samedi 29 juin 2013

La gratuité des soins de santé au Sud Kivu. Un cadeau empoisonné ?

Dans le souci d'un plaidoyer en faveur de l'accès pour tous aux soins de santé de qualité, le Centre d'Analyses Politiques et des Stratégies pour l'Action dans les grands-lacs (CAPSA-GL) avec l'appui financier de Solidarité Santé Sud (SSS), PSS/Sud Kivu et WSM, a mené une étude au Sud Kivu sur l'impact et les effets de la gratuité des soins de santé sur le système de santé provincial. Les résultats de l'étude ont été révélateurs et font objet d'un livre qui paraîtra très prochainement. Tout restant égal par ailleurs, le protocole de gratuité appliqué par les organisations internationales dans la province du Sud Kivu a occasionné plus de mal que de bien en dépit des indices trompe-l'oeil dont il se venterait.

La gratuité des soins telle que soutenue par la Déclaration Universelle des droits de l'homme (DUDH), décrétée et voulue par les conférences d'Alma Ata, les objectifs du millénaire (OMD), les Initiatives de Bamako (IB), la charte populaire pour la santé ainsi que d'autres instruments internationaux est une réponse adéquate au problème général posé au monde : l'accès pour tous aux soins de santé. Mais cette gratuité s'applique ou ne s'applique pas, se vit ou ne se vit pas mutatis mutandis dans les différents pays du nord ou du sud et selon les conditions socio-politiques de chaque pays. Ainsi dit, la réussite du système de gratuité est dépendante de l'équilibre sociopolitique des autres secteurs de la vie nationale dans un pays.

En République Démocratique du Congo, tout comme la justice, l'enseignement ainsi que les autres secteurs de la vie nationale, la santé constitue un autre indice de ce qui ne va pas bien. Elle est devenue au fil des temps une sorte d'insécurité psychologique si on s'en tient aux inquiétudes qu'elle génère dans les chefs des congolais et aux antivaleurs qui la gangrènent. C'est plus de l'insécurité qu'une sécurité sociale. Sur le plan fonctionnel, on pourrait définir la sécurité sociale comme un ensemble de mesures officielles coordonnées ayant, entre autres, pour fonctions de garantir un accès aisé à des soins médicaux de qualité et la protection de la santé; de garantir l'octroi d'un revenu social de substitution notamment en cas de maladie, maternité, vieillesse, décès, du soutien de la famille, d'invalidité, d'accident, de maladie professionnelle et de chômage, etc.

Or, en RDC, on peut au contraire parler d’insécurité des structures sanitaires, des prestataires des soins et de tous les congolais désireux de se faire soigner… bref à tout le système de santé congolais. Le désordre quasi général qui ruine l'administration congolaise n'a pas exempté le secteur de la santé pivot central de la sécurité sociale. Le Sud Kivu est devenu depuis près de 20ans, une terre de prédilection des organisations
humanitaires intervenant dans divers secteurs dont la santé dans une approche urgentiste. Malgré la multitude de ces ONGs dans le domaine sanitaire, les réalités sanitaires quotidiennes en province du Sud Kivu sont dans l’ensemble médiocres et aléatoires. Pourtant l'accès aux soins de santé de qualité est un droit fondamental de la personne humaine. Tout Etat responsable a l'obligation de le garantir à tout citoyen. Cela exige donc de cet Etat une vision de son système de financement, une organisation systémique et une politique réaliste et concertée de mise en place progressive d’un tel système.

D'après la politique nationale de la santé de 2010, en RD Congo la situation sanitaire a connu des niveaux variables depuis la période coloniale jusqu'à ce jour. A l'aube de l'indépendance, la politique sanitaire était essentiellement axée sur la médecine curative avec des centres médicaux-chirurgicaux et des dispensaires satellites. Avec les changements sociopolitiques des années 1960 et 1970, le système de santé a connu de profondes perturbations. La population ne pouvait plus accéder aux rares soins de santé que grâce aux efforts des plusieurs intervenants...

