sur le processus électoral particulièrement en ce qui concerne le calendrier électoral déjà en retard. Dans le contexte actuel, on peut imaginer que pour opérer ce bouleversement, le régime en place s’évertuera à prendre son temps. Il en est de même pour les bureaux de l’Assemblée nationale et du Sénat: mutatis mutandis en province. Nous ne parlons pas encore des mandataires dans les entreprises publiques sachant que l’Etat est un tout.

Par ailleurs il faut se rappeler que le G7 compte 80 députés à la chambre basse, ce qui fait de lui désormais la première force de l’opposition politique à la défaveur de l’UDPS d’Etienne Tshisekedi qui compte 41 députés et de l’UNC de Vital Kamerhe qui n’en compte que 17. Ceux-là n’ont jamais compris la nécessité de s’allier pour être fort. Après les élections de 2011, l’UDPS et l’UNC ont été proclamé successivement deuxième et troisième partis politiques de l’opposition, ils sont tous et chacun jaloux de ce positionnement. Dans ces conditions, quel genre de compromis pourrait se réaliser entre ce G7 et les autres partis de l’opposition et combien de temps faudra-t-il pour le faire puisque depuis 2011 ces derniers ne se sont jamais mis d’accords sur leur porte-parole.

In fine, toutes ces péripéties risquent d’écorner encore plus le processus démocratique déjà menacé par la volonté du régime de se maintenir au pouvoir au-delà du mandat constitutionnel. En outre, si demain les élections sont enfin là, il est davantage certain que le peuple se trompera sur les individus à choisir et sur les projets de société qui se présenteront à lui.

Beaucoup d’analystes politiques pensent que la démocratie a été, pour l’essentiel, un échec en Afrique, probablement du fait d’une conjonction de raisons structurelles et conjoncturelles (prise du pouvoir par des despotes peu éclairés, absence de structures étatiques, insuffisante éducation du peuple…). Ils n’ont pas du tout tort. En République Démocratique du Congo, les raisons structurelles et conjoncturelles sont très prononcées puisque la scène politique congolaise est marquée par la multitude des partis politiques et des acteurs sans ligne idéologique connue et défendue. Tout est marqué par une corrosion dénotée par une inconstance politique qui décrédibilise les acteurs politiques congolais.

Il suffit de revisiter les déclarations de tous les membres du G7 particulièrement celles de Moise Katumbi lorsque Vital Kamerhe (ancien secrétaire général du parti présidentiel) avait quitté la majorité présidentielle pour s’en convaincre. Elles étaient d’un acharnement indicible et des critiques virulentes à son encontre le traitant de traître aux ambitions démesurées. Aujourd’hui le temps a-t-il tranché ?

Somme toute, la fronde actuelle au sein de la majorité présidentielle pourrait avoir une double conséquence sur la démocratie en République Démocratique du Congo: d’abord affaiblir l’enracinement de la démocratie dans la mesure où ces démissions du G7 ne seraient pas sincères et s’inscriraient dans une logique noire du parti au pouvoir de flouer l’opposition politique et le peuple congolais qui s’opposent farouchement à la révision constitutionnelle en janvier 2015 et au glissement du mandat du président au-delà de décembre 2016. Mais cela étant, il ne faudra pas oublier que selon l’américain Juan Linz, un système politique s’écroule toujours lorsque le pouvoir éclate et lorsqu’il n’y a plus de croyance en la légitimité des acteurs politiques et des institutions. La révolution éclate toujours lorsqu’il y a un fossé entre les aspirations légitimes du peuple et les décisions du gouvernement. Selon Feyarebend, la révolution découle aussi d’une frustration, et sont considérés comme frustrés, les individus aspirant légitimement à une situation mais qui se trouvent bloqués par d’autres individus ou par un système sur le chemin de l’accession à la dite situation. Le ferment agitateur est fin prêt pour que le peuple se soulève contre tout acte politique qui tendrait à lui confisquer la satisfaction de ses aspirations. Cette fronde place-t-elle le Congo-Kinshasa sous le schéma burkinabé ? Difficile à dire pour l’instant.

Si par contre, le G7 joue franc jeu de l’opposition et de la population congolaise, la démocratie en sortira métallisée et stabilisée. Et leur acte sera pris pour un acte républicain et de grande bravoure politique: déjà que la culture de démissionner est une grande valeur citoyenne et démocratique, mais si cela est un grenouillage, la république et la démocratie en sortiront affaiblies.

Wait and see disent les anglais!
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(1) Le Mouvement Social pour le Renouveau (MSR), l’Alliance pour le Renouveau du Congo (ARC), le Parti Démocrate-Chrétien (PDC), l’Avenir du Congo (ACO), l’Union Nationale des Fédéralistes du Congo (UNAFEC), l'Union Nationale des Démocrates Fédéralistes (UNADEF), l’Alliance des Démocrates pour le Progrès (ADP).
(2) PPRD : Parti du Peuple pour la Reconstruction et la Démocratie.

jeudi 6 août 2015

Les zigzags de la démocratie ou du "démon-cratie"… ?

De plus en plus, la fin des mandats présidentiels et autres faits connexes qui nourrissent le débat politique dans la région des grands-lacs africains en inquiètent plus d’un.
Dans les pays civilisés, la fin d’un mandat constitutionnel ouvre la voie à l’alternance et consolide la culture démocratique du pays. Malheureusement dans la sous-région, les agitations des chefs d’états actuels (Joseph Kabila, Paul Kagame, Pierre Nkurunziza, Kaguta Museveni, Denis Sassou Nguesso,…) pour s’octroyer des mandats non constitutionnels menacent dangereusement la démocratie et la vie des citoyens. On se demande si finalement les peuples font face aux zigzags de la démocratie ou ils font face au « démon-cratie » autrement dit au démon du pouvoir?

Alors qu’ailleurs dans le monde, la démocratie a pour fondement culturel les grandes valeurs respectueuses de la vie humaine telles les libertés, l’égalité, la fraternité, la solidarité, le républicanisme,… en Afrique et singulièrement dans les grands-lacs africains, elle se décline dans la négation de la vie humaine et s’établit sur un fond baigné du sang des citoyens. Le démon du pouvoir (cratos en grec) aime le sang comprend-t-on…

Depuis des décennies, le massacre des citoyens est devenu une variable d’accès au pouvoir dans la région. En RD Congo, au Burundi, au Rwanda voir en Ouganda, beaucoup de ceux qui ont émergé politiquement, économiquement voire socialement sont ceux qui ont pris les armes contre la république ou qui ont eu des accointances (in)directes avec les mouvements rebelles et groupes armés ou qui ont tué le plus.

Tous les chefs d’état actuels ainsi que certains de leurs grands collabos politiques sont des anciens compagnons qui ont accédé aux rênes du pouvoir, d’une manière ou d’une autre, grâce aux armes: Kabila, Kagame, Nkurunziza, Kaguta,… Tous furent militaires et ont acquis la culture d’infliger la mort aux autres et de relativiser les droits de l’homme. Pourtant à un certain moment, en organisant des élections, ils ont insidieusement fait croire qu’ils étaient des démocrates. Aujourd’hui cependant les masques tombent... "A bon menteur qui vient de loin et chasser le naturel il revient au galop" dit-on.

Un phénomène non hasardeux mais tout de même curieux se constate particulièrement en RD Congo depuis 2003. La marche vers la démocratie rime avec la guerre si bien qu’à chaque veille des élections il y a toujours des bruits de bottes. Et l’on se demande si la démocratie congolaise est tributaire d’une guerre qui tue les citoyens? Pourquoi à chaque fois que le pays se prépare aux élections, il y a toujours une guerre qui s’annonce dans un coin du pays et singulièrement à l’Est, et qui par la suite fait des victimes innombrables?

Pour mémoire, en 2004-2005 à la veille des élections de 2006, une guerre éclata à Bukavu, menée par le général Nkundabatware et le colonel Jules Mutebusi. En 2010, pendant que la population se prépare aux élections de 2011, ce fut la guerre du Mouvement du 23 mars (M23) et aujourd’hui, à la veille des élections de 2015-2016, une nouvelle rébellion s’annonce encore dans le Nord-Kivu, le Mouvement Chrétien pour la Construction du Congo (MCCC) guidée encore par le général déchu Laurent Nkundabatware et Jean-Marie Runiga ancien collabo de Bosco Ntaganda dans le M23. A côté, il y a le mouvement ADF/NALU soupçonné de plus en plus d’être une incubation de l’islamisme radical formant les jeunes au terrorisme africain. Qui peut bien être derrière ce genre de scenarii, à qui cela profite-t-il? Etonnamment, ce sont les mêmes acteurs et les mêmes noms qui reviennent et dont on suspecte le soutien des pays voisins pour plusieurs raisons.

La situation de Béni laisse un peu perplexe et l’on se demande pourquoi toutes ces tueries? Les présumés ADF/NALU qui tuent chaque semaine à Béni, qui sont-ils exactement, sont-ils si différents des fameux Rasta de triste mémoire qu’on a connu au Sud-Kivu et qui ont endeuillé le Sud-Kivu principalement dans la région de Kaniola ? D’après plusieurs sources locales, les ADF/NALU ont pris une nouvelle appellation actuellement et deviennent « International Musulm Defense». Ça sent le Boko Haram made in Afrique centrale et le danger est de taille quand on sait les richesses minières, même le plus redoutable comme l’uranium que regorge la RD Congo…

La situation politique actuelle du Burundi démontre combien de fois l’ombre d’une guerre sanguinaire plane toujours et davantage sur tous ces pays et sur leur démocratie de façade dont l’avenir est très incertain. Le président Nkurunziza veut se maintenir au pouvoir au-delà de ses deux mandats constitutionnels. La RD Congo, le Rwanda, l’Ouganda, le Congo-Brazzaville n’échappent pas à la tentation. Tous ces chefs d’Etat qui se sont auto-satisfait d’être les artisans de la paix retrouvée se trouvent aujourd’hui en contradiction avec eux-mêmes et rattrapés par le temps dans la mesure où ils deviennent le scandale de la démocratie dont ils se sont tant vantés.

Aujourd’hui l’odeur du sang humain circule allégrement dans la région et on ne sent pas de mesures draconiennes pour empêcher que cette démocratie acquise au sacrifice ultime des peuples continue à se nourrir injustement de ce même sang des citoyens et que le pire n’arrive. Alors que les citoyens veulent mordicus défendre les valeurs de la démocratie pour le bien de leurs pays respectifs, les dirigeants politiques eux, se préparent en armes et munitions pour imposer leur « démon-cratie » du sang.

Au regard des tendances politiques actuelles, si rien n’est fait par la Communauté internationale, cette région risque d’être encore à feu et à sang avant la fin de cette décennie. Les révolutions citoyennes pour la sauvegarde des valeurs démocratiques, risquent de se transformer en carnage pour l’instauration des régimes iniques.

Quelles solutions possibles ?

La démocratie dans les pays des grands-lacs africains est confrontée aux conflits ethniques/identitaires, économiques et géopolitiques imposés qui gangrènent la région. Elle est aussi confrontée aux désirs tyranniques des chefs d’état actuels qui plutôt que d’asseoir la démocratie pour le bien de tous, veulent imiter les empereurs romains Caligula et Néron (le premier se roulait dans le sang de ceux qu’il avait assassinés de ses mains par ivresse sadique, le second fit incendier Rome pour jouir du spectacle d’une ville en feu)… Platon décrit le tyran comme "ne connaissant que la loi de ses désirs, celui-ci est prêt à tout pour les assouvir". Le tyran ne poursuit le pouvoir que parce qu’il est poursuivi par son propre désir.

Pour arriver à stabiliser et consolider la démocratie dans les grands-lacs, il faudra nécessairement un jour donner des solutions idoines à ces conflits qui obstruent l’incrustation de la culture démocratique dans les grands-lacs.

Certaines thèses ont été avancées par des spécialistes mais aucune n’a aujourd’hui attiré l’attention de la communauté internationale ni de la population, ni probablement rencontré les intérêts des uns et des autres.

