jeudi 21 octobre 2021

Allo Jeunesse de la RD Congo

Un mouvement de résistance collective est-il possible? A quand le réveil?

Un après-midi ensoleillé du 30 octobre 1996, au lendemain de la prise de la ville de Bukavu à l‘Est de la RD Congo par les forces de l’AFDL(1) conduite par un certain Laurent Désiré Kabila, j’assistais, à mes heures perdues, à un match de football entre jeunes de la commune de Kadutu, la commune la plus bouillante de la ville déjà occupée.

Certains parmi ces jeunes n’en avaient même pas conscience. Pensif, je les écoutais avec une inquiétude mêlée d’indignation.

Horrifiée par l’assassinat, la vieille, de l’archevêque de Bukavu, Mgr. Christophe Munzihirwa, la population désemparée, ne savait ni où aller ni où ne pas aller. Elle courrait dans tous les sens, dans un sauve-qui-peut général. Quant à l’ampleur de la peur, je laisse ce travail au caprice de l’imagination du lecteur du présent article.

J’assistais, oui, disais–je, à un match de foot, quand j’entendis dans un étrange swahili (pire que mon anglais) un militaire de passage dire à son collègue, fusil AK 47 en bandoulière : «Namna gani kweli hawa wavijana hawawezi pigania nchi yao ? Tulikamata mji bila ku pigana : Ni vijinga!» cela signifie «Comment de si nombreux jeunes ne peuvent pas défendre leur pays? Nous avons pris la ville sans pratiquement nous battre! Quelle idiotie?»

Vingt-cinq ans après, il y a quelques mois, un ami allemand, professeur de foresterie tropicale, avec qui je discutais de la problématique de l’aide au développement, me fit aussi cette boutade métaphorique: «Connais-tu ce qu’on appelle la dormance des semences en agroforesterie?»«Affirmatif», répondis-je.

«Alors, as-tu une idée sur la durée de dormance des autorités de votre pays? Et la jeunesse de votre pays, ou est-elle?» Perplexe et, pris de court, je balbutiais quelques arguments, peu convaincants, dans un anglais approximatif.

Ces deux critiques faites à des périodes différentes par des gens d’horizons différents ont suscité encore en moi une réflexion ou plutôt un questionnement: à quand le réveil de la jeunesse congolaise? Peut-on, à l’instar d’autres pays, créer avec elle un mouvement de résistance collective nationale et démocratique?

C’est l’objet du présent article.

On espérait que le printemps arabe allait se métastaser sur l’ensemble du continent africain. Il n’en fut rien, à part quelques frissons provoqués chez quelques dictateurs du continent noir suite à la fuite de leur collègue Blaise Compaoré, chassé par la jeunesse en furie au Burkina Faso.

Mis à part quelques "ilots de paix" en Afrique australe, le continent va mal. Sur son ensemble et dans chaque Etat, chaque jour nous apporte son lot de nouvelles qui humilient, provoquent l’effroi, découragent et avilissent les africains.

Des pratiques disparues depuis des siècles sous d’autre cieux y sont toujours courantes: crimes rituels et ou sacrificiels consistant à égorger les enfants, esclavagisme, excision des femmes... Ceux d’entre nous, africains, qui avons eu la chance de franchir un certain niveau d’instruction laissons les choses se gâcher.

Des millions d’étudiants jeunes, ambitieux et parfois talentueux sont largués sur le marché de l’emploi où il n’y a pas d’offres. Des millions d’autres sont sur les bancs des facultés, étudiant pour étudier.

Tous sont silencieux. Aucune question sur la situation de leurs pays, sur l’emploi et donc sur leur futur. Pourtant l’emploi est une chaîne qui lie chaque jeune à la vie et à son Etat. Et lorsque l’Etat échoue à garantir l’emploi pour ses jeunes, il s’insécurise(2).

Selon le chercheur congolais Kodila Tedika, le taux de chômage est estimé à plus de 80% en RDC (bien que les autorités le considèrent légèrement en dessous de cette barre). «Ce chômage peut-il baisser?»(3), s’interroge le chercheur.

Compter sur la jeunesse aujourd’hui pour un mouvement de résistance collective?

La réponse me semble hélas négative. Regardez: les régimes changent, sans savoir comment. Les militaires renversent les civils -bien ou mal élus- par des coups d’état (Mali, Tchad, Guinée Conakry,…) , ici on viole la constitution et les droit humains, là-bas, des guerres civiles, un peu à côté, des massacres d’enfants et autres innocents avec une cruauté humainement inimaginable (RDC, Burundi, Mali, Nigeria, Niger, Tchad, Burkina Faso, Cameroun, Ethiopie, République Centrafricaine, Mozambique, et l'Afrique du sud qui occupe la première place, peu enviable, du pays le plus criminogène au monde selon les médias).

Dans presque tous ces pays, ’’la dormance'’ de la jeunesse est totale, un dangereux immobilisme. Même pas l’expression d’une simple indignation!

A ma réflexion, ces jeunes devraient être des flammes de liberté, de justice, de porte-parole des opprimés, cette flamme qui enflamme et qui augure une aube nouvelle. Mais, observez-les!

Echangez avec eux et vous serez surpris! Pour le plus grand nombre, ils n’ont pas d’opinion exprimée sur la politique générale et sur le destin de leurs pays, et ceux qui en ont, ne s’expriment pas!

Comment peut ont être silencieux jusqu’à laisser aux autres la liberté de s’arroger le pouvoir de décider sur votre sort? (Peut être font ils partie de ce que le poète allemand Berthold Brecht appelle, ironiquement, analphabètes politiques).

Et pourtant, ils peuvent poser des questions, s’en poser, remuer des idées, les défendre, contester et protester, dire non quand le oui n’est plus possible. Tous cela fait partie de leur mission, non seulement en tant que jeunes mais aussi en tant que citoyens (peut-être qu’ils n’en sont pas conscients)

De près, on découvre que leur silence (et le nôtre aussi) permet à n’importe qui d’envisager n’importe quel retournement et détournement au sommet de l’état, et cela en toute impunité.

Quant aux chefs d’états, ils peuvent rester au pouvoir autant qu’ils le veulent. Paul Biya s’est approprié le Cameroun depuis 1982 ! Museveni l’Ouganda depuis 1986 et Denis Sassou Nguesso la République du Congo... qui le suivent à la traîne. Silence et une indifférence de tous, semblable à une abdication, à un renoncement, voire un stoïcisme humiliant qui permet à n’importe quel officier disposant de quelques hommes et quelques cartouches de s’emparer du pouvoir avec la certitude de ne se heurter à aucune opposition.

Alpha Condé, professeur de son état n’avait vu venir aucun signe de la tempête qui l’a emporté ce 5 septembre 2021. Et il ne regardait même pas du côté où elle allait surgir, lui qui, à 83 ans, venait de violer la constitution pour se faire un… troisième mandat. J’imagine les ambassadeurs qu’il a choisi, arrachant vite ses portraits dans leurs bureaux pour les remplacer par ceux du nouveau chef de la junte avant même la formation du nouveau gouvernement. Quelle honte !

En RD Congo, rien ne marche. La rentrée scolaire prévue le 4 octobre n’a pas eu lieu. Les enseignants sont en grève pour des raisons salariales. Les personnels soignants des institutions sanitaires avaient procédé il y a deux mois à une grève. Grogne par ci, grogne par là au sein de l’administration publique où les fonctionnaires travaillent sans enthousiasme et sans foi. Des syndicalistes de certaines structures étatiques réclament des arriérés de plus de 32 mois. Le problème du RAM (Registre des appareils mobiles) est venu empirer une situation déjà précaire. La colère des congolais est au comble. (Le RAM est une taxe illégale sur les appels téléphoniques, imposée à tout congolais détenant un téléphone mobile quel que soit son rang social et cela à son insu: une pire escroquerie d’état instaurée par une politique anti pauvre.)

Ailleurs ce serait la goutte qui ferait déborder le vase!
Chez nous, somnolence ou dormance?

Un mouvement de résistance collective est-il possible, et d’où peut-il venir?

Il est possible. Mais, comme toute résistance il ne peut s’improviser. L’esprit et l’élan de la résistance ne suffisent pas. Je pense qu’il faut d’abord une vision, une volonté de résistant, de l’audace, de l’aventure et un esprit de risque. Il faut également une tactique et une stratégie nouvelle.

Il faut une immense aspiration à un changement radical, un renversement des structures dont on s’est aperçu qu’elles étaient désuètes, car les hommes politiques africains sont les derniers à s’apercevoir de la nécessité de leur disparition.

D’où peut-elle venir?

Partout le peuple souffre et exprime une immense aspiration à un changement radical et peut souhaiter un renversement des structures formées des parvenus politiques rongées par la corruption et le népotisme, signant des alliances avec des partis politiques, lesquels, en réalité ne sont que des armatures vides et offices de placements, indifférents devant la misère de leurs administrés.

Babeuf excédé hurla de colère : «Que le peuple renverse toutes les anciennes institutions barbares. Que la guerre du riche contre le pauvre cesse d’avoir ce caractère de toute audace d’un côté et de toute lâcheté de l’autre. Oui je le répète, tous les maux sont à leur comble .Ils ne peuvent se réparer que par un bouleversement total»(4).

On est tenté de penser qu’il s’adressait aux congolais!

Les universités et les milieux estudiantins sont souvent les terreaux de la résistance. Seulement, il faut les conscientiser sur la nécessité de s’impliquer dans la prise du pouvoir par des hommes nouveaux, représentatifs des forces nouvelles substituant un ordre nouveau à un ordre ancien, contesté et honni et le substituer par des équipes décidées à l’aventure révolutionnaire. C’est une expérience qu’il faut concrétiser.