Les guerres qui sévissent au Kivu depuis 1996 et la situation socio économique très alarmante peu avant, sous le règne de Mobutu, ont gravement détruit tous les tissus et structures sociales. La pauvreté et la misère sont devenues le lot quotidien de la population. Toutes les capacités locales d'auto-prise en charge et de participation communautaire au développement endogène ont été annihilées dans tous les secteurs et même celui de la santé. Ce qui a donné avantage à la prolifération, à l'extension et la persistance des maladies endémique ou pandémiques, infantiles ou maternelles mortelles ainsi qu'à d'autres antivaleurs nuisibles au secteur.

Comme toujours, la Communauté internationale via les organisations internationales est venue à la rescousse de la population. Pour répondre au besoin accru de l'accès aux soins de santé, nombre d'entre-elles ont adopté, de manière sélective dans le système sanitaire du Sud Kivu, l'approche de la gratuité totale ou de semi gratuité des soins ou encore d'achat de performance dans certaines zones de santé. C'est le cas de MSF Hollande et Espagne qui ont appliqué la gratuité totale successivement dans les zones de santé Baraka, Kimbi Lulenge en territoire de Fizi axe sud du Sud Kivu, à Bunyakiri, Kalonge dans le territoire de Kalehe dans l'axe nord de la province ainsi que dans le territoire de Shabunda un peu à l'ouest de la province. L'IRC a opté pour la semi gratuité dans une partie de la zone de santé de Kalehe (Hôpital d'Ihusi,…) et dans le territoire de Kabare (Hôpital de Mukongola), Malteser International était à Walungu (Hôpital FSKI au sud ouest), International Médical Corps (IMC) était dans la plaine de la rivière Ruzizi dans le territoire d'Uvira et même au Nord Kivu, le CICR était à Fizi, Uvira et Shabunda… pour ne citer que ces organisations-là.

Contenu de la gratuité

Pour les organisations impliquées dans le système de gratuité des soins de santé (totale ou partielle), ce système contient un certain nombre d'interventions dans une zone de santé ou dans une formation sanitaire: un appui en médicaments et équipements, un appui en prime du personnel et frais de fonctionnement et un appui dans la réhabilitation et/ou la construction des infrastructures sanitaires.

Des médicaments: les structures médicales bénéficiaires reçoivent des médicaments sur base d'une réquisition élaborée par l'hôpital et contresignée par le président du comité de développement de la santé (CODESA). Pour le cas des structures appuyées par International Rescue Committee (IRC), elles reçoivent trimestriellement des lots de médicaments génériques. Après expérience, il s'est avéré que les médicaments ne couvrent pas la période requise. Ils sont à peine suffisants pour deux mois successifs ; la conséquence est que lorsqu'il y a rupture de stocks, les patients s'en prennent aux prestataires les accusant de détourner leurs dons. En outre, beaucoup de cas, surtout les interventions chirurgicales nécessitent toujours des médicaments spécialisés pendant que dans les stocks il n'y a que des génériques essentiels de base. Cela exige du médecin de faire des prescriptions sur ordonnance pour que le patient trouve les médicaments ailleurs. Malheureusement dans beaucoup de cas ces ordonnances ne sont pas acceptées puisque la population estime que c'est du détournement de médicaments par le corps médical.

La prime au personnel: la prime donnée par IRC, qui varierait entre 90$ et 200$, est moins alléchante. En
plus de ce fait, elle est frappée d'une condition de performance de 30% retenu et remis au bénéficiaire au bout de trois mois. Seuls le donateur fixe et évalue la performance du prestataire sur base des critères subjectifs. Il y a toujours eu des grognes par rapport à ce pourcentage gardé et qu'on ne recouvre pas en totalité. En ce qui concerne MSF-H, sa prime est plus ou moins alléchante (à Baraka) mais elle est souvent à la base des jalousies et conflits interpersonnels. Tout le monde dans la zone de santé veut travailler dans les structures soutenues par MSF et du coup on développe de petit coup bas, des "ôte-toi de là que je m'y mette".