Pour que la démocratie et par ricochet la paix progressent dans la sous-région et particulièrement au Congo, certaines "personnalités", dont l’ancien président français Nicolas Sarkozy, ont proposé le partage des richesses du Congo avec les voisins. D’autres, comme Pierre Pean ont préconisé le retour au Rwanda de la communauté tutsie congolaise puisque, estime-t-il, de Mobutu à Joseph Kabila, plusieurs actes encourageant son intégration dans l’espace national congolais ont été pris mais sans résultats probants. On en déduit que la communauté tutsie, tout au moins son élite n’a jamais réellement voulu l’intégration. Et cela conforte la thèse du tutsi land qui s’étendrait aussi sur le territoire congolais au détriment du Kivu.

Depuis l’indépendance, toutes les solutions préconisées se révèlent inadéquates, ajoute-t-il.

D’autres stratèges géopolitiques des grandes puissances mondiales soutiennent qu’il faut plutôt la balkanisation de certains états dans les grands-lacs puisque la démocratie peine à se déployer dans de trop grands pays. Le Soudan a été le pays test de cette approche, la RD Congo est dans l’œil du cyclone et probablement l’Angola suivrait. Malheureusement, l’expérience du Sud-Soudan est un échec patent et joue en défaveur de la balkanisation. Tout ce qu’on y a fait miroiter au peuple afin de voter pour l’autodétermination n’était que pire fantasme et vanité: aujourd’hui c’est la guerre sans fin, la faim, les violations graves des droits humains, le sous-développement,… Il n’y a ni paix ni démocratie à Djouba.

La dimension géographique d’un pays n’est donc en soi ni un obstacle ni un atout à la démocratie et à la paix. Les petits pays ne sont pas les plus démocrates que l’on connaisse. Le Rwanda, le Burundi, l’Ouganda, le Congo-Brazzaville n’ont rien de démocrates, bien au contraire.

A toutes ces thèses avancées, d’autres ne manqueront pas d’être formulées pour la sous-région des grands-lacs.

Pour certains peut-être faudra-t-il bien un jour se décider de faire du Burundi et du Rwanda des pays mono-éthiques en les répartissant entre l’ethnie hutue et l’ethnie tutsie. Cela pourrait se faire par référendum populaire, ou simplement penser à une confédération des états d’Afrique centrale selon le modèle de la colonisation qui, pour mieux gérer ces pays, en avait fait un seul espace administratif, une seule colonie : Congo-Rwanda-Urundi. Cela donnerait-il la chance à la paix et à la démocratie de s’installer définitivement? On en doute. Si en démocratie, c’est la voix de la majorité qui l’emporte, le respect des minorités en constitue aussi une valeur centrale. Chaque société a ses minorités. Croire qu’on peut en être exempté relève de la mystification, et ne peut conduire qu’à des tragédies.

Toutes ces solutions ne sont que des tâtonnements et des supputations qui bousculeraient l’équilibre politique mondial. La seule solution pour que la démocratie devienne effective dans les grands-lacs africains, c’est de respecter la souveraineté interne et externe de chaque pays. Respecter la souveraineté interne exige de tout citoyen (qui qu’il soit) le respect de la Constitution et des autres lois de la république votées au nom et pour le peuple, lesquelles définissent bien les règles de jeu. Il ne faut pas le personnaliser et en faire des œuvres de circonstance taillées sur mesure. La légitimité a besoin de la légalité et inversement car si on sacrifie la loi de la cité, on risque de nuire à l’humanité, disait Bertrand Vergely dans son livre « les grandes interrogations politiques. »

La souveraineté externe quant à elle suppose le non ingérence dans les affaires d’autrui tant que cela ne trouble pas la paix mondiale. Ainsi la démocratie s’installera pour le bien de tous.

mercredi 1 juillet 2015

RD Congo: Ne pas avoir peur de dialoguer, ni dialoguer par peur!

Quels lendemains pour les consultations menées par le Président Joseph Kabila. 

Coup d'œil furtif sur les consultations et le dialogue en perspective

De l’avis de plus d’un observateur, les consultations en cours au Palais de la Nation depuis plus d’une semaine, menées par le chef de l’Etat en face à face avec chacune des forces sociales et politiques congolaises séparément, en vue de récolter avis et considérations pour un dialogue politique, le Président Joseph Kabila cherche une fois de plus une nouvelle légitimité pour ses 18 derniers mois de mandat. Cela n’a pas manqué de susciter de la polémique et de diviser la nation congolaise. Pour le camp des plus sceptiques, notamment les poids lourds de l’opposition, cet exercice périlleux est dénué de tout fondement au regard des véritables priorités de l’heure qui sont avant tout sécuritaires, économiques, sociales, et surtout d’harmoniser les échéances du calendrier électoral global récemment publié. Par contre, pour le camp soutenant la thèse de la nécessité de ce dialogue politique avant les élections, l’exercice vaut bien la chandelle et facilitera une issue apaisée des élections. Toujours pour ces derniers, le dialogue politique permettra de baliser le chemin des élections, d’harmoniser certains points d’achoppements susceptibles d’entamer la cohésion nationale, bref d’arriver à faire le point sur un certain nombre de questions en vue d’éviter de tomber dans la situation qui a prévalu à Bujumbura dernièrement(1). Entre-temps, le sondage se poursuit…
Qui a raison? Seul le temps pourra dire si ces retombées seront positives ou négatives sur un processus de paix qui a longtemps évolué en dents de scie.

Tel que démarré à l’initiative du chef de l’Etat, et à la demande(2) de l’opposition et de la société civile (cette dernière ne semble pas le reconnaître), l’événement divise la classe socio-politique du pays.
Par ailleurs, on sait que les gouverneurs de province sont chargés par le sommet de l’Etat d’effectuer les mêmes consultations dans leurs provinces respectives. Quoi qu’il en soit, d’ores et déjà, pour le pouvoir en place, stratège avisé, l’opération est déjà gagnante. La forte médiatisation qui l’entoure, appuyée par une publicité agressive autour de la question dans les médias officiels, focalise l’attention sur ce dialogue politique préconisé, devenu désormais un enjeu majeur précurseur d’élections apaisées. Il ressemble ainsi à un rendez-vous de dernière chance.

Flot des spéculations récoltées ça et là sur le fond

En attendant les conclusions officielles des consultations, les supputations en sens divers qui alimentent la place publique et la rue se voient amplifiées par les médias communautaires.

  • Pour certains, les présentes consultations ainsi que le dialogue politique ne sont organisés que pour arracher un consensus autour de la représentation du Raïs aux prochaines échéances. Ceci au regard de maintes tentatives antérieures manquées, dont la première, et non la moindre, qui portait sur la modification de quelques articles de la Constitution de la République. Sur cette question, les marges de manœuvres légales du chef de l’Etat en cette matière semblent largement amoindries au regard du court laps de temps qui nous sépare des élections présidentielles. On se souviendra que la dernière révision/modification de la Constitution faite en 2006 réduisant de deux à un seul tour le scrutin présidentiel, avait permis au Président Kabila de passer de justesse, (non sans contestation), mais sans lui garantir une réelle majorité d’électeurs au scrutin universel. La probable spéculation dans le camp de la majorité étant que la révision de la Constitution aurait ouvert au chef de l’Etat la possibilité de se représenter une deuxième et dernière fois sous ce format de scrutin à un seul tour. Dans les diverses consultations qui se déroulent, il n’est pas impossible que l’une ou l’autre personnalité suggère au chef de l’Etat d’autres voies légales, qui quoique non constitutionnelles, pourraient être activées.
    En un mot, ce serait pour user de tous les moyens de convaincre puisqu’on ne doit pas contraindre.
  • A l’opposé, tous ceux qui ne voulaient plus d’un énième dialogue politique, perçu comme une brèche rendant possible le glissement du calendrier électoral, voient leur crainte renforcée par l’insistance pour ces consultations préparatoires à la tenue du dialogue politique. Mais ceux-là, sceptiques, ont peu à peu atténué leurs critiques et rejoint le camp du « Oui pour le dialogue », moyennant quelques préalables pour sa matérialisation. Entre autre préalables, la non-obstruction aux différentes opérations électorales à réaliser dans les délais ainsi que ne pas cautionner l’illégitimité.
  • L’exercice démocratique avec l’alternance est difficilement intériorisé dans le mental de certains dirigeants de l’Afrique centrale enclins à un carriérisme dénué de réel projet politique et social (cas de la RDC, Ouganda, Rwanda, Congo Brazzaville, Burundi). Cela donne à penser que les élections ne constituent pour eux qu’un mauvais moment à passer pour continuer à exercer le pouvoir sans une obligation quelconque de résultat ni de redevabilité. Ce qui fait qu’en général, après avoir normalement gagné les élections une première fois, ces derniers s’acharnent à s’enrichir gloutonnement contre tous les espoirs des populations. Les pratiques pour le maintien dont, le noyautage des opposants, des acteurs de la société civile et des syndicalistes, le musellement des médias indépendants et des députés, fût-ce par des menaces, bref, tout mécanisme susceptible de garantir le maintien au pouvoir sont notre quotidien. La modification des constitutions venant couronner le tout et assurer le maintien pour une très longue période. A l’instar de la pratique de l’alternance démocratique observée dans les pays de l’Afrique du nord et occidentale, le Burundi était jusqu’aux derniers événements du coup d’état manqué de mai dernier, la seule référence de l’Afrique centrale où se trouvent quatre anciens présidents en vie, au pays, vaquant à leurs occupations citoyennes. 
 En définitive, le dialogue politique s’annonce pourtant sur des enjeux aux intérêts divergents, différents, voire contradictoires et mutuellement exclusifs. Il sera dès lors très difficile d’arriver à des résolutions acceptables et acceptées par toutes les parties.

Il ne faut pas avoir peur de dialoguer et il ne faut pas non plus dialoguer par peur(3)

Petit rappel: sentant sa fin venir, le Maréchal Mobutu Sese Seko, craignant sa fin accélérée par la force de la perestroïka et des courants novateurs de par le monde entier, initia des consultations populaires en procédant par itinérance à travers les 11 provinces de l’époque, contrairement à l’actuelle démarche du Président Joseph Kabila où, les protagonistes sont invités à venir vers le Président. A cette époque-là, de ces consultations menées au travers le pays, Mobutu fut secoué par des révélations graves qui lui firent comprendre que, quoiqu’il en coûtait, il ne pourrait plus continuer à diriger le Zaïre de l’époque(4). Chose qu’il ne pouvait digérer. (Il disait alors que de son vivant, on ne l’appellerait pas « ex-Président »…). Comme on le sait cependant, ces consultations menées de son propre chef pour désamorcer l’inattendu n’ont ni empêché, ni amorti la descente en enfer de sa dictature. La Conférence Nationale Souveraine organisée dans la suite de ces consultations n’a pas non plus permis de remonter la pente du capital-confiance des zaïrois/congolais car c’est dans cette Conférence Nationale Souveraine que les congolais s’accordèrent à dire que «quand on doit manger avec le démon, il faudrait se munir de longues fourchettes». 

