jeudi 24 janvier 2013

RDC: entre justice, paix et balkanisation

"Tuer un homme est un crime, mais qu’est-ce que tuer une nation ? Comment qualifier ce crime?" (1)

La République Démocratique du Congo, un géant de l'Afrique centrale traverse une situation socio-politique très confuse. Un iceberg au fond méconnu par les congolais mais dont la partie visible obnubile.

Depuis le génocide de triste mémoire au Rwanda en 1994, le Kivu est devenu un no man's land ruiné par des mouvements rebelles et des bandes armées. Ces derniers sont alimentés essentiellement par le Rwanda, l'Ouganda et Kinshasa (RCD/Goma, FRF, FDLR, CNDP, M23, des mouvements mai mai,…) pour des raisons politiques, économiques, d’occupation et de domination. L’instrumentalisation de l’identité au Kivu est au cœur des conflits régionaux pour soumettre l'Est du Congo afin de faire main basse sur ses énormes richesses naturelles.

Aucune démarche politique (l’accord global et inclusif de Sun City (2), l’octroi collectif et incontrôlé de la nationalité congolaise à la communauté tutsie, les élections de 2006 et celles de 2011, les différents sommets (Nairobi I, II, Goma, CIRGL, la CEPGL, les opérations de rapatriement volontaires des FDLR et réfugiés hutus rwandais, la présence d'une importante mission de l'ONU,…) n’a jusqu'aujourd'hui désamorcé la situation et redonné espoir à une population qui n’en peut plus. Toutes ces démarches ambigües ont au contraire augmenté et galvanisé l’insécurité au Kivu. La paix est restée perchée au bout des fusils de certains éternels insatisfaits bernés par la logique de la victimisation et de la balkanisation de la RD Congo.

Aujourd’hui encore la situation sécuritaire à l’Est va de pis en pis, le Nord Kivu est à feu et à sang, sous contrôle d'un mouvement rebelle, le M23. Le Sud Kivu vit dans la psychose et l'incertitude. Tout est parti en mars 2012 de la demande de la CPI aux autorités congolaises d’arrêter et de transférer Bosco Ntaganda à La Haye alors que le mandat d’arrêt international courait depuis 2006. On se demande pourquoi la communauté internationale a estimé à ce moment qu’il faille l'arrêter à côté d’un Laurent Nkundabatware, d’un Omar El Bachir ou encore d’un Joseph Koni qu’ils n’ont jamais su appréhender alors qu'ils en ont les moyens? En effet, il existe dans la région une importante force militaire des Nations Unies qui passe les 3/4 de son temps à faire du tourisme permanent au lieu de sécuriser réellement la population civile et d'arrêter tous les criminels qui troublent la région.
Par ailleurs, se pose la question de la réelle volonté de Kinshasa de juguler le problème d'insécurité au Kivu. Kinshasa a refusé de livrer Ntaganda pour préserver la paix au Kivu. Ils ne l'ont pas livré, la paix est-elle venue pour autant ? Bien au contraire. Faut-il construire l’Etat congolais avec des criminels au nom d’une paix jamais venue, d’une paix incertaine ou utopique? Et la population observe que ce sont toujours les mêmes acteurs, les mêmes stratégies et les mêmes revendications de 1996 à aujourd’hui. Par contre l'idée de la balkanisation du Congo fait progressivement son chemin… Les discours politiques et les agissements militaires de Kinshasa ne permettent plus le doute sur les combines qui se passent à l'Est.


