mardi 21 avril 2015

La garde à vue dans les amigos, les commissariats et sous-commissariats de la police nationale congolaise au Sud Kivu, encore un défi de la réforme de la police...

Cas d’illustration à l'amigo du centre pénitentiaire de Bukavu.


« Par principe, la garde à vue est une mesure de privation de liberté prise par un officier de police judiciaire pour maintenir à la disposition des enquêteurs, le suspect d'un crime ou d'un délit. Fondamentalement, cette mesure doit constituer l'unique moyen de parvenir à certains objectifs comme celui d’empêcher que la personne ne modifie les preuves, ne fuie ou ne consulte ses complices.
Sa durée maximale légale en RD Congo et dans beaucoup de pays est de 48 heures avec des faibles exceptions de déborder de quelques heures pourvu que cela soit justifié, motivé et documenté. Tous les officiers de police judiciaire (OPJ) de la RD Congo le savent bien et la conceptualisation de la réforme de la police nationale congolaise en a pris compte.»

La gestion de la garde à vue et la réforme de la PNC (police nationale congolaise) déclenchée en 2004

Un des casse-tête dans la laborieuse démarche de rétablissement de l’autorité de l’état en RD Congo, c’est la réforme de la police, de l’armée et des services de sécurité et de renseignements en tant que bras séculiers de tout pouvoir public de par le monde. Domaine sensible de la souveraineté de l’état, la réforme de la police aujourd’hui mise en marche, principalement avec l’appui des partenaires occidentaux dont en tête la coopération britannique DFID, met à l’épreuve la réelle volonté politique des dirigeants.
La réforme des services de sécurité (RSS) entraîne une gymnastique extrêmement complexe car, au-delà des contraintes financières, infrastructurelles et politiques, elle doit se centrer sur l’homme, le policier en tant que tel, qui devrait être formé pour être à la hauteur des missions délicates et souvent pénibles qui lui sont demandées. Il devrait répondre au gabarit du policier standard dont le pays a besoin. Longtemps avant, en 2004, le rapport de GMR³ (1) pour la RD Congo révélait que la police congolaise était issue des rebuts de l’armée, des veuves et orphelins des anciens militaires, de la gendarmerie. Ce qui, à coup sûr, loin de faciliter la tâche, a sérieusement fragilisé davantage les efforts visant à mettre sur pied une police digne et respectueuse des droits humains capable de répondre aux exigences de ses missions régaliennes dont prioritairement la sécurité des personnes et de leurs biens.

Dans cette réforme, la charrue a-t-elle été mise avant le bœuf ?

On peut se poser la question, quand on entend un policier, de surcroît un officier, qui, dans l’exercice de ses fonctions, placé devant ses responsabilités face aux abus, justifie sans sourciller qu’il est obligé d’agir ainsi pour vivre et faire vivre sa famille. C’est ainsi que certains viennent à se demander par où doit réellement commencer la réforme en RD Congo. Fallait-il réformer en commençant par l’assainissement des effectifs ou, à l’opposé, commencer par améliorer les conditions des policiers dans l’ensemble et puis procéder par la suite à la réforme ?
Question difficile à trancher: pour les policiers bien entendu, il s’agit d’abord d’améliorer leur sort, du côté de l’état, on répondra qu’on n’a pas les moyens d’améliorer les conditions de revenus et de travail d’un effectif largement pléthorique…

Quelques pratiques persistent malgré 10 ans de la réforme de la police nationale!

De bonnes pratiques ont été accumulées car dorénavant les bavures de la PNC peuvent être documentées. On doit pourtant constater que c’est en période préélectorale et électorale que le nombre d’abus monitoré est le plus élevé. La politisation de la police et/ou de l’empiétement de l’autorité publique sur les prérogatives de la PNC sont hélas encore une bien triste réalité. Et, dans la gestion quotidienne de la sécurité urbaine et plus singulièrement dans la répression des manifestations publiques de la société civile ou de l’opposition, la police s’est comportée avec très peu de professionnalisme.
Mais une des questions les plus cruciales, c’est la gestion délétère des 48 heures de garde à vue. Malgré les dénonciations des organisations de la société civile et des partenaires internationaux, les officiers de police judiciaire de la PNC font des 48 heures de garde à vue une chasse gardée et une véritable source de gain.

Le petit amigo du centre pénitentiaire de la prison centrale de Bukavu illustre bien ce propos.
Le centre pénitencier de Bukavu, communément appelé « prison centrale de Bukavu », placé à l’intersection de trois communes urbaines de la ville de Bukavu, pour la sécurité des pénitentiaires, est fortement gardé à la fois par des unités de FARDC et de la PNC. Pour visiter les prisonniers en détention, dans nombre de cachots et dans la prison centrale, un paiement officieux est exigé au visiteur par les agents affectés à la garde des détenus. Comme si cela ne suffisait pas, la police des prisons (PP) descend dans la cité, effectue des arrestations et emporte des citoyens dans leur amigo qui jouxte la porte d’entrée de la cellule dite 'Quartier spécial' initialement aménagé pour les prisonniers en état de santé fragile. Aujourd’hui, c’est le quartier huppé de la prison où sont placés quelques prisonniers « respectables » (officiels, politiciens de renom, religieux, cadres et nantis…)

Que peut-on dire sur les arrestations et les incarcérations au sein de cet amigo?