La peur du dialogue est un fait observé de tous les temps

Certaines personnalités bien avisées, avouent s’être abstenues de se rendre aux dialogues politiques convoqués par le pouvoir en place pour des raisons avouées:
  • La peur de ne pas pouvoir y exercer pleinement leur liberté d’expression ou d’opinions contraires sur des questions sensibles sans risquer de mettre en péril leur intégrité physique. Ceux-ci se réfèrent à des cas vécus dans l’histoire politique du pays…
  • La peur de cautionner une démarche désavouée parce que minée et porteuse de schémas aux évidents agendas cachés, par exemple, le retour à un éventuel gouvernement de 1+4 nouvelle version dont la première expérience ne s’expliquait qu’en post-conflit.
  • La peur d’être empoisonné dans les séances organisées par des ennemis politiques. La société africaine est encore portée sur l’intolérance et la non-acceptation de ceux qui ne partagent pas les mêmes convictions idéologiques, spirituelles ou qui simplement ne pensent pas comme vous. En effet, la pratique anglo-saxonne «to agree to desagree», qui accepte de «se convenir de ne pas se convenir» reste absurde pour la société congolaise surtout aux moments les plus délicats de leurs divergences idéologiques, éthiques ou politiques. Chacun tient à l’effacement de son adversaire/concurrent… A titre d’illustration, pendant la Conférence Nationale Souveraine de 1990, l’extinction inopinée de certains conférenciers détenant des dossiers sensibles (parmi lesquels le mwami Munongo Msiri du Katanga) avait donné la frousse à certaines personnalités qui ne se précipitèrent plus aux dialogues initiés par le pouvoir en place. Il en a été de même de la mort d’un général des FARDC, séance tenante, pendant les pourparlers politiques avec le M23 au sommet de Kampala en 2013… Déjà au Sud Kivu, en 2002, aux temps les plus forts de l’agression rwandaise, par l’entremise de quelques compatriotes véreux, quand la société civile fut invitée par le Gouverneur de province du RCD à dialoguer autour des questions essentielles (dont les abus de l’agression-rébellion rwandaise), son porte-parole commença par ces mots : «Souffrez, excellence Mr le Gouverneur de Province, que personne de notre délégation ne puisse boire ni manger au buffet que vous avez apprêté pour notre accueil de peur qu’en revenant d’ici, si par malheur quelqu’un avait un quelconque malaise, on ne puisse vous taxer de nous avoir empoisonné».
Toujours en RD Congo, c’est au terme des dialogues politiques à répétition que s’est muée l’impunité en système de partage de pouvoir et de blanchiment des criminels… En effet, dans ces conditions de rapport de force inégalitaire du moment, coincé, privé des moyens d’action (mobilité et finance), dans une logique de non-ouverture pour ne laisser qu’une petite brindille au nom du dialogue politique, comment ne pas nourrir des inquiétudes ? 

Pour l’opposition radicale, y prendre part dans ces conditions n’est autrement perçu que comme de la résignation issue de l’usure… Pour la petite histoire, en 2005, confiant de son adhésion populaire face aux forces politiques en position de faiblesse, le pouvoir n’avait pas cautionné la tenue d’un dialogue politique tel que réclamé par les forces politiques adverses de l’époque. Il s’était alors rangé au plaidoyer de la société civile qui réclamait mordicus d’aller droit aux élections sans tergiverser. 

De même, le niveau régional et/ou sous régional n’est pas exempt de cette triste réalité car, c’est au cours des pourparlers de paix sur le Burundi tenus à l’extérieur de son pays que le Président burundais Pierre Buyoya fut éjecté du pouvoir par un coup de force et que plusieurs années plus tard, au terme des pourparlers de paix d’Arusha sur le Rwanda en proie à une guerre civile qu’au retour fut abattu l’avion qui transportait les Présidents rwandais et burundais Ndadaye, déclenchant ainsi le génocide rwandais. Tout récemment encore, pendant les concertations politiques de paix sur le Burundi en avril 2015, eut lieu un coup d'état contre le Président Pierre Nkurunziza.

Peut-on dialoguer par peur?

Certes! Prenant en compte le rapport de forces, les faibles sont constamment appelés à dialoguer par peur, à négocier fût-ce pour des questions existentielles, afin de ne pas disparaître. Il n’est un secret pour personne que plusieurs dialogues sont initiés sous la menace, les pressions et des ultimatums.

Loin de tout cela, la sagesse africaine dans la région des Grands lacs africains développe des adages et des proverbes apparentés à ce postulat qui vente les vertus du dialogue sous l’arbre à palabre jusqu’au plus extrême spécifiant qu’«un arbre qu’on n’est pas capable d’abattre, on est appelé de dialoguer, voire de pactiser avec lui». C’est malheureusement la perpétuation de relation de dominant-dominé d’autant plus vérifiable dans le concert des états depuis la nuit des temps où, les états faibles, une fois en conflits, ont été contraints d’envoyer des émissaires dans des pays forts pour tenter de désamorcer toute menace d’affrontement par le dialogue. A cet égard, encore les vertus du dialogue sont brandies au grand maximum. 

Que de fois n’a-t-on pas entendu renchérir par plusieurs politiciens opportunistes que la «politique de la chaise vide ne paie pas», les entraînant immanquablement dans l’opportunisme politique ou la prostitution intellectuelle par le bradage des valeurs éthiques de dignité et d’honneur. La peur de se retrouver hors des centres de décision et des circuits de partage du pouvoir mène à de bien étonnantes capitulations… 

Parfois, c’est par peur de sanctions économiques, diplomatiques et d’indexation que, des états faibles d’Afrique, en conflits, agressés de l’extérieur et/ou par des rébellions par endroit commanditées de l’extérieur ont été contraints, par la Communauté internationale, à dialoguer avec leurs rébellions sans se lasser, et cela contre leur bon gré. Pour illustration, en plus des injonctions internationales à dialoguer avec les ennemis du pays, le dialogue forcé entre le gouvernement de la RD Congo et le CNDP du général Laurent Nkunda en 2008 a été convoqué et tenu suite à la peur de la capture de la ville de Goma par ces derniers,  appuyés militairement par l’armée rwandaise. Les concessions et les sacrifices qui en ont découlé constituent les conséquences innommables de ce genre de «dialogue par la peur». Et jusqu’à ce jour, quoiqu’il en soit, pour la paix, les états pourront être contraints de dialoguer par peur… 

Comment ne pas tomber dans les deux extrêmes? 

Le conflit fait partie inhérente de la vie de toute société humaine et, le dialogue est la voie la moins risquée pour trouver des solutions à bas frais dans la mesure où il est conduit délicatement et conformément aux règles de l’art dans le but, non seulement de rassurer toutes les parties concernées mais bien plus d’éviter qu’il ne soit lui-même la cause ou la conséquence de nouveaux problèmes (5). Plusieurs dialogues politiques en effet ont déployé d’importants moyens pour des résultats souvent dérisoires car, après coup, on a compris que certains protagonistes n’avaient pas joué franc-jeu et avaient vite repris des actions plus meurtrières encore. Ici, le dialogue politique sera perçu comme un stratagème pur et simple d’anéantissement ou de distraction dans le combat politique. Dans certains cas même, certains processus de dialogue ont débouchés sur des conflits plus graves encore que ceux qu’ils étaient censés régler. Notamment dans le cas où les protagonistes agiraient par procuration.

Malgré que les dialogues au Congo aient été toujours initiés pour sauver une situation au bord de l’explosion et surtout pour sauver les intérêts égoïstes des acteurs politiques, on doit relever que dans les pays démocratiques, le compromis politique permanent, fruit du dialogue, a toujours constitué le fondement du fonctionnement politique, surtout dans des pays qui connaissent des divisions ethniques ou culturelles. Alors, le dialogue devient, à côté des élections, un dispositif visant le partage «démocratique» du pouvoir. Mais, les résultats des compromis issus de ces dialogues, souvent de courte durée, voire éphémères ne tardent pas à se traduire en compromissions et, les alliances tissées à l’occasion finissent par se défaire. Il est indispensable de ne pas l’oublier… 

En conclusion

Il n’y a pas que du négatif dans le dialogue politique en perspective. Du reste le dialogue préconisé dans l’accord-cadre d’Addis-Abeba du 21 février 2013 constitue la base de revendication de l’opposition, chose que les gouvernants auront gelé pendant plus de deux ans parce que non prioritaire pour eux. 
« Peur de dialoguer et/ou dialoguer par peur » sont, toutes deux des réalités extrêmes, contrôlables, à condition que toutes les précautions d’usage soient prises à temps par toutes les parties en présence... Ce faisant, de manière élémentaire, un dialogue politique sous-entend qu’il y ait à la base un ou plusieurs problèmes réels à régler par la voie pacifique. Il ressort d’emblée que sa préparation implique toutes les parties ou tout au moins les représentants desdites parties pour aboutir à de bonnes issues et pour rassurer toutes les parties concernées par le/les problème(s) à résoudre.
Dans le cas précis du dialogue politique en perspective en RD Congo avant la tenue des élections et, pour lequel des consultations ont été initiées par le chef de l’Etat, il se poserait déjà un problème dans la mesure où le Président est supposé par nombre d’opposants être lui-même le problème et qu’il est quasiment improbable que l’on puisse négocier sa sortie du pouvoir au cours de ce dialogue politique. 
Le président sera cyniquement taxé de juge et partie à la fois. Il sera de surcroît soupçonné d’entretenir un agenda caché, ce qui, du coup, remet en question toute la fiabilité de pareil processus et présage déjà d’un fiasco.
D’autre part en décryptant les médias, le problème des véritables représentants des catégories conviées a été présenté. C’est le cas par exemple de certains représentants de la société civile et de quelques partis politiques qui auraient pris part aux consultations du Palais de la Nation sans en avoir ni qualité ni mandat de leurs pairs et pire encore, ceux qui auraient participé au nom de la société civile alors qu’ils font indéniablement partie des regroupements et partis politiques de la majorité présidentielle… 
Ce serait enfin une occasion manquée pour un dialogue politique où nombre des parties prenantes conviées pourraient participer sans mandat légal des pairs ou sans légitimité parce que montées à dessein pour jouer au remplissage en vue de contrebalancer le boycott de l’opposition.

Dorénavant l’intérêt supérieur de la Nation devant être au cœur du dialogue politique préconisé, on devra d’une part parcourir les préalables présentés par les différentes parties et d’autre part confectionner de bons garde-fous pour tous les camps en pourparlers: ce qui doterait le processus de plus de chance. 
Pour ce faire, le pouvoir initiateur du dialogue devrait sportivement exhiber plus de garantie de sa bonne foi à partir de son ouverture afin de rassurer toutes les parties prenantes et dissiper tout soupçon, rayer toute la méfiance par la prise en compte et l’analyse des doléances fondées de toutes les forces sociales au travers un appel solennel à la participation à toutes les étapes depuis la première réunion préparatoire jusqu’à l’atterrissage d’un accord, si accord il y a. Sous ces préalables et garde-fous, on aura enrayé toute peur de dialoguer et de ne pas dialoguer par peur. 
Il faut pour cela, et à titre illustratif, militer pour arriver à:
  • Un accord concerté, intégrant les intérêts de toutes les parties et qui implique la responsabilité de toutes les parties concernées dans la démarche.
  • Un accord préalable sur un ordre du jour précis, le timing des travaux pour éviter débordement et glissement. Pour ce faire, un site ou un terrain neutre pour limiter les soupçons serait l’idéal.
  • S’accorder sur une méthodologie qui permettrait d’aboutir à un accord tout en listant les points de non accord qui pourraient faire l’objet d’autres pourparlers sans bloquer l’avancement des points cardinaux.
  • Veiller minutieusement sur les mandats et les mandants.
  • Avoir au plus vite une médiation consensuelle qui pourrait conduire les pourparlers sans aucun parti pris est très indispensable. Boutros Boutros Ghali disait que lorsqu’une médiation a réussi, le médiateur disparaît mais quand elle échoue le médiateur est pris pour un bouc émissaire.
  • Il ne faudrait surtout pas à ce stade oublier que, quoique voulues, l’ombre des élections contestées de 2011 plane dans les esprits des gens, que les conclusions des recommandations d’Addis-Abeba et des concertations nationales n’ont pas été atteintes et que, contrairement aux échéances de 2011, des alliances sont en train de se ficeler. Tenter de débaucher les opposants serait contre-productif et pousserait la nation à perdre foi en la démarche.
Une bonne préparation du dialogue exige d’explorer le "Qui", le "Quoi" et le "Comment". Attention à la «Négomanie», qui est le fait de concession dans la négociation comme seul moyen de satisfaire ses intérêts. Attention au blocage, à la rupture des pourparlers pour ne pas arriver à l’appel répété des médiateurs après médiateurs comme si nos problèmes ne pouvaient pas se résoudre même quand on se met ensemble…
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(1) Propos du Ministre de Communication et porte-parole du Gouvernement de la RD Congo.
(2) Selon les propos du Président et de sa majorité.
(3) C’est du Président John Fitzgerald Kennedy des Etats Unis, 35e Président des Etats-Unis, que nous tirons la phrase.
(4) Il faut noter que l’itinérance aura permis au Maréchal Mobutu de se rendre compte combien toute sa curie le trompait à longueur des journées en le bernant que tous les zaïrois/congolais étaient inconditionnellement derrière le guide éclairé.
(5) C’est notamment à la suite du dialogue initié par la Conférence de Goma, que des officiers recherchés par la justice auraient été intégrés et promus dans les FARDC, la justice a été obstruée pour le besoin de la paix…

jeudi 25 juin 2015

Le film en chantier, de Milo Rau, sur le Congo

Préfiguration d’un Tribunal Pénal International sur la RD Congo que beaucoup appellent de tous leurs vœux ?

