jeudi 6 août 2015

Les zigzags de la démocratie ou du "démon-cratie"… ?

De plus en plus, la fin des mandats présidentiels et autres faits connexes qui nourrissent le débat politique dans la région des grands-lacs africains en inquiètent plus d’un.
Dans les pays civilisés, la fin d’un mandat constitutionnel ouvre la voie à l’alternance et consolide la culture démocratique du pays. Malheureusement dans la sous-région, les agitations des chefs d’états actuels (Joseph Kabila, Paul Kagame, Pierre Nkurunziza, Kaguta Museveni, Denis Sassou Nguesso,…) pour s’octroyer des mandats non constitutionnels menacent dangereusement la démocratie et la vie des citoyens. On se demande si finalement les peuples font face aux zigzags de la démocratie ou ils font face au « démon-cratie » autrement dit au démon du pouvoir?

Alors qu’ailleurs dans le monde, la démocratie a pour fondement culturel les grandes valeurs respectueuses de la vie humaine telles les libertés, l’égalité, la fraternité, la solidarité, le républicanisme,… en Afrique et singulièrement dans les grands-lacs africains, elle se décline dans la négation de la vie humaine et s’établit sur un fond baigné du sang des citoyens. Le démon du pouvoir (cratos en grec) aime le sang comprend-t-on…

Depuis des décennies, le massacre des citoyens est devenu une variable d’accès au pouvoir dans la région. En RD Congo, au Burundi, au Rwanda voir en Ouganda, beaucoup de ceux qui ont émergé politiquement, économiquement voire socialement sont ceux qui ont pris les armes contre la république ou qui ont eu des accointances (in)directes avec les mouvements rebelles et groupes armés ou qui ont tué le plus.

Tous les chefs d’état actuels ainsi que certains de leurs grands collabos politiques sont des anciens compagnons qui ont accédé aux rênes du pouvoir, d’une manière ou d’une autre, grâce aux armes: Kabila, Kagame, Nkurunziza, Kaguta,… Tous furent militaires et ont acquis la culture d’infliger la mort aux autres et de relativiser les droits de l’homme. Pourtant à un certain moment, en organisant des élections, ils ont insidieusement fait croire qu’ils étaient des démocrates. Aujourd’hui cependant les masques tombent... "A bon menteur qui vient de loin et chasser le naturel il revient au galop" dit-on.

Un phénomène non hasardeux mais tout de même curieux se constate particulièrement en RD Congo depuis 2003. La marche vers la démocratie rime avec la guerre si bien qu’à chaque veille des élections il y a toujours des bruits de bottes. Et l’on se demande si la démocratie congolaise est tributaire d’une guerre qui tue les citoyens? Pourquoi à chaque fois que le pays se prépare aux élections, il y a toujours une guerre qui s’annonce dans un coin du pays et singulièrement à l’Est, et qui par la suite fait des victimes innombrables?

Pour mémoire, en 2004-2005 à la veille des élections de 2006, une guerre éclata à Bukavu, menée par le général Nkundabatware et le colonel Jules Mutebusi. En 2010, pendant que la population se prépare aux élections de 2011, ce fut la guerre du Mouvement du 23 mars (M23) et aujourd’hui, à la veille des élections de 2015-2016, une nouvelle rébellion s’annonce encore dans le Nord-Kivu, le Mouvement Chrétien pour la Construction du Congo (MCCC) guidée encore par le général déchu Laurent Nkundabatware et Jean-Marie Runiga ancien collabo de Bosco Ntaganda dans le M23. A côté, il y a le mouvement ADF/NALU soupçonné de plus en plus d’être une incubation de l’islamisme radical formant les jeunes au terrorisme africain. Qui peut bien être derrière ce genre de scenarii, à qui cela profite-t-il? Etonnamment, ce sont les mêmes acteurs et les mêmes noms qui reviennent et dont on suspecte le soutien des pays voisins pour plusieurs raisons.

La situation de Béni laisse un peu perplexe et l’on se demande pourquoi toutes ces tueries? Les présumés ADF/NALU qui tuent chaque semaine à Béni, qui sont-ils exactement, sont-ils si différents des fameux Rasta de triste mémoire qu’on a connu au Sud-Kivu et qui ont endeuillé le Sud-Kivu principalement dans la région de Kaniola ? D’après plusieurs sources locales, les ADF/NALU ont pris une nouvelle appellation actuellement et deviennent « International Musulm Defense». Ça sent le Boko Haram made in Afrique centrale et le danger est de taille quand on sait les richesses minières, même le plus redoutable comme l’uranium que regorge la RD Congo…

La situation politique actuelle du Burundi démontre combien de fois l’ombre d’une guerre sanguinaire plane toujours et davantage sur tous ces pays et sur leur démocratie de façade dont l’avenir est très incertain. Le président Nkurunziza veut se maintenir au pouvoir au-delà de ses deux mandats constitutionnels. La RD Congo, le Rwanda, l’Ouganda, le Congo-Brazzaville n’échappent pas à la tentation. Tous ces chefs d’Etat qui se sont auto-satisfait d’être les artisans de la paix retrouvée se trouvent aujourd’hui en contradiction avec eux-mêmes et rattrapés par le temps dans la mesure où ils deviennent le scandale de la démocratie dont ils se sont tant vantés.