Par rapport à la forme, nous observons que :
  1. Avec ou sans la plainte d’un quidam, les officiers de police judiciaire de ce sous-commissariat de garde de la prison débarque sur le terrain et, pour les cas que nous avons monitorés, sans convocation ni mandat d’amener. Cette levée se fait manu-militari sous escorte jusqu’au lieu de la garde à vue. La personne est immédiatement dé-ceinturée, déchaussée, interdite d’utiliser son téléphone pour alerter les siens, bref elle est privée de toute sa liberté et placée dans des conditions inadéquates…
  2. L’importuné se voit verbalisé par un PV quelques heures plus tard et le plaignant n’est souvent apparu qu’aux environs de la 48e heure de la garde à vue pour s’exprimer superficiellement, mais en fait, pour négocier un arrangement à l’amiable, pourvu que l’officier ait formulé la demande à payer les amendes transactionnelles qui sont allées de 250.000 à 500.000 francs congolais.
  3. Les faits reprochés à la victime sont aggravés pour la placer dans une position d’extrême faiblesse où la seule alternative reste la négociation tournée vers le paiement des frais afin de recouvrer la liberté. A défaut de paiement, la personne s’imagine qu’elle sera fourrée de l’autre côté de la porte qui sépare l’amigo de 6 mètres de la prison centrale proprement dite. Et à l’importuné de réaliser ce qu’il en serait alors pour quitter une prison où gisent des centaines des prisonniers gardés sans jugement pendant de longs mois. On assiste alors le plus souvent à la résignation pour tout accepter pourvu qu’on quitte le lieu au plus vite…

Par rapport au fond des problèmes présentés :
Souvent, les faits pour lesquels est imposée une garde à vue sont bénins. C’est souvent pour retard de paiement d’une dette ou de réparation, ou encore de transaction civile qui tarde à être conclue. Les infractions calquées sont souvent liées à la revendication de paiement total ou d’apurements de dettes qui lors de l’audition se muent en escroquerie et abus de confiance juste pour constituer un dossier pénal, sachant que les dossiers au pénal sont les plus contraignants. Les règles de l’art ne sont pas observées. Même la tenue et la transcription des PV sont juste faits dans le but d’enfoncer davantage l’accusé. Celui qui a amené le dossier a d’office raison. La plupart du temps, les vrais criminels ne sont pas pris dans cet engrenage car ils savent anticipativement s’arranger avec l’officier de police judiciaire instructeur du dossier. La garde à vue est donc d’abord et avant tout un moyen de pression,  un objet de marchandage en vue de négociations lucratives pour les policiers.
En assistant les présumés, on constate que les infractions sont mal cadrées, faussement qualifiées et la loi interprétée de travers, visiblement dans le but d’acculer davantage en vue d’asseoir des prétextes d’argumentation pour exiger des fortes sommes d’argent. Alors que pour qu’on soit assujetti à une amende transactionnelle, il faudrait que l’infraction soit clairement reconnue et que les faits soient proscrits par la loi, ce qui est rarement le cas. Par exemple le fait de n’avoir pas livré la marchandise dans les délais convenus, et qu’on en a prévenu son client ne peut constituer une infraction mais plutôt une faute. Le juge du Tribunal du commerce est le juge naturel, habilité à trancher cette question sans que la police ne s’en mêle.

Cet amigo de la prison centrale de Bukavu entretient de manière permanente les actes de violation des droits humains.
On peut relever notamment:
  • De fausses qualifications des infractions à dessein de nuire et d’enfreindre à la distribution juste de la justice.
  • L’incarcération dans la même cellule d’hommes et de femmes indistinctement.
  • Le délai de garde à vue rarement respecté.
  • Les amendes transactionnelles payées de main à main en liquide, sans preuve de versement dans le trésor public.
  • Les règles de commissariat de police ne sont ni observées ni affichées comme l’exige le comité de suivi pour la réforme de la police en RD Congo (CSRP).
Bref, loin de toute norme, l’amigo du centre pénitentiaire de Bukavu est un lieu par excellence de violation des droits des citoyens …
Quel est le rôle de la police judiciaire dans les auditions passées dans l’amigo de la prison centrale de Bukavu? De quelle juridiction dépendent ceux qui mènent les auditions? Y a-t-il subsidiarité ou complémentarité entre la police de parquet, la police des prisons, l’inspection de police judiciaire? Il est difficile de croire que cette situation puisse se perpétuer sans un réseau organisé de ces pratiques…
A Bukavu, la garde à vue fait plutôt penser à des enlèvements. La bonne foi et la présomption d’innocence pour les officiers de police judiciaire n’est qu’un concept vide. Le principe selon lequel la liberté est la règle et l’incarcération l’exception ne dit rien aux officiers de police judiciaire… Au contraire, la règle, c’est la partialité dans le traitement des dossiers. Les fausses déclarations faites dans le but de rançonner les présumés, sont légion.
La population connaît tout cela et réagit peu.