1. La responsabilité des autorités congolaises


La RD Congo est signataire du Statut de Rome de la cour pénale internationale et de ce fait, elle a livré Thomas Lubanga, Mathieu Ngoudjole (qui vient d’être acquitté faute des preuves probantes), Germain Katanga à la CPI.
Aujourd’hui devant le cas Ntaganda, Kinshasa fait preuve d’ambiguïté et souffle le chaud et le froid. Rien ne justifie cette stratégie de deux poids, deux mesures. "L’indiscipline qui s’est manifestée dans l’armée, cette fois-ci je viens de régler ça. A la prochaine, que ce soit Bosco Ntaganda ou n’importe quel autre officier, ils seront arrêtés et déférés devant la justice" déclara le chef de l’Etat congolais lors de son passage au Nord Kivu le 11 avril 2012. "Concrètement, si l’indiscipline que nous sommes venus régler au Nord Kivu se poursuivait, nous aurons raison d’arrêter tout officier en commençant par Bosco Ntaganda" a-t-il ajouté. "Bosco Ntaganda sera jugé mais devant les juridictions congolaises" relaya pour sa part le gouverneur du Nord Kivu, Julien Paluku.
En réalité ces discours cachent la perplexité et le refus des autorités congolaises de livrer Ntaganda à la CPI : "Je ne travaille pas pour la communauté internationale mais plutôt pour la population congolaise" avait également proclamé le chef de l’Etat congolais. Quoique vraie théoriquement, cette déclaration peut paraître irresponsable au regard des engagements internationaux. En outre, il est absurde de croire à la réelle volonté de juger Ntaganda au Congo. Depuis 2004 les autorités politico-militaires de Kinshasa n’ont jamais voulu que les FARDC en finissent avec les rebelles. Chaque fois qu’elles étaient en position de force favorable, un ordre tombait de Kinshasa exigeant de faire un repli, ce qui permettait aux rebelles de reprendre des forces, de se réorganiser et de prendre le dessus sur les forces loyalistes. Beaucoup des militaires congolais sont morts livrés à eux-mêmes. Aujourd'hui encore dans le feuilleton du M23 beaucoup de témoignages militaires font allusion à ces ordres qui viennent de Kinshasa et qui exigent les militaires au front de reculer. 
"Nous n'avons jamais perdu un front - renseigne un officier FARDC - c'est chaque fois que nous sommes au bout d'un ennemi qu'un commandement nous tombe dessus et nous oblige de faire un repli stratégique, notre défaite ne se joue jamais au front mais à Kinshasa et au niveau de nos supérieurs. Nous mourons finalement pour rien. A côté de ça, on nous met dans des conditions logistiques qui nous prédisposent à l'échec, c'est à dessein tout cela, heureusement que nous aimons notre pays, nous résistons toujours. Malgré les infiltrations, nous avons résisté à Goma... Mais la société civile doit faire pression sur les politiciens pour qu'ils changent notre hiérarchie et qu'ils voient bien cette question. Ces rwandais ne sont pas forts, je vous le dis et eux aussi le savent bien, c'est la politique qui nous bat. Tout ça c'est le problème de cette démocratie... Avec Mobutu, notre armée était bien au point de défendre le territoire national. Maintenant nous sommes infiltrés à cause de cette démocratie et vous vous en prenez encore à nous, militaires, de vous faire souffrir. Qui fait souffrir qui ? C'est vous qui nous faites souffrir…" Evidemment, ceci n’exonère nullement les FARDC des graves violations des droits de l'homme dont ils sont coupables.

Aujourd'hui, la suspension du général Gabriel Amisi Kumba dit Tango Four (ex chef d'Etat major de l'armée terrestre), pointé par le rapport des Nations Unies pour vente d’armes et de munitions aux rebelles à l'Est, donne raison et confirme que Kinshasa fait une messe noire à l'Est. Depuis des années la population n'a cessé en vain de demander la démission de ce général qui a passé tout son temps à détruire l'armée congolaise au vu et au su de la haute hiérarchie militaire. Sa suspension fait penser à celle du Général John Numbi suspecté d'avoir orchestré l'assassinat du défenseur des droits humains, Floribert Chebeya. Cela ressemble plus à une mise à l’écart provisoire en vue de protéger le régime qu'à une véritable sanction. Les principes de la république voudraient qu'ils soient simplement déférés en justice pour qu'ils répondent de leurs actes. 
D’aucuns se demandent si la suppression du programme et des opérations Amani Leo par le président Joseph Kabila peu avant l’avènement du M23 n’était pas une fuite en avant rentrant dans la stratégie du pompier pyromane?
Où sont allés ces militaires, n’est-ce pas pour engorger les rangs du M23? Le colonel Makenga, Vianney Kazarama et bien d’autres sont issus d'Amani Leo au Sud Kivu.

