mercredi 22 novembre 2017

La floraison des mouvements citoyens en RD Congo: rêve ou début d’une révolution populaire…

L’avènement des mouvements sociaux en Afrique subsaharienne prend son impulsion des récents printemps arabes en Afrique du nord lorsque, sporadiquement, des jeunes décidèrent de se débarrasser, par la rue, des dictatures qui leur ont volé la jouissance de leurs droits de citoyens dans leur propre pays.
Tout commença par la Tunisie de Ben Ali en passant par l’Egypte de Hosni Moubarak, le Sénégal d’Abdoulaye Wade et tout fraîchement le Burkina Faso de Blaise Compaore qui, après 27 ans de règne, voulait encore manipuler la constitution pour se maintenir au pouvoir. Ce mouvement de contestation populaire le prit au dépourvu et c’est de justesse qu’il se sauva de la colère du peuple pour s’exiler en Côte d’ivoire…



Peut-on croire qu’après la révolution populaire au pays de Thomas Sankara, ce sera le tour du pays de Lumumba? Si les burkinabés ont donné un sens au combat de leur héros national Thomas Sankara, par ce soulèvement populaire, est-il aussi certain qu’il puisse en être de même pour les compatriotes de Lumumba?

En République démocratique du Congo, la population courbe l’échine devant le régime de Joseph Kabila depuis 16 ans. Les citoyens n’ont plus la moindre prise sur l’Etat et la démocratie se meurt chaque jour davantage. La situation socio-politique du pays est désastreuse, la misère a atteint le seuil de l’invivable et de l’inacceptable. Malgré tout, le président Kabila veut se maintenir au pouvoir en dépit de la fin de son deuxième et dernier mandat constitutionnel le 19 décembre 2016. Son régime multiplie des astuces depuis déjà 2015 pour ne pas organiser les élections que la Constitution impose. Face à cette situation, on a assisté depuis plus de deux ans à la naissance timide des mouvements de contestation et de dénonciation de jeunes citoyens particulièrement au Nord-Kivu avec « la LUCHA (Lutte pour le changement) », « Le Réveil des Indignés au Sud-Kivu » et « Filimbi à Kinshasa »…Malgré les arrestations, intimidations et autres sévices, ces jeunes manifestent pour revendiquer le respect de la constitution, la tenue des élections pour qu’il y ait alternance politique à la tête du pays.


La multiplication spectaculaire des mouvements sociaux…



Peu avant et après la tenue des deux récents dialogues politiques (celui de la cité de l’Union africaine dirigé par Edem Kodjo et celui du centre interdiocésain piloté par la CENCO) nous avons assisté à une floraison foisonnante de mouvements citoyens. Depuis le début de l’année 2017, on les compte par dizaines. Mais cette « pullulation » est-elle le fruit d’une prise de conscience collective susceptible de conduire à une révolution populaire? Ou n’est-ce que l’ombre d’un rêve congolais de refaire les printemps burkinabé et sénégalais avec les mouvements tels « Balaie citoyen » et « Y’en a marre ... »?
Dans tous les cas, en RD Congo, cette multiplication prend les allures du multipartisme après le discours du plus-que-craint dictateur Mobutu le 24 avril 1990. Aujourd’hui le pays compte près de six-cent (567 vrais et faux) partis politiques qui ne font pas avancer la démocratie, bien au contraire. Ce multipartisme débridé est devenu une réelle menace pour le processus de démocratisation. Il brille d’abord par le manque de culture politique véritable, d’idéologie claire et d’idéaux politiques solides et constants dans le chef des opérateurs politiques. C’est dire que multipartisme ne rime pas forcément avec démocratie. L’éclosion de tous ces mouvements citoyens risque aussi de revêtir une ambigüité qui pourrait écorner leur essence et par ricochet la lutte dont ils se réclament. Autrement
dit, ils risquent d’arborer les mêmes faiblesses que les partis politiques congolais (toutes tendances confondues), et devenir ainsi un grain de pierre (scandalum) dans la chaussure de la démocratie congolaise.

« Sans la lutte vous n’obtiendrez rien. Ni aujourd’hui ni demain » disait Lumumba.
Le moins qu’on puisse dire, c’est que rien ne garantit que ces mouvements naissent dans le souci d’un combat pour le changement. Certains d’ailleurs relèvent purement et simplement de la machination politique du régime en place. Pour fragiliser les partis politiques de l’opposition ainsi que les mouvements citoyens engagés pour l’alternance dans le pays, Kinshasa a choisi de les dédoubler et/ou de créer des tendances en leur sein pour les affaiblir, par l’achat de la conscience et la corruption. La stratégie de diviser pour mieux régner - des intimidations allant jusqu’à tirer à bout portant sur les manifestants non violents - est bien mise en marche pour fragiliser les mouvements citoyens.


Un combat aux multiples défis intra et extrinsèques



Par ailleurs, le déficit d’une véritable conscience du pourquoi de la résistance et la faiblesse de la réflexion sur les stratégies à mettre en œuvre, pose de sérieuses questions. La question des appuis et des alliances constitue aussi un vrai défi: comment ne pas être seulement derrière des hommes politiques déçus par leurs propres partis, ou recevoir sans compromissions des appuis financiers de puissances étrangères dont les positions politiques sur la RD Congo est ambiguë et les intérêts économiques contradictoires avec ceux du peuple congolais.

La misère, la pauvreté ainsi que l’ignorance de ses droits par la masse laborieuse congolaise en est un autre et peut être le plus contrariant pour toute idée de révolution. On ne peut pas faire une révolution populaire avec un peuple qui survit au taux du jour, qui ne sait ni ne comprend clairement vers quoi il doit agir. Ventre creux n’a point d’oreilles, dit-on.

L’âme par excellence de la résistance, c’est la conscience et l’idéologie… Une action sans ces armes ne sera qu’un feu de paille, sans risque d’un danger majeur pour le pouvoir en place, d’autant que Kinshasa est très éloignée des provinces qui constituent les foyers durs de cette résistance.
Les dirigeants desdits mouvements doivent s’armer d’une idéologie de résistance et d’une conscience claire, solide et éclairée. Cela leur épargnerait d’initier des actions à même d’user de la patience du peuple devant un régime Kabila prêt à tout, et de le décourager par des actions inefficaces et sans lendemain. L’idéologie crée la conviction et la conviction chasse la peur.

Les particularités géopolitiques, socioculturelles du Congo exigent des meneurs de ces mouvements qu’ils puissent mener un combat victorieux contre la dictature sans massacre massif. Eviter le sensationnel et arriver à initier et proposer au peuple des actions efficaces qui désintègrent réellement le régime en place au moindre coût en termes de souffrances et vies humaines. Même s’il est clair que toute lutte a un prix. Il serait bien entendu aussi illusoire de vouloir combattre une dictature sans ce prix, y compris en vies humaines, comme le disait Gene Sharp dans son livre « De la dictature à la démocratie».

Pour arriver aux résultats attendus, les mouvements citoyens doivent devenir des espaces et instruments par excellence de la conscientisation populaire pour un changement radical et participatif de la gestion du pays et non pas de simples incitateurs des actions désaxées de la base. Toute action proposée requiert une adhésion d’une grande partie de la population et d’au moins la moitié des 26 provinces du pays. La révolution populaire ne se décrète pas ; il y a toujours un travail de préparation invisible préalablement réalisé par une équipe unie, forte, engagée, coordonnée et aux individualités
parfois discrètes. Les dirigeants éclairés doivent être capables d’ « entendre l’herbe pousser » (1), de faire preuve de patience, le temps qu’il faudra, et d’audace le moment venu.

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(1) K. Marx