Interrogeons l’histoire d’autres peuples

Après la fusillade du champ de mars en juillet 1791, Gracchus Babeuf prononça ce discours: «Perfide, vous criez qu’il faut éviter la guerre civile, qu’il ne faut jeter parmi le peuple les brandons de la discorde. Et quelle guerre civile est plus révoltante que celle qui voit tous les assassins d’une part et les victimes sans défense d’autre part?» (5)

Et le prêtre Jacques Roux qui conduisait "les enragés" d’ajouter en la même période «la liberté n’est qu’un vain fantôme quand une classe d’hommes peut affamer l’autre impunément. L’égalité n’est qu’un vain fantôme quand le riche, par son monopole, à droit de vie et de mort sur son semblable. La république n’est qu’un vain fantôme quand la contre révolution s’opère de jours en jours par le prix des denrées auquel les trois-quarts de citoyen ne peuvent atteindre sans verser de larmes… Citoyens représentants, il est temps que le combat à mort que l’égoïste livre à la classe la plus laborieuse de la société finisse!» (6)

Et de poursuivre plus loin. Et Saint Just fait écho à Roux: «la liberté ne peut s’exercer que par des hommes, à l’abri des besoins»(7)

Il s’agissait pour eux de réveiller les colères contenues, de stimuler le goût de la résistance démocratique collective.

Plus de 200 ans après, ce discours garde son actualité en Afrique noire et plus particulièrement en RD Congo. Beaucoup de Congolais ignorent l’existence de ces précieux discours libérateurs, des grands leaders de l’après révolution française de 1789.

De la connaissance naît le combat, du combat la liberté et les conditions matérielles de la recherche du bonheur, dit Jean Ziegler et citant Régis Debray, il ajoute: «la tache de l’intellectuel est d’énoncer ce qui est, sa tâche n’est pas de séduire, mais d’armer»(8)

Est-ce utopique de rêver d’une résistance démocratique collective en RDC ?

Non, même si cela peut prendre du temps, la misère a atteint son paroxysme. Et même si c’est utopique, ce n’est pas un problème. Ce sont les personnes qualifiées "d’utopistes" qui ont été à la base des mouvements qui ont révolutionné ailleurs le monde.

Selon Henri Lefebvre, «l’utopie est ce qui est au-delà de l’horizon. Notre raison analytique sait avec précision ce que nous ne voulons pas, ce qu’il nous faut absolument changer… Mais ce qui doit, ce que nous voulons, le monde totalement autre, seul notre regard intérieur, seule l’utopie en nous, nous le montre… la raison analytique est un carcan, l’utopie est le bélier »

Jean Ziegler, «sans les utopistes toute l’humanité, toute espérance auraient depuis longtemps disparu de notre planète»

Où trouver alors les acteurs ?

Dans beaucoup de pays, faut-il le rappeler, le milieu estudiantin reste le terreau de la contestation, de la résistance. A eux, il faut joindre les "bataillons" des jeunes paysans et paysannes structurés dans des îlots de développement, les organisations de la société civile plurielle, les universitaires chômeurs. Les jeunes sans emplois, les motocyclistes, les élèves, les enseignants… les jeunes selon des nombreux rapports, représentent 60% de la population dont plus de 8o% sont au chômage. Ce sont des acteurs potentiels.

On se rappelle de la révolte des étudiants en France en mai 1968. On croyait ce pays engourdi, anesthésié: l’on s’est aperçu qu’il recelait des jeunes forces révolutionnaires (insoupçonnées) et qui, à l’honneur de la France, ont renoué avec la tradition de Danton, Proudhon, de Jaurès,… (9)

De telles forces existent dans tous les pays, il suffit d’une étincelle pour les mettre en mouvement.

Le 4 juin 1969, à Kinshasa, RD Congo, les étudiants réunis au sein de l’UGEC (Union Générale des Etudiants Congolais, repartis dans les 3 grandes universités du pays, Kinshasa, Kisangani, Lubumbashi) organisent une manifestation pacifique. Ils réclament notamment du gouvernement, des meilleures conditions de vie sur le campus. Ils protestent également contre la dérive autoritaire de Mobutu et s’insurgent contre l’inféodation à l’égard des intérêts économiques et financiers étrangers. La réaction des autorités est brutale et se solde par des dizaines de morts, l’université est fermée.

Auparavant, les leaders de l’UGEC, alors adeptes du socialisme scientifique avaient apporté leur soutien au régime de Mobutu suite à la nationalisation de l’Union Minière du Haut-Katanga (NMHK) et à la désignation de Patrice Emery Lumumba comme héros national, une mesure dont ils étaient par ailleurs des inspirateurs. (10)

La rupture de Mobutu avec les associations estudiantines est survenue suite à la décision de Mobutu d’indemniser les anciens actionnaires de l’UMHK. Décision vécue par les étudiants comme une capitulation. Le mouvement des étudiants congolais reprochait également à Mobutu sa proximité avec les intérêts américains.

Même si actuellement on observe une léthargie dans les milieux estudiantins congolais, l’histoire se souviendra de leur mobilisation à l’échelle nationale, en mai 2004, contre l’occupation de la ville de Bukavu par les mutins du général Nkunda Batware et du colonel Jules Mutebusi. Le thème de la défense de la souveraineté du Congo avait temporairement fédéré les milieux estudiantins de la RD Congo (11).

Des dizaines des véhicules et autres biens de la MONUC (Mission des Nations unies au Congo) à cette époque avaient été incendiés par des étudiants congolais à Kinshasa, Kisangani, Lubumbashi… Sous la pression de la communauté internationale, les mutins lâchèrent la ville et la quittèrent … sur la pointe des pieds.

Comme l’illustrent ces cas, les semences pour une résistance démocratique collective sont partout mais souffrent d’une «dormance». Une semence en dormance prolongée doit être traitée pour stimuler une rapide germination dit-on en agroforesterie.

Il en va de même pour la jeunesse de la RDC. Il faut « la traiter » par des séances de conscientisation et stimuler en eux l’esprit de résistance démocratique, de la bourgeoisie de l’esprit, base de toute civilisation.

Il faut étouffer en eux cette tendance à la fragmentation, au communautarisme, contraires à la formation des mouvements sociaux coordonnés et pérennes.

Les jeunes doivent transcender la logique régressive des microgroupes d’appartenance tribalo ethnique (Association de ressortissants de… Des jeunes de..., Des étudiants de...) qui désintègre la citoyenneté et rend inopérante tout élan de résistance nationaliste, pour combattre des systèmes politiques anti-pauvres et cesser d’assister, impuissants à d'insoutenables inégalités, à des chômages de masses. Il faut je crois, une articulation des luttes locales et une coordination nationale de ces luttes.

Hervé

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(1) Alliance de Force Démocratique pour la Libération, rébellion conduite par Laurent Désiré Kabila, soutenue par le Rwanda et l’Ouganda et qui renversera la dictature de Mobutu Sese Seko en mai 1997.
(2) Fumukivau Michael, les déterminants du chômage parmi les jeunes diplômés, mémoire de licence en économie, inédit, Kinshasa, 2015 dans son article comment vaincre le chômage en RDC.
(3) Oasis Kodila Tedika, économiste analyste : www.unmondelibre.org.2009
(4) Jean Ziegler, le pouvoir de la honte, P. 20. Citant Albert Souboul, Ed fayard 2005
(5) Jean Ziegler, Op cit
(6) Jacques Roux, Manifeste des enragés remis à la convention, remis le 25 Juin 1793 Cite par Jean Ziegler, op cit p 26
(7) idem
(8) Régis Debray, cité par Jean Ziegler Op. cit.
(9) Béchir Ben Ahmed, Jeune Afrique Livre, Barcelone, 1989, P. 162
(10) Michel Lutumbwe, Etat de résistance dans le sud, Op. cit.
(11) Idem








samedi 18 septembre 2021

RDC, un vibrant appel à la prise de conscience nationale s’oblige !

"J’en appelle à une prise de conscience". Qui doit lancer cet appel et à qui s’adresse-t-il ?

On entend de plus en plus souvent cette petite phrase clôturer certaines allocutions et discours citoyens menés ces dernières années en RD Congo. Apparemment, pour plusieurs, cette petite sentence revenue maintes fois aux termes des discussions sur l’avenir du pays ne fait allusion à rien d’autre qu’à la conscientisation prise pour panacée au mal qui ronge la RD Congo, mastodonte aux pieds d’argiles qui n’arrive toujours pas à se mettre débout. La société civile, le monde politique, de l’intérieur comme de l’extérieur du pays, ne disent pas le contraire. Cet appel s’entend également dans les propos de certains politiciens en fin mandat. Car, en plein exercice de leur pouvoir, ils entretiennent des relations de chiens et chats avec les associations et les mouvements citoyens d’éveil de conscience nationale. C’est après coup qu’ils finissent par se rendre compte que le déficit de conscience nationale a été à la base des problèmes que connaît le pays.

Loin d’une simple formule protocolaire et encore moins un refrain de routine qu’entourerait cet appel à la prise de conscience, il est indéniable que le tableau que présente la RD Congo mérite à tous égards une pédagogie de la conscience, surtout, quand on se rend compte que ce sont les étrangers qui s’improvisent lanceurs d’alerte de premier ordre pour les "ça ne va pas" encourus au pays. Ils portent plus haut et plus fort encore leur indignation sur la situation du Congo que les congolais eux-mêmes, victimes et premiers concernés…

Tout récemment, il y a près de deux semaines, c’est Alain Foka, un journaliste camerounais d’investigation qui éveille la conscience du congolais sur l’exploitation illicite des minerais par les chinois sous la barbe des autorités et des compatriotes congolais à Kamituga, à Kolwezi, à Lwalaba(1)... Longtemps avant, en 2009, Charles Onana, politologue journaliste d’investigation franco-camerounais dénonçait avec véhémence la politique de Kigali/Rwanda vis à vis des abus et crimes commis sur le sol congolais(2). Dieu merci, ce combat est petit à petit en train d’être porté haut par le prix Nobel Denis Mukwege partant du rapport Mapping et du plaidoyer pour une juridiction du genre Tribunal Pénal International ou un Tribunal Pénal Spécial pour le Congo comme ce fut le cas pour d’autres pays dans des situations analogues. En 2013 au 50e anniversaire de l’UA(3), Cheik Tidiane Gadio, un homme politique sénégalais annonçait haut à la tribune de l’UA des injustices que des africains commettent sur d’autres africains en stigmatisant le rapt sur les richesses de la RD Congo de scandale permanent. Et encore aujourd’hui les dirigeants n’arrêtent pas à signer des contrats non gagnants pour l’exploitation des ressources naturelles de la RD Congo.

