mercredi 25 février 2015

Pas de sécurisation du processus électoral sans une Police nationale impartiale

Rétrospective de la Répression d’une manifestation de l’opposition à Bukavu (RD Congo) le 20 février 2014

20 février 2014 - 20 février 2015, ça fait exactement 1 an... Notre blog publiait alors un document intitulé : "Témoignage et questionnements suite aux événements violents du 20 février dernier à Bukavu "
Aujourd’hui, à quelques mois des élections libres et démocratiques, tel que mentionné dans le calendrier global des élections publié le 12 février 2015, nous répétons que la Société civile est appelée à faire le monitoring sécuritaire ainsi que l’observation et la surveillance du processus électoral dans son ensemble.
Il y a effectivement une année, suite à l’utilisation disproportionnée de la force pour disperser la manifestation pacifique de l’opposition, la Police avait commis des "bavures" dont la mort d’au moins un manifestant, plusieurs blessés et des centaines de motos de transport confisquées pour avoir accueilli l’opposant Vital Kamerhe à son retour à Bukavu, sa ville natale. Ce dernier venait pour exprimer à son électorat sa compassion après l’assassinat du vaillant vainqueur des M23, le Colonel Mamadou Ndala abattu en janvier 2014.

Pour achever son analyse à ce sujet, l’aisbl CAPSA-Gl avait conclu comme suit : "La marche de la démocratie en RD Congo avec la liberté de manifestation confisquée et l’intolérance politique affichée montre qu’on est revenu à la case départ, c’est dire la période d’avant 1990".
A chaud, du côté des Nations Unies, Martin Kobler lui-même, représentant de la Monusco, avait annoncé, que ces événements graves feraient l’objet d’une enquête. Mais toujours rien n’a été fait.

Pour mémoire,

On se souviendra que c’était un certain 20 février à la Place de l’Indépendance, dans la ville de Bukavu, que, pour contrer l’arrivée et empêcher toute mobilisation autour de ce leader de l’opposition Vital Kamerhe, les forces de l’armée et de la police étaient fortement déployées sur le point de chute des manifestants, avec manifestement des consignes précises.
A son entrée triomphale dans la ville de Bukavu, il a été transporté en Tipoy et les femmes venues nombreuses n’ont pas hésité de lui étendre les pagnes pour qu’il y marche. Il lui a été refusé d’utiliser la tribune apprêtée pour ce genre de manifestation. La participation a été très forte, ce qui n’a pas enchanté le pouvoir en place qui, pour disperser les manifestants, utilisera des balles ainsi que des grenades au pili-pili. Ciblé, l’opposant échappa de justesse à la mort et eut la vie sauve grâce à la population.
Ce fut de la débandade à la « sauve-qui-peut ».
Mais en bon stratège, cet opposant a su en profiter et se faire passer pour victime d’un système injuste géré par son adversaire politique. Il en a ainsi tiré des dividendes politiques en prélude du déclenchement du processus de ce jour. Qu’en sera-t-il maintenant que la période des élections approche enfin ?

Quelles missions pour la Police nationale à l’épreuve des Droits de l’Homme !

Ce jour-là, le 20 février 2014, la répression de la Police et de l’Armée a été d’une telle brutalité que nombre de manifestants ont été férocement violentés, leur argent a été ravi, leurs téléphones et tout autre effet personnel de valeur confisqués, ils furent bastonnés et humiliés… Pourtant, les enjeux électoraux n’étaient pas encore au rendez-vous comme c’est le cas aujourd’hui. Il y a donc lieu de se poser la question, qu’en sera-t-il pendant la rude période de campagne électorale si la configuration politico-sécuritaire reste inchangée?
Pourtant la réforme de la Police et des services de sécurité, avec l’appui des partenaires internationaux, a mis beaucoup d’accent et glané de suggestions proactives pour l’amélioration du comportement de la Police vis-à-vis des manifestants, vis-à-vis des modalités de la sommation avant l’usage de la force et/ou des armes létales mais aussi quant aux responsabilités du policier ‘intuitu personae’, à qui la constitution reconnaît le droit de ne pas respecter un ordre mal donné.
A ce qu’on sache, depuis ces tristes événements, aucune enquête n’a été faite, aucune poursuite n’a été initiée pour faire respecter les règles du jeu de la nouvelle Police en phase finale de la mise en œuvre de la réforme de la Police nationale congolaise en vue de couper court à tout dérapage. Aucune revendication n’a été initiée par les victimes ou l’opposition tant contre la Police que contre les policiers-fautifs, alors qu’il existe des mécanismes légaux pour cela. Seraient-ce des bévues à la charge du policier ou ces derniers auraient-ils exécuté des ordres de la hiérarchie ? Aucune démarche, ni enquête n’a été initiée dans ce sens.
Pour que quiconque ne l’ignore, les missions constitutionnelles de la Police nationale congolaise telles que vulgarisées instruisent toutefois que :

