mercredi 31 mars 2021

De la difficulté d'être intellectuel en RD Congo

Regard critique sur l'élite africaine

Il s’agit d’une interpellation des cadres universitaires pour un sursaut moral, l’honneur, la dignité et ce malgré l’indigence matérielle à laquelle ils font face dans la vie professionnelle.
S’ils prennent conscience de leurs responsabilités, la RD Congo peut se développer. Et rapidement.
Au pessimiste de l’intelligence, il faut opposer l’optimisme de la volonté.
L’histoire d’autres peuples peut nous inspirer.

Cet article est un petit essai critique sur l’élite Congolaise, plus d’un demi-siècle après l’indépendance obtenue de la Belgique en 1960.

Point n’est besoin de rappeler qu’en cette période-là, la RDC ne comptait qu’environ 5 cadres universitaires. 60 ans plus tard le pays compte des centaines des milliers de cadres formés, et les institutions universitaires poussent comme des champignons déversant chaque année des milliers d’autres finalistes sur le marché de l’emploi.

Tous se disent être intellectuels! Le sont-ils vraiment ? Dans cette confusion à laquelle se prête le concept, atteindre un certain niveau d’instruction ou obtenir un diplôme, devient synonyme d’intellectuel.

Mais qu’en est-il vraiment ?

Interrogeons le petit Larousse illustré. Intellectuel : « personne dont la profession comporte essentiellement une activité de l’esprit ou qui a un goût affirmé pour les activités de l’esprit », par opposition à l’activité manuelle.

Dans l’acception la plus courante en RD Congo et en Afrique dans l’ensemble, quiconque affirme être intellectuel, voudrait laisser entendre qu’il a de l’instruction, qu’il est diplômé !

En filigrane, il voudrait aussi affirmer sa supériorité à la fois intellectuelle, culturelle et pour certains, morale par rapport à l’homme peu instruit, dont la compréhension des choses paraît limitée. « Après tout, nous sommes tous intellectuels,… moi, je suis un intellectuel chevronné» entend-t-on souvent dans les rues et medias de Bukavu.

Cela n’est évidemment pas vrai, il s’agit même, je crois d’un abus de langage, de propos erronés.

Pour beaucoup pourtant le savoir scientifique est synonyme de l’objectivité et de la rectitude dans le jugement, de compétence, d’honnêteté, de sagesse et même de l’aptitude à la direction des hommes. Chacun réalise combien ce préjugé est lourd de conséquences. Mais en toute honnêteté, pensez-vous, chers lecteurs, qu’avec toutes les implications morales que cela sous-entend, tout diplômé est intellectuel ?

Sans complaisance, et j’espère sans énerver l’amour propre de qui que ce soit, la réponse me semble non !

Il importe donc de procéder au dévoilement de ce statut et de souligner chemin faisant, les responsabilités de celui qui s’en réclame.

Dans le sens le plus étroit donné à ce mot dans le monde occidental à savoir: « l’intellectuel est quelqu’un qui se mêle de ce qui ne le regarde pas » (1).

Originellement, donc, dit J.P. Sartre, l’ensemble des intellectuels apparaît comme une diversité d’hommes ayant acquis quelques notoriétés par des travaux qui relèvent de l’intelligence (sciences exactes, sciences appliquées, médecine, littérature, etc.) et qui abusent de cette notoriété pour sortir de leur domaine et critiquer la société et les pouvoirs établis, au nom d’une conception globale et dogmatique (…) de l’homme.

Et si l’on veut un exemple de cette conception commune de l’intellectuel, on n’appellera pas «intellectuels» des savants, qui travaillent sur la fission de l’atome pour perfectionner les engins de la guerre atomique: ce sont des savants, voilà tout !

Mais si ces mêmes savants, effrayés par la puissance destructrice d’engins qu’ils permettent de fabriquer, se réunissent et signent un manifeste pour mettre en garde l’opinion contre l’usage de la bombe fabriquée, ils deviennent des intellectuels.

En effet, ils abusent de leur célébrité ou de la compétence qu’on leur connaît, pour faire violence à l’opinion, masquant par-là l’abîme infranchissable qui sépare leurs connaissances scientifiques de l’appréciation politique qu’ils portent à partir d’autres principes sur l’engin qu’ils mettent au point.

« Ils condamnent l’usage de la bombe (…) au nom d’un système de valeurs éminemment contestable qui prend pour norme suprême la vie humaine » (2)

Pareille compréhension du terme : « intellectuel » exclut beaucoup des diplômés de ses champs d’application. Mais, qu’ils se rassurent. Par leur instruction, par leur moralité et par les compétences développées au cours de la vie professionnelle, les diplômés peuvent faire partie de la catégorie «des spécialistes du savoir pratique» et c’est parmi «les techniciens du savoir pratique» (J.P. Sartre Op.cit.) que se recrutent les intellectuels. Je préfère garder cette compréhension de ce concept qui, peut-être, j’en suis persuadé est celle de la majorité de ceux qui me lisent.

Déjà vers la fin du 19e siècle en France, les «intellectuels» faisaient déjà peur, et au gouvernement et à la justice

L’affaire Dreyfus en est une illustration vivante : en 1894, Alfred Dreyfus, capitaine de l’armée française, est accusé et condamné à réclusion à perpétuité pour haute trahison (espionnage).

Malgré son innocence, ses origines juives servent même de preuve à sa culpabilité.