Sur l'implication du Rwanda au Kivu que ce soit avec le CNDP (3) ou le M23, Kinshasa envoie cependant des signaux contradictoires. Parfois, le gouvernement dénonce clairement Kigali, parfois il le ménage. Cette hésitation s'explique d'abord par le fait que jusqu'aujourd'hui personne au Congo ne sait avec exactitude quelle mafia avait imposé Joseph Kabila au pouvoir en 2001, à la mort de Laurent-Désiré Kabila. Quel fut le rôle des uns et des autres? Ensuite, par le fait que plusieurs personnalités du gouvernement actuel sont des anciens membres du RCD/Goma (4), un mouvement rebelle parrainé hier par le Rwanda et dont les revendications ne se distinguent nullement de celles portées par le CNDP de Laurent Nkundabatware (5) ni de celles portées aujourd'hui par le M23.
Plusieurs acteurs politiques congolais continuent donc à faire allégeance au Rwanda. Enfin, Kinshasa est bien conscient d'avoir par moment utilisé les FDLR, ces combattants hutus rwandais qui menaceraient la sécurité du voisin. C'est une faiblesse pour Kinshasa et ceci constitue pour le Rwanda l'éternelle raison d'entrer au Congo.
Tout compte fait, la complicité de certaines autorités politiques et militaires congolaises, telle que soupçonnée déjà par nombre d’analystes et citoyens, ne fait plus de doute. Depuis douze ans le pays est sous la gestion de mêmes individus et ces derniers n'ont jamais su organiser l'armée? Curieux! 
"Alors que la désertion est considérée comme la plus grave forme d’indiscipline dans les autres armées, au lieu de cela en RDC les unités et les commandants qui désertent sont généralement accueillis à nouveau dans l’armée et sont même souvent récompensés avec de meilleures places lors de leur réintégration", déclare Maria Eriksson Baaz, chercheuse à l’Institut nordique sur l’Afrique, basé en Suède. C’est "très démoralisant" pour les soldats, ajoute-t-elle.Par ailleurs, plusieurs accords et opérations militaires formels et informels ont été signés entre Kinshasa et Kigali pour l’éradication totale de l’insécurité à l’Est. L’intégration des rebelles dans l’armée congolaise a alors créé des chaînes de commandement informelles fondées sur des fidélités passées. Tout cela a permis au Rwanda d’envoyer ses troupes au Congo d’où elles ne sont jamais reparties. Sous l’opération conjointe Umoja Wetu (notre union), 9000 militaires rwandais déclarés seraient entrés officiellement au Congo et 7000 seulement en seraient ressortis. Entre-temps aucun militaire congolais n’a été envoyé au Rwanda pour le même travail qui se justifie par le Joint Verification Mechanism (6) (mécanisme conjoint de vérification) pourtant beaucoup des criminels rwandophones et autres du Kivu se cachent ou se ravitaillent au Rwanda (Jules Mutebusi, Laurent Nkundabatware, Ntaganda, Xavier Chiribabanya, le M23,…) 

"…l‘impunité pour les crimes commis hier engendre les crimes et l’impunité qui prévalent aujourd’hui…" (7)


2. Le Kivu: la Palestine africaine?


Les ressemblances avec l’Etat d’Israël (8) qui occupe depuis des années la bande de Gaza, la Cisjordanie et Jérusalem-Est et s’oppose à la création d’un Etat palestinien sont frappantes… 
Le Rwanda et l'Ouganda occupent eux aussi par interposition le Kivu, y poursuivent méthodiquement la désagrégation de la société congolaise et l’annexion virtuelle des territoires du Nord et Sud Kivu en empêchant l'émergence de l'Etat congolais dans cette partie. Ils confisquent depuis lors des terres congolaises pour y installer des colonies de peuplement à travers le retour des réfugiés dits congolais mais qui souvent ne connaissent pas le Congo. Ils poursuivent des violations du droit international et du droit humanitaire. Entre-temps à Kinshasa comme ailleurs dans le monde, l’occupation rwandaise ne dérange personne sauf les Congolais d'en bas. En Europe, nombreux sont ceux qui refusent d'admettre l'évidence de la présence rwandaise au Kivu surtout quand celle-ci est dénoncée par les congolais: on préfère les traiter de xénophobes, de racistes. Ils oublient que même les FDLR sont des citoyens rwandais à part entière et que les congolais ont beaucoup enduré depuis l'opération turquoise menée au Rwanda par la France, membre de l'UE, en 1994.
Etonnant encore, la même façon d’instrumentaliser le génocide pour susciter la culpabilité occidentale et pouvoir agir en toute impunité… 
Par la stratégie de l’étouffement et des négociations permanentes, les congolais sont en train d’être dépossédés lentement et sûrement du grand Kivu. La satellisation des provinces de l'Est a pris tellement d'ampleur que finalement les enjeux économiques sont en vérité plus importants que la préoccupation sécuritaire, infini prétexte du Rwanda.