  • les policiers doivent exercer leurs fonctions et pouvoirs et s'acquitter de leurs tâches en tant que serviteurs impartiaux du grand public et du gouvernement,
  • aucun policier ne peut participer directement à des activités politiques, c’est dire qu’aucun policier ne peut recevoir l'ordre ou être contraint d'exercer ses fonctions ou ses pouvoirs ou d'utiliser les ressources de la Police pour promouvoir ou affaiblir un parti politique ou un groupe d'intérêt, ou un membre de ce parti ou de ce groupe,
  • la Police est tenue de défendre les droits de tous les partis représentants et organisations politiques et de leur associer une égale protection de manière impartiale;
  • chacun, dans l'exercice de ses droits et libertés, n'est soumis qu'aux seules limitations établies par la loi…


L’apolitisme de la Police nationale, une gageure pour la sécurisation du processus électoral

Présentement, l’actuelle subordination décriée de la Police et des services de sécurité au pouvoir politique est l’entrave majeure à l’aboutissement du présent processus électoral appelé à se boucler avec les présidentielles de 2016 en RD Congo. Devant ces comportements délétères de notre Police, des excès ont déjà été dénoncés et restent encore prévisibles mais évitables si, dès aujourd’hui, la question est mise sur la table et discutée à fond avec les autorités. Sinon, les bavures/répressions policières à répétition non sanctionnées, les intimidations vis-à-vis des politiciens de l’opposition, l’empiétement de l’autorité publique sur les prérogatives de la Police, les assassinats, les arrestations des militants partis politiques, candidats et populations, des incidents de haine ou de l’intolérance non réprimés, l’intimidation des populations ou de certains groupes constatés et signalés s’installeront et seront monnaie courante.
La sécurité pour les candidats, pour les électeurs et pour la population dans son ensemble est le paramètre capital à observer et à surveiller pour la tenue d’élections libres et apaisées. Plus qu’en temps ordinaire, la population doit se sentir en sécurité afin d’affronter toutes les étapes dudit processus. A cet effet, elle doit être formée et sensibilisée pour exiger au préalable plus de sécurité aux gouvernants à travers les dispositions consignées dans le schéma de rapprochement « Police-Population » dans la réforme du secteur de la sécurité.
Face à de tels agissements de la Police et des services de sécurité, de quels atouts disposent l’opposition RD congolaise et la Société civile pour minimiser les risques de noyautage du processus et d’éventuelles fraudes par le parti au pouvoir?
Les présentes échéances électorales s’annoncent dures.

lundi 23 février 2015

RDC: le calendrier électoral global enfin publié, capitulation ou retour aux bons sentiments?

La tourmente dans l’exercice démocratique pour l’alternance en RD Congo aura commencé à partir des velléités de l’actuelle majorité présidentielle aux affaires obstinée à modifier la Constitution et ouvrir une brèche pour permettre à l’actuel Président en fonction de briguer un 3e mandat, malgré l’opposition des forces vives congolaises mais aussi des partenaires du développement.