Pourtant, la personne en garde à vue a aussi des droits dont notamment:
  • Celui de faire prévenir, par téléphone, la personne avec laquelle elle vit habituellement, l'un de ses parents en ligne directe, l'un de ses frères et sœurs, son employeur, son curateur et son tuteur.
  • De se faire examiner à tout moment par un médecin désigné par le procureur; si la personne gardée à vue ne demande pas cet examen, un des membres de sa famille peut le faire, et il est obligatoirement fait droit à cette requête.
  • De s'entretenir confidentiellement avec un avocat pendant 30 minutes, dès le début de la garde à vue (sauf exceptions prévues à l'article 706-88 du code de procédure pénale).
  • De demander à ce que son avocat consulte le procès-verbal notifiant notamment la garde à vue et/ou assiste à ses auditions et confrontations.
  • De répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire (après avoir décliné son identité).
Mais tel n’est toujours pas le cas pour nombre de cachots et amigos de la RD Congo et plus particulièrement de la Province du Sud Kivu où nous avons eu l’occasion de monitorer un bon nombre de ces lieux de détention provisoire.

Tous ces droits ci-haut énoncés sont malheureusement bafoués à longueur de journée…

En conclusion

Avoir permis à l’amigo de la prison d’instruire des dossiers aura été une mesure à la base de graves violation de droits et de liberté des citoyens favorisée tant par la police nationale congolaise, la justice que les pouvoirs politiques. Cet amigo est le champ d’un grand trafic d’influence et d’enrichissement sans cause pour les officiers placés à la tête d’un commissariat ou d’un amigo.
Toutes les tentatives de la réforme de la PNC se sont soldées par un échec sur la question du respect de la loi dans la mise en œuvre des gardes à vue. On peut vraiment affirmer que, sur ce point, la réforme des services de sécurité a totalement échoué.
La qualité d’officier de police judiciaire ne lui donne pas plein pouvoir sur tous les dossiers et en tous temps. Il doit en tout temps user du discernement pour ne pas amener la police dans les abus de nature à torpiller les efforts de la réforme de la police en RD Congo. Rien ne pourrait l’amener à violer la déontologie, l’éthique et toute la doctrine de la nouvelle police.
Pour le cas de l’amigo de la prison centrale de Bukavu, il sied de reconnaître la différence entre la prison et les lieux de détentions. Le cachot de la prison est devenu un lieu d’intimidation de la population. On devrait respecter les qualités de maison d’arrêt et la prison. Pour la population, il ne s’agit pas moins que d’un réseau mafieux où l’on qualifie les faits non-infractionnels et civils. Ce cachot est un lieu qui ronge la confiance de la population vis-à-vis de la PNC car il est devenu un lieu et une raison de persécution et d’enrichissement illicite des officiers de la police y affectés.
La police des prisons devrait se concentrer sur le gardiennage de la prison et si des gens doivent être amenés, ils ne peuvent y être gardés durant de longues heures, mais doivent être transférés dans les délais requis devant leurs juges.

En avant la réforme de la police nationale congolaise!

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(1) Groupe Mixte de Réflexion pour la Réforme et la Réorganisation de la police nationale congolaise 2004

mardi 14 avril 2015

RDC: Des élections locales hypothétiques pour 2015

Après la publication du calendrier global des élections, la majorité des congolais pouvait enfin considérer que le processus tant réclamé venait de démarrer.
Hélas, 50 jours après, c’est toujours l’impasse. Embûches sur embûches se multiplient. Les opérateurs politiques semblent de plus en plus reconsidérer leur enthousiasme d’antan, et le pouvoir Kabila, en quête d’une formule qui lui permette de se maintenir à la tête du pays s’en retrouve conforté. Dès lors, les élections locales sont de plus en plus hypothétiques selon nombre d’analystes.

Le schéma burkinabé avait fait trembler les dirigeants africains allergiques à toute alternance. Plus récemment pourtant, l’exemple du Nigéria devrait rassurer sur les réelles possibilités d’alternance apaisée en Afrique.
Nous développerons ci-après cette épineuse question en trois axes de réflexion.

50 jours après publication du calendrier électoral global, le processus est toujours à la case départ!


A la lecture du dernier développement, il est désormais plus qu’évident qu’aucune des échéances, locales ou nationales, telles que publiées avec précision dans le dernier «Calendrier des élections provinciales, urbaines, municipales et locales 2015 et des élections présidentielles et législatives 2016» ne pourra jamais être tenues. En effet, selon l’esprit et la lettre de ce calendrier global publié le 12 février 2015, six opérations préliminaires indispensables pour la mise en marche du processus électoral devraient avoir démarré, fût-ce pour rassurer de la volonté politique mais aussi de la crédibilité de l’institution de gestion des élections en RD Congo. Ces tâches viennent alourdir la liste des véritables préalables. On sait les retrouver à la page 2 du calendrier. Il s’agit de:

  1. Les travaux de construction des bureaux et entrepôts de la CENI dans les démembrements - 12/02/2015
  2. La mise en place d’un système de sécurisé de télécommunication. 1ère et 2e phase: entretien du réseau existant et extension vers les secteurs et chefferies - 12/02/2015
  3. Élaboration des mesures d’application de la loi électorale - 12/02/2015
  4. Préparation du projet de répartition des sièges par le gouvernement et dépôt au parlement - 10/03/2015
  5. Examen et adoption de la loi portant répartition des sièges pour les élections communales et locales - 22/03/2015
  6. Audit externe du fichier électoral - 24/03/2015
Et comme ces étapes n’ont toujours pas démarré, peut-on estimer que le processus a réellement commencé?
Ou doit-on penser qu’un autre plan est envisagé dans le but d’élaborer un nouveau calendrier qui prendrait mieux en compte les préoccupations des parties prenantes, comme revendiqué par l’opposition et la société civile? Ou que la CENI se trouve en face de contraintes politiques et financières qu’elle ne maîtrise pas?