De tous les temps, il y a lieu de s’interroger: où sont-ils passés, les élus du peuple, la société civile et les faiseurs d’opinions? Où s’est-il terré l’élan inhérent à toute population à revendiquer son droit à la vie auprès des dirigeants qui en détiennent les clés? Dommage, face aux dirigeants qui disposent des prérogatives et moyens de l’Etat pour agir, le congolais, suite à sa vulnérabilité/appauvrissement, a perdu l’estime de soi et par ricochet son droit à la parole. Hélas, dans la société congolaise extrêmement inégalitaire où il faut être au pouvoir pour accéder et jouir de la richesse, de la sécurité/protection, de la dignité; il n’est pas étonnant que la violence soit un des moyens privilégiés pour exprimer les revendications. Cette violence se manifeste souvent par la création des groupes armés dans les coins et recoins du pays. Phénomène qui a atteint à ce jour une telle ampleur qu’il devient un véritable casse-tête difficile à éradiquer. Violence également en termes d’intolérance communautaire qui s’exprime à travers une criminalité grandissante, à partir des règlements de compte allant jusqu’à la consécration de la justice populaire comme raccourci à faire prévaloir les droits des communautés… (Le FPT(4) en tant qu’école apprend non seulement à formuler les besoins mais surtout apprend à la communauté/population dépourvue de tout moyen de faire entendre sa voix, à savoir identifier la cible vers laquelle orienter ses légitimes revendications). Dans cette jungle/imbroglio/précarité, les exploitants miniers étrangers des multinationales, chinois, américains tirent profit de cette faiblesse pour surexploiter les richesses naturelles de la RD Congo. La population médusée est dans l’ignorance totale. Pareille posture dénote des états faibles, généralement pilotés par des mercenaires, des aventuriers et en face d’une population enfoncée dans l’instinct d’asservissement.

Un regard dépité sur quelques situations…

Enormes sont les défis liés à la prise de conscience nationale dans le pays. Surtout qu’il n’est pas de secteurs sur lesquels compter pour tracer de bonnes pratiques en la matière à diffuser en termes de supports à la conscientisation du congolais.

Dans une page des médias intitulée "Steve Mbikay monte au créneau pour dénoncer les pseudo diplômés d’Etat en RD Congo", ce dernier Ministre de l’enseignement supérieur et universitaire sous Joseph Kabila montre comment tous, nous assistons impuissants à la détérioration du pays. L’enseignement est bâclé depuis le bas niveau. On fabrique, on achète les bulletins, on triche (appelé le labo), on pratique la corruption et tout le monde trouve que c’est normal… Et à Steve d’ajouter qu’on a besoin de gens rodés et, finit par lancer un moratoire de 10 ans, 20 ans pour casser ce cycle d’antivaleurs. Les étudiants tricheurs, arrangeurs avec les enseignants ainsi qu’avec l’administration pour acquérir le diplôme sans acquérir aucune connaissance et, cela d’année en année. Ce qui fait que sur le marché de l'emploi on déverse un produit intellectuel de qualité médiocre. En terminant son allocution par la sentence susmentionnée, Steve Mbikay, ministre honoraire fait un aveu cinglant d’échec de tout le système national d’enseignement…

L’insécurité sévit un peu partout dans le pays (mais de façon plus prononcée à l’Est de la RD Congo). Sous la présidence de Joseph Kabila, cette insécurité a occasionné des sorties de fonds importants du trésor public en mode urgence et qui, de facto, ont relégué au dernier plan les autres secteurs vitaux de la nation. Ce qui a immanquablement favorisé un glissement de deux ans de bonus de législature en sa faveur. Aujourd’hui, l’état de siège mis sur pieds pour traquer les ADF/Nalu avec l’installation des gouverneurs militaires et policiers dans la partie est de la RD Congo est à sa 7e prorogation. Ni la paix ni le calme ne sont rétablis. Par contre, des attaques plus musclées de ces terroristes se sont démultipliées… Sur terrain, des complicités signalées de certains responsables politiques et militaires sensés éradiquer ces ADF rendent quasiment inopérante la stratégie. Pire, des détournements des soldes affectés aux unités combattantes démotivent davantage ce front. Des révélations faites par Africa  Intelligence, ce quotidien du continent, qui publiait le 26/08/2021 sous le titre "Bras de fer sur les bataillons fantômes et les généraux à la retraite" fait état d’un gap important de dizaines de milliers de soldats entre les soldats officiellement déployés dans la Province et ceux qui ont pu être effectivement comptabilisés… Entretemps les populations continuent à être décimées en masse. Certains restent même sceptiques quant aux récents accords de coopération militaire signés entre la RD Congo et les Etats-Unis d’Amérique pour cette fin.

L’administration publique, voûte de l’état, s’enfonce du jour au lendemain à la merci du politique qui tient à résorber des affidés des partis et regroupements politiques. L’unité nationale et le rejet de l’identitaire tribal et ethnique qui font le mérite du règne de Mobutu sont revenus au galop. Ceux qui prennent le pouvoir mettent à l’écart ceux qui y étaient pour y installer les membres de leurs familles biologiques et politiques et/ou rajouter du personnel pléthorique sans attribution en attendant qu’une fois hors du pouvoir les nouveaux venus installent les leurs et vice versa. La qualité du travail s’effrite. A longueur de journée, on ne court que derrière le contribuable, des commissions, des retro commissions, le bradage du patrimoine public jusqu’à dépouiller l’état même de ses infrastructures de base. Au stade actuel, l’Etat est littéralement dépossédé de tout(5).

Une justice injuste parce qu’aussi au solde de tout pouvoir venant. Aucune neutralité du corps judiciaire. Tout s’y marchande au plus coûtant et malheur à quiconque tombe dans son filet car, plaignants et accusés n’y sortiront pas sans se déplumer. Les verdicts sont prononcés en faveur du plus offrant… C’est d’ailleurs ce qui entraîne à des règlements de compte et à la culture de se rendre soi-même justice. Une impunité qui gangrène toute la société et nombre de citoyens s’y accommodent faute de recours. Et le tout se manipule par le politique pour l’argent et le pouvoir. Nous pouvons nous étendre sur tous les autres secteurs et ce ne sera que de même.

D’autre part, une grande partie de la société civile est atomisée et réduite à un mode opératoire qu’on qualifierait d’activisme canapé, celui de dénoncer à partir des réseaux sociaux et des médias communautaires sans se concentrer sur les véritables stratégies d’une lutte coordonnée. C’est dans cet élan qu’on lira dans les réseaux sociaux des titres du genre : "Danny Singoma, Coordonnateur du Cadre de Concertation de la Société Civile, monte au créneau pour interpeller les autorités sur la détérioration du social et en appelle aussi à la prise de conscience collective pour lutter contre ce fléau aux effets multiples".

La lueur d’espoir pour la RD Congo : refuser de sombrer définitivement…

Le schéma de CRESA(6) asbl arcbouté sur une véritable pédagogie de conscientisation est parti du postulat que : "la crise de conscience dans le pays est transversale à tous les secteurs de la vie de la nation". Et de poursuivre en effet, qu’"une fois qu'il y a prise de conscience, il y a lieu que bon nombre de situations suivent et trouvent des solutions concertées. La RD Congo en général et les entités dirigeantes locales vivent dans cette crise permanente de conscience depuis des décennies. Ce qui a entrainé aux antivaleurs et empêché la prise en main de son développement."

Devant un état des lieux des plus alarmants où tous les secteurs de la vie nationale sont désarticulés, dos au mur, en face presque de l’absurde, dans la recherche d’un bon bout, Etienne Bisimwa(7) publia en 2018 une réflexion titrée "Par où commencer?" et fit quelques suggestions porteuses d’espoir. Mais aujourd’hui, trois ans plus tard, la situation n’a fait que s’empirer au risque de verser dans une logique du verre à moitié vide et au pire des cas de basculer plus loin vers la citation du poète romain Catulle(8): "Encore un peu de patience et tout finira mal".

En définitive, avec un secteur de l’enseignement où la qualité laisse à désirer et où les diplômes produits ne seraient plus que des papiers, les services de sécurité (police, armée et l’intelligentsia) ne travaillent convenablement que pour sécuriser une catégorie de la population, les plus nantis. L’administration publique ne peut plus constituer ce socle des politiques de toutes les législatures, la justice qui ne peut plus rien réglementer: alors le problème se résume en une nette absence de l’autorité/pouvoir de l’Etat. Dans pareille situation, la théorie des fenêtres cassées(9) expérimentée par le Professeur Philip Zimbardo aux Etats-Unis nous démontre que la cité se permettra des antivaleurs, voire la criminalité, et s’y encastrera. En effet, si, sous d’autres cieux, l’alternance au pouvoir par des courants politiques (de gauche ou de droite) a joué à l’équilibre et d’office de garde-fou pour les populations le cas échéant, il s’avère que les partis et regroupements politiques de la RD Congo ne défendent pas un idéal précis. La course au pouvoir pour le pouvoir les aveugles et leur précipitation à s’embourgeoiser ne permet pas non plus de porter le courant des valeurs sacro-saintes de paix, de justice, de travail et d’amour du pays et de ses habitants. Pas de courant de gauche ni de droite. Tous ballottent au grès des vagues, mangent à tous les râteliers, font de la politique le moyen rapide pour mettre la main sur l’argent de l’Etat et ne tiennent plus compte du souverain primaire car, confiant du tripatouillage des élections, on n’hésite pas à clamer qu’avec ou sans leur vote ils seraient là où ils se retrouvent! C’est ainsi qu’à peine un mandat a commencé, plutôt que de travailler dur ne fût-ce que pour le social des populations et faire preuve d’efficacité, on commence immédiatement à affuter des stratégies pour s’enkyster au pouvoir. C’est ce genre de hantise que la littérature électorale qualifie de  "fraude légale". Cette pratique machiavélique consiste, le cas échéant, à placer ses pions dans toutes les instances susceptibles d’influer sur le déroulement du processus électoral. Elle se miroiterait notamment en désignant le président de la CENI(10), de la cour constitutionnelle, en soudoyant les députés nationaux, en changeant la direction de la Banque Centrale, en précipitant la promotion des officiers de l’armée et de la Police…

Le relèvement du Congo en appelle à une prise de conscience. Pas de relèvement sans prise de conscience… Avec cette désarticulation constatée à l’échelle nationale, le Congo est finalement ce pays qui marche en pièces détachées. Il faudrait bien commencer par un appel à la prise de conscience nationale.