Les infrastructures: certaines structures ont été réhabilitées et équipées en partie; quelques rarissimes bâtiments ont été aussi construits ça et là dans certaines zones de santé mais ce qui étonne l'opinion ainsi que l'administration locale c'est l'opacité qui entoure l'enveloppe globale des travaux accomplis et le fait de ne pas associer la communauté à toutes les phases d'exécution du projet. Ceci a comme conséquence la non appropriation de l'ouvrage au départ du partenaire. Dans ce domaine et dans toutes les 34 zones de santé que compte la province du Sud Kivu, la courbe de la demande est grande alors que l'offre demeure minime malgré la modique contribution des ONGs internationales. L'insuffisance des infrastructures sanitaires est grande. A certains endroits la couverture n'existe pas et les gens font de longues distances pour atteindre une formation médicale.

Les frais de fonctionnement: pour fonctionner, une structure sanitaire organise, consécutivement à sa taille, plusieurs services interdépendants même paramédicaux. Cela exige des moyens financiers conséquents. L'International Rescue Committee (IRC) donne aux grands hôpitaux de Mukongola à Kabare et d'Ihusi à Kalehe une enveloppe de 1500$ pour leur fonctionnement mensuel. "Ce qui est très insignifiant par rapport à la demande", réagissent ces bénéficiaires. Le système de gratuité frappe tous les services médicaux, ainsi elle exige par exemple que pour le service d'ambulance l'hôpital n'exige au patient que 5$ pour une course quelle que soit la distance à parcourir et l'état climatique, or cette somme ne peut pas couvrir ne fut-ce que le besoin de carburant pour l'ambulance. Il en est de même pour le générateur qui doit alimenter 24h/24h en énergie puisque beaucoup de zones ne sont pas couvertes par l'électricité publique. Le coût en carburant est énorme. Les 1500$ reçus constituent une menace réelle à la vie institutionnelle de la structure.

Dans le cas des hôpitaux appuyés par MSF, c'est le donateur lui-même qui tient le fonctionnement de la structure si bien qu'à son départ, le risque est grand.

Au début, cette gratuité ou semi-gratuité des soins apparut comme un "ouf de soulagement" pour une population paupérisée et désemparée quant à leurs soins de santé.

Après plusieurs années de pratique, lorsqu'on scrute et interroge actuellement la réalité sur le terrain, les faits et les bénéficiaires (population, prestataires des soins, acteurs étatiques) ainsi que les porteurs de cette gratuité des soins sur les avantages et la pertinence de ce système dans les différentes zones de santé (où la pratique est toujours en cours ou pas) les avis et les perceptions sont divergents et étonnants.

Les OSC (population) n'apprécient guère la manière d'intervenir des ONGs internationales particulièrement leurs actions en urgence qui n'aident en rien la population. Elles ne tiennent pas compte des vrais besoins de la population ni ne les associent à la planification. En dépit de quelques avantages tels que la baisse de la mortalité infantile de moins de 5 ans ainsi que la hausse du taux de fréquentation et d'utilisation, le maintien relatif du capital familial, la gratuité a des inconvénients sur la qualité des soins (diminution sensible), démotivation des prestataires qui ne respectent plus au doigt les règles du métier, le détournement des médicaments ainsi que la faible adhésion aux Mutuelles de santé, etc.