Plusieurs voix, comme celle de l’ONG AETA (1) diffusée ce 31 mars 2015, prennent de plus en plus de force pour proposer la mise en scelle de ce calendrier électoral alternatif ainsi que la convocation d’un dialogue politique. Parmi les éléments épinglés dans l’analyse d’AETA, nous relevons notamment l'attention portée sur la gestion des risques majeurs liés à la tenue des élections locales en 2015.
Nous avons-nous-mêmes, sur notre blog, exprimé de fortes inquiétudes sur l’aboutissement du processus tel que déclenché.
Nous invitons nos lecteurs à relire ce que nous en disions dans quelques-uns de nos articles:

  1. RDC: la révision constitutionnelle, un pas de danse, un pas dans l’enfer! (mai 2014)
  2. RDC: Encore une loi électorale ombrageuse (janvier 2015)
  3. RDC: Le Calendrier électoral global enfin publié, capitulation ou retour aux bons sentiments? (février 2015)
  4. Le processus électoral déclenché en RD Congo : attention à la fraude électorale, voire la fraude légale (mars 2015)
  5. Pas de sécurisation du processus électoral sans une police nationale impartiale - Rétrospective de la répression d'une manifestation de l'opposition à Bukavu en février 2014 (Est de la RD Congo) (février 2015)

D’interminables embûches jonchent la voie du processus…


On n’organise pas les élections pour les perdre dit un adage politique. Cet adage justifierait les différentes embûches et obstacles constatés dans le chef du pouvoir après qu’il ait manqué la possibilité d’introduire une révision constitutionnelle.
Toute la rhétorique d’Evariste Boshab développée au travers de son volumineux ouvrage intitulé "Entre la révision constitutionnelle et l’inanition de la nation" (Éd. Larcier, 444 pages) n’a pas su déclencher ladite Révision constitutionnelle…
Nonobstant, ceci lui mérita le poste gracieux de Vice Premier Ministre, Ministre d’Etat, Chargé des questions stratégiques dont l’Intérieur et la Sécurité. Ce poste élevé vient juste après celui de Premier Ministre et lui donne de larges possibilités de manœuvre d’ici les élections…

En quoi consistent ces embûches révélées à ce jour :

Primo, le démembrement des 11 en 26 provinces pendant l'année électorale


Il s'agit certes d'une obligation constitutionnelle liée à la décentralisation. Mais fallait-il attendre l’approche des élections pour déclencher la division des provinces (Katanga, Bandundu, Equateur, Orientale, les 2 Kasaïs) alors qu’elle était initialement planifiée pour 2010, soit trois ans après promulgation de la constitution de 2006?

Encore une fois on sait visiblement percevoir de la mauvaise foi du pouvoir dans de tels agissements au cours de ce fastidieux processus d'alternance. C'est un réel déficit de volonté politique. Le plus grave des coups qu'on peut asséner au processus électoral déclenché c'est de lui adjoindre le démembrement des six provinces pendant l’année électorale en cours. Rien que ce démembrement devrait coûter des milliards de dollars quand on sait seulement qu'aucune infrastructure devant les abriter n'est prête. De cette même façon, il avait été tenté de programmer le recensement général de la population alors que réalisme faisant, le réaliser en même temps que les élections s’avérait infaisable.

Pour illustration, visualisez dans le tableau ci-dessous l’ampleur estimée du seul paramètre relatif aux ressources humaines à payer avec l’installation des nouvelles provinces dans le cadre de la décentralisation (2).


Total général: 2082 + 3863 + 10857 = 16.802 postes à pourvoir par voie démocratique et électorale.

Enfin, au-delà de toute cette exigence en ressources tant humaines que logistiques et infrastructurelles induites par l’implantation de nouvelles provinces, il est absurde de prétendre réaliser l’installation des nouvelles provinces en une année électorale sereine car, l’opération oblige :

  1. de découper une province donnée en 4 nouvelles provinces (le gouvernement a annoncé 6 provinces à découper d’ici juillet 2015);
  2. de voter les députés de ces 4 nouvelles provinces soutirées d’une seule;
  3. d’élire les bureaux de ces 4 nouvelles provinces qui immédiatement après
  4. devront élire les 4 nouveaux gouverneurs & vices gouverneurs;
  5. d’installer immédiatement les 4 nouveaux gouvernements provinciaux…
A vous de juger si c’est réaliste ou si on peut estimer qu’il s’agit de jouer à la prolongation et/ou au glissement...

