mardi 31 juillet 2018

Un impératif pour la RDC: la conscientisation!


Il est de ces moments où, à la croisée des chemins, tout homme ou toute institution doit s’arrêter pour un temps de bilan, une évaluation, une introspection. Surtout entre l’âge d’or et le jubilé de diamant, il est impératif de faire un bilan sans complaisance, car, pour le cas de l’homme, la plus grande partie de sa vie est derrière lui, on va vers le crépuscule et l’atterrissage doit se faire en douceur… On ne dira pas la même chose pour une institution. A 50 ans on célèbre, mais à 60 ans on fait un bilan en vue de réorienter, on pose la question de la pertinence des outils utilisés...

Si, en 2010, nous avions célébré avec faste le cinquantenaire de l’indépendance, il s’impose à nous de faire passer le pays par une introspection (la 58e fête de l’indépendance… et, depuis 48 heures avant ce 30 juin 2018, nous étions sans électricité!) la plus critique qui soit. 
Il est plus qu’urgent de travailler sur notre conscience comme pays et comme citoyen de ce pays. Il est plus que temps de passer des sens à la conscience, de quitter la dispensation de la sensibilisation et rentrer dans celle de la conscientisation…

Pourquoi cette  conscientisation est-elle impérative? A quoi répond-t-elle?

Voici selon nous quelques éléments du rationnel qui nous poussent sur ce chemin de changement. Les besoins en conscientisation concernent largement au-delà des communautés? C’est l’ensemble de nos institutions, TOUTES les institutions de la RDC qui souffrent chroniquement des carences en conscientisation. Et cela rejaillit sur toute la marche du pays. Dans les lignes qui suivent, nous vous en exposons quelques éléments.

1. Les limites de la sensibilisation
Nous croyons que la sensibilisation n’a pas répondu aux attentes des populations et moins encore, elle n’a pas été l’antidote nécessaire et suffisant pour une plus grande compréhension de l’action et surtout du rationnel de l’action… La sensibilisation a placé et laissé le citoyen dans un activisme non situé dans un cadre orienté ou dans une vision du devenir de la communauté… Cet activisme a dès lors été converti en une stratégie individuelle de survie,  aveugle sur tout ce qui relève du bien ou de l’intérêt commun… La sensibilisation peut avoir répondu à l’une ou l’autre question du pourquoi l’action… Mais était-ce la question fondamentale? La question du fond sur laquelle peut se construire un code? Nous pouvons confirmer que les questions auxquelles la sensibilisation a répondu sont restées au niveau des symptômes et ne sont pas allées au cœur, à la base même des problèmes… 
C’est comme un militaire qui tire dans tous les sens et croit qu’il se défend et qu’il pourra gagner la guerre. Non, il ne pourra pas… Et, même si les tirs sont orientés, ils doivent contribuer stratégiquement à la démolition du centre névralgique du camp de l’adversaire.
L’action comme les cartouches ont besoin de cadre et de direction et elle doit concourir à la résolution d’un problème de base…  

2. Renforcement des capacités comme stratégie de survie personnelle
Pendant ces 30 dernières années, la sensibilisation était souvent couplée au renforcement des capacités. Mais la question de renforcement des capacités est venue comme une mode non pas axée sur les besoins méthodologiques de transformation des communautés. Il a été et il reste un créneau pour des groupes d’intellectuels consultant en sciences sociales qui papillonnent autour du tandem Gouvernement et organismes internationaux.
Les plannings stratégiques et d’autres concepts comme le GAR, Monitoring et Evaluation  et bien d’autres avaient été utilisés sans une mise en place des fondations qui sont la vision et le plan de base, le cadre. Et, si la vision et le plan de base ne sont pas au rendez-vous, toute méthodologie est vouée à des résultats extrêmement limités.
C’est le cas aujourd’hui de ces concepts, ici, en RD Congo.

3. Refus de renforcement des capacités