Pour les prestataires des soins, la gratuité influe négativement surtout sur le mental collectif local. Elle détériore la mentalité et gâche la qualité des soins de santé. Ainsi les gens se déversent plutôt dans les structures privés que les publiques. Les patients développent une négligence dans la prise des soins administrés sous le protocole de gratuité. Différents prestataires des soins affirment que la gratuité des soins est une humiliation pour le personnel médical. En gratuité, les prestataires sont moins compétents, ne remplissent pas leurs tâches convenablement, les infirmiers font la consultation dans ces structures à gratuité,…

Les acteurs étatiques quant à eux, estiment que les urgentistes qui accompagnent normalement l'Etat congolais dans la réalisation des OMD et de sa politique nationale sanitaire, parfois se comportent en maîtres sur le terrain sans associer les répondant du pouvoir se trouvant à l'échelle le plus bas de la vie nationale afin de savoir exactement les besoins sanitaires de la population à la base. La gratuité des soins telle que pratiquée par les ONG au Sud Kivu place la population dans l'attentisme... Comme pour toute aide une fois arrivée à sa fin, la population non préparée rechute.
La gratuité ne prévoit pas un plan de désengagement conséquent. Cette gratuité tue le réflexe d'auto-prise en charge dans le chef de la population et empêche ainsi le développement intégral de la province.

Les ONGI, pour leur part, estiment que leur travail reste humanitaire et s'inscrit dans la ligne de la politique internationale sur l'aide au développement. Cela étant, elles ne peuvent ni ne veulent remplacer l'Etat congolais dans ses obligations vis-à-vis de sa population. Elles viennent en appui si pas en accompagnement des initiatives étatiques. Par rapport à la gratuité des soins de santé telle qu'elles l'appliquent est irréprochable, disent-elles, c'est l'Etat congolais qui ne fait pas son travail. Il y a plus de peur que de mal. Pourtant certaines parmi elles comme Aide Médicale Internationale (AMI) a justement constaté et vécu les conséquences de la gratuité dans la province du Nord Kivu et a alors décidé d'abandonner la pratique. Il s'est avéré que ces ONG ne respectent pas du tout le protocole de Paris sur l'alignement de l'aide.
Somme toute, dans le contexte socio-politique de la RDC aujourd'hui, avec l'incapacité réelle des gouvernants actuels de répondre aux besoins fondamentaux de la population, les Mutuelles de santé sont la seule voie de sortie pour l'accès de tous aux soins de santé. Au Sud Kivu, la dynamique des Mutuelles de santé, qui est une initiative de solidarité à la base, existe depuis une dizaine d'années. Aujourd'hui cette dernière se trouve menacée par les interventions en urgence des humanitaires.
Parsemés ici et là dans la province, les humanitaires appliquent la gratuité des soins de santé dans certaines zones et dans certaines structures sanitaires. Cette gratuité sélective est une menace et un cadeau empoisonné dans la mesure où elle brise tout élan de solidarité et l'esprit d'auto-prise en charge de la population. Très souvent, elle ne prévoit pas un plan de désengagement avec un ticket modérateur accessible pour ne pas faire tomber la structure.
Pour sa part, l'Etat congolais devrait prendre ses responsabilités dans le secteur de la santé en viabilisant, modernisant les structures sanitaires, en instituant et en harmonisant la politique de la gratuité de soins avec les autres intervenants. Il devrait s'occuper de la situation sociale des prestataires des soins et appliquer un contrôle minutieux pour le respect des textes régissant la santé. Imposer le respect du protocole de Paris sur l'alignement de l'aide, ainsi devrait-il remplir sa part de devoir.

Les lois et la politique congolaises devraient articuler la solidarité institutionnelle et trouver des alternatives au financement de la santé en recréant un lien social et une culture de sociabilité civique. L'Etat doit inciter à la solidarité et faire éclore, partout où il peut, des initiatives mutualistes plutôt que de recourir de façon sempiternelle au financement alternatif pour colmater les brèches de la sécurité sociale.

1 commentaire:

  1. pourquoi les ong qui interviennent en urgence n'aident pas la population? la faible adhésion aux mutuelles santé n'est qu'un début ca va s'étendre par la suite non ?

    Marie de u-mutuelles.biz

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