Du cadre du film portant sur la mise en scène du Tribunal sur le Congo.


A Bukavu (ville martyre de l’est de la RD Congo), depuis le vendredi 29 mai 2015, sous l’initiative de Milo Rau de l’International Institute of Political Murder/IIPM, se déroule dans l’amphithéâtre du Collège Alfajiri, « Le Tribunal sur le Congo". Ce Procès, dont les décisions et jugements ne sont nullement contraignants tant au pénal qu’au civil, s’est concrétisé devant une assistance multiforme assoiffée de vérité et de justice pour tant de crimes oubliés en RD Congo. Ce scénario de haute qualité, monté à la lumière de la tradition du Tribunal sur le Vietnam fondé par Jean-Paul Sartre mais aussi à l’exemple du récent Tribunal Russel sur la Palestine, aura minutieusement simulé la réalité dans toutes ses facettes, à telle enseigne qu’on ne pouvait un seul instant réaliser être devant un quelconque tribunal fictif.

L’équipe des réalisateurs de ce film, composée d’avocats, de journalistes spécialisés dans les questions de la guerre au Congo, d’experts en droit pénal à La Haye, de responsables d’organisations humanitaires, d’un directeur de Centre de droit constitutionnel et humanitaire, de militants et défenseurs de droits humains, de journalistes et écrivains, de psychologues et sociologues de renom…, aura avec beaucoup de pertinence agencé la réflexion à partir des données réelles tirées d’enquêtes de terrain et des auditions d’une soixantaine de témoins et experts de tout bord à Bukavu et alentours jusqu’à la publication de son jugement le lundi 1er juin 2015, à Bukavu…

La mise en scène du Tribunal sur le Congo? Quels contours et pour quel dénouement?

La cour du tribunal sur le Congo ainsi instituée a documenté les crimes et délits à partir de trois cas de figure pour alimenter et conduire les audiences de trois jours continus. Pour ses organisateurs, se pencher sur trois exemples jugés largement représentatifs en vue de susciter l’intérêt et l’attention, permettait d’évoquer nombre de ces crimes longtemps restés oubliés.
Voici brièvement décrits les trois crimes évoqués :

  • Primo, le cas de la mine de Bisie à Walikale dans le Nord-Kivu où le MPC Manning exploite la cassitérite sous un contrat d’exploitation délivré par les autorités congolaises, et cela dans les conditions défavorables pour les populations riveraines à l’exploitation industrielle faite par la multinationale MPC…
  • Secundo, le cas du site de Twangiza où Banro détient la licence d’exploitation depuis 2003 et où l’exploitation suivie de la délocalisation des populations s’est faite de manière inacceptable. Il y eut également l’intoxication des rivières au cyanure ainsi que l’utilisation de la main d’œuvre importée contrairement à l’attente des communautés locales riveraines enclines au chômage…
  • Et enfin, tertio, le cas du massacre de Mutarule de juin 2014 où 35 personnes ont été lâchement abattues dans une église protestante en pleine prière. L’histoire d’une simple querelle autour du vol du bétail/vaches au cœur d’une polémique sanguinaire se trouverait être l’iceberg qui cache de graves conflits séculaires interethniques portant sur la gestion du pouvoir coutumier et foncier…

Pour les initiateurs de cette démarche ô combien sensible, il appert que la réhabilitation de la population du Congo dans ses droits, à partir de la gestion adéquate de l’exploitation de ses ressources minières ainsi que l’éradication de l’insécurité permanente encourues ces deux décennies dénote purement du droit à la justice dans l’ensemble. C’est ce qui sera prouvé tout au long des séances du tribunal au regard des impressionnantes révélations apportées par les différentes allocutions des experts et des témoins auditionnés pendant trois jours!

Concernant la forme et le fond des audiences du tribunal sur le Congo!

La disposition de la salle d’audience ainsi que les procédures organisationnelles arrangées pour cette fin, au modèle anglo-saxon où l’on trouve un jury de 7 jurés placés en diagonale-gauche de la cour et en diagonale-droit du comparant avec une cour composée de véritables chevronnés de droit et de surcroît de quelques avocats et personnalités de La Haye, a permis d’entrer plus en profondeur dans les allégations des comparants (les experts, les témoins, les renseignants…)

Dans son déroulement, les autorités locales congolaises dont, en tête, le gouverneur et certains de ses ministres provinciaux et un représentant du ministre national de communication ont comparu devant ce tribunal et cela, face aux milliers de citoyens. Ces comparants ont présenté à tour de rôle leurs versions des faits et leurs moyens de défense en rapport avec ces trois thématiques et surtout, les raisons qui auraient poussé à leur inaction en tant qu’autorités, dont la mission première et constitutionnelle est bel et bien la sécurisation et la protection des citoyens. Malgré l’invitation insistante de la cour à beaucoup plus de sérénité (ne pas huer, ni chahuter) quand ces représentants du pouvoir tentaient de se justifier ils étaient continuellement boudés par les participants.
Collette Braeckman, membre du jury occasionnel, (on connaît sa maîtrise et son analyse exacte de la question congolaise) fait part de son inquiétude sur le sort des congolais une fois ces ressources épuisées. Seules la bravoure et la résistance des congolais auront permis de tout braver et, du reste, quelques exemples de patriotisme et de solidarité collective cités peuvent le témoigner comme l’or n’appartient plus à l’espoir congolais…
Lors de ces audiences, la voix de l’opposition par la bouche de Vital Kamere président de l’UNC a aussi été entendue. Son verbe et sa maîtrise de nombre de ces questions lui ont servi d’opportunité en or pour une campagne électorale prématurée, au moment où il venait d’accompagner la présentation des listes de leurs candidats députés provinciaux au Bureau provincial de la CENI.
Quoiqu’invité, Banro Mining ne s’est pas présenté. Ce qui n’a pas empêché les experts et autres témoins de charger sérieusement la multinationale canadienne. Et au réalisateur d’interjeter que « si les concernés industriels n’avaient pas fait la chaise-vide, on aurait pu changer leur approche de travail ».

Le long chemin de ce tribunal de Bukavu se poursuivra à Berlin et le film qui le couronnera pourra sortir en automne 2016 a-t-on appris des initiateurs. Les conclusions qui ont surgi à l’étape de Bukavu ont été d’une telle force qu’elles ne pourront laisser longtemps le monde et l’humanité entière indifférents.

Rien de surprenant quand, dans son mot de fin, le gouverneur de la Province du Sud-Kivu, Marcelin Chishambo affirmera que pareil exercice n’aurait pu être permis si leur gouvernement n’était pas démocratique… Ainsi, pour toute l’assistance, quoique le tribunal sur le Congo ait été une simulation, les faits au cœur des plaidoiries et des auditions étaient pourtant vrais dans leur entièreté. C’est sans nul doute une véritable préfiguration du véritable Tribunal international pour la RD Congo.

Quel verdict et, finalement quelles retombées?

Ci-dessous le jugement tel que magistralement prononcé au niveau de l’Hôtel Résidence de Bukavu au cours d’une grande conférence de presse où se sont présentés la notabilité de Bukavu et des institutions nationales et internationales.

Après une année de recherche et trois jours d’audiences publiques, le jury du tribunal sur le Congo répond de manière suivante aux questions centrales présentées publiquement par le chef d’enquête lors de la session d’ouverture du 29 mai 2015 :

  1. Les conflits interethniques et les attaques des différents groupes armés à l’est de la RD Congo sont-ils devenus incontrôlables à un degré tel que le gouvernement et l’armée congolaise qui sont en train de se remettre des 20 ans de conflits dans le pays échouent régulièrement en essayant de rétablir l’ordre?Non, à la majorité. Nous jugeons que les conflits interethniques sont contrôlables pour autant qu’il y ait volonté politique et pouvoir responsable.
  2. Le Gouvernement de la RDC, ainsi que l’armée congolaise sont-ils des acteurs dans les attaques systématiques contre la population locale, en maintenant intentionnellement le désordre et l’insécurité dans la région, soit par la passivité soit en collaborant avec les groupes armés?Oui, à la majorité. Nous jugeons que certains éléments de l’armé et les responsables politiques de la RDC sont des acteurs dans les attaques systématiques contre la population locale, mais certainement pas les seuls. Le gouvernement de la RDC par ses carences ou sa passivité a une part de responsabilité dans le désordre et l’insécurité.
  3. La communauté internationale et les troupes de la Monusco stationnées à l’est de la RD Congo contribuent-elles à la stabilisation politique et à la sécurité dans cette région en renforçant un gouvernement et une armée encore faible mais sur le chemin de se remettre? Oui, à la majorité. Nous jugeons que la Communauté internationale par l’intermédiaire de la Monusco contribue à la stabilisation politique et à la sécurité dans la région mais pas de manière significative. Si la volonté politique était présente, elle pourrait certainement faire plus, mieux et plus vite. Trop souvent elle se rend coupable de non-assistance à la population en danger.
  4. La Communauté internationale et les troupes de la Monusco se rendent-elles coupables de complicité en collaborant et en renforçant en termes de force militaire et de logistique une armée et un gouvernement qui ne travaillent pas en faveur des citoyens congolais et ne respectent pas leurs droits humains? Non, à la majorité. Nous jugeons que la Communauté internationale ne se rend pas coupable de complicité directe. En effet, au nom de la Communauté internationale, la Monusco qui accompagne le gouvernement se contente d’appliquer le mandat qui lui est donné par le Conseil de sécurité. Cet appui ne représente pas une complicité mais nous soulignons le fait que la mise en œuvre du mandat suscite de très sérieuses réserves.
  5. L’exploitation industrielle de minerais assoie-t-elle enfin une base pour la paix et la démocratie dans la région, en construisant une infrastructure adéquate, en créant des emplois et en favorisant des branches avoisinantes de l’économie locale? Non, à la majorité. Nous jugeons qu’à ce stade aucune exploitation industrielle des minerais ne s’est accompagnée d’un investissement dans une infrastructure adéquate, dans la création d’emplois ou dans l’appui aux communautés locales. Si les sociétés minières le faisaient, elles pourraient contribuer à la paix et à la démocratie dans la région. Nous ajoutons que la question de l’exploitation artisanale doit être résolue pour arriver à une coexistence pacifique entre les exploitants miniers artisanaux et les sociétés minières.
  6. Les entreprises multinationales exploitant industriellement des minerais dans la région, ont-elles profité de l’instabilité politique pendant 20 ans de guerre pour recevoir des concessions minières à des conditions profitables et s’accaparer des ressources naturelles du Congo de l’est? Sont-elles dans ce cas coupables de pillage du peuple congolais? Oui, à la majorité. Nous jugeons qu’elles ont profité de l’instabilité politique et de la faiblesse des institutions congolaises pour obtenir des concessions minières dans des conditions désavantageuses pour les populations congolaises. Elles ont ainsi contribué au pillage des ressources minières de la RD Congo.
Le jury du tribunal sur le Congo, Bukavu, 1er juin 2015.


Quelle valeur juridique réserver à un tel jugement issu d’un tribunal symbolique?