Secundo, la convocation d’un dialogue national de plus en plus réclamé par l’opposition et une frange de la société civile

Encore une boîte de Pandore, car on ne sait pas prévoir par où ce énième dialogue pourrait déboucher.
En effet, que peut engendrer un xième dialogue dans les conditions inégalitaires du moment, où le pouvoir durcit quotidiennement sa logique de non-ouverture?
Citons:
  • la privatisation et la politisation à outrance des services de sécurité avec des arrestations des opposants, 
  • l’enclavement du Congo profond et la précarité des moyens de communication restreignant fortement la mobilité des candidats,
  • les médias extrêmement verrouillés par un Ministre de communication enclin au sophisme, 
  • une communauté internationale indexée, prise à partie et régulièrement taxée de rouler pour l'opposition et la société civile...sont de multiples exemples des écueils en vue.
Dans un contexte aussi désespérant, l'opposition et la société civile, se sentent coincées, sans moyen, sans réelle marge de manœuvre… Elles sont contraintes de se rabattre sur la demande du dialogue comme voie de sortie. On peut a priori s’imaginer qu’au terme de ce dialogue, un gouvernement d’Union nationale en sorte et, au sein duquel le partage du pouvoir entre les protagonistes permettrait un accès de l’opposition aux moyens de l’Etat congolais.
Pareil dialogue, s’il avait lieu ne pourrait se révéler qu’un coup de politiciens (toutes tendances confondues) et se faire contre les intérêts de la population. Des rumeurs persistantes font état de pourparlers en coulisse allant dans ce sens.
Il faut se rappeler qu'en 2005, ce fut pareil. N'eût été la clairvoyance de la société civile qui a clamé tout haut à travers des manifestations généralisées: "Allons droit aux élections sans tergiverser" on risquait de s'enliser...
Alors, comment ne pas sourciller devant une opposition visiblement désarticulée qui, depuis bientôt une décennie n’a pas réussi à s’entendre sur une tête de file pour canaliser ses aspirations et renforcer ses luttes?
Il y a toute chance que ce dialogue soit similaire à la Conférence nationale souveraine qui, au crépuscule du règne du Maréchal Mobutu, a pris deux ans pour finir par être dissoute au moment où ses commissions sensibles devaient rendre publique l’économie de leurs travaux. Les commissions avaient annoncé qu’elles allaient « éventrer le boa »... Un immense travail avait été réalisé, mais sans lendemain car ses géniales résolutions n’ont jamais été mises en pratique…

Tercio: la poussée de la Monusco à la sortie


Face à la défaillance de la Monusco dans nombre de ses missions antérieures, surtout dans la sécurisation des citoyens, la majorité des personnes soumises à un sondage (91%) à Kinshasa, Goma et Bukavu estiment que « la Monusco s’est toujours employée à la protection des milices plutôt qu’à mettre fin à leurs activités (No Nkunda, no job)…) et à d’autres faits." Depuis novembre 1999, la mission onusienne aurait plus brillé par les scandales autour du trafic des minerais, du carburant, d’approvisionnement des milices plutôt que par des grandes victoires sur le terrain… Le pouvoir veut négocier la sortie de la Monusco.
Par contre, quelques partis politiques de l’opposition et pas mal d’organisations de la société civile congolaise estiment encore que la présence de la force onusienne serait une garantie supplémentaire pour le respect du calendrier électoral par toutes les parties.
De son côté, le Rwanda ne souhaiterait pas mieux que l’éjection de la Monusco soit faite, histoire de revanche pour avoir dénoncé au travers de rapports extrêmement détaillés les exactions des
troupes rwandaises en RDC… Le Rwanda hausse également le ton pour faire voir à son tour l’inefficacité de la Monusco et son incapacité à anéantir les FDLR dans l’est de la RD Congo…
Toutefois, on ne peut nier que la Monusco aura tout de même été d'une grande utilité dans l’accompagnement des élections de 2006, notamment en disponibilisant ses experts en matière électorale, par sa présence dans tous les coins du pays ainsi que grâce à sa lourde logistique et sa Radio Okapi, média à grande portée qui couvre l’ensemble du pays...
Le déclenchement simultané de la traque des FDLR sans les Nations Unies renfermerait autant de risques de recréer une guerre qui rendrait inaccessible certains coins du pays et ne pourrait rester loin de tout soupçon pour les acteurs qui ont vécu au jour le jour la situation d’un conflit régionalisé dans les Grands-lacs africains dans toute sa complexité…
Et si pourtant, sous la pression de la population, le pouvoir était quand même contraint d’organiser des élections et les perdait, les nouveaux dirigeants pourront-ils se tirer d’affaire d’un héritage d’avance miné, jonché d’innombrables embûches?

L’impasse devant : «Sors de là que je m’y mette» et, d’autre part «J’y suis et j’y reste!»


Devant cette impasse, on peut craindre que les protagonistes, opposition comprise, semblent être en train de rabaisser leurs prétentions, au point d’arriver à ce qu’on appellerait : « Mettons-nous ensemble et mangeons ensemble ». Même si, pour le pouvoir en place, il est de bonne guerre d’encore développer sans démordre des dispositions pour se maintenir, avec ou sans l’actuel commandant de bord.
Dans un tel contexte, le dialogue ne sera encore qu’un jeu de dupes qui ressemble à une conjuration contre tout un peuple qui, pourtant, a déjà manifesté sa ferme détermination à voir arriver le changement et cela, au prix du sacrifice de ses fils et de ses filles. Au stade actuel, le maître-mot de la population, c’est l’alternance en vue de la sanction des urnes. Le dernier vote de la loi électorale contestée par la population a rendu les électeurs plus méfiants à l’égard des députés qu’ils ont élus lors des derniers suffrages. Les évènements de janvier 2015 sont restés un signal qui ne trompe pas et, quoiqu’il en coûte, la population est restée vigilante.
Enfin, « vouloir les élections, bonnes ou mauvaises » n’est pas uniquement animé par le désir de la sanction car, avec les développements de la situation socio-politique en RD Congo durant ces deux dernières législatures, les élections sont désormais perçues comme du business, un enjeu alléchant qui permet aux élus un embourgeoisement rapide et facile. Pour les électeurs, c’est finalement l’occasion de donner la chance à d’autres personnalités (de préférence des familiers) d’être servi et non laisser toujours les mêmes personnes s’enrichir sur son dos!
Peut-on, à ce stade, confirmer l’impasse si, 50 jours après la publication du calendrier les choses ne bougent toujours pas alors qu’on trouve au calendrier quelques tâches qui ne demandent pas des moyens exceptionnels? Il semble bien que oui…
Dommage, d’autant que, pendant ce temps, les partis politiques de l’opposition et la société civile donnent à leur tour l’impression de rester dans une position attentiste et de se contenter de miser sur une médiation étrangère pour l’arbitrage en leur faveur…