Plus bas on est descendu, mieux on peut comprendre la nécessité de la médication, car toute démarche de conscientisation passe par la compréhension et l’appropriation d’un état des lieux qui suscite des analyses en profondeur. Dans la pratique, cette démarche doit arriver à déterminer, de manière participative, les relations de causes à effets pour enfin assembler du matériau sur base duquel on peut commencer à construire.

Tous en appellent à la prise de conscience(11) comme si elle devait se décréter alors qu’on est face à un processus normatif qui dispose des étapes pour passer de la conscience naïve à une conscience critique. C’est ainsi que le schéma CRESA d’ilots de conscientisation et de développement autocentré comme des centres d’excellence pour la conscientisation constituent la voie adéquate pour amorcer toute démarche de conscientisation à l’échelle pays. Ces îlots de vies auxquels fait allusion Edgard Morin finissent par devenir les points de départ qui peuvent se démultiplier dans tout le pays. C’est un processus radical à la fois difficile et facile à appliquer dans un pays où il y a une extrême pauvreté parce qu’il a besoin de reconstituer la dignité de toute une nation…

En conclusion à qui s’adresse finalement cette exhortation à la prise de conscience?

Pour une certaine opinion du courant du journaliste camerounais Alain Foka, les dirigeants congolais sont à la base responsables de la situation désastreuse que traverse leur pays. C’est soit par leur relâchement soit pour des complicités/corruptions et c’est par conséquent à eux que serait destiné en premier l’appel à la prise de conscience. Certes, tel que retracé, les autorités du pays, les décideurs ont une grande part de responsabilité dans la débâcle. Qu’importe l’ingérence de l’étranger qui s’y mêle toujours, mais on reconnaît que c’est de la population qu’ils proviennent: on sait alors confirmer le postulat que "chaque peuple a les dirigeants qu’il mérite". Car en effet, entretenir une culture de reddition des comptes, de revendiquer les droits pour les faire prévaloir est un exercice-type de la conscientisation. Préparer la population à cet exercice c’est investir durablement dans l’avènement d’une démocratie participative comme un des gages incontournables de bonne gouvernance. C’est comme cela qu’on peut préparer les dirigeants plus responsables de demain dans une vision de dix, vingt ans à venir…

Les congolais ne doivent pas perdre courage ni se berner dans d’interminables plaintes défaitistes, fatalistes, dans les critiques... Mettons-nous à l’école de la pédagogie de conscientisation inspirée par le brésilien Paolo Freire et systématisé dans les outils du FPT combiné à l’implantation d’îlots de développement intégré autocentré. Peu importe le temps que cela prendra pour renverser la tendance car, quoique souhaitable, il n’est pas toujours évident que les pionniers voient la transformation ou le changement pour lequel ils se sont battus. La conscientisation est synonyme de révolution et sa pédagogie est radicale quoiqu’en face d’une population affamée…

Ce que l’on vit en RD Congo ne laisse pas indifférente toute l’humanité, c’est la raison pour laquelle des voix des personnes de bonne volonté s’élèvent chaque jour pour décrier ce qui s’y passe pendant qu’il nous semble être les tous derniers à en prendre conscience. La RD Congo a énormément d’atouts et les congolais n’ont pas droit de perdre courage. Ils doivent se réveiller, rester forts, se placer au-dessus de la critique et de tous ceux qui se moquent d’eux et transcender. Le FPT est un outil susceptible de libérer tout peuple de sa situation d’asservissement, et casser les chaînes qui font de lui un peuple soumis. Certes on y parviendra tôt ou tard !

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(1) Chronique d’Alain Foka : En finir avec la traite négrière en Afrique. "Difficile d’imaginer que dans nos pays se pratique encore la traite négrière, difficile d’imaginer qu’au 20e siècle, l’on ait réduit des centaines de milliers de nos populations en esclaves. Cette fois-ci, c’est sur leur propre terre, dans leur propre village qu’on les a réduits en esclavage. Avec encore une fois la complicité de leurs chefs. Les mines en RDC ne sauraient être une malédiction pour les congolais. Il faut rapidement le transformer en opportunité. Cela ne dépend que des dirigeants".

(2) Charles Onana, "Ces tueurs tutsi au cœur de la tragédie congolaise" (préface de Cynthia McKinney), Duboiris, 2009

(3) Source Ndiaye youtube écho, Dakar 23 mai 2013 au 50e anniversaire de l’Union Africaine.

(4) FPT : Former Pour Transformer, support de la pédagogie de Conscientisation.

(5) A la Conférence Nationale Souveraine CNS 1992, le député Kalegamire sût bien l’imager dans la langue locale en ces termes: "l’état est mort et n’a pas laissé de progéniture"

(6) CRESA asbl, Carrefour de Réflexions Santé

(7) Etienne Bisimwa, expert de CRESA formateur FPT et auteur de l’ouvrage "Par où commencer?", Edition Weyrich Africa 2018

(8) Catulle (Caius Valerius Catullus) poète romain, 87 av JC

(9) La théorie des fenêtres cassées part d’une expérience psychosociale menée en 1969 à l’université de Sanford (USA) par Zimbardo.

(10) CENI ; Commission Electorale Nationale Indépendante.

(11) Cf. Google, les niveaux de changement chez Paolo Freire extrait de Education et Changement, 1979: "L’intransitivité produit une conscience magique. Les causes que l’on attribue aux défis échappent à la critique et deviennent des superstitions. Si une communauté subit un changement, par exemple économique, la conscience est promue et se transforme en transitivité. Dans un premier moment, cette conscience est naïve. Une grande partie de celle-ci est magique. Ce passage est automatique, mais celui vers la conscience critique ne l’est pas. Il ne s’effectue qu’avec un processus éducatif de conscientisation. Ce passage exige un travail de promotion et de critique. Si on n’effectue pas ce processus éducatif, on intensifie seulement le développement industriel ou technologique et la conscience sera niée et se transformera en une conscience fanatique. Ce fanatisme est propre à l’homme des masses. Dans la conscience naïve, il y a une recherche d’engagement, dans la critique, il y a un engagement, et dans le fanatisme, il y a une remise de soi irrationnelle…"


vendredi 28 mai 2021

Pauvreté rurale et Démocratie

Regard interrogateur sur l’avenir des milieux précarisés en RD Congo


Introduction

Dans cet article nous jetterons un regard interrogateur sur l’avenir du monde paysan en RD Congo. Un monde qui espérait qu’avec les élections, une nouvelle ère et de nouveaux horizons s’ouvriraient devant lui. Et que des nouveaux mécanismes de lutte contre la pauvreté allaient être déployés. Illusion !

"La pauvreté est une insulte, elle diminue, elle déshumanise, elle détruit le corps et l’esprit, sinon l’âme. C’est la plus mortelle de toutes les violences", affirmait le Mahatma Ghandi au début de ce siècle. Le pire de tout, c’est qu’elle persiste, en dépit des stratégies aussi créatives soient-elles, déployées pour en venir au bout (1).

Au cours d’un atelier de conscientisation FPT (former pour transformer) tenu par CRESA asbl en plein milieu rural, à Burhinyi en province du Sud-Kivu, le formateur demanda aux participants de définir le concept de "pauvreté". 

Diverses définitions du concept de "pauvreté" furent données par les participants, chacun selon son entendement, et non selon les définitions classiques ou celles des institutions internationales.

Au moment du débat pour trouver une définition consensuelle du concept en question, aucun des 58 participants n’avait accepté d’être classé dans la catégorie de "pauvre". Le débat fut houleux et prit plusieurs heures avant de trouver un "compromis".

Nous fûmes surpris par l’attitude des participants, dans la salle surchauffée. Pourtant personne n’avait consulté le dictionnaire. Personne n’avait lu, ni Ghandi, ni les grands économistes qui ont traité du sujet. Nous avons alors compris que Ghandi avait raison de qualifier la pauvreté d’insulte, de déshumanisante. Les paysans étaient de son côté.

Mais la réalité est là. C’étaient des paysans, en majeure partie sans emploi formel, des agriculteurs auto-employés ou exerçant des métiers non agricoles du secteur informel, à moitié instruits mais dont le sens de la dignité restait intact.

Entretemps la réalité de leur vie était toute autre. Ils ont difficilement un repas par jour (et de quelle qualité ?). Ils ont de réels problèmes d’accès à la terre, à l’eau potable, aux soins de santé, à l’éducation, à l’emploi, à un revenu décent, à l’habitat, aux droits humains, aux violences, à la paix et la sécurité.

Mais ils ont refusé de faire partie de la catégorie de pauvre.

Et pourtant en RD Congo, la moyenne de l’incidence de pauvreté au niveau national est de 71,3% et le secteur informel agricole fournit plus de 7 emplois sur 10 (2).

L’incidence  de la pauvreté est plus élevée en milieu rural (75,72%) qu’en milieu urbain (61,49). La même évidence se retrouve au niveau de l’ampleur et de la sévérité de la pauvreté. Les populations qui vivent en milieu urbain sont donc plus favorisées (ou moins défavorisées !) que celles qui vivent en milieu rural. Le même fait s’observe en ce qui concerne la vulnérabilité à la pauvreté.

Cette évidence tend à favoriser l’exode rural en RD Congo.