D’emblée, quoiqu’utilisant des avocats assermentés, des jurés de renom dans toute leur qualité et quoiqu’interpellant des personnalités sous leurs véritables titres et qualités reconnus, la question de fond est de savoir quelle valeur juridique a un tribunal sans compétence attitrée, qui ne clarifie pas qui sont la victime, le plaignant, qui ne prescrit ni condamnation ni dédommagements…?
Analyse faite, loin d’une simple publicité, à partir des faits épluchés, ce tribunal sur le Congo présage déjà le véritable tribunal pénal sur la RD Congo afin de reconstituer formellement la vérité et rendre justice pour des faits qui ont choqués l’humanité entière.

Apparemment, il n’est plus que question du moment propice quand on sait que les responsables des violations massives de ces droits imprescriptibles sont encore en position de force dans le pays et que ce moment présent est crucial pour un pouvoir en quête d’une nouvelle légitimité au travers des prochaines élections en vue.

Les trois cas de figure développés au cours de ce tribunal ne résorbent pas l’ensemble des violations car plusieurs rapports dont le maping très documenté des Nations-Unies, les rapports de Human Rights Watch, Global Witness, les mémos de la société civile ainsi que des organisations des droits de l’homme et des confessions religieuses n’ont pas réussi jusque là, à eux seuls, à provoquer le tribunal international pour les crimes commis en RD Congo.
Faudra-t-il attendre un siècle comme ça l’a été pour reconnaître le génocide arménien ou bien sommes-nous déjà à quelques pas pour voir surgir le dossier de massacres de Makobola, Kasika, Kaniola, Burhinyi, Kavumu, Bunyakiri, Tingitingi, Beni 1,2 et 3?

Néanmoins, le tribunal a tout au moins permis la détermination des responsabilités des délits et de leur degré. Ce qui a ouvert le débat sur l’autorité de l’Etat avec le dysfonctionnement de ses mécanismes internes d’intervention, les rôles et missions des Nations Unies, des multinationales etc.

Ce tribunal aussi fictif soit-il, fait déjà partie d’un existant dans l’arsenal des dossiers en vue de poursuivre le plaidoyer et le lobbying à partir de la publicité. En effet, si les voisins rwandais ont su vendre le génocide, en tirer d’immenses dividendes jusqu’à pousser le monde de clamer bien haut et fort « Plus jamais ça », c’est certainement suite à des activités du genre dont le film "Hôtel Rwanda" qui a fait le tour du monde en toutes langues et dans toutes les chancelleries…

Lecture du Centre d’Analyse Politique ‘CAPSA-GL’ en guise de conclusion

Tout est mis à découvert. Il sied maintenant plus que jamais de tout mettre en œuvre pour les précautions d’usage ainsi que les stratégies de la société civile et des partenaires sociaux pour investir dans la protection des témoins, des experts, des renseignants et dans la sécurisation des preuves pour qu’une fois le tribunal déclenché, les sources ne soient d’avance détruites à dessein. La société civile devra travailler durement pour en faire une préoccupation dans l’avènement d’un tribunal international pénal sur la RD Congo. Toutefois, les actions devraient se centrer sur trois piliers directement concernés :

  • Par rapport aux multinationales engagées dans l’exploitation des ressources minières à l’est de la RD Congo: la révision de la loi minière, la revisitation de tous les contrats miniers qui en ont découlés et l’observance des traités et conventions internationales ratifiées en matière de traçabilité dans les circuits d’approvisionnement des industries extractives seraient indispensables...
  • Par rapport à la Monusco et le système des Nations Unies devant tant de fausses attentes et faux espoirs pour les populations en détresse: ce tribunal, fût-ce symbolique, devrait amener à un exercice d’auto-évaluation, à la revisitation des mandats successifs et à l’ordonnancement des différentes interventions en matière de protection des civils.
  • Par rapport aux répondants du gouvernement, ce fut l’aveu d’impuissance face aux défis sociopolitiques et sécuritaires auxquels ils sont confrontés et qui les ont empêché de jouer convenablement leur rôle pour s’acquitter de leurs responsabilités vis-à-vis des gouvernés. Ce qui en appelle du coup à la re-visitation des textes et autres conventions… Face à cette impuissance en matière de sécurité, l’insécurité a été identifiée être à la fois l’incapacité des FARDC, de la PNC, des Services de sécurité nationaux et par ricochet des Nations Unies à protéger les populations. Le dysfonctionnement de l’appareil de l’Etat y est pour une grande part.

Devant tant d’aveux, comme une expression de ras-le-bol, on a d’abord compris que les congolais étaient la solution à leurs problèmes car en effet il est ressorti que la Communauté internationale accompagne les états forts dans leur force et les états faibles dans leur faiblesse…
A suivre son déroulement, devant révélations et dénonciations extrêmement accablantes pour le gouvernement, pour les multinationales et pour les Nations Unies, ce tribunal de Bukavu aura été une tentative de quête de la vérité et de la justice avec comme réelle dividende l’appropriation de ce processus judiciaire qui devra se poursuivre.

Au terme de cette étape avant celle de Berlin, pour CAPSA-GL, il y a lieu de dire que l’écriture du procès du Tribunal pénal international a bel et bien commencé à Bukavu avec la participation de la communauté victime.

mercredi 6 mai 2015

Grands lacs africains: quand la démocratie est menacée…

Cette analyse a été rédigée en 2013, mais n’a pas été publiée. Elle reste pertinente sur le fond, même si les événements ont obligé certains dirigeants à modifier quelque peu leurs stratégies. Ainsi, il faudra suivre de près l’évolution de la situation politique au Congo et au Rwanda.Au Burundi, l’obstination du Président et de son clan rapproché fait craindre le pire, non seulement pour ce pays, mais aussi pour les répercussions dramatiques de l’évolution burundaise sur les pays voisins, surtout en RD Congo, encore très fragile à l’Est.CAPSA-GL suivra de près l’évolution politique du Burundi dans les prochaines semaines.

La sous-région des Grands lacs africains vit depuis une dizaine d’années sous des régimes politiques à cheval entre la démocratie et la dictature. Les choses ne sont donc pas telles qu’elles apparaissent. Les chefs d’état de la sous-région qui se prétendent démocrates pour avoir simplement organisé des élections dans leurs pays respectifs (la plupart entachées d’irrégularités ô combien dénoncées d’ailleurs) sont tous en fin de mandat dans deux ou trois ans maximum. La tendance au « J’y suis et j’y reste » menace réellement les aspirations démocratiques. Comment se maintenir au pouvoir au-delà des mandats constitutionnels et face à l’ouragan des printemps arabes qui impressionnent et dont certains ont craint la contagion? Beaucoup de ces dirigeants n’intéressent plus leurs gouvernés, et ce, pour plusieurs raisons.
La dégénérescence d’un système politique peut être rapide et brutale ou s’observer sur une plus ou moins longue période. Lorsqu’elle advient, de multiples facteurs l’ont préparée, entre-autres, le non-respect des règles constitutionnelles, leur manipulation par une oligarchie qui s’accroche, la confrontation violente des groupes dirigeants, la difficulté de limiter les revendications politiques, l’absence d’administration valable ou encore l’excès des passions partisanes.

Les pays d’Afrique centrale ont des dirigeants qui ont peu investi dans le social, ni dans la santé, l’éducation et qui n’ont pas soutenu les personnes défavorisées. Aujourd’hui, que ce soit à Kinshasa avec Kabila, à Kampala avec Kaguta, à Kigali avec Kagame et au Burundi avec Nkurunziza, les tendances à réviser les constitutions ou à développer des stratagèmes en vue de prolonger les mandats sont bien réels. La négation démocratique est au rendez-vous. Les peuples sauront-ils imposer le slogan révolutionnaire arabe « Dégage… » à ces « K » qui visiblement menacent la démocratie dans cette partie du monde?

La politique perçue vulgairement s’entend comme une activité sale, dégradante, renvoyant à des calculs stériles et dangereux pour la société, des bavardages interminables et des ambitions démesurées ou effrénées. Les peuples de la sous-région des Grands lacs n’ont pas tort aujourd’hui de la percevoir ainsi, ils vivent sous la coupe des dirigeants pour la plupart mal élus et dont la volonté de s’éterniser au pouvoir s’affiche de plus en plus.

Paul Kagame

est au pouvoir au Rwanda depuis 1994, d’abord comme Vice-président. Après avoir évincé le Président de la République, le Pasteur Bizimungu, Il a pris le pouvoir et le tient d’une main de fer. Il est à son dernier mandat constitutionnel qui prend fin en 2017. Des sources concordantes au Rwanda, ce dernier peaufine des stratégies pour garder le contrôle du pouvoir après lui. Certaines voix dénoncent son intention de porter sa femme au pouvoir. Une idée qui pourrait lui attirer la foudre de proches déjà aigris ou simplement en désaccord avec sa politique, surtout en rapport avec le Congo. Mais il n’en a que faire puisque le mandat d’arrêt international qui pèse sur lui est plus fort que sa volonté de quitter librement le pouvoir.

Museveni Kaguta

gouverne de main de maître, son Ouganda, depuis le 26 janvier 1986, 27 ans. Son 6e mandat prend fin prochainement. Partira ou ne partira pas? C’est la question qui préoccupe nombre d’ougandais qui retiennent encore leur souffle. Certes, il ne révisera sans doute plus la constitution mais finalement, le résultat sera le même. L’opposition ougandaise soupçonne Yoweri Museveni de préparer un de ses fils servant sous le drapeau national pour lui succéder. Il s’agit du général de brigade Muhoozi Kainerugaba, commandant des forces spéciales. Ceci lui permettrait d’être toujours et encore à la manœuvre et échapper ainsi au déshonneur, à la hargne et à la poursuite judiciaire de l’opposition si elle venait à gagner les élections. Ce qui du reste est prévisible.


Joseph Kabila 

au pouvoir depuis 2001 est à son dernier mandat constitutionnel. Celui-ci est contesté par des élections au déroulement douteux et dont la régularité a été mise en cause. Les manigances et communications politiques de ses mandarins ne font aucun doute sur sa volonté de se maintenir au pouvoir en prolongeant son mandat au-delà du 19 décembre 2016 à minuit. En avril-mai 2013 dernier, un de ses proches, en la personne d’Evariste Boshab, secrétaire général du parti présidentiel (PPRD), a publié aux éditions Larcier en Belgique un livre de 440 pages, intitulé «Entre la révision constitutionnelle et l’inanition de la nation ». Simple exercice intellectuel ou ballon d’essai?
Selon le professeur André Mbata qui a critiqué le livre en qualifiant le titre de «ronflant qui énerve et trahit la nation», le mot «inanition» n’évoque-t-il pas la mort ou le dépérissement? Pour Evariste Boshab, la Nation congolaise mourrait certainement par «inanition» si on ne révisait pas la Constitution et plus précisément si le Président ne recevait pas un 3e mandat par «révision totale» de la Constitution.