a. La stratégie de l'inondation démographique du Kivu par le Rwanda
A travers les cyniques opérations militaires telles que le mixage, Umoja Wetu (notre union), Kimia (silence) I, II, Amani Kamilifu (paix parfaite), Amani Leo (paix aujourd’hui) et des manœuvres dilatoires de victimisation astucieusement programmées par Kigali (minorisation, xénophobie, menace de génocide des tutsis vivants au Congo), le Kivu perd sa configuration socio-culturelle d'antan. Le service de migration congolais (DGM) et l’UNHCR n’ont jamais été en mesure de dire exactement combien des réfugiés congolais étaient dans les pays voisins, pas plus que le nombre de réfugiés rwandais, burundais ou ougandais présents au Congo et ce qu’ils y font. Le nombre des dits refugiés se trouvant au Rwanda se quintuple miraculeusement chaque année (de 4000 réfugiés en 2000 à 57000 en 2009) et leur retour constitue toujours une des revendications de tous les mouvements rebelles nés dans cette partie et soutenus par le Rwanda et l'Ouganda. Le retour des réfugiés est un droit reconnu mais encore faut-il savoir combien ils sont exactement, d’où viennent-ils et où sont-ils précisément ?
Au nord Kivu particulièrement dans les territoires de Masisi et à Rutshuru, des milliers de familles ont été dépossédées de leurs terres au profit des émigrés tutsis qui viennent du Rwanda avec bétail et autres biens sous la bénédiction des autorités du CNDP. C’est la même réalité dans le territoire de Kalehe au Sud Kivu.
"… mais il est certain que ces opérations militaires vident ces zones de leur population, probablement pour y installer quelqu’un d’autre à sa place». Selon ce qu’indique une correspondance du quotidien britannique «The Guardian», l’opération «Paix Parfaite» a contraint environ 100.000 civils à évacuer leurs villages. Un chiffre que notre source considère comme crédible. «L’armée congolaise fait du théâtre avec la complicité de la MONUSCO sous prétexte de réprimer les groupes rebelles tels que les FDLR alors qu’est en cours de mise en place un dessein stratégique visant à vider les deux Kivu de leur population pour en mettre une autre à sa place", conclut la source de Fides. (9)
A cela s'ajoute le Communiqué conjoint de Nairobi qui stipule que "…les combattants désarmés qui seront reconnus comme étant congolais ou éligibles pour acquérir la nationalité congolaise en conformité avec la législation nationale, ne seront pas soumis au rapatriement; ceux-ci seront enregistrés et une liste les identifiant sera transmise au gouvernement du Rwanda". (10) 
Les accords de paix de Goma entre le CNDP et le gouvernement congolais ont eu pour mérite d’admettre le retour quasi incontrôlé des pseudos réfugiés congolais (en nombre indéfini et inconnu) qui se trouveraient dans les pays voisins. L'article 6 alinéa premier reste muet quant au nombre et à la localisation. Ceci constitue encore l'un des leitmotivs du M23.
Comment admettre que des combattants rwandais (FDLR) présumés criminels aient la nationalité congolaise avant qu’ils ne soient jugés pour des crimes odieux commis au Congo? Et comment admettre que les réfugiés rentrent au Congo sans connaître exactement leur nombre, leur identification afin de savoir qui ils sont? Tout n’est que duperie. Cette stratégie correspond exactement à la proposition d’un nouveau découpage territorial proposé par le CNDP et admis par le gouvernement dans les accords de Goma dans le but de créer justement un "tutsi land" au Kivu. "Se fondant sur la nécessité d'une meilleure prise en compte possible des réalités sociologiques du pays, le CNDP a proposé un modèle de découpage du territoire national" (11) . Aujourd'hui le M23 exige que le Nord Kivu soit découpé en deux provinces: le grand nord et le petit nord (comprenant les territoires de Rutshuru, de Masisi, Walikale et la ville de Goma) qui serait dirigé par les rwandophones. Voilà un État dans un autre.