Les disparités entre le milieu urbain et le milieu rural s’observent également entre les différentes provinces du pays. Trois provinces comptent près de 85% des pauvres et plus. Ces provinces sont : l’ex province d’Equateur, l’ex province de Bandundu, et le Sud-Kivu (3).  Et on était au Sud-Kivu !

1. L’accès à la terre: le paysan étranglé

La pauvreté qui favorise l’exode rural est aussi due aux problèmes d’accès à la terre. Les paysans vivent dans des conditions particulièrement difficiles dans de nombreux territoires. En RD Congo et en province du Sud-Kivu en particulier, dans certains territoires, l’accès à la terre est insuffisant. Il ne s’agit que de quelques ares. Les paysans vivent souvent dans des zones enclavées et éloignées des marchés, sans accès par la voie routière et ne disposent pas d’autre source de revenus, même à long terme. D’autres encore sont installés sur des pentes abruptes dans des régions où les terres ne peuvent que très difficilement être exploitées de façon durable. Les téléphones et les motos de fabrication chinoise sont les seuls signes de progrès. Du moins  pour quelques familles. 

Les  terres ancestrales qu’ils occupent ne leurs appartiennent pas juridiquement, conformément à la loi n°73-021 du 20 juillet 1973 portant régime général des biens, régime foncier et immobilier et régime des suretés (4).

Le droit foncier congolais, tel qu’il résulte de la loi précitée est fondé sur le principe général simple, établi par l’article 53 qui stipule : "le sol est la propriété exclusive, inaliénable et imprescriptible de l’Etat".

En domanialisant toutes les terres, y compris celles dites indigènes, la loi dite foncière a attribué la propriété du sol et du sous-sol à l’Etat de manière exclusive, inaliénable et imprescriptible (art 53), ainsi les terres occupées par les communautés locales (paysannes) sont domanialisées (art 387).

Cette loi a jeté tout un peuple dans une insécurité juridique. Plus de 75% des ruraux congolais vivent dans cette zone de non droit.

Ce problème juridique d’accès à la terre se trouve exacerbé par l’accaparement des terres fertiles par l’élite politique et autres bourgeois urbains qui "thésaurisent" les terres acquises.

A cette "agression" contre les ruraux, ajoutons l’utilisation ou plutôt les expropriations des terres pour les mines par des sociétés multinationales.

Sans titre de propriété pour leurs terres ancestrales, les paysans sont délocalisés vers des régions écologiquement hostiles, invivables. Faiblement indemnisés, juridiquement sans terre parce que sans titre de propriété, ils sont contraints à l’exil, appelé par euphémisme, je crois, exode rural. Et sur la route de l’exode dit rural, ils croisent d’autres exilés, une caravane des déplacés de guerre, fuyant les violences et d’autres atrocités en milieu rural. En trousse, leurs rejetons, peu instruits ou sans instruction aucune et donc sans emploi et sans perspective d’avenir, ils sont attirés par les lumières scintillantes des centres urbains.

Ces nouveaux urbains s’installent dans les favelas (5)  y rejoignent les descamisados (6)  et autres marimberos (7); et gonflent ainsi le cercle déjà trop grand des nouveaux urbains pauvres. Très vite ils sont désillusionnés mais, où rentrer ?

Le cas typique des victimes actuelles de l’insécurité juridique dans le secteur minier est celui d’environ 300 familles de la localité de Bugumya à Twangiza-Luchiga dans la chefferie de Luhwinja au Sud-Kivu, qui, bientôt, doivent être délocalisés par la société Twangiza Mining de la Canadienne Banro, vendue à une société chinoise. Pourtant, les premiers délocalisés - ou plutôt, les premiers expropriés -  faiblement indemnisés, n’ont pu dans la grande majorité, se rendre à Chinjira, un camp construit pour les accueillir en 2010. Ils ont dû émigrer, les uns à Bukavu, les autres dans d’autres villages pour y reconstruire à nouveau leur vie: un éternel recommencement. D’autres sont en errance dans la zone minière d’où ils avaient été chassés.

Le code minier les y contraint conformément au principe de la distinction et de la séparation entre les droits miniers et les droits fonciers à son article 3 alinéa 2 qui stipule " … la propriété des gîtes des substances minérales, y compris les eaux souterraines, les gîtes géothermique dont il est question à l’alinéa 1 du présent article constitue un droit immobilier distinct et séparé des droits découlant d’une concession foncière. En aucune manière, le concessionnaire ne peut se prévaloir de son titre pour revendiquer un droit de propriété quelconque sur les gîtes des substances minérales, y compris les eaux souterraines et les gîtes géothermiques que renferment sa concession." (8)

L’accès à la terre est pourtant crucial, décisif pour combattre la faim et la pauvreté en zones rurales. L’Etat est tenu de favoriser l’accès aux ressources productives et protéger les paysans contre les attaques des tiers, c’est-à-dire faire en sorte qu’ils ne soient pas chassés de leurs terres et les plonger dans une précarité extrême.

C’est ici qu’intervient le travail de conscientisation et où l’approche "Former pour transformer (FPT)" devient une nécessité impérieuse. Tant qu’une personne ou un groupe de personne n’a pas conscience de l’état d’oppression, d’injustice et d’autres inégalités dont il est victime, les efforts de sa libération sont voués à l’échec.

Mais comme le confirme Fabien EBoussi B. "Par où commencer cette reconstitution, sinon par l’éducation qui est le lieu par excellence où une communauté humaine prend conscience d’elle-même (…) se définit, déclare ses valeurs et ses fins, sa conception d’elle-même, de l’homme et de son accompagnement" (9).

2. Et les élections démocratiques?

Dans un système démocratique, le gouvernement dépend de la majorité de la population. Il est donc rationnel de placer les intérêts et les objectifs du citoyen au centre de l’activité gouvernementale. 

Ainsi les besoins de la population agricole devaient être pris en priorité: rappelons-le, elle représente plus de 75% de la population congolaise et devrait être prise en considération. Les élections démocratiques étant prônées comme un processus d’accès au pouvoir par le choix du peuple.

Mais que voit-on en RD Congo et généralement en Afrique noire ?

On espérait qu’avec les élections démocratiques, les choses allaient s’améliorer. On s’était trompé dans cette espérance. Une fois élus, les députés provinciaux/nationaux perdent tout contact avec leurs électeurs. Certains se sont fait élire, avec pour suppléants leurs épouses ou leurs fils, et réussissent à passer comme députés provinciaux et nationaux. N’ayant point le pouvoir d’ubiquité, ils laissent leurs fils aux postes de députés provinciaux et emmènent, avec eux leurs épouses à l’Assemblé nationale.

Avec des moyens financiers bien ficelés, ils se font nommer ministres et laissent le poste de député national à leurs épouses. Ainsi nos honorables  s’installent et installent ! Garder son poste devient une question de vie ou de mort. Même scénario au Sénat.

Dans un monde de corruption, de convoitise et d’exploitation du plus pauvre, rien n’arrête plus notre élu: il se transforme en agent de propagande politicienne et folklorique qui tourne à la vulgarité. Il n’en serait autrement d’ailleurs quand on  sait que l’accès à tous ces postes se fait par une profonde corruption au niveau de la centrale électorale provinciale et nationale.

On ne s’étonne plus ainsi d’entendre un député dire à ses électeurs: "Vous ne m’avez pas élu ! C’est mon argent qui m’a fait passer".

Au niveau des provinces, les élections des présidents des assemblées provinciales, des gouverneurs et des bureaux des chambres basse et chambre haute, se font à coup des billets verts ou des véhicules 4x4. Le spectacle est souvent étalé au grand jour, sans honte, sur la place publique.

Les assemblées de nos élus se transforment en un véritable bal des embrouilles, une corbeille de médiocres en costume d’emprunt de la démocratie. Ils portent - regardez-le en sessions - des costumes sur mesure, couleur bleue, cravate rouge pour ressembler à Emmanuel Macron, le Président français, dont la tenue est le reflet de son drapeau national.

Devant l’argent, les hémicycles congolais ressemblent  plutôt à des jurys staliniens à l’époque des purges, tel qu’appris dans les livres d’histoire: une image peu enviable. Si vous doutez, souvenez-vous de la manière dont le Front Commun pour le Congo (FCC) s’est effondré! Une scène qui a fait éclater de rires des millions des Congolais. Pourtant la grande majorité de ces "représentants du peuple" était arrivé à l’hémicycle grâce à leur appartenance à la plate-forme précitée de l’ex-président Joseph Kabila en complicité avec sa "commission électorale nationale indépendante" qui en réalité n’avait d’indépendance que le nom.

Ainsi, il s’ensuit que les objectifs et les stratégies des gouvernants sont vite éloignés des gouvernés. Bâtir un Etat sur la corruption, le détournement, l’immoralité, le mensonge, le tribalisme, le népotisme, le fanatisme,  l’oppression et l’impunité c’est bâtir sur du sable mouvant. A ce niveau le risque de voir mon pays, la RD Congo sombrer dans un sous-développement sans nom est grand, si les forces sociales, celles qui désirent réellement le développement des populations rurales en détresse ne prennent pas leur responsabilité.

Quelques pistes  

La pauvreté rurale est la conséquence de nombreuses exploitations, surtout politique. Le développement pouvant signifier avant tout libérer.

Libérer de la paupérisation, libérer du fatalisme, fruit de l’oppression qui lui enlève toute capacité d’entreprendre, libérer des politiques insidieuses de développement, libérer de sa culture et de la religion […] libérer enfin des politiques qui font fi de ses droits… (10)

Une approche de développement doit d’abord agir sur le « moi » des gens afin de les libérer à la fois du fatalisme et d’autres forces qui les emprisonnent et bloquent leur capacité d’initiative. Le paysan congolais fait face à des véritables besoins importants et il est capital de l’aider de manière à trouver dans son milieu des opportunités qui participent directement à l’amélioration de ses conditions de vie.