En fait la sortie d’un tel livre n’était pas innocente.
Malheureusement l’ouvrage a essuyé une rebuffade populaire sans mesure et le régime a vite fait marche arrière sans pour autant se résigner à abandonner le projet de prolongation du mandat présidentiel.
Acculé par la communauté internationale, le régime de Kinshasa a interprété à sa manière l’accord cadre d’Addis-Abeba qui exigeait des autorités congolaises qu’elles initient un dialogue politique avec toutes les forces politiques nationales en vue de renforcer la cohésion nationale. Ainsi, en lieu et place du dialogue politique format d’Addis-Abeba, des concertations dites nationales ont été organisées. Entre-temps, après la sortie du livre de Boshab et à la veille desdites concertations nationales, de grandes mobilisations et campagnes citoyennes «Ne touche pas à ma constitution, ne touche pas à mon article 220» ont été organisées par la société civile ainsi que par une partie de l’opposition politique. La marge de manœuvre du pouvoir pour proposer une autre révision constitutionnelle devint plus mince encore. La question n’a plus été évoquée aux concertations nationales.
Deux voies de sortie subsistent pour se maintenir au pouvoir à Kinshasa: la formation d’un gouvernement dit de cohésion nationale annoncé par le chef de l’état dans son dernier discours du 23 octobre 2013 devant le congrès et la manipulation égoïste et malhonnête de l’article 222 de la constitution qui, au nom de la continuité de l’Etat, souligne que: «les animateurs des institutions du pays restent en place jusqu’à l’installation effective de ceux qui sont élus pour les remplacer». Les deux stratégies se combinent, et le tour est joué.
La formation d’un gouvernement abusivement appelé de cohésion nationale ne réunira que certains acteurs de la société civile et certains semi-opposants. Elle constitue une stratégie pour réduire et minimiser la pression populaire lorsqu’il s’agira de prolonger le mandat au-delà de 2016. Doit-on se rappeler qu’il existe au Congo une fausse société civile et une fausse opposition, c’est-à-dire des acteurs acquis à la cause du pouvoir. Kinshasa a sa propre société civile « RAM-AMP », un réseau d’organisations et des « ING(1) » créées par des politiciens pour flouer la vraie société civile, contrepoids du pouvoir. Il existe aussi de faux opposants. Ce sont eux justement qui formeront ce gouvernement dit de cohésion mais qui en réalité risque de n’être qu’un gouvernement de collision.
Ensuite, si le principe de continuité de l’Etat impose aux animateurs des institutions du pays de rester en place jusqu’à l’installation effective de ceux qui sont élus pour les remplacer, ils n’auront aucun intérêt à organiser les élections dans les temps requis, On pourra toujours temporiser en prétextant qu’il n’y a pas de moyens financiers. De plus, les élections seront précédées d’un recensement national de la population, mais cette opération ne se conçoit pas avant trois ans; ensuite il faudra commencer les élections par le bas (locales et municipales) pour terminer par les présidentielles. On le voit, au rythme où iront les choses, l’échéance du deuxième mandat risque bel et bien d’être largement dépassée.
Point n’est besoin de rappeler que le sénat actuel tout comme les assemblées provinciales sont largement au-delà de leur mandat de cinq ans. Ils sont installés depuis 2006.
Et si le peuple recourait à l’article 64 qui l’oblige à faire échec à tout celui qui prend le pouvoir et l’exerce en violation de la Constitution?

Au Burundi, le

Président Pierre Nkurunziza 

qui a déjà fait deux mandats, vient de jeter le pavé dans la mare. Des tractations politiques pour revoir la constitution afin de lui donner la chance d’un troisième mandat (juillet 2015) alimentent les querelles politiques. Il semble que la Constitution burundaise justifierait à moitié cette situation. Au premier mandat de Pierre Nkurunziza, il fut élu au suffrage indirect, peu après, on modifia la constitution pour soumettre l’élection du président de la république au suffrage universel direct. Les constitutionnalistes burundais devraient éclairer l’opinion publique pour dire si logiquement, le président actuel peut dès lors se représenter ou pas.

Les Constitutions ne garantissent pas la démocratie!

La constitution est un élément clé de la souveraineté d’un état. Elle est dite «loi fondamentale» garantissant plusieurs valeurs républicaines. Mais en Afrique en général, et dans les Grands lacs en particulier, au lieu d’être des instruments de la paix, de la démocratie et de justice, elles se transforment en ferment d’agitation politique qui trouble la quiétude sociale. Les constitutions sont violées à temps, à contretemps et à dessein. Le cynisme devient la règle. Plus personne ne respecte la loi suprême en commençant par ceux qui sont sensés la protéger. Pour se maintenir au pouvoir, on n’hésite pas soit à fomenter des rebellions qui permettent et justifient ensuite toutes les aventures les plus éloignées de la Constitution les unes que les autres…

La transaction constitutionnelle

La transaction constitutionnelle n’est ni plus ni moins qu’une importation-exportation suivie d’une adaptation des normes constitutionnelles. Pour comprendre le texte constitutionnel il faut toujours partir des histoires et des conditions culturelles et socio-économiques des états. Le constitutionnaliste et philosophe russe Merkine Guetzervitch affirma que toute constitution est beaucoup plus «une œuvre des circonstances qu’une construction logique» pour signifier que la constitution naît des considérations politiques.
Dans la sous-région des grands lacs africains, beaucoup de constitutions ont été élaborées hâtivement dans des situations post-conflits violents. Dans ces circonstances, elles ont été élaborées et taillées sur mesure par les forces dominantes du moment. Ce sont toujours les vainqueurs qui écrivent l’histoire.
Le respect de la Constitution comme loi fondamentale de la République exige des institutions fortes et des individus imprégnés d’une culture républicaine sans équivoque. Ce n’est pas le cas. Tous les dirigeants actuels de la sous-région sont des anciens rebelles maquisards. La plupart déjà inefficients et illégitimes veut se maintenir au pouvoir par la force et la terreur et la tromperie.

Les oppositions politiques non ou mal organisées

Il n’existe pas de véritable opposition républicaine dans les pays d’Afrique Centrale. Là où elle existe, elle est disparate, non ou mal organisée, parfois acquise au pouvoir en place. Ou elles se fondent sur une idéologie centrée sur l’ethnie, une idéologie paroissiale au lieu d’être porteuse des valeurs républicaines qui impulsent l’ensemble de la Nation. Au Rwanda, il n’existe pas d’opposition ni de société civile proprement dite. Le régime de Kigali l’étouffe et la tue dans l’œuf. Ce qu’on pourrait appeler société civile est au service du pouvoir bon gré mal gré. Au Burundi, il existe une opposition et une société civile mais fondées et organisées sur des bases purement ethniques. La virulence à l’égard du pouvoir y est parfois dictée par des sentiments de repli identitaire. En Ouganda la réalité n’est pas très différente: une opposition qui n’a pas les moyens de sa politique contre un pouvoir qui manipule les richesses du pays depuis des décennies. Comment alors aller au bout du régime Museveni?

En RD Congo, le tableau est très différent. La constellation des partis politiques (440) qu’on observe n’est pas fondée sur des socles ethniques ni parochiales. Ils ont un caractère national, inter-ethnique voire inter-tribal. Par contre, leurs limites résident dans le manque d’autonomie financière et le faible engagement républicain. Plusieurs font de la politique pour leur propre survie individuelle et non celle de la République. C’est pourquoi beaucoup se caporalisent ou se laissent embrigadés par le pouvoir en place. Joseph Kabila a annoncé prochainement le gouvernement de cohésion avec certains acteurs de l’opposition mais cela ne sera ni moins ni plus qu’une désidéologisation de l’opposition par le pouvoir pour les amener à se conformer et à adhérer à sa politique.

Une population non préparée et ignorante

Quand on ne sait pas ce que l’on cherche, on ne comprend pas ce que l’on trouve. Partout dans les états ci-haut cités, on est face à des populations souvent manipulées par la religion, souvent attentistes et qui se limitent à organiser des campagnes «Touche pas à ma constitution, touche pas à…, etc» sans consistance ni force réelle. Elles sont incapables de créer un rapport de forces susceptibles d’inverser la tendance. Pour beaucoup, Dieu est la solution à tout. Elles n’ont pas à trop s’en faire, s’en remettre à lui suffira. L’opium du peuple est toujours là, surtout chez les Eglises du réveil, importées d’Amérique du Nord.

Pourtant, tout n’est pas joué…

L’histoire enseigne qu’il faut savoir quitter le pouvoir avant que le pouvoir ne vous quitte. Ou avant qu’on ne vous y contraigne par des révolutions et révoltes populaires meurtrières. Un fruit ne tombe que quand il est mûr mais devant l’ouragan il finit toujours par tomber.
La sous-région des Grands lacs africains doit comprendre qu’elle a un destin commun: il est donc impératif d’harmoniser les vues et les intérêts autant que possible afin de généraliser le combat de la démocratie. Ce combat appartient au peuple car la République est l’ affaire de tous et non d’une oligarchie qui ne vit que pour elle-même. Seule l’alternance au pouvoir permettra d’éviter les crises et de stabiliser la démocratie dans la région mais aussi l’application stricte de la charte africaine (article 2) de la démocratie, des élections et de la gouvernance du 30 janvier 2007 qui a comme objectif d’ «interdire, rejeter et condamner tout changement anticonstitutionnel de gouvernement dans tout état membre comme étant une menace grave à la stabilité, à la sécurité et au développement.»

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(1) ING : ce sont des gens sans assises associatives réelles mais qui remplissent la société civile et qui en réalité sont au service des hommes politiques. On les appelle « des individus non gouvernementaux » allusion faite aux organisations non gouvernementales.

mardi 21 avril 2015

La garde à vue dans les amigos, les commissariats et sous-commissariats de la police nationale congolaise au Sud Kivu, encore un défi de la réforme de la police...

Cas d’illustration à l'amigo du centre pénitentiaire de Bukavu.


« Par principe, la garde à vue est une mesure de privation de liberté prise par un officier de police judiciaire pour maintenir à la disposition des enquêteurs, le suspect d'un crime ou d'un délit. Fondamentalement, cette mesure doit constituer l'unique moyen de parvenir à certains objectifs comme celui d’empêcher que la personne ne modifie les preuves, ne fuie ou ne consulte ses complices.
Sa durée maximale légale en RD Congo et dans beaucoup de pays est de 48 heures avec des faibles exceptions de déborder de quelques heures pourvu que cela soit justifié, motivé et documenté. Tous les officiers de police judiciaire (OPJ) de la RD Congo le savent bien et la conceptualisation de la réforme de la police nationale congolaise en a pris compte.»

La gestion de la garde à vue et la réforme de la PNC (police nationale congolaise) déclenchée en 2004

Un des casse-tête dans la laborieuse démarche de rétablissement de l’autorité de l’état en RD Congo, c’est la réforme de la police, de l’armée et des services de sécurité et de renseignements en tant que bras séculiers de tout pouvoir public de par le monde. Domaine sensible de la souveraineté de l’état, la réforme de la police aujourd’hui mise en marche, principalement avec l’appui des partenaires occidentaux dont en tête la coopération britannique DFID, met à l’épreuve la réelle volonté politique des dirigeants.
La réforme des services de sécurité (RSS) entraîne une gymnastique extrêmement complexe car, au-delà des contraintes financières, infrastructurelles et politiques, elle doit se centrer sur l’homme, le policier en tant que tel, qui devrait être formé pour être à la hauteur des missions délicates et souvent pénibles qui lui sont demandées. Il devrait répondre au gabarit du policier standard dont le pays a besoin. Longtemps avant, en 2004, le rapport de GMR³ (1) pour la RD Congo révélait que la police congolaise était issue des rebuts de l’armée, des veuves et orphelins des anciens militaires, de la gendarmerie. Ce qui, à coup sûr, loin de faciliter la tâche, a sérieusement fragilisé davantage les efforts visant à mettre sur pied une police digne et respectueuse des droits humains capable de répondre aux exigences de ses missions régaliennes dont prioritairement la sécurité des personnes et de leurs biens.

Dans cette réforme, la charrue a-t-elle été mise avant le bœuf ?

On peut se poser la question, quand on entend un policier, de surcroît un officier, qui, dans l’exercice de ses fonctions, placé devant ses responsabilités face aux abus, justifie sans sourciller qu’il est obligé d’agir ainsi pour vivre et faire vivre sa famille. C’est ainsi que certains viennent à se demander par où doit réellement commencer la réforme en RD Congo. Fallait-il réformer en commençant par l’assainissement des effectifs ou, à l’opposé, commencer par améliorer les conditions des policiers dans l’ensemble et puis procéder par la suite à la réforme ?
Question difficile à trancher: pour les policiers bien entendu, il s’agit d’abord d’améliorer leur sort, du côté de l’état, on répondra qu’on n’a pas les moyens d’améliorer les conditions de revenus et de travail d’un effectif largement pléthorique…

Quelques pratiques persistent malgré 10 ans de la réforme de la police nationale!