Voilà ce qui nous semble se mettre en place du côté des politiques: un plan B pour s’accorder pour l’exercice du pouvoir et le partage de ses bénéfices.
Seule la population peut empêcher cette dérive. Ses masses populaires désabusées, avec en tête les motards, les étudiants, les désœuvrés, les défenseurs des droits, les personnes vivant «au taux du jour» et curieusement même les Eglises, n’ont pas dit leur dernier mot…

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(1) AETA asbl: Agir pour les Elections Transparentes et Apaisées
(2) Besoins en ressources humaines et infrastructures induites par la décentralisation en perspective du démembrement annoncé en juillet prochain.

mardi 7 avril 2015

Grands lacs africains: Deux ans de l'accord-cadre d'Addis-Abeba, quels résultats?

Suite à la persistance du conflit armé animé par le M23 dans l’est de la RD Congo, conflit alimenté (preuve à l’appui) financièrement, militairement et politiquement par deux états de la CIRGL, à savoir le Rwanda et l’Ouganda, le 24 février 2013 les états des grands lacs africains ainsi que la communauté internationale s’étaient réunis en Ethiopie pour chercher des solutions inclusives à l’ensemble des conflits armés qui sévissaient dans l’est de la RD Congo et stabiliser le pays. De ces assises, un certain nombre d’engagements partagés pour l’avènement de la paix, de la sécurité et de la collaboration dans cette partie de l’Afrique centrale longtemps meurtrie avaient été pris. Le 24 février 2015 passé, cet accord a accompli deux ans d’existence mais quels en seraient donc les résultats au jour d’aujourd’hui ?

D’abord, il sied de rappeler que cet accord engageait directement plusieurs acteurs régionaux et internationaux et pour y arriver un mécanisme de suivi, dit « mécanisme 11+4 » avait été mis en place. L’accord responsabilisait les onze pays de la CIRGL (RD Congo, Burundi, Rwanda, Ouganda, Tanzanie, Kenya, République Centrafricaine, Congo Brazzaville, Sud-Soudan, Angola, Zambie), le Secrétariat des Nations Unies, la Présidence de l’Union Africaine, le Président de la CIRGL et le Président de la SADEC.

En même temps, au niveau diplomatique et international, la résolution 2098 du Conseil de Sécurité des Nations Unies est venue donner davantage de poids à cet accord-cadre d’Addis-Abeba signé par l’ensemble des onze chefs d’états de la région des grands lacs africains. Et sur le front militaire, Bosco Ntaganda a été transféré à la CPI, les M23 ont cessé d’exister parce que coupés de l’appui de leurs parrains rwandais et ougandais. Et cumulativement, le Rwanda et l’Ouganda s’étaient vus retranchés d’une partie de leurs aides comme pour monter la pression sur leur intervention avérée aux côtés des rébellions dans l’est de la RD Congo…

A ce stade, on doit honnêtement reconnaître que la résolution 2098 du Conseil de Sécurité de laquelle est née la Brigade spéciale d’intervention de la Monusco, constituée de soldats africains aguerris, qui, aux côtés des FARDC avec Feu Colonel Mamadou Ndala aura fait ses preuves contre les forces du mal incarnées par le M23.


Des engagements des uns et des autres

D’abord, la République démocratique du Congo avait pris 6 engagements:

  • continuer et approfondir la réforme du secteur de la sécurité, en particulier l’armée et la police;
  • consolider l’autorité de l’Etat surtout à l’est en empêchant la déstabilisation des groupes armés;
  • effectuer des progrès dans la décentralisation;
  • promouvoir le développement économique y compris l’expansion des infrastructures et de la fourniture des services sociaux de base; 
  • promouvoir la réforme structurelle des institutions de l’Etat y compris des finances; 
  • et enfin promouvoir les objectifs de réconciliation nationale, de tolérance et de démocratisation.

Ensuite, la région s’était engagée à:

  • ne pas s’ingérer dans les affaires intérieures des états voisins;
  • ne pas tolérer, ni fournir une assistance ou soutien à des groupes armés; 
  • respecter la souveraineté et l’intégrité territoriale des états voisins; 
  • renforcer la coopération régionale à travers l’intégration économique (…); 
  • respecter les préoccupations et intérêts légitimes des états voisins surtout au sujet des questions de sécurité; 
  • ne pas héberger ni fournir une protection de quelque nature que ce soit aux personnes accusées de crimes de guerre, de crime contre l’humanité, d’actes de génocide ou de crimes d’agression, ou aux personnes sous le régime de sanctions des Nations Unies; 
  • et enfin, faciliter l’administration de la justice, grâce à la coopération judiciaire dans la région.