Le cas de la province du Sud-Kivu peut créer l’effroi et conduire au découragement pour certains. Avec un taux de pauvreté de 84%, un taux net de scolarisation de 53,3%, un taux de mortalité infantile de 126/1000 sur une moyenne nationale de 92‰, quand on sait que seuls 14,8% de ménages sont raccordés à l’eau potable et 2,5% à l’électricité, que des services de santé sont très insuffisants soit de 16 lits/100.000 habitants et 1 médecin pour 27.699 habitants… on peut se demander « Par où  Commencer ? » (11)

"Eduquer ou périr." (KI -ZERBO J.)

  • L’éducation et l’alphabétisation peuvent contribuer énormément au développement et à la démocratie. Le maintien de l’illettrisme chez les paysans ne peut qu’entretenir les conditions de renouvellement de sa pauvreté et maintenir les ruraux, ces exclus technologiquement (ils ne connaissent pas l’ordinateur) dans l’oppression et la servilité envers les politiciens généralement véreux. L’illettrisme rend extrêmement difficile le nécessaire travail de conscientisation et de mobilisation populaire :
  • Une politique agraire spécifique de subvention ou de crédit pour l’agriculture familiale et la disponibilité des agronomes au niveau des entités territoriales décentralisées pour accompagner techniquement les paysans peut être une grande avancée pour booster la production, accroître les revenus et contribuer de manière significative à la réduction de la pauvreté.
  • Une formation conscientisante dans le secteur de lutte contre la pauvreté et autre inégalités peut à moyen ou à long terme produire des résultats spectaculaires.

Le Carrefour de Réflexion Santé en a déjà jeté les jalons dans certaines provinces et comme disait J. Dewey, "le devoir suprême d’une communauté qui veut continuer à exister dans le monde comme communauté historique et politique est d’éduquer […] par l’éducation, la société peut formuler ses propres fins, peut organiser ses propres moyens et ressources et se façonner la direction où elle veut aller" (12).

Quoi qu’il en soit, le monde rural en RD Congo devrait être considéré comme un archipel, lui-même composé d’îles et d’îlots de combat: combat pour l’accès à la terre, à l’eau potable, à la santé, à l’éducation, à la démocratie et autres droits civiques.

Ils constitueront alors "ces bataillons" dont parle Bisimwa G. Etienne (13).  Et la bataille ne se gagne pas en ordre dispersé et encore moins si "les soldats" n’ont pas conscience de la puissance qu’ils représentent s’ils bataillent ensemble.

Avec la fusion de ces îlots territoriaux, constitués en bataillons, on peut voir se dessiner un tout autre paysage de la démocratie et du développement et desserrer de manière significative l’étau du cou du paysan et restaurer sa dignité.  Les paysans  apparaîtront  ainsi devant les gouvernants, non plus comme une populace, une masse inutile, un ustensile, mais plutôt, comme des partenaires qui méritent respect.

Ne dit-on pas qu’aux Etats-Unis, quand un noir est armé, le Ku Klux Klan l’appellent…Monsieur !



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(1) "CTA revue", avril 1999, spore n°80
(2) "Localisation des objectifs de développement durable dans le Sud-Kivu", août 2017, rapport provincial, ministère du plan, p.3
(3) "Document de la stratégie de croissance et de réduction de la pauvreté(DSRP)", 2006, p.20
(4) FDME, "La problématique foncière et ses enjeux dans la province du Sud-Kivu RDC", mai 2010 acte de la table ronde, IFDP/BKV
(5) Dico. Bidonville
(6) Dico. Bandit des bidonvilles
(7) Qui fume, ou vend du marimba (drogue). Jargon utilisé au Brésil
(8) "Problématiquefoncière et ses enjeux en province du Sud-Kivu/R.D.C", p.19.
(9) Fabien Eboussi B., "1999 lignes de résistances", Yaoundé clé, p.26
(10) Niyonkuru Déogratias, Op. Cit., p.95
(11) Bisimwa G. Etienne, "Par où commencer... ?"
(12) J. Dewey, "Démocratie et éducation", Paris, A colin 1990, p.18
(13) Bisimwa G. Etienne, Op. Cit.



mercredi 31 mars 2021

De la difficulté d'être intellectuel en RD Congo

Regard critique sur l'élite africaine

Il s’agit d’une interpellation des cadres universitaires pour un sursaut moral, l’honneur, la dignité et ce malgré l’indigence matérielle à laquelle ils font face dans la vie professionnelle.
S’ils prennent conscience de leurs responsabilités, la RD Congo peut se développer. Et rapidement.
Au pessimiste de l’intelligence, il faut opposer l’optimisme de la volonté.
L’histoire d’autres peuples peut nous inspirer.

Cet article est un petit essai critique sur l’élite Congolaise, plus d’un demi-siècle après l’indépendance obtenue de la Belgique en 1960.

Point n’est besoin de rappeler qu’en cette période-là, la RDC ne comptait qu’environ 5 cadres universitaires. 60 ans plus tard le pays compte des centaines des milliers de cadres formés, et les institutions universitaires poussent comme des champignons déversant chaque année des milliers d’autres finalistes sur le marché de l’emploi.

Tous se disent être intellectuels! Le sont-ils vraiment ? Dans cette confusion à laquelle se prête le concept, atteindre un certain niveau d’instruction ou obtenir un diplôme, devient synonyme d’intellectuel.

Mais qu’en est-il vraiment ?

Interrogeons le petit Larousse illustré. Intellectuel : « personne dont la profession comporte essentiellement une activité de l’esprit ou qui a un goût affirmé pour les activités de l’esprit », par opposition à l’activité manuelle.

Dans l’acception la plus courante en RD Congo et en Afrique dans l’ensemble, quiconque affirme être intellectuel, voudrait laisser entendre qu’il a de l’instruction, qu’il est diplômé !

En filigrane, il voudrait aussi affirmer sa supériorité à la fois intellectuelle, culturelle et pour certains, morale par rapport à l’homme peu instruit, dont la compréhension des choses paraît limitée. « Après tout, nous sommes tous intellectuels,… moi, je suis un intellectuel chevronné» entend-t-on souvent dans les rues et medias de Bukavu.

Cela n’est évidemment pas vrai, il s’agit même, je crois d’un abus de langage, de propos erronés.

Pour beaucoup pourtant le savoir scientifique est synonyme de l’objectivité et de la rectitude dans le jugement, de compétence, d’honnêteté, de sagesse et même de l’aptitude à la direction des hommes. Chacun réalise combien ce préjugé est lourd de conséquences. Mais en toute honnêteté, pensez-vous, chers lecteurs, qu’avec toutes les implications morales que cela sous-entend, tout diplômé est intellectuel ?

Sans complaisance, et j’espère sans énerver l’amour propre de qui que ce soit, la réponse me semble non !

Il importe donc de procéder au dévoilement de ce statut et de souligner chemin faisant, les responsabilités de celui qui s’en réclame.

Dans le sens le plus étroit donné à ce mot dans le monde occidental à savoir: « l’intellectuel est quelqu’un qui se mêle de ce qui ne le regarde pas » (1).

Originellement, donc, dit J.P. Sartre, l’ensemble des intellectuels apparaît comme une diversité d’hommes ayant acquis quelques notoriétés par des travaux qui relèvent de l’intelligence (sciences exactes, sciences appliquées, médecine, littérature, etc.) et qui abusent de cette notoriété pour sortir de leur domaine et critiquer la société et les pouvoirs établis, au nom d’une conception globale et dogmatique (…) de l’homme.

Et si l’on veut un exemple de cette conception commune de l’intellectuel, on n’appellera pas «intellectuels» des savants, qui travaillent sur la fission de l’atome pour perfectionner les engins de la guerre atomique: ce sont des savants, voilà tout !

Mais si ces mêmes savants, effrayés par la puissance destructrice d’engins qu’ils permettent de fabriquer, se réunissent et signent un manifeste pour mettre en garde l’opinion contre l’usage de la bombe fabriquée, ils deviennent des intellectuels.

En effet, ils abusent de leur célébrité ou de la compétence qu’on leur connaît, pour faire violence à l’opinion, masquant par-là l’abîme infranchissable qui sépare leurs connaissances scientifiques de l’appréciation politique qu’ils portent à partir d’autres principes sur l’engin qu’ils mettent au point.

« Ils condamnent l’usage de la bombe (…) au nom d’un système de valeurs éminemment contestable qui prend pour norme suprême la vie humaine » (2)

Pareille compréhension du terme : « intellectuel » exclut beaucoup des diplômés de ses champs d’application. Mais, qu’ils se rassurent. Par leur instruction, par leur moralité et par les compétences développées au cours de la vie professionnelle, les diplômés peuvent faire partie de la catégorie «des spécialistes du savoir pratique» et c’est parmi «les techniciens du savoir pratique» (J.P. Sartre Op.cit.) que se recrutent les intellectuels. Je préfère garder cette compréhension de ce concept qui, peut-être, j’en suis persuadé est celle de la majorité de ceux qui me lisent.

Déjà vers la fin du 19e siècle en France, les «intellectuels» faisaient déjà peur, et au gouvernement et à la justice

L’affaire Dreyfus en est une illustration vivante : en 1894, Alfred Dreyfus, capitaine de l’armée française, est accusé et condamné à réclusion à perpétuité pour haute trahison (espionnage).

Malgré son innocence, ses origines juives servent même de preuve à sa culpabilité.

A ceux qui voulaient douter, un colonel de l’armée française leur réplique : «on voit bien que vous ne connaissez pas les Juifs: cette race-là n’a ni patriotisme ni honneur, ni fierté, depuis des siècles, ils ne font que trahir. Songez donc qu’ils ont livrés le Christ» (3)

Malgré le tollé populaire, les têtes pensantes de l’époque protestent contre le jugement. A leur tête, Emile Zola dans «J’accuse». Il fut rejoint, malgré les risques qu’ils couraient, par Anatole France, Marcel Proust, Clémenceau, André Gide, etc.

Ils surent à l’époque conférer au débat une dignité morale et formelle qui lui manquait. C’est, je crois, pendant les moments difficiles que traversent les peuples que l’on peut connaitre-et reconnaitre- ses intelligences valables.