De bonnes pratiques ont été accumulées car dorénavant les bavures de la PNC peuvent être documentées. On doit pourtant constater que c’est en période préélectorale et électorale que le nombre d’abus monitoré est le plus élevé. La politisation de la police et/ou de l’empiétement de l’autorité publique sur les prérogatives de la PNC sont hélas encore une bien triste réalité. Et, dans la gestion quotidienne de la sécurité urbaine et plus singulièrement dans la répression des manifestations publiques de la société civile ou de l’opposition, la police s’est comportée avec très peu de professionnalisme.
Mais une des questions les plus cruciales, c’est la gestion délétère des 48 heures de garde à vue. Malgré les dénonciations des organisations de la société civile et des partenaires internationaux, les officiers de police judiciaire de la PNC font des 48 heures de garde à vue une chasse gardée et une véritable source de gain.

Le petit amigo du centre pénitentiaire de la prison centrale de Bukavu illustre bien ce propos.
Le centre pénitencier de Bukavu, communément appelé « prison centrale de Bukavu », placé à l’intersection de trois communes urbaines de la ville de Bukavu, pour la sécurité des pénitentiaires, est fortement gardé à la fois par des unités de FARDC et de la PNC. Pour visiter les prisonniers en détention, dans nombre de cachots et dans la prison centrale, un paiement officieux est exigé au visiteur par les agents affectés à la garde des détenus. Comme si cela ne suffisait pas, la police des prisons (PP) descend dans la cité, effectue des arrestations et emporte des citoyens dans leur amigo qui jouxte la porte d’entrée de la cellule dite 'Quartier spécial' initialement aménagé pour les prisonniers en état de santé fragile. Aujourd’hui, c’est le quartier huppé de la prison où sont placés quelques prisonniers « respectables » (officiels, politiciens de renom, religieux, cadres et nantis…)

Que peut-on dire sur les arrestations et les incarcérations au sein de cet amigo?

Par rapport à la forme, nous observons que :
  1. Avec ou sans la plainte d’un quidam, les officiers de police judiciaire de ce sous-commissariat de garde de la prison débarque sur le terrain et, pour les cas que nous avons monitorés, sans convocation ni mandat d’amener. Cette levée se fait manu-militari sous escorte jusqu’au lieu de la garde à vue. La personne est immédiatement dé-ceinturée, déchaussée, interdite d’utiliser son téléphone pour alerter les siens, bref elle est privée de toute sa liberté et placée dans des conditions inadéquates…
  2. L’importuné se voit verbalisé par un PV quelques heures plus tard et le plaignant n’est souvent apparu qu’aux environs de la 48e heure de la garde à vue pour s’exprimer superficiellement, mais en fait, pour négocier un arrangement à l’amiable, pourvu que l’officier ait formulé la demande à payer les amendes transactionnelles qui sont allées de 250.000 à 500.000 francs congolais.
  3. Les faits reprochés à la victime sont aggravés pour la placer dans une position d’extrême faiblesse où la seule alternative reste la négociation tournée vers le paiement des frais afin de recouvrer la liberté. A défaut de paiement, la personne s’imagine qu’elle sera fourrée de l’autre côté de la porte qui sépare l’amigo de 6 mètres de la prison centrale proprement dite. Et à l’importuné de réaliser ce qu’il en serait alors pour quitter une prison où gisent des centaines des prisonniers gardés sans jugement pendant de longs mois. On assiste alors le plus souvent à la résignation pour tout accepter pourvu qu’on quitte le lieu au plus vite…

Par rapport au fond des problèmes présentés :
Souvent, les faits pour lesquels est imposée une garde à vue sont bénins. C’est souvent pour retard de paiement d’une dette ou de réparation, ou encore de transaction civile qui tarde à être conclue. Les infractions calquées sont souvent liées à la revendication de paiement total ou d’apurements de dettes qui lors de l’audition se muent en escroquerie et abus de confiance juste pour constituer un dossier pénal, sachant que les dossiers au pénal sont les plus contraignants. Les règles de l’art ne sont pas observées. Même la tenue et la transcription des PV sont juste faits dans le but d’enfoncer davantage l’accusé. Celui qui a amené le dossier a d’office raison. La plupart du temps, les vrais criminels ne sont pas pris dans cet engrenage car ils savent anticipativement s’arranger avec l’officier de police judiciaire instructeur du dossier. La garde à vue est donc d’abord et avant tout un moyen de pression,  un objet de marchandage en vue de négociations lucratives pour les policiers.
En assistant les présumés, on constate que les infractions sont mal cadrées, faussement qualifiées et la loi interprétée de travers, visiblement dans le but d’acculer davantage en vue d’asseoir des prétextes d’argumentation pour exiger des fortes sommes d’argent. Alors que pour qu’on soit assujetti à une amende transactionnelle, il faudrait que l’infraction soit clairement reconnue et que les faits soient proscrits par la loi, ce qui est rarement le cas. Par exemple le fait de n’avoir pas livré la marchandise dans les délais convenus, et qu’on en a prévenu son client ne peut constituer une infraction mais plutôt une faute. Le juge du Tribunal du commerce est le juge naturel, habilité à trancher cette question sans que la police ne s’en mêle.

Cet amigo de la prison centrale de Bukavu entretient de manière permanente les actes de violation des droits humains.
On peut relever notamment:
  • De fausses qualifications des infractions à dessein de nuire et d’enfreindre à la distribution juste de la justice.
  • L’incarcération dans la même cellule d’hommes et de femmes indistinctement.
  • Le délai de garde à vue rarement respecté.
  • Les amendes transactionnelles payées de main à main en liquide, sans preuve de versement dans le trésor public.
  • Les règles de commissariat de police ne sont ni observées ni affichées comme l’exige le comité de suivi pour la réforme de la police en RD Congo (CSRP).
Bref, loin de toute norme, l’amigo du centre pénitentiaire de Bukavu est un lieu par excellence de violation des droits des citoyens …
Quel est le rôle de la police judiciaire dans les auditions passées dans l’amigo de la prison centrale de Bukavu? De quelle juridiction dépendent ceux qui mènent les auditions? Y a-t-il subsidiarité ou complémentarité entre la police de parquet, la police des prisons, l’inspection de police judiciaire? Il est difficile de croire que cette situation puisse se perpétuer sans un réseau organisé de ces pratiques…
A Bukavu, la garde à vue fait plutôt penser à des enlèvements. La bonne foi et la présomption d’innocence pour les officiers de police judiciaire n’est qu’un concept vide. Le principe selon lequel la liberté est la règle et l’incarcération l’exception ne dit rien aux officiers de police judiciaire… Au contraire, la règle, c’est la partialité dans le traitement des dossiers. Les fausses déclarations faites dans le but de rançonner les présumés, sont légion.
La population connaît tout cela et réagit peu.

Pourtant, la personne en garde à vue a aussi des droits dont notamment:
  • Celui de faire prévenir, par téléphone, la personne avec laquelle elle vit habituellement, l'un de ses parents en ligne directe, l'un de ses frères et sœurs, son employeur, son curateur et son tuteur.
  • De se faire examiner à tout moment par un médecin désigné par le procureur; si la personne gardée à vue ne demande pas cet examen, un des membres de sa famille peut le faire, et il est obligatoirement fait droit à cette requête.
  • De s'entretenir confidentiellement avec un avocat pendant 30 minutes, dès le début de la garde à vue (sauf exceptions prévues à l'article 706-88 du code de procédure pénale).
  • De demander à ce que son avocat consulte le procès-verbal notifiant notamment la garde à vue et/ou assiste à ses auditions et confrontations.
  • De répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire (après avoir décliné son identité).
Mais tel n’est toujours pas le cas pour nombre de cachots et amigos de la RD Congo et plus particulièrement de la Province du Sud Kivu où nous avons eu l’occasion de monitorer un bon nombre de ces lieux de détention provisoire.

Tous ces droits ci-haut énoncés sont malheureusement bafoués à longueur de journée…

En conclusion

Avoir permis à l’amigo de la prison d’instruire des dossiers aura été une mesure à la base de graves violation de droits et de liberté des citoyens favorisée tant par la police nationale congolaise, la justice que les pouvoirs politiques. Cet amigo est le champ d’un grand trafic d’influence et d’enrichissement sans cause pour les officiers placés à la tête d’un commissariat ou d’un amigo.
Toutes les tentatives de la réforme de la PNC se sont soldées par un échec sur la question du respect de la loi dans la mise en œuvre des gardes à vue. On peut vraiment affirmer que, sur ce point, la réforme des services de sécurité a totalement échoué.
La qualité d’officier de police judiciaire ne lui donne pas plein pouvoir sur tous les dossiers et en tous temps. Il doit en tout temps user du discernement pour ne pas amener la police dans les abus de nature à torpiller les efforts de la réforme de la police en RD Congo. Rien ne pourrait l’amener à violer la déontologie, l’éthique et toute la doctrine de la nouvelle police.
Pour le cas de l’amigo de la prison centrale de Bukavu, il sied de reconnaître la différence entre la prison et les lieux de détentions. Le cachot de la prison est devenu un lieu d’intimidation de la population. On devrait respecter les qualités de maison d’arrêt et la prison. Pour la population, il ne s’agit pas moins que d’un réseau mafieux où l’on qualifie les faits non-infractionnels et civils. Ce cachot est un lieu qui ronge la confiance de la population vis-à-vis de la PNC car il est devenu un lieu et une raison de persécution et d’enrichissement illicite des officiers de la police y affectés.
La police des prisons devrait se concentrer sur le gardiennage de la prison et si des gens doivent être amenés, ils ne peuvent y être gardés durant de longues heures, mais doivent être transférés dans les délais requis devant leurs juges.

En avant la réforme de la police nationale congolaise!

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(1) Groupe Mixte de Réflexion pour la Réforme et la Réorganisation de la police nationale congolaise 2004

mardi 14 avril 2015

RDC: Des élections locales hypothétiques pour 2015

Après la publication du calendrier global des élections, la majorité des congolais pouvait enfin considérer que le processus tant réclamé venait de démarrer.
Hélas, 50 jours après, c’est toujours l’impasse. Embûches sur embûches se multiplient. Les opérateurs politiques semblent de plus en plus reconsidérer leur enthousiasme d’antan, et le pouvoir Kabila, en quête d’une formule qui lui permette de se maintenir à la tête du pays s’en retrouve conforté. Dès lors, les élections locales sont de plus en plus hypothétiques selon nombre d’analystes.

Le schéma burkinabé avait fait trembler les dirigeants africains allergiques à toute alternance. Plus récemment pourtant, l’exemple du Nigéria devrait rassurer sur les réelles possibilités d’alternance apaisée en Afrique.
Nous développerons ci-après cette épineuse question en trois axes de réflexion.

50 jours après publication du calendrier électoral global, le processus est toujours à la case départ!


A la lecture du dernier développement, il est désormais plus qu’évident qu’aucune des échéances, locales ou nationales, telles que publiées avec précision dans le dernier «Calendrier des élections provinciales, urbaines, municipales et locales 2015 et des élections présidentielles et législatives 2016» ne pourra jamais être tenues. En effet, selon l’esprit et la lettre de ce calendrier global publié le 12 février 2015, six opérations préliminaires indispensables pour la mise en marche du processus électoral devraient avoir démarré, fût-ce pour rassurer de la volonté politique mais aussi de la crédibilité de l’institution de gestion des élections en RD Congo. Ces tâches viennent alourdir la liste des véritables préalables. On sait les retrouver à la page 2 du calendrier. Il s’agit de:

  1. Les travaux de construction des bureaux et entrepôts de la CENI dans les démembrements - 12/02/2015
  2. La mise en place d’un système de sécurisé de télécommunication. 1ère et 2e phase: entretien du réseau existant et extension vers les secteurs et chefferies - 12/02/2015
  3. Élaboration des mesures d’application de la loi électorale - 12/02/2015
  4. Préparation du projet de répartition des sièges par le gouvernement et dépôt au parlement - 10/03/2015
  5. Examen et adoption de la loi portant répartition des sièges pour les élections communales et locales - 22/03/2015
  6. Audit externe du fichier électoral - 24/03/2015
Et comme ces étapes n’ont toujours pas démarré, peut-on estimer que le processus a réellement commencé?
Ou doit-on penser qu’un autre plan est envisagé dans le but d’élaborer un nouveau calendrier qui prendrait mieux en compte les préoccupations des parties prenantes, comme revendiqué par l’opposition et la société civile? Ou que la CENI se trouve en face de contraintes politiques et financières qu’elle ne maîtrise pas?