En effet, après les événements du Burkina qui ont conduit au retrait de Blaise Compaoré, comme le vent de la perestroïka d’après les années 80 et du discours de La Baule en France sous Mitterrand, les pouvoirs africains hostiles à l’alternance démocratique ont progressivement tenté de développer des stratégies alternatives dans le but de se maintenir au pouvoir envers et contre tout et tous. La dernière loi électorale subordonnée à un recensement général de la Population en RD Congo qui pouvait prendre 3 ans adoptée par la Chambre Basse du Parlement fut, de justesse, rejetée suite aux manifestations organisées par l’opposition. La proposition d’amendement de l’article 8 par le Sénat aura servi de thermomètre pour le pouvoir en place mais aussi de regain d’espoir pour le combat d’un peuple. Cette désapprobation vigoureuse par la rue aura poussé la Police et les services de sécurité à se rendre coupable de violations de droits humains ainsi que du massacre de dizaines de personnes dans la capitale et dans quelques provinces du pays.
Enfin, la "Décision 001/CENI/BUR/15 du 12 février 2015 portant publication des élections provinciales, urbaines, municipales et locales 2015 et des élections présidentielles et législatives 2016" promulguée peu après vient d’abroger la "Décision 012/CENI/AP 14 du 26 mai 2014 portant sur le calendrier partiel". Il est clair que des efforts conjugués de la Communauté internationale et des forces vives locales de la Société civile et des partis politiques de l’opposition ont permis d’échapper à un embrasement du pays. Peut-on sur base de cette décision espérer qu’enfin les choses reviennent à la normale avec, en bout de course, une alternance démocratique apaisée garantie? Ce n’est pas d’avance gagné.

Voyons ce qu’il en est de cette "Décision 001/CENI/BUR/15 du 12 février 2015":


Par rapport au nouveau calendrier en lui-même :

  • Ce nouveau calendrier des élections est trop serré dans ses nombreuses tâches (151 tâches au total à exécuter en l’espace de 20 mois) extrêmement rapprochées pour rassurer sur le réalisme de sa mise en œuvre.
  • Le calendrier ne prévoit pas ou n'annonce pas l'étape préparatoire de sécurisation des opérations avant, pendant et après les élections. Il devrait néanmoins faire ressortir les tâches en rapport avec la préoccupation du déploiement des forces spéciales de la Police, et autres services de sécurité à affecter à la sécurisation du processus dans son ensemble.
  • En rapport avec la chronologie et l’échéancier des tâches, la première partie du calendrier reprend trois tâches couvertes par une période déjà largement dépassée, au risque de voir ces tâches venir peser négativement sur la réalisation dans les temps impartis des autres opérations à suivre. C’est par exemple le cas de "l’opération de stabilisation des cartographies opérationnelles et de fiabilisation du fichier électoral pour 349 jours comme tâche n°1" qui n’a pas encore commencé.
  • Le calendrier global des élections tant attendu et qui a tant ameuté la population, la classe politique et les partenaires, qui vient d’être signé et rendu public par un Vice-Président de la CENI en lieu et place de l’Abbé Président Malu Malu, pourrait aussi susciter des spéculations de tout genre et même de la suspicion quand on sait que le calendrier partiel publié auparavant avait été signé par le Président lui-même.
  • Tel que présenté, signé et publié, peut-on avoir la garantie que ce calendrier a été concerté entre les différentes parties prenantes pour qu’il ne porte plus à d’interminables contestations!

Par rapport au contenu du calendrier proprement dit:

  • Indépendamment des matières qui relèvent du contenu classique des mesures d’applications, tant pour la Loi électorale que pour le calendrier des élections, ne pas mentionner à ce stade à quel moment les opérations de préparation de la sécurisation des élections interviendraient relève d’une omission.
  • Le recrutement, la formation des formateurs d’agents électoraux qui sont à leur première expérience ainsi que les différentes opérations de sensibilisations surtout pour les échéances urbaines et locales n’ont pas été placés à un moment adéquat.
  • Ce calendrier a le mérite d’avoir placé les élections provinciales avant les élections urbaines et locales. Ce qui aura un impact positif sur le déroulement des autres étapes comme l’actuelle mandature provinciale vient de se pérenniser dans un bonus équivalent à une 2e mandature complète.
  • La publication des présidentielles et la prestation de serment avant la publication des législatives qui se seraient passées au même moment ne peut rassurer. On pourrait suggérer de publier les présidentielles suivies quelques temps après des législatives. La prestation de serment surviendrait seulement après les deux publications. Le Président entrant prêterait serment après que toute la nouvelle architecture issue de ce cycle électoral ait été mise en place.

