lundi 5 février 2018

Les élections sous conditions en RD Congo... Qui, pour y croire?

En novembre 2017, après le passage à Kinshasa de la diplomate américaine auprès de l’ONU Nikki Haley, la commission électorale nationale indépendante (CENI) a publié un calendrier électoral, sous une pression internationale sans pareille. La femme d’Etat américaine avait lâché que : « les USA ne financeront pas les élections qui iront au-delà de 2018 ». Quelques jours seulement après cette déclaration, le calendrier est sorti, alors que pendant toute l’année, le peuple réclamait en vain à corps et à cris sa publication conformément aux accords politiques signés sous l’égide de la conférence épiscopale du Congo, « CENCO », lesquels prévoyaient les élections au 31 décembre 2017.

En effet, les évènements se suivent et ne se contredisent pas et comme disait Machiavel: « celui qui ne perçoit pas les maux quand ils naissent n’est vraiment pas sage ».

En janvier 2015, le pouvoir Kabila voulut passer en force en conditionnant les élections prévues à la fin de son deuxième et dernier mandat constitutionnel, soit le 19 décembre 2016, à un recensement de la population qui devait durer minimum trois ans. Le peuple s’y était farouchement opposé. Des manifestations pacifiques durement réprimées ont obligé à trouver de nouvelles stratégies. On aura alors le dialogue de la cité de l’UA sous la conduite du togolais Edem Kodjo, le dialogue du centre interdiocésain avec la CENCO, les différents discours politiques des hommes au pouvoir, la non application délibérée des accords de la Saint-Sylvestre avec ses arrangements dits particuliers, la mauvaise foi manifeste dans la nomination des acteurs de la commission nationale de suivi des accords (CNSA)… Tout cela suscite évidemment un doute permanent et logique sur la volonté réelle du pouvoir de Kinshasa d’organiser des élections démocratiques, libres et transparentes, et ce, en dépit du calendrier électoral publié par la CENI.

Un calendrier électoral piégé par des « contraintes »


D’abord, faut-il rappeler que ce calendrier est déjà le troisième proposé. Les deux précédents n’ayant jamais été appliqués faute d’un consensus politique requis pour ce faire. L’actuel le sera-t-il au regard du contexte ? Ne porte-t-il pas déjà à son sein des germes de sa non-exécution ? Le non-respect effectif et de bonne foi des arrangements particuliers additionnels à l’accord politique du 31 décembre 2016 par les parties prenantes, n’est-ce pas là un obstacle majeur ? Comme le clame l’opposition politique, il faut crédibiliser le processus; il n’y a pas moyen d’aller aux élections dans un climat de méfiance totale entre les parties concernées. Autant d’éléments intrinsèques à ce calendrier font de lui la visée de toutes les analyses et des citoyens qui le boudent ou l’accueillent, à tort ou à raison, avec réserves et suspicions. Le moins que l’on puisse dire est que les conditions politiques actuelles ne sont pas rassurantes: les répressions et les atteintes aux libertés fondamentales, la promulgation d’une loi électorale aux allures de défi politique, l’arrogance du régime…

Par ailleurs, depuis sa publication, ce calendrier est assorti de quatre types des contraintes qui, selon la CENI, conditionnent son exécution effective: les contraintes légales, les contraintes financières pour l’organisation des scrutins, les contraintes logistiques et les contraintes politiques, sécuritaires. Ainsi, dix-sept contraintes réparties dans ces quatre types ont été publiées en annexe du calendrier par la CENI. Aux yeux du citoyen lambda, considérant le manque manifeste de volonté politique, ces contraintes risquent d’être le prétexte fondamental ou le cheval de Troie pour justifier la non-tenue des élections… Procès d’intention ou dissection prospective?

Les élections ne se préparent pas en un jour ni en un an mais durant toute la mandature; c’est dès le premier jour du début de son mandat qu’un gouvernement responsable prépare les élections prochaines. Et donc, en principe, c’est depuis 2011 que le pouvoir actuel est sensé les préparer, à travers ses différents budgets annuels. Mais, paradoxalement, depuis lors, le gouvernement crie à qui veut l’entendre qu’il n’a pas d’argent pour organiser les élections et multiplie des alibis politiques pour conserver illégitimement le pouvoir au-delà des prescrits constitutionnels. Entre-temps les hiérarques du pouvoir et leurs dépendants s’enrichissent cyniquement au détriment de la population dont la misère s’accentue chaque jour davantage.

Les contraintes ou pièges électoraux ?


Est-il un seul pays au monde qui a organisé les élections sans aucune contrainte, technique ou financière? Qu’est-ce qu'une contrainte au regard d’une volonté politique de faire? Ces contraintes ne constituent-elles pas en filigrane une sorte d’hyperplasie étatique qui risque d’asphyxier la tenue des élections, voire la CENI elle-même si jamais les échéances prévues ne sont pas tenues! Gouverner c’est prévoir; prévoir c’est prévenir!

Le pouvoir de Kinshasa a la majorité parlementaire requise dans les deux chambres de représentants; ainsi en dehors d’une stratégie politique, rien ne justifierait la non-adoption (dans le temps) des lois et autres mécanismes exigés pour l’organisation des élections. Il en est de même pour les contraintes financières et sécuritaires. La mobilisation des recettes est effective au pays, elle est caractérisée par des tracasseries financières (multiplicité des services), la surtaxation (double imposition, …) jusqu’à étouffer les initiatives locales. Toutes ces taxes n’ont pas de contreparties réelles et visibles. Alors où va cet argent pour que l’Etat puisse manquer de quoi organiser les élections? C’est sans parler des pillages et privatisation systématiques des ressources nationales par les hommes du régime…

En ce qui concerne le défi sécuritaire, il est curieux d’avoir des services à même de réprimer farouchement les manifestations pacifiques de la population, mais incapable d’endiguer l’insécurité sur le territoire national. A qui profite donc l’insécurité qui sévit sur l’étendue du pays particulièrement à l’Est? Nos articles précédents sur le blog peuvent y répondre. La vraie contrainte, c’est la privatisation des prestations des services publics (Armée, Police, Renseignement, Administration…) au profit d’un individu ou d’un clan politique.
Pourtant, le meilleur moyen de durer au pouvoir est d’avoir le peuple avec soi, tous les autres moyens sont des palliatifs, dit-on.

Malgré les contraintes évoquées, les élections présidentielles sont projetées au 23 décembre 2018, une date importante mais qui pourrait elle aussi passer à la trappe, comme celles du 19 décembre 2016 ou du 31 décembre 2017, très attendues par les congolais mais qui sont restées sans suites (fin effective du dernier mandat de Kabila et application de la constitution d'élection présidentielle selon la volonté de l’accord de la CENCO). « Celui qui vit d’espoir meurt de faim », dit-on. Cette date du 23 décembre 2018 sera-t-elle la vraie, la meilleure qu’attendent tous les congolais, la dernière du feuilleton ? Machiavel dit que « les hommes sont simples et obéissent si bien aux nécessités présentes, que celui qui trompe trouvera toujours quelqu’un qui se laissera tromper. Mais qu’il faut savoir que la nature des peuples est changeante, qu’il est facile de les persuader d’une chose mais difficile de les maintenir en cette persuasion ».