Plusieurs voix, comme celle de l’ONG AETA (1) diffusée ce 31 mars 2015, prennent de plus en plus de force pour proposer la mise en scelle de ce calendrier électoral alternatif ainsi que la convocation d’un dialogue politique. Parmi les éléments épinglés dans l’analyse d’AETA, nous relevons notamment l'attention portée sur la gestion des risques majeurs liés à la tenue des élections locales en 2015.
Nous avons-nous-mêmes, sur notre blog, exprimé de fortes inquiétudes sur l’aboutissement du processus tel que déclenché.
Nous invitons nos lecteurs à relire ce que nous en disions dans quelques-uns de nos articles:

  1. RDC: la révision constitutionnelle, un pas de danse, un pas dans l’enfer! (mai 2014)
  2. RDC: Encore une loi électorale ombrageuse (janvier 2015)
  3. RDC: Le Calendrier électoral global enfin publié, capitulation ou retour aux bons sentiments? (février 2015)
  4. Le processus électoral déclenché en RD Congo : attention à la fraude électorale, voire la fraude légale (mars 2015)
  5. Pas de sécurisation du processus électoral sans une police nationale impartiale - Rétrospective de la répression d'une manifestation de l'opposition à Bukavu en février 2014 (Est de la RD Congo) (février 2015)

D’interminables embûches jonchent la voie du processus…


On n’organise pas les élections pour les perdre dit un adage politique. Cet adage justifierait les différentes embûches et obstacles constatés dans le chef du pouvoir après qu’il ait manqué la possibilité d’introduire une révision constitutionnelle.
Toute la rhétorique d’Evariste Boshab développée au travers de son volumineux ouvrage intitulé "Entre la révision constitutionnelle et l’inanition de la nation" (Éd. Larcier, 444 pages) n’a pas su déclencher ladite Révision constitutionnelle…
Nonobstant, ceci lui mérita le poste gracieux de Vice Premier Ministre, Ministre d’Etat, Chargé des questions stratégiques dont l’Intérieur et la Sécurité. Ce poste élevé vient juste après celui de Premier Ministre et lui donne de larges possibilités de manœuvre d’ici les élections…

En quoi consistent ces embûches révélées à ce jour :

Primo, le démembrement des 11 en 26 provinces pendant l'année électorale


Il s'agit certes d'une obligation constitutionnelle liée à la décentralisation. Mais fallait-il attendre l’approche des élections pour déclencher la division des provinces (Katanga, Bandundu, Equateur, Orientale, les 2 Kasaïs) alors qu’elle était initialement planifiée pour 2010, soit trois ans après promulgation de la constitution de 2006?

Encore une fois on sait visiblement percevoir de la mauvaise foi du pouvoir dans de tels agissements au cours de ce fastidieux processus d'alternance. C'est un réel déficit de volonté politique. Le plus grave des coups qu'on peut asséner au processus électoral déclenché c'est de lui adjoindre le démembrement des six provinces pendant l’année électorale en cours. Rien que ce démembrement devrait coûter des milliards de dollars quand on sait seulement qu'aucune infrastructure devant les abriter n'est prête. De cette même façon, il avait été tenté de programmer le recensement général de la population alors que réalisme faisant, le réaliser en même temps que les élections s’avérait infaisable.

Pour illustration, visualisez dans le tableau ci-dessous l’ampleur estimée du seul paramètre relatif aux ressources humaines à payer avec l’installation des nouvelles provinces dans le cadre de la décentralisation (2).


Total général: 2082 + 3863 + 10857 = 16.802 postes à pourvoir par voie démocratique et électorale.

Enfin, au-delà de toute cette exigence en ressources tant humaines que logistiques et infrastructurelles induites par l’implantation de nouvelles provinces, il est absurde de prétendre réaliser l’installation des nouvelles provinces en une année électorale sereine car, l’opération oblige :

  1. de découper une province donnée en 4 nouvelles provinces (le gouvernement a annoncé 6 provinces à découper d’ici juillet 2015);
  2. de voter les députés de ces 4 nouvelles provinces soutirées d’une seule;
  3. d’élire les bureaux de ces 4 nouvelles provinces qui immédiatement après
  4. devront élire les 4 nouveaux gouverneurs & vices gouverneurs;
  5. d’installer immédiatement les 4 nouveaux gouvernements provinciaux…
A vous de juger si c’est réaliste ou si on peut estimer qu’il s’agit de jouer à la prolongation et/ou au glissement...

Secundo, la convocation d’un dialogue national de plus en plus réclamé par l’opposition et une frange de la société civile

Encore une boîte de Pandore, car on ne sait pas prévoir par où ce énième dialogue pourrait déboucher.
En effet, que peut engendrer un xième dialogue dans les conditions inégalitaires du moment, où le pouvoir durcit quotidiennement sa logique de non-ouverture?
Citons:
  • la privatisation et la politisation à outrance des services de sécurité avec des arrestations des opposants, 
  • l’enclavement du Congo profond et la précarité des moyens de communication restreignant fortement la mobilité des candidats,
  • les médias extrêmement verrouillés par un Ministre de communication enclin au sophisme, 
  • une communauté internationale indexée, prise à partie et régulièrement taxée de rouler pour l'opposition et la société civile...sont de multiples exemples des écueils en vue.
Dans un contexte aussi désespérant, l'opposition et la société civile, se sentent coincées, sans moyen, sans réelle marge de manœuvre… Elles sont contraintes de se rabattre sur la demande du dialogue comme voie de sortie. On peut a priori s’imaginer qu’au terme de ce dialogue, un gouvernement d’Union nationale en sorte et, au sein duquel le partage du pouvoir entre les protagonistes permettrait un accès de l’opposition aux moyens de l’Etat congolais.
Pareil dialogue, s’il avait lieu ne pourrait se révéler qu’un coup de politiciens (toutes tendances confondues) et se faire contre les intérêts de la population. Des rumeurs persistantes font état de pourparlers en coulisse allant dans ce sens.
Il faut se rappeler qu'en 2005, ce fut pareil. N'eût été la clairvoyance de la société civile qui a clamé tout haut à travers des manifestations généralisées: "Allons droit aux élections sans tergiverser" on risquait de s'enliser...
Alors, comment ne pas sourciller devant une opposition visiblement désarticulée qui, depuis bientôt une décennie n’a pas réussi à s’entendre sur une tête de file pour canaliser ses aspirations et renforcer ses luttes?
Il y a toute chance que ce dialogue soit similaire à la Conférence nationale souveraine qui, au crépuscule du règne du Maréchal Mobutu, a pris deux ans pour finir par être dissoute au moment où ses commissions sensibles devaient rendre publique l’économie de leurs travaux. Les commissions avaient annoncé qu’elles allaient « éventrer le boa »... Un immense travail avait été réalisé, mais sans lendemain car ses géniales résolutions n’ont jamais été mises en pratique…

Tercio: la poussée de la Monusco à la sortie


Face à la défaillance de la Monusco dans nombre de ses missions antérieures, surtout dans la sécurisation des citoyens, la majorité des personnes soumises à un sondage (91%) à Kinshasa, Goma et Bukavu estiment que « la Monusco s’est toujours employée à la protection des milices plutôt qu’à mettre fin à leurs activités (No Nkunda, no job)…) et à d’autres faits." Depuis novembre 1999, la mission onusienne aurait plus brillé par les scandales autour du trafic des minerais, du carburant, d’approvisionnement des milices plutôt que par des grandes victoires sur le terrain… Le pouvoir veut négocier la sortie de la Monusco.
Par contre, quelques partis politiques de l’opposition et pas mal d’organisations de la société civile congolaise estiment encore que la présence de la force onusienne serait une garantie supplémentaire pour le respect du calendrier électoral par toutes les parties.
De son côté, le Rwanda ne souhaiterait pas mieux que l’éjection de la Monusco soit faite, histoire de revanche pour avoir dénoncé au travers de rapports extrêmement détaillés les exactions des
troupes rwandaises en RDC… Le Rwanda hausse également le ton pour faire voir à son tour l’inefficacité de la Monusco et son incapacité à anéantir les FDLR dans l’est de la RD Congo…
Toutefois, on ne peut nier que la Monusco aura tout de même été d'une grande utilité dans l’accompagnement des élections de 2006, notamment en disponibilisant ses experts en matière électorale, par sa présence dans tous les coins du pays ainsi que grâce à sa lourde logistique et sa Radio Okapi, média à grande portée qui couvre l’ensemble du pays...
Le déclenchement simultané de la traque des FDLR sans les Nations Unies renfermerait autant de risques de recréer une guerre qui rendrait inaccessible certains coins du pays et ne pourrait rester loin de tout soupçon pour les acteurs qui ont vécu au jour le jour la situation d’un conflit régionalisé dans les Grands-lacs africains dans toute sa complexité…
Et si pourtant, sous la pression de la population, le pouvoir était quand même contraint d’organiser des élections et les perdait, les nouveaux dirigeants pourront-ils se tirer d’affaire d’un héritage d’avance miné, jonché d’innombrables embûches?

L’impasse devant : «Sors de là que je m’y mette» et, d’autre part «J’y suis et j’y reste!»


Devant cette impasse, on peut craindre que les protagonistes, opposition comprise, semblent être en train de rabaisser leurs prétentions, au point d’arriver à ce qu’on appellerait : « Mettons-nous ensemble et mangeons ensemble ». Même si, pour le pouvoir en place, il est de bonne guerre d’encore développer sans démordre des dispositions pour se maintenir, avec ou sans l’actuel commandant de bord.
Dans un tel contexte, le dialogue ne sera encore qu’un jeu de dupes qui ressemble à une conjuration contre tout un peuple qui, pourtant, a déjà manifesté sa ferme détermination à voir arriver le changement et cela, au prix du sacrifice de ses fils et de ses filles. Au stade actuel, le maître-mot de la population, c’est l’alternance en vue de la sanction des urnes. Le dernier vote de la loi électorale contestée par la population a rendu les électeurs plus méfiants à l’égard des députés qu’ils ont élus lors des derniers suffrages. Les évènements de janvier 2015 sont restés un signal qui ne trompe pas et, quoiqu’il en coûte, la population est restée vigilante.
Enfin, « vouloir les élections, bonnes ou mauvaises » n’est pas uniquement animé par le désir de la sanction car, avec les développements de la situation socio-politique en RD Congo durant ces deux dernières législatures, les élections sont désormais perçues comme du business, un enjeu alléchant qui permet aux élus un embourgeoisement rapide et facile. Pour les électeurs, c’est finalement l’occasion de donner la chance à d’autres personnalités (de préférence des familiers) d’être servi et non laisser toujours les mêmes personnes s’enrichir sur son dos!
Peut-on, à ce stade, confirmer l’impasse si, 50 jours après la publication du calendrier les choses ne bougent toujours pas alors qu’on trouve au calendrier quelques tâches qui ne demandent pas des moyens exceptionnels? Il semble bien que oui…
Dommage, d’autant que, pendant ce temps, les partis politiques de l’opposition et la société civile donnent à leur tour l’impression de rester dans une position attentiste et de se contenter de miser sur une médiation étrangère pour l’arbitrage en leur faveur…

Voilà ce qui nous semble se mettre en place du côté des politiques: un plan B pour s’accorder pour l’exercice du pouvoir et le partage de ses bénéfices.
Seule la population peut empêcher cette dérive. Ses masses populaires désabusées, avec en tête les motards, les étudiants, les désœuvrés, les défenseurs des droits, les personnes vivant «au taux du jour» et curieusement même les Eglises, n’ont pas dit leur dernier mot…

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(1) AETA asbl: Agir pour les Elections Transparentes et Apaisées
(2) Besoins en ressources humaines et infrastructures induites par la décentralisation en perspective du démembrement annoncé en juillet prochain.