Quelles appréhensions ?


  • D’emblée, un calendrier aussi confiné risque d'être compris encore une fois comme un stratagème pour prendre de cours certains prétendants. Ce sera aussi interprété comme une stratégie quand on sait à quel prix ceci est arraché, certainement pas de gaieté de cœur... Mais, ceci étant, ce calendrier tel que méticuleusement synchronisé au jour près suppose en définitive que maintenant les 1,06 milliards de dollars exigés pour ce processus électoral ne poseraient plus de problèmes.
  • La CENI n’a-t-elle pas dans sa gibecière un calendrier Plan B. Et, possible même qu'elle ait encore un plan "C" au cas où les choses tourneraient au désavantage de la majorité présidentielle en compétition. L’architecture du gouvernement Matata 2 a rassemblé nombres de caciques stratèges qui ont aidé le maréchal Mobutu à se pérenniser à la tête de la RD Congo alors Zaïre.

En définitive,


Pour ne pas donner l’impression de vouloir une chose et son contraire et prouver à la face du monde que les demandeurs des élections seraient les mêmes qui les craindraient, il faudra que les acteurs intéressés à postuler pour l'un ou l'autre poste commencent à se préparer très courageusement et, cela sans distraction, car le temps est trop court. Ils pourront formuler des revendications sans claquer la porte du processus ou jouer la politique de la chaise vide.

Au stade actuel, la participation de la Société civile devra organiser sa contribution substantielle dans l’accompagnement du processus dans son ensemble en commençant par sa présence active dans l'élaboration des mesures d'applications. Ces mesures d’applications ont l’habileté d’améliorer l’applicabilité de ces dispositions par l’intégration de nombreux aspects devant améliorer l’efficience de cette loi. En fait, dans la pratique électorale, cela fait fondamentalement partie cruciale de l'Observation électorale que la Société civile est appelée à effectuer. Pour mémoire, les étapes, sujettes à observation par la Société civile sont au nombre de trois à savoir :

  • En phase pré-électorale on observera:
    - le découpage des circonscriptions électorales,
    - l’enrôlement des électeurs,
    - l’inscription des partis,
    - la nomination des candidats,
    - la campagne électorale,
    - l’accès équitable aux médias,
    - l’utilisation des ressources publiques,
    - la violence et les intimidations politiques,
    - le rôle des forces de sécurité,
    - le financement des partis politiques,
    - l’éducation civique…
  • En phase électorale, l’observation portera sur:
    - les bureaux de vote,
    - le secret du scrutin,
    - les bulletins de vote,
    - les urnes et d’autres équipements pour les élections et, le dépouillement…
  • En phase post-électorale, c’est l’observation de la proclamation des résultats, l’acceptation des résultats, l’évaluation post-électorale, les différends électoraux.

Voilà comment toutes ces étapes du calendrier électoral appellent à l’Observation du processus pour en assurer la crédibilité et la fiabilité.
C'est le moment pour la Société civile de soumissionner auprès des partenaires intervenant dans la démocratie et la bonne gouvernance des mini-projets concrets reprenant ces différents axes. L'accompagnement par la Société civile de toutes ces étapes énoncées constitue une garantie pour toutes les parties prenantes au processus. Le présent calendrier électoral étant par définition "l’établissement d’un ensemble d’activités qui doivent aboutir à la tenue des élections, c’est le programme établi en vue de l’organisation des élections".
Enfin, qu’il s’agisse de la capitulation ou du retour aux bons sentiments, l’important pour la lutte est que la constitution soit restée intacte et le calendrier global des élections publié.
Le combat aura payé…