Aujourd’hui l’odeur du sang humain circule allégrement dans la région et on ne sent pas de mesures draconiennes pour empêcher que cette démocratie acquise au sacrifice ultime des peuples continue à se nourrir injustement de ce même sang des citoyens et que le pire n’arrive. Alors que les citoyens veulent mordicus défendre les valeurs de la démocratie pour le bien de leurs pays respectifs, les dirigeants politiques eux, se préparent en armes et munitions pour imposer leur « démon-cratie » du sang.

Au regard des tendances politiques actuelles, si rien n’est fait par la Communauté internationale, cette région risque d’être encore à feu et à sang avant la fin de cette décennie. Les révolutions citoyennes pour la sauvegarde des valeurs démocratiques, risquent de se transformer en carnage pour l’instauration des régimes iniques.

Quelles solutions possibles ?

La démocratie dans les pays des grands-lacs africains est confrontée aux conflits ethniques/identitaires, économiques et géopolitiques imposés qui gangrènent la région. Elle est aussi confrontée aux désirs tyranniques des chefs d’état actuels qui plutôt que d’asseoir la démocratie pour le bien de tous, veulent imiter les empereurs romains Caligula et Néron (le premier se roulait dans le sang de ceux qu’il avait assassinés de ses mains par ivresse sadique, le second fit incendier Rome pour jouir du spectacle d’une ville en feu)… Platon décrit le tyran comme "ne connaissant que la loi de ses désirs, celui-ci est prêt à tout pour les assouvir". Le tyran ne poursuit le pouvoir que parce qu’il est poursuivi par son propre désir.

Pour arriver à stabiliser et consolider la démocratie dans les grands-lacs, il faudra nécessairement un jour donner des solutions idoines à ces conflits qui obstruent l’incrustation de la culture démocratique dans les grands-lacs.

Certaines thèses ont été avancées par des spécialistes mais aucune n’a aujourd’hui attiré l’attention de la communauté internationale ni de la population, ni probablement rencontré les intérêts des uns et des autres.

Pour que la démocratie et par ricochet la paix progressent dans la sous-région et particulièrement au Congo, certaines "personnalités", dont l’ancien président français Nicolas Sarkozy, ont proposé le partage des richesses du Congo avec les voisins. D’autres, comme Pierre Pean ont préconisé le retour au Rwanda de la communauté tutsie congolaise puisque, estime-t-il, de Mobutu à Joseph Kabila, plusieurs actes encourageant son intégration dans l’espace national congolais ont été pris mais sans résultats probants. On en déduit que la communauté tutsie, tout au moins son élite n’a jamais réellement voulu l’intégration. Et cela conforte la thèse du tutsi land qui s’étendrait aussi sur le territoire congolais au détriment du Kivu.

Depuis l’indépendance, toutes les solutions préconisées se révèlent inadéquates, ajoute-t-il.

D’autres stratèges géopolitiques des grandes puissances mondiales soutiennent qu’il faut plutôt la balkanisation de certains états dans les grands-lacs puisque la démocratie peine à se déployer dans de trop grands pays. Le Soudan a été le pays test de cette approche, la RD Congo est dans l’œil du cyclone et probablement l’Angola suivrait. Malheureusement, l’expérience du Sud-Soudan est un échec patent et joue en défaveur de la balkanisation. Tout ce qu’on y a fait miroiter au peuple afin de voter pour l’autodétermination n’était que pire fantasme et vanité: aujourd’hui c’est la guerre sans fin, la faim, les violations graves des droits humains, le sous-développement,… Il n’y a ni paix ni démocratie à Djouba.

La dimension géographique d’un pays n’est donc en soi ni un obstacle ni un atout à la démocratie et à la paix. Les petits pays ne sont pas les plus démocrates que l’on connaisse. Le Rwanda, le Burundi, l’Ouganda, le Congo-Brazzaville n’ont rien de démocrates, bien au contraire.

A toutes ces thèses avancées, d’autres ne manqueront pas d’être formulées pour la sous-région des grands-lacs.

Pour certains peut-être faudra-t-il bien un jour se décider de faire du Burundi et du Rwanda des pays mono-éthiques en les répartissant entre l’ethnie hutue et l’ethnie tutsie. Cela pourrait se faire par référendum populaire, ou simplement penser à une confédération des états d’Afrique centrale selon le modèle de la colonisation qui, pour mieux gérer ces pays, en avait fait un seul espace administratif, une seule colonie : Congo-Rwanda-Urundi. Cela donnerait-il la chance à la paix et à la démocratie de s’installer définitivement? On en doute. Si en démocratie, c’est la voix de la majorité qui l’emporte, le respect des minorités en constitue aussi une valeur centrale. Chaque société a ses minorités. Croire qu’on peut en être exempté relève de la mystification, et ne peut conduire qu’à des tragédies.

Toutes ces solutions ne sont que des tâtonnements et des supputations qui bousculeraient l’équilibre politique mondial. La seule solution pour que la démocratie devienne effective dans les grands-lacs africains, c’est de respecter la souveraineté interne et externe de chaque pays. Respecter la souveraineté interne exige de tout citoyen (qui qu’il soit) le respect de la Constitution et des autres lois de la république votées au nom et pour le peuple, lesquelles définissent bien les règles de jeu. Il ne faut pas le personnaliser et en faire des œuvres de circonstance taillées sur mesure. La légitimité a besoin de la légalité et inversement car si on sacrifie la loi de la cité, on risque de nuire à l’humanité, disait Bertrand Vergely dans son livre « les grandes interrogations politiques. »

La souveraineté externe quant à elle suppose le non ingérence dans les affaires d’autrui tant que cela ne trouble pas la paix mondiale. Ainsi la démocratie s’installera pour le bien de tous.