b. Sur le plan économique
L’intégration régionale pour le libre échange commercial entre les pays de la sous région est une théorie vague voire une simulation. Le Congo étant le maillon faible de la chaîne, les autres États se servent de cette fameuse intégration pour soumettre économiquement l’Est de la république. En dépit du fait que le Kivu soit un eldorado, avec des potentialités diversifiées, la majorité des produits de consommation de première nécessité viennent désormais du Rwanda. Le grand Kivu vit quasiment sous le parrainage économique des pays voisins. A l'interne, toutes les initiatives économiques locales sont étouffées, asphyxiées par une lourde taxation. Actuellement toute l’administration au Kivu est infiltrée (par l'effet des différents accords avec les diverses rebellions) par les agents qui servent à l’œil et au doigt les intérêts des agresseurs. Beaucoup d'usines (12) de traitement d'eau par exemple ont fermé les portes à cause d'une surtaxation (57 taxes) et des tracasseries administratives. Près de 70% de la production de ces usines va dans les taxes et du coup, elles ne savent plus fonctionner avec les 30% restant. Cette situation arrange plutôt les produits venant de l'extérieur. L'autorité congolaise qui doit réguler et faire la promotion de la production locale trouve normale la situation. Les kivutiens perçoivent cette situation comme une prévision de la domination. 

c. Sur le plan militaire
La conséquence des incursions rwandaises au Congo, les opérations conjointes et autres manœuvres dilatoires au Kivu ont favorisé la forte militarisation mono ethnique. Les opérations de mixage des troupes rebelles (CNDP, RCD, MLC, M23 et autres groupes rebelles) ont eu pour conséquence d'avoir une armée fourre-tout, sans unicité de commandement et à multiples idéologies non patriotiques. "Les M23 prennent nos armes et nous disent qu’ils vont nous apprendre leur idéologie" (13) témoigne un policier de Goma. 
Tous les commandements dans les Kivus sont quasiment tenus par une seule communauté. C'est frustrant pour les autres militaires. On se demande pourquoi les autorités congolaises s’évertuent-elles à promouvoir aux postes de commandement supérieurs et stratégiques essentiellement des militaires d'une seule communauté ou leurs alliés? Quels en sont les critères et les enjeux pour qu'une communauté obtienne et contrôle à elle seule près de 15 généraux, plus de 70 officiers supérieurs, etc. ? 
"Il y a quelques temps, les populations du Nord-Kivu parlaient d’infiltrations nocturnes des soldats de l’armée rwandaise sans que l’on sache exactement leur objectif et le temps qu’ils resteraient sur le sol congolais. Il s’agissait, en effet, d’actions surprises menées par des forces spéciales rwandaises contre des chefs rebelles des FDLR." (14)

d. Sur le plan politique 
Il existe depuis quelques années un débat à l'Assemblée nationale congolaise sur des éventuels sujets rwandais devenus soit ministres provinciaux, soit députés nationaux ou provinciaux tout en maintenant leur allégeance et leur identité rwandaise. Il y en a qui ont été arrêté au Rwanda comme "citoyen rwandais" alors qu'ils sont officiels au Congo. Absurde. Lorsqu'on regarde la configuration de la classe politique et l'administration congolaises, on constate que nombre d'animateurs sont les anciens rebelles soit du RCD, soit du CNDP, soit simplement des anciens acteurs venus dans la foulée avec Laurent Désiré Kabila. Cette façon théâtralise le processus démocratique supplanté par des perpétuels compromis avec des rébellions.