L’on a vu en France, l’engagement massif et spontané des professeurs, des écrivains et des artistes donnant une éclatante victoire sur l’impossibilité de gouverner les hommes en faillissent aux lois de l’esprit.

Mais, au parlement français, on faisait un vif éloge général qui avait fait arrêter, juger et emprisonner Dreyfus et dénonçait «l’élite intellectuelle qui s’occupait de ce qui ne le regarde pas». Mais, à la fin,  A. Dreyfus sera innocenté, libéré et réhabilité avec grade supérieur.

«Une nation doit et peut apprendre d’une autre» (4). Qu’est-il donc arrivé à l’élite Congolaise ? Pour ma part, je crois qu’un intellectuel devrait avoir en lui la passion de la vérité, de la justice, l’horreur du mal, du faux, et de la corruption.

Les intellectuels, les vrais, devraient se prévaloir d’être la conscience vivante et agissante de la population et ne peuvent parler en dehors de leurs consciences.

Mais que voit-on ? Les intellectuels congolais se rangent, à quelques rares exceptions près, derrière l’oppresseur, le dominant. Ils s’installent et l’installent, et l’écris, les leurs, faits l’apologie des dictatures les plus sanglantes qui les asservissent, on se rappelle de «l’inanition de la nation» du Professeur Evariste Boshab, du « Pourquoi j’ai choisi Kabila» de Vital Kamerhe, du Mobutisme et du manifeste de la Nséle écrit par des éminents professeurs et juristes de renom au service de Mobutu. Tous les hauts cadres du Front Commun pour le Congo sont aujourd’hui professeurs : Matata Mponyo, Néhémie Mwilanya, Bahati Lukwebo, Ntumba Lwaba, Emmanuel Shadari, etc.

Le diplôme n’est plus un moyen c’est un but !

Auteurs intellectuels des crimes


Des crimes monstrueux se commettent devant eux, silence radio !

Pas même un mot d’indignation, aucune pétition, aucun manifeste pour exprimer leur désapprobation devant une situation qui met l’avenir de la nation en danger et moralement inacceptable.

Les condamnations et indignations à propos de la souffrance du peuple congolais viennent d’ailleurs, et cela depuis longtemps : Joseph Conrad (Au cœur des ténèbres), André Gide (Une saison au Congo), Charles Onana, Colette Braeckman et autres médias étrangers.

Les routes peuvent ressembler à des marmites, les enfants mourir de la malnutrition dans leurs régions d’origine, l’insécurité, les massacres, les viols et autres atteintes aux droits de l’homme se commettre, aucun mot ! Ce n’est pas leur affaire. Pourvue qu’ils se «retrouvent» dans la chose. Ils envoient leurs enfants en Europe et ils leur conseillent de prendre la nationalité du pays d’accueil… Aucun sursaut de nationalisme en eux, le moteur devient frein…

L’espoir est de même permis


Le Docteur Denis Mukwege serait-il le plus grand intellectuel congolais ? Le Prix Nobel de la Paix 2018, serait, selon la presse occidentale, le Congolais le plus connu du monde.

Nous nous referons à la description faite de l’intellectuel au début de cet article, à savoir : «l’intellectuel est celui qui se mêle de ce qui ne le regarde pas».

En fait, le Dr Denis Mukwege a quitté «sa zone» de médecin soignant les victimes des viols, pour se retrouver en dehors de «sa zone» en tant que défenseur des droits humains, ne supportant plus les violations, les massacres qui se commettent sous silence, en toute impunité. Il a exhumé le fameux dossier «Mapping des Nations Unies» et cela malgré les dangers qu’il en court ! C’est un intellectuel.

L’espoir de la RDC peut reposer aussi bien sur les mouvements sociaux, des mouvements de résistances qui naissent spontanément, ces résiduels positifs, ces héros du quotidien, ces soldats inconnus: la société civile dans sa diversité, Lucha, Filimbi, Réveil des Indignés, les mouvements associatifs… Des petites lumières «au cœur des ténèbres» restent un espoir permis pour la RD Congo.

En eux, les esprits s’éveillent, ils rêvent de réveiller, c’est la raison de l’approche «FPT» (Former pour Transformer).

D’ailleurs, d’autres peuples sont passés par là. Former pour transformer l’élite congolaise, pas toute, bien sûr, a trahi les espoirs placés en elle.

Parlant de Laurent Désiré Kabila, devant l’ambassadeur de Cuba à Dar-es-Salam, Che Guevara déclara : «Avec des tels leaders, le Congo a encore plusieurs siècles de servitude». Mais les Congolais prennent peu à peu leur destin en main, même si le voyage est encore long. Mais ne dit-on pas que les fruits sont toujours au bout des branches ?

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(1)  J.P. Sartre, plaidoyers pour les intellectuels.
(2)  J.P. Sartre, Op.cit.
(3)  Pierre Miquel, l’affaire Dreyfus, PUF. P31.
(4)  Marx Karl, le capital

mardi 23 février 2021

Etienne Bisimwa Ganywa, un des piliers contemporains de la prospective stratégique

« Comme une volonté parfaite de Dieu au service de nos frères, tout ce que nous entreprenons est entrepris dans le Christ de qui nous puisons les valeurs de l’Amour, Sagesse et Connaissance ».
(Sic Etienne Bisimwa, in ‘Maison de l’Espérance’ MDE, œuvre posthume)

Il était une fois un Etienne Bisimwa Ganywa


Cinquième enfant d’une famille de huit, Etienne Bisimwa Ganywamulume est né à Bukavu (RD Congo) le 5 mars 1958 dans une modeste famille chrétienne catholique. Il  a quitté notre monde, à Bukavu, ce mercredi 27 janvier 2021, laissant derrière lui un parcours riche de connaissances, un parcours des plus instructifs et utile tant pour les communautés locales, que pour la nation et les générations futures.

Sa courte vie de couple en quasi ermitage l’a poussé à consacrer le meilleur de son temps au travail en tant qu’accompagnateur des dynamiques communautaires dans leur recherche d’un bien-être durable…

Ses prérequis scientifiques et spirituels exceptionnels, soutenus par une éloquence limpide, l’ont prédisposé à remplir les ‘top-missions’ d’un bon prédicateur, formateur, éducateur, animateur pour la transformation; ceci aux termes des prestations de haute qualité rendues tant dans les organisations locales, nationales qu’internationales et de coopération technique.

Pour donner le sens ultime à son existence, il sut corroborer ses convictions de développement avec les écritures saintes et spécifiquement la Bible dont il ne pouvait se passer pour rapprocher les aspects critiques de développement et du relèvement communautaire en illustrant combien l’amour en est la clef.

Impassible, plein d’empathie, toujours positif. Par sa disponibilité sans réserve à servir et à être au plus utile, Etienne Bisimwa a reflété l’espérance qui lui faisait estimer ceux avec qui il a cheminé, en l’occurrence ceux de la société civile, du gouvernement et singulièrement les paysans qu’il consacre dans son ouvrage comme la petite marge de liberté qui nous reste quand tous les sept bataillons rangés en ordre de bataille pour le développement ont échoué (1).


La silhouette d’un personnage qui sillonne les allées de l’espérance


Certes, on ne parle pas en mal des morts, dit-on. Cependant à la mort d’Etienne Bisimwa, il vient de se révéler que la valeur d’une vie, ne peut pas s’apprécier en ne prenant en compte que les seules réalisations spectaculaires offertes au grand public de son vivant. Elle est précieusement cotée au travers des témoignages collectés et des perceptions correctes ou non, faites de lui par ses interlocuteurs et/ou ses différents auditoires. Pareille clef d’appréciation a posteriori s’observe également dans le processus de la béatification des saints dans l’église catholique. En fait, un bon nombre d’éléments révélateurs ont été spontanément déclamés sitôt que la nouvelle du décès inattendu d’Etienne parvenait aux différentes personnes, groupes, couches sociales  et communautés qui l’ont connu. Que d’émotions et d’expressions n’ont-elles pas été glanées à chaud, du genre: « Etienne ? C’est le meilleur de nous qui vient de partir », « Etienne, le malheur de t’avoir perdu  ne doit pas nous faire oublier le bonheur de t’avoir connu; tu vis dans nos cœurs » « Etienne,  tu n’es plus cloîtré là où tu étais mais tu es désormais partout où nous sommes » « La communauté vient de perdre l’homme le plus engagé dans la construction d’une nouvelle vision de développement de notre pays », « Le travail qu’il a commencé demande des ouvriers convaincus comme lui » etc…

Les réflexions partagées en conférence ainsi que ses opinions publiées, de même que ses derniers écrits posthumes, du reste inédits et retrouvés sur le chevet d’Etienne confirment sa foi inébranlable pour l’avènement de ce Congo de demain plus juste où chacun, conscient de ses responsabilités et de ses capacités devient maître du destin commun. Chaque minute qui passe, l’ombre de ses préceptes plane sur les allées que nous fréquentons. Bien plus, sa silhouette se dessine constamment à travers tous ses enseignements. En effet au cours d’une des formations qu’il facilitait de main de maître, il surprit son auditoire quand il dit qu’il ne mourait guère car poursuivit-il « L’homme est avant tout un esprit, un esprit appelé à vivre une expérience humaine. »