Enfin, la communauté internationale s’était engagée elle aussi

  • à demeurer mobilisée dans son soutien à la République démocratique du Congo et la région, avec des moyens appropriés pour assurer la durabilité de ces actions sur le long termes et à appuyer la mise en œuvre des protocoles et des projets prioritaires du Pacte sur la sécurité, la stabilité et le développement dans la région des grands lacs; 
  • à rester saisi de l’importance d’un soutien à la stabilité à long terme de la République démocratique du Congo et de la région des grands lacs; 
  • à travailler à la revitalisation de la communauté économique des pays des grands lacs (CEPGL) et à soutenir la mise en œuvre de son objectif de développement économique et d’intégration régionale;
  • à revoir la mission de la Monusco afin de renforcer son appui au gouvernement pour faire face aux enjeux d’ordre sécuritaire et de favoriser l’expansion de l’autorité de l’Etat (…)


RDC: Etat des lieux de la mise en oeuvre…

Puisque c’est d’elle qu’il s’agissait au premier plan, elle avait librement pris 6 engagements dont il est important d’interroger le degré de mise en œuvre avant de jeter une vue sur ce qu’ont fait les autres.

La réforme de l’armée et de la police
C’est depuis exactement dix ans que le pays s’est lancé sur la réforme du secteur de la sécurité et de la justice, particulièrement la police. A ce sujet, une nouvelle doctrine (insufflée par la société civile), qui fixe un nouveau modus vivendi et operandi de la police, a vu le jour: la police de proximité. Ce nouveau mode opératoire bien que concernant toute la police nationale n’a été testé que sur 4 provinces-pilotes à savoir le Bas-Congo, la ville de Kinshasa, le Kasaï occidental et le Sud-Kivu. Mais tout semble resté sur le plan théorique puisque dans la pratique les agissements ou les interventions policières font toujours et encore objet de critiques acerbes et de lamentations populaires.
Pour mémoire, la réforme du secteur de sécurité comprend la réforme de l’armée, de la police, des services de renseignements et de la justice. Même si l’esprit et la lettre de l’accord-cadre mettent un «focus» sur la réforme de l'armée et de la police, cela ne dissimule pas les autres réformes. Il faut donc noter que quelques efforts ont été accomplis en termes d’avancées dans le secteur de la police, mais beaucoup d’efforts restent encore à accomplir en termes des perspectives.
Plus particulièrement, le caractère civil et apolitique de la police nationale (articles 183 de la Constitution de la RD Congo et 2 et 4 de la Loi organique) pose un réel problème au quotidien et surtout pendant les répressions disproportionnées des manifestations de l’opposition et de la société civile. Selon le rapport (de 2013) des OSC pour la réforme du secteur sécuritaire et de la justice, la neutralité et le caractère civil de la police nationale sont difficilement compris par la population, dans la mesure où fréquemment des cas de détournement de la police à des fins propres aux regroupements politiques de la majorité au pouvoir sont enregistrés.

La consolidation de l’autorité de l’état
Avec des cas de kidnapping récurrents dans plusieurs localités et villes de l’est du pays, notamment au Nord-Kivu, des attaques contre les populations civiles comme à Mutarule au Sud-Kivu, des caches d’armes et l’activisme des groupes armés dans la quasi-totalité de la partie est, on se demande à quand cette consolidation de l’autorité de l’état ?
L’autorité de l’état se perçoit aussi comme la capacité de l’état à fournir à sa population des services de base: eau, électricité, scolarité, transport public, accessibilité aux soins de santé, communication impeccable,… Pourtant, malheureusement, beaucoup de citoyens restent privés de ces services publics fondamentaux.
Apparemment, pour le pouvoir public, la notion de l’autorité de l’état se focaliserait uniquement sur la présence de ses répondants (armée, police, administration) sur la totalité de l’espace géographique.
Actuellement, en ville comme dans des régions plus rurales, cette autorité ne se fait sentir que quand elle doit assujettir les citoyens aux taxes et tracasseries policières sans rétablir les normes minimales d’un état moderne. Partout, on trouve toujours des petites barrières à rançonnement sur des tronçons routiers après la pluie, des constructions anarchiques, de l’insalubrité, du tapage nocturne et diurne des églises de réveil dans les quartiers résidentiels, des écoles et officines de santé hors toute normes, le régime de bail,…

La décentralisation
De manière précise, la décentralisation repose sur le transfert des ressources ainsi que des compétences. Ceci reste jusqu’à ce jour un exercice très difficile pour les autorités congolaises. Pourtant, ce nouveau mode de gestion du pays, nourrit par les multiples attentes de la population, donnait espoir de rapprocher les dirigeants des dirigés à tous les niveaux.
Ce transfert des ressources et des compétences comme piliers de la décentralisation apparaît à ce jour avoir été un appât pour la campagne électorale de 2006 qui a réussi à faire arriver les actuelles autorités au pouvoir.
A ce sujet, selon un rapport des organisations de la société civile, les membres du groupe de travail pour le suivi de la mise en œuvre de l’accord-cadre ont fait observer qu’«une chose est d’adopter les textes ou de prendre les décisions et une autre est de poser les actes ou de mettre en application les textes et décisions pris.»
En effet, sur un total de 14 lois attendues pour la mise en œuvre de la décentralisation depuis la première législature jusqu’aujourd’hui, 9 lois seulement ont été votées sans être appliquées malheureusement. La décentralisation est restée couchée sur le papier et cela crée effectivement beaucoup de problèmes entre l’administration publique et les administrés. Kinshasa, comme capitale de toutes les décisions et initiatives de survie des entités administratives, empêche aux provinces de démarrer leur modèle de développement endogène. La décentralisation traîne et piétine pour maintes raisons et là encore, on n'observe aucune volonté politique à la booster... Toujours pas de retenue à la source ni de rétrocession régulière pour le développement des entités territoriales décentralisées, pas de loi de péréquation pour aider les provinces les plus démunies, pas de respect de calendrier électoral…