A ceux qui voulaient douter, un colonel de l’armée française leur réplique : «on voit bien que vous ne connaissez pas les Juifs: cette race-là n’a ni patriotisme ni honneur, ni fierté, depuis des siècles, ils ne font que trahir. Songez donc qu’ils ont livrés le Christ» (3)

Malgré le tollé populaire, les têtes pensantes de l’époque protestent contre le jugement. A leur tête, Emile Zola dans «J’accuse». Il fut rejoint, malgré les risques qu’ils couraient, par Anatole France, Marcel Proust, Clémenceau, André Gide, etc.

Ils surent à l’époque conférer au débat une dignité morale et formelle qui lui manquait. C’est, je crois, pendant les moments difficiles que traversent les peuples que l’on peut connaitre-et reconnaitre- ses intelligences valables.

L’on a vu en France, l’engagement massif et spontané des professeurs, des écrivains et des artistes donnant une éclatante victoire sur l’impossibilité de gouverner les hommes en faillissent aux lois de l’esprit.

Mais, au parlement français, on faisait un vif éloge général qui avait fait arrêter, juger et emprisonner Dreyfus et dénonçait «l’élite intellectuelle qui s’occupait de ce qui ne le regarde pas». Mais, à la fin,  A. Dreyfus sera innocenté, libéré et réhabilité avec grade supérieur.

«Une nation doit et peut apprendre d’une autre» (4). Qu’est-il donc arrivé à l’élite Congolaise ? Pour ma part, je crois qu’un intellectuel devrait avoir en lui la passion de la vérité, de la justice, l’horreur du mal, du faux, et de la corruption.

Les intellectuels, les vrais, devraient se prévaloir d’être la conscience vivante et agissante de la population et ne peuvent parler en dehors de leurs consciences.

Mais que voit-on ? Les intellectuels congolais se rangent, à quelques rares exceptions près, derrière l’oppresseur, le dominant. Ils s’installent et l’installent, et l’écris, les leurs, faits l’apologie des dictatures les plus sanglantes qui les asservissent, on se rappelle de «l’inanition de la nation» du Professeur Evariste Boshab, du « Pourquoi j’ai choisi Kabila» de Vital Kamerhe, du Mobutisme et du manifeste de la Nséle écrit par des éminents professeurs et juristes de renom au service de Mobutu. Tous les hauts cadres du Front Commun pour le Congo sont aujourd’hui professeurs : Matata Mponyo, Néhémie Mwilanya, Bahati Lukwebo, Ntumba Lwaba, Emmanuel Shadari, etc.

Le diplôme n’est plus un moyen c’est un but !

Auteurs intellectuels des crimes


Des crimes monstrueux se commettent devant eux, silence radio !

Pas même un mot d’indignation, aucune pétition, aucun manifeste pour exprimer leur désapprobation devant une situation qui met l’avenir de la nation en danger et moralement inacceptable.

Les condamnations et indignations à propos de la souffrance du peuple congolais viennent d’ailleurs, et cela depuis longtemps : Joseph Conrad (Au cœur des ténèbres), André Gide (Une saison au Congo), Charles Onana, Colette Braeckman et autres médias étrangers.

Les routes peuvent ressembler à des marmites, les enfants mourir de la malnutrition dans leurs régions d’origine, l’insécurité, les massacres, les viols et autres atteintes aux droits de l’homme se commettre, aucun mot ! Ce n’est pas leur affaire. Pourvue qu’ils se «retrouvent» dans la chose. Ils envoient leurs enfants en Europe et ils leur conseillent de prendre la nationalité du pays d’accueil… Aucun sursaut de nationalisme en eux, le moteur devient frein…

L’espoir est de même permis


Le Docteur Denis Mukwege serait-il le plus grand intellectuel congolais ? Le Prix Nobel de la Paix 2018, serait, selon la presse occidentale, le Congolais le plus connu du monde.

Nous nous referons à la description faite de l’intellectuel au début de cet article, à savoir : «l’intellectuel est celui qui se mêle de ce qui ne le regarde pas».

En fait, le Dr Denis Mukwege a quitté «sa zone» de médecin soignant les victimes des viols, pour se retrouver en dehors de «sa zone» en tant que défenseur des droits humains, ne supportant plus les violations, les massacres qui se commettent sous silence, en toute impunité. Il a exhumé le fameux dossier «Mapping des Nations Unies» et cela malgré les dangers qu’il en court ! C’est un intellectuel.

L’espoir de la RDC peut reposer aussi bien sur les mouvements sociaux, des mouvements de résistances qui naissent spontanément, ces résiduels positifs, ces héros du quotidien, ces soldats inconnus: la société civile dans sa diversité, Lucha, Filimbi, Réveil des Indignés, les mouvements associatifs… Des petites lumières «au cœur des ténèbres» restent un espoir permis pour la RD Congo.

En eux, les esprits s’éveillent, ils rêvent de réveiller, c’est la raison de l’approche «FPT» (Former pour Transformer).

D’ailleurs, d’autres peuples sont passés par là. Former pour transformer l’élite congolaise, pas toute, bien sûr, a trahi les espoirs placés en elle.

Parlant de Laurent Désiré Kabila, devant l’ambassadeur de Cuba à Dar-es-Salam, Che Guevara déclara : «Avec des tels leaders, le Congo a encore plusieurs siècles de servitude». Mais les Congolais prennent peu à peu leur destin en main, même si le voyage est encore long. Mais ne dit-on pas que les fruits sont toujours au bout des branches ?

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(1)  J.P. Sartre, plaidoyers pour les intellectuels.
(2)  J.P. Sartre, Op.cit.
(3)  Pierre Miquel, l’affaire Dreyfus, PUF. P31.
(4)  Marx Karl, le capital