Mathématicien de formation de l’Université Nationale du Zaïre (IPN/Kinshasa), subitement, dans les années 1990, Etienne négocie un nouvel ancrage vers les Sciences de l’éducation et du développement, au bout duquel lui fut octroyé un Diplôme d’Etudes approfondies en éducation et stratégie de développement de l’Université René Descartes Paris V à La Sorbonne axé sur les « Défis posés par les cultures africaines au développement ; construction d’une vision commune à tous les acteurs du secteur public, privé et de la société civile », comme une reconnaissance des nouveaux atouts acquis pour mieux servir. Ainsi, après avoir écrit son ouvrage-clef « Par où commencer », un véritable diagnostic sans appel de la situation de son pays la RD Congo, Etienne Bisimwa ne s’arrêtera pas à mi-chemin car, fort des liens d’amitié, de complicité positive qu’il venait de tisser avec CRESA asbl (une petite organisation locale de laquelle il était membre jusqu’à son décès), ils  se retrouvèrent « autour d’une vision commune, d’indignation contre l’injustice et porteurs d’une même détermination à changer les choses(2) ». Ensemble, ils ont théorisé une nouvelle approche de la conscientisation pour l’Afrique à travers l’ouvrage « La pédagogie de la conscientisation » jusqu’à chuter sur le montage du premier outil didactique « Guide pratique du formateur » susceptible d’aider les animateurs et les formateurs à susciter un éveil de conscience collective utile pour la RD Congo, la région des Grands Lacs et l’Afrique, qui n’arrivent toujours pas à décoller ni à s’approprier leur développement. Cette Afrique toujours attentiste pour laquelle ses problèmes continuent à se discuter loin d’elle, sans elle, et le plus souvent par des solutions inappropriées à l’emporte-pièce. A travers Malcom X, Samir Amin, Julius Nyerere, Thomas Sankara et bien d’autres panafricanistes et altermondialistes, Etienne Bisimwa ne manquait pas d’exemples pour inciter à plus de participation de la communauté et pour refuser de jouer le jeu des autres et, à commencer un nouveau jeu avec des nouvelles règles autoportées. Changer de paradigme était le maître-mot d’Etienne Bisimwa avec son équipe…


Le FPT, outil par excellence d’Etienne pour l’initiation à la démarche de conscientisation…


Des dizaines d’ateliers en format retraite formative co-organisés durant deux décennies entre 2000 et 2020 avec la participation enthousiaste des acteurs sociaux ont dans un 1er temps permis à Etienne aux côtés d’ADEN (4) et plus tard avec CRESA (5) asbl de diffuser, de transmettre à travers la région des Grands Lacs africains et en RD Congo les fondamentaux de cette pédagogie pour l’Afrique. La foi d’Etienne en cette pédagogie de la conscientisation lui a fait caresser le rêve de l’enraciner dans toute la RD Congo en commençant par trois provinces pilotes Bukavu (Sud-Kivu), la ville province de Kinshasa et Lubumbashi pour le Haut Katanga. Déjà à sa mort, sont mis en route quatre noyaux et des carrefours de réflexion FPT d’une centaine de têtes pensantes au total, appelées à porter en avant cet esprit inspiré par le pédagogue Brésilien Paolo Freire autour de la pédagogie des opprimés dans les favelas du Brésil. Dans cette approche, l’analyse et la compréhension commune des concepts dont celui de la participation de la communauté et celui de la pauvreté circonscrite à partir de quatre piliers de cette dernière que sont la vulnérabilité, la marginalisation, les faiblesses physiques, et la position de sans-voix. C’est au compte de cette foi dans cette pédagogie de la conscientisation, au travers des formations (FPT) qu’au cours du tout dernier atelier de formation qu’il aura accompagné à Kinshasa au Centre Nganda, il déclara qu’on pourrait léguer aujourd’hui en testament à toutes ses cohortes d’apprenants en disant que : «les angoisses de nos populations sont les angoisses de ceux qui ont fait le FPT»«les espérances de notre peuple sont celles des gens qui ont fait le FPT»«la misère qui prend nos peuples est de la responsabilité de ceux qui ont fait le FPT…»

Dommage que la mort ait surpris Etienne en janvier 2021, quand on envisageait de regrouper pour la 1ère fois tous les formés de tous les temps et des trois provinces dans l’une des provinces-pilotes pour discuter et jeter les bases d’un plan national de l’approche de conscientisation qui renforcera les aspects de la sensibilisation qui a montré ses limites. Cependant, un sentiment de l’inachevé qui tourmentait Etienne était moins sa thèse de doctorat en anthropologie, ethnologie et éducation sous la direction du Professeur Than Le Khol portant sur les proverbes et l'éducation chez les Bashi laissée sur sa table, que le FPT qu’il prévoyait accompagner en vue d’augmenter la participation de la communauté aux Mutuelles de santé du Sud-Kivu au 1er février 2021 (son décès est intervenu trois jours plus tôt).


La passion d’Etienne pour le FPT, un véritable élan de la prospective stratégique


Comme de fil en aiguille, la résultante de la pensée de ce personnage à travers ses formations s’amarre bien dans un courant philosophique ou idéologique qu’on pourrait classer sans hésitation dans la prospective stratégique. Ce qui se conforte naturellement dans la poursuite d’une démarche de la profondeur et de la recherche inlassable des causes-racines des problèmes en vue de trouver des réponses adéquates aux défis qui se posent aux communautés dans l’éclosion de la prise de conscience pour laquelle Etienne n’offrait aucun sursis(7). En outre, partant de la recherche de la relation de causes à effet dans tout le processus formatif d’ateliers FPT qu’il a dû accompagner, Etienne met constamment les acteurs dans une spirale de « réflexion-action, action-réflexion…» ainsi de suite, et encore de procéder à l’usage de la méthode de « mais pourquoi jusqu’à sept fois » de Warner, la méthode du code et du décodage avant de procéder à la planification proprement dite de l’action. Et il n’a cessé d’inviter à réfléchir constamment sur le sens et la portée de nos actions dans notre fastidieux travail d’associations,… Ce sont autant d’éléments de cette dialectique pour amener à dépasser le phénotypique et/ou le superficiel, le saupoudrage… C’est ainsi qu’à travers les formations et les conférences il n’a pas hésité à qualifier différentes interventions d’ONG, des différents gouvernements… d’actions de survie, de bricolage, de la gouvernance par complaisance, d’actions de services sécuritaires limitées juste à un niveau homéopathique après tant d’année d’indépendance du pays…


En définitive, d’Etienne au FPT, du FPT à la Prospective stratégique, il n’y a qu’un pas!


Nous réitérons que la prospective est avant tout une démarche intellectuelle visant à anticiper au mieux les évolutions de notre société. Son but est avant tout d'éclairer les choix du présent, ce que nous faisons aujourd'hui et dont les répercussions sont visibles à moyen ou à long terme. C’est elle qui fait qu’on repère qu’au cours des enseignements d’Etienne, dans les carrefours, on ait percé largement les concepts de la durabilité et du bien ultime, de la planification et de l’évaluation participative une fois la vision formulée. Etienne est revenu par exemple sur: « Quelle politique agricole, quelle politique minière, quelle politique sanitaire, quelle politique de développement rural(8) devons-nous envisager d’ici à l’horizon de 10 à 20 ans ?» et de poursuivre que « la RD Congo ayant dépassé le cap des 100 millions d’habitants (cf. rapports d’OCHA), quelle est la demande de l’éducation aujourd’hui dans notre pays et quelle sera cette demande d’ici 25 ans et, quelle est l’offre de l’éducation dans notre pays?». A ce niveau, Etienne s’appuyait sur la Bible(9) dans ‘Habaquq 2, 1-4 où Yahvé demande d’écrire la vision.

Enfin être prospectif, c’est se poser la question, en toute responsabilité, de l’avenir de son entité, du pays, du monde… La prospective est un travail sur la conscience qui fait appel à des techniques cognitives. Bien plus qu’une exploration de notre environnement, (cf. 1ère partie du guide FPT), l’analyse de nos méthodes de travail, la compréhension des concepts;  c’est une transformation du sujet, le plus souvent collectif (communauté, entreprise, association, entité: village-commune-territoires-province, organisation internationale…) qui est en jeu. Au-delà même de l’application d’une méthode d’investigation (enquête d’écoute dans le FPT), c’est un changement radical de perception qui est à l’œuvre.

En soi Etienne ne s’est jamais fait identifier personnellement comme faisant partie de ce courant dit prospectiviste et ne l’a encore moins, jamais clamé un seul instant mais, cela ressort en filigrane tout au long de la méthodologie de ces FPT qu’ensemble nous avons accompagné. Eh oui, tous ceux qui ont eu à vivre ces moments d’initiation à la conscientisation ont été émerveillés par la cohérence de la méthodologie, la subtilité des notions, et la perspicacité apaisée avec lesquelles toutes les questions d’ordre communautaires et sociales devant aider à un relèvement ont été conduites en profondeur.

Du coup, il est question de construire une nouvelle conscientisation qui fait du développement une vision commune entre tous les acteurs locaux et de mettre fin à tous les bricolages ambiants.

Adieu Etienne, Bonjour le FPT !

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(1) Etienne Bisimwa Ganywa : Par où commencer, une autre vision de développement pour la RD Congo, Ed. Weyrich Africa 2018
(2) Expression formulée par son collègue Luc Dusoulier à la nouvelle de la mort d’Etienne Bisimwa
(3) T4T ou FPT; Training for Transformation en français Former Pour Transformer
(4) ADEN : African Development and Education Network traduit de l’anglais, Réseau Africain d’Education au Développement.
(5) CRESA, Carrefour de Réflexion Santé, une asbl de droit congolais créée en 2010 et qui tire du FPT sa devise : Réflexion sans action est verbiage et Actions sans réflexion est de l’Agitation.
(6) Il sera une fois... la prospective stratégique Luc de Brabandère, Anne Mikolajczak Dans L'Expansion Management Review 2008/1 (N° 128), pages 32 à 43
(7) « Un impératif pour la RDC: la conscientisation! » réflexion parue sur notre blog en 2018
(8) Un protocole de partenariat technique et institutionnel entre l’Institut Supérieur de Développement Rural (ISDR/Bukavu) était signé et un colloque national sur le développement rural était en cours de préparation.
(9) Habaquq 2. 1-4 Bible de Jérusalem, Nouvelle Edition 1975. « Je vais me tenir à mon poste de garde, je vais rester debout sur mon rempart ; je guetterai pour voir ce qu’il me dira, ce qu’il va répondre à ma doléance. Alors Yahvé me répondit et dit : écris la vision, grave-la sur les tablettes pour qu’on la lise facilement car c’est une vision qui n’est que pour son temps ; elle aspire à terme sans décevoir, si elle tarde, attends-la : elle viendra sûrement sans faillir… »