La réconciliation nationale.
Pour mettre fin aux différentes rébellions qui ont ensanglantés l’est de la RD Congo, la formule magique de réconciliation a souvent été de faire fi de la justice pour réprimer les protagonistes. On a octroyé l’amnistie, effectué l’intégration et les reconnaissances des grades au sein de l’armée, octroyé des postes ministériels mais aussi initié pour les catégories à conflit des projets d’intégrateurs. C’est aussi ce que l’on craignait dans l’organisation des dernières concertations nationales.
Mais si l’organisation desdites concertations nationales en octobre 2013 fut perçue par beaucoup comme le jalon de la réconciliation devant déboucher sur la cohésion nationale, la non-application de ses 700 recommandations semble avoir entamé sa crédibilité, encore qu’une partie importante de la classe politique n’y avait pas pris part.
Aujourd’hui, tout le débat politique se radicalise et se galvanise au grand risque d’assister à des scènes macabres de chasse à l’homme entre les protagonistes politiques. On le (prés)sent aujourd’hui avec le débat sur la volonté de la majorité présidentielle d’octroyer un 3e mandat (non constitutionnel) à Joseph Kabila et les réactions de l’opposition. La dernière mouture de la loi électorale votée par le parlement et rejetée par le sénat en son article 8 suite aux manifestations violentes en signe de protestation constitue l’une des stigmates de cette non-réconciliation nationale.
Plus qu’un ballon d’essai, les événements y relatifs ont perpétrés morts d’hommes et casses incommensurables dans plusieurs provinces du pays.
Par ailleurs, il est à noter que sur le plan régional, l’accord-cadre s’est ajouté à d’autres instruments sur la paix et la sécurité qui existaient déjà tels le pacte international sur la paix, la sécurité, la démocratie et le développement de la région des grands lacs, l’acte fondateur de la CIRGL, et qui n’ont jamais connu un début d’exécution.
On constate qu’aujourd’hui, par exemple, que le Rwanda et l’Ouganda continuent à héberger et à fournir protection à certaines personnes accusées de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité, de crimes d’agression et à des personnes sous le régime de sanctions des Nations Unies. Ces
pays ne facilitent pas l’administration de la justice dans la région conformément à l’esprit de cet accord d’Addis-Abeba. Citons par exemple le M23 et les alliés de Bosco Ntaganda qui, par endroit en Ouganda et au Rwanda, n’ont pas cessé d’être soupçonnés de se muer en ADF Nalu.


La réforme financière et le développement économique. 
Le climat des affaires en RD Congo ne s’est guère amélioré. Plusieurs situations politiques, économiques et sécuritaires ne rassurent pas encore. Certains investisseurs étrangers comme locaux sont obligés de fermer leurs usines à cause de la surtaxation, des tracasseries administratives au bénéfice des importations et d’entrées frauduleuses de produits au nom des accords pour le commerce frontalier.
L’entreprenariat local est littéralement asphyxié par des mesure drastiques d’impositions au profit des biens et services provenant des pays voisins à tel point que les congolais aujourd’hui sont contraints à consommer ce qu’ils ne produisent pas (vivres et biens de 1ère nécessité) et de produire ce qu’ils ne consomment pas (tel les minerais et autres ressources naturelles extraites à vil prix pour enrichir les exploitant étrangers). Des mesures administratives occasionnent de grands manques à gagner pour les opérateurs économiques. A titre d’exemple, la suspension délibérée depuis deux semaines des services des messageries téléphoniques et de l’internet sur toute l’étendue du territoire national puisqu’il fallait empêcher aux citoyens de contester une loi électorale jugée dangereuse à la démocratie.

En définitive, bien qu’il y ait quelques avancées timides dans la mise en œuvre de l’accord-cadre d’Addis-Abeba, le gros reste à faire pour que la paix, la sécurité et la coopération dans la région des grands lacs africains deviennent une réalité pratique. La stabilisation de la région comme préconisée par l’accord-cadre et appuyée par la résolution 2098 des Nations Unies ne sera possible que si on respecte d’abord le principe de l’alternance démocratique dans toute la région particulièrement en ces jours où beaucoup de présidents en exercice et acteurs clés dans le conflit régional sont en fin de mandat constitutionnel.
Ensuite, il faudrait aussi imposer à cet accord, un régime de sanction au lieu de le fonder seulement sur la bonne foi des parties pendant que cette dernière illustre progressivement ses limites. Ce train des sanctions aiderait à dissuader, voire empêcher certains dirigeants à mal de positionnement d’utiliser cycliquement les rébellions pour s’improviser en sapeurs-pompiers.