3. L’autre partie de l'iceberg


Les évènements au Kivu et la politique africaine de certains états anglo-saxons (USA, Grande-Bretagne, Israël,…), démontrent insidieusement pourquoi la balkanisation du Congo devient de plus en plus un sujet de débat public. L'Ouganda, le Rwanda et certaines hautes autorités congolaises tapies dans l’ombre en sont les policiers. 
Au premier trimestre 2012, des missions suspectes ont été organisées dans le Kivu par des agents secrets, camouflés envoyés de l’Union européenne pour rencontrer certains chefs de la résistance populaire pour les convaincre de se rallier à l’idée de l’autonomisation de l’Est. C’est ainsi qu’en mars 2012, une réunion secrète a eu lieu dans le territoire de Fizi au Sud Kivu entre une "dame occidentale" et des leaders de groupes armés. Le même type de réunion avait déjà eu lieu au Nord Kivu plus tôt poursuivant les mêmes buts. 
Dans une interview accordée par Bosco Ntaganda à une radio rwandaise en juin passé, à la question "Que poursuivez-vous en déclenchant une nouvelle guerre?", il répondit "Les gars (soldats) qui sont avec moi et avec Makenga sont déterminés à en finir avec le régime de Kabila du moins dans la partie Est de notre pays." Pourquoi la partie Est ?

Les extrémistes tutsis devraient comprendre que leur mise en valeur par les armes dans la sous région des grands lacs africains, n'est pas une stratégie d’avenir, car vouée à l’échec. Ils devraient prendre des distances avec les politiques iniques sinon ils y construisent une toile de haine intergénérationnelle et des années d'insécurité. "C'est de la physionomie des années que se compose la figure des siècles", disait Victor Hugo.

La volonté extérieure de balkaniser le Congo est un grand risque. Ses meneurs doivent comprendre que l'unité du territoire national est le sentiment le mieux ancré dans les cœurs des congolais. Et donc, la division du pays n'interviendra que lorsque les congolais eux-mêmes, pour des raisons qui leurs sont propres et pour leurs propres intérêts en décideront ainsi. Persister à tuer la nation congolaise en la divisant sans l'assentiment interne sera un crime fatal à la sous région et à la communauté internationale qui relativise la colère des congolais. L'important pour la sous région c'est d'imposer un dialogue politique au Rwanda et en Ouganda (dialogue inter rwandais et inter ougandais) et de juger tous les criminels en liberté dans ce coin pour restaurer enfin la Paix, tant attendue par le peuple.



-----------------------------------------
(1) Jean Touchard, Histoire des Idées politiques 2, du 18ème siècle à nos jours, PUF, Paris 1981, p 535-537.
(2) Formule 1+4 (c'est-à-dire un président et quatre vices présidents) convenue à Sun City à l'issue du dialogue inter congolais.
(3) Congrès National pour la Défense du Peuple dont le chairman était Laurent Nkunda.
(4) Rassemblement Congolais pour la Démocratie d'Azarias Ruberwa.
(5) Un général issu du RCD et qui s'est mutiné contre Kinshasa et a fait une rébellion au Nord Kivu.
(6) Communiqué conjoint du Gouvernement de la République Démocratique du Congo et du Gouvernement du Rwanda sur une approche commune pour mettre fin à la menace pour la paix et la stabilité de deux pays et de la Région des Grands Lacs, signé à Nairobi, le 09 novembre 2007, Point 6, p 2.
(7) Helen Mack Chang, figure de proue de la lutte contre l’impunité au Guatemala.
(8) www.info-palestine.net, « Israël et son architecture oppressive d’occupation » et ccfd-terre solidaire, «40 ans d’occupation des Territoires palestiniens »
(9) Cfr. Agence Fides, 17.03.'12 in Congo-Actualités n°143, 02 avril 12, p 6.
(10) Article 11, al. C. du Communiqué conjoint du Gouvernement de la République Démocratique du Congo et du Gouvernement du Rwanda sur une approche commune pour mettre fin à la menace pour la paix et la stabilité des deux pays… du 09 novembre 2007, p 3.
(11) Accords du 23 mars 2009, Article 8 alinéa 2, p 10.
(12) Rafiki
(13) Site : Direct.cd du jeudi 22 novembre 2012 "Témoignage d'un policier de Goma…"
(14) Congo – Actualités n° 143, du 02 avril 12, p 7.

jeudi 10 janvier 2013

Haine ethnique dans le Kivu?

Quand certains Congolais parlent ou écrivent sur la situation vécue à l’est du Pays, certaines sensibilités occidentales semblent y déceler quelques ombres de racisme et de xénophobie à l’encontre des Rwandais, principalement les Tutsis.

Certes, certaines paroles peuvent être malheureuses et laisser croire à une telle dérive. Certes, il n’est pas totalement à exclure que les souffrances, l’humiliation et les rancœurs accumulées ne se transforment un jour en haine ethnique...
Il faut pourtant nuancer le propos et surtout analyser et comprendre les tenants et aboutissants.
Les Congolais doivent bien entendu être attentifs à ces dérives possibles, et aux sensibilités de l’opinion occidentale quand on évoque les mots de « génocide, xénophobie… », d’autant que, nous y reviendrons, Kagame et son régime usent habilement de ces sensibilités pour « vendre » le génocide et obtenir jusqu’aujourd’hui un blanc seing des puissances occidentales pour ses politiques de domination et de conquêtes. Il y a là une bataille de l’opinion internationale, et occidentale en particulier, dont il ne faut pas minimiser l’importance et l’impact.

Cela dit, il est nécessaire aussi de faire comprendre à l’opinion publique la réalité des faits et veiller qu’elle ne réagisse pas de façon excessive en fonction de son propre traumatisme non encore dépassé, suite au génocide juif perpétré par les nazis.
Si des guerres tribales ont émaillé l’histoire des peuples des grands lacs bien avant la colonisation, il est vrai également que les échanges furent nombreux. Les différences ethniques existaient certes, et il serait sot d’en nier la réalité et de n’attribuer celles-ci qu’aux politiques colonialistes. Il n’en demeure pas moins que les colonisateurs usèrent habilement de ces différences, et les ont exacerbées dans le but de diviser pour mieux asseoir leur domination. Déjà alors ils ont favorisé des migrations et déplacements de populations au gré de leurs intérêts économiques. Des Rwandais furent ainsi massivement utiliser pour travailler dans les mines Congolaises.

A la veille de l’indépendance encore, en 1959, plusieurs vagues de Rwandais ont franchi la frontière pour s’intégrer et s’assimiler aux populations locales, sans que ces dernières en fasse problème… Ils ont pu intégrer la fonction publique, accéder à de nombreux postes de responsabilité dans des secteurs divers, y compris dans des secteurs aussi stratégiques et sensibles que la Police, l’Armée…Mobutu prendra même, durant de nombreuses années, un directeur de cabinet Rwandais! Ils ont administré plusieurs entités territoriales telles celles de Masisi, Rutchuru, Kalonge, les Hauts plateaux de Kalehe, Mimenbwe...  On pourrait multiplier les exemples de bon accueil de ces populations congolaises, au regard desquels, soit dit en passant, l’accueil réservé aux immigrés arrivant en France, en Belgique, en Allemagne… est bien plus problématique.
Plus tard, les Congolais découvriront qu’invariablement, ces Rwandais résidents envoyaient discrètement leurs garçons faire l’armée au Rwanda, en Ouganda, en Erythrée…

Mais les choses basculeront vraiment dans la foulée du génocide Rwandais de 1994 et des guerres qui s’en suivirent. Les Congolais  accueilleront alors d’abord ceux qui fuyaient les génocidaires, leur portèrent secours et les aidèrent, malgré leur peu de moyens. Ils devront ensuite recevoir les génocidaires qui, protégés par l’armée française, fuyaient l’avancée du FPR et ses massacres de masse commis en représailles. Ils seront des centaines de milliers à s’entasser dans des camps de réfugiés et à tenter de survivre, provoquant au passage une déforestation dont les conséquences sont encore dramatiques.
Kagame prend le pouvoir. Médusés, les Congolais verront alors une majorité de ceux qui vivaient parmi eux depuis des décennies, sous l’appellation de banyamulenge, quitter de leur plein gré le Congo pour rejoindre le Rwanda et servir le nouveau régime et cueillir sans doute les fruits de la victoire… (Ils n’y seront d’ailleurs pas toujours si bien accueillis…) Certains auront alors vendu maison et biens, déchiré leur carte d’identité congolaise aux postes frontières de Kamenbe, Kiliba, Kaminvira…

Moins de deux ans plus tard, en 1996, ils reviendront en force avec l’AFDL et l’armée Rwandaise. La population Congolaise connaitra alors les pires brimades, humiliations et exactions diverses perpétrées par les mêmes qu’ils avaient accueillis et hébergés auparavant!
Sollicitude trahie, bafouée, payée en retour par de nombreux traitements inhumains, dégradants et d’une cruauté inouïe. Là des femmes enterrées vivantes, ailleurs des corps vivants empalés sur des bambous, des viols d’une sauvagerie indescriptible. Des centaines de milliers de Congolais et plus sans doute, sont morts de ces guerres et de ses suites. Début des années 2000, dans le Sud-Kivu, le taux de mortalité infanto-juvénile était de 460/1000 !
En 2004, quand les bandes armées de Laurent Nkunda et Mutebusi prirent Bukavu, on assistera dans certains quartiers à des ratissages maison par maison, pillages et viols collectifs à l’appui. On ne compte pas les fosses communes à Bukavu et dans la province.

Ces dernières semaines, lors de la prise de Goma par le M23, soutenu par Ougandais et Rwandais, les cruautés furent de retour, massivement. Il n’y a pas plus de quatre semaines, une femme vendant de l’alcool dont le M23 venait d’interdire la vente, eut une altercation chez elle avec des hommes armés du M23. Elle a été tuée, on lui a ouvert le ventre à la machette. On a tué son bébé en lui tordant le cou et on placera son petit corps sur le ventre ouvert de sa mère… D
Des récits de ce genre sont légion.
Tout cela s’est passé dans le silence assourdissant de la Communauté Internationale.

A l’Est du Congo, nul mémorial pour honorer nos morts… Pendant ce temps, le mémorial du génocide à Kigali fait recette et est visité par de nombreux visiteurs qu’on veille bien à éviter qu’ils ne se posent des questions sur les responsabilités et les ressorts du génocide rwandais. Et qu’il s’en pose encore moins sur l’étrange sélectivité qui a présidé aux choix de la présentation de plusieurs génocides de  l’histoire humaine.
Loin de nous de minimiser les faits de 1994, ni de simplifier l’analyse de ceux-ci.
Mais il nous est difficile d’avaler la propagande qui utilise ces horreurs de 94 pour cacher et mystifier l’opinion sur ses crimes d’aujourd’hui. De très nombreux Rwandais partagent cette opinion et sont les premiers à souffrir d’un Etat policier qui sévit et étouffe toute expression critique sur les inégalités sociales qui aujourd’hui, recouvrent très largement des différences ethniques dans ce pays,  sous prétexte d’incitation à la haine en vue d’un nouveau génocide des Tustsis.

Les  génocides d’hier doivent être pleinement reconnus et il est indispensable de combattre le négationnisme qui s’exprime parfois. Cela étant, ils ne peuvent pas non plus, d’aucune manière, justifier les politiques criminelles menées par d’aucuns qui s’en servent comme fond de commerce, que ce soit en Israël ou en Afrique Centrale.
S’il est aujourd’hui une haine qui monte, c’est d’abord et avant tout celle de l’occupant et de ses terribles exactions. Il se fait que celles-ci soient imputables pour l’essentiel à une communauté ethnique qui détient le pouvoir dans son pays. Cela fait-il de cette haine bien compréhensible une haine raciale, basée sur des préjugés ethniques ? Nous ne le pensons pas, même si nous sommes conscients des risques possibles de dérive et du travail de conscientisation à réaliser sur cette question. Le peuple Congolais sait bien qu’on ne peut incriminer le seul Rwanda et son pouvoir dans les drames du Congo. Les responsabilités internes au pays sont très lourdes. On sait aussi que le régime de Kigali ne pourrait rien faire  s’il ne bénéficiait de la complaisance et de l’appui de certaines puissances.

Il est urgent que la Communauté Internationale reconnaisse pleinement les souffrances du peuple congolais et soit à ses côtés dans son combat pour retrouver la dignité et des conditions décentes de vie et de développement.  Et que soient mises enfin en place les conditions politiques pour qu’il en soit ainsi. Les Communautés d’Etats, économique, ou autres, ne peuvent fonctionner valablement que sur base de relations égalitaires entre les Etats. Si on souhaite qu’elles soient durables et fécondes, elles doivent constituer une réelle avancée  pour toutes les populations concernées.
Ce n’est pas, hélas, le chemin qui est pris.

Les craintes sont grandes que les frustrations accumulées, la colère qui monte, l’humiliation insupportable ne dégénèrent et ne se transforment en violence aveugle et extrême.

L’Afrique des Grands Lacs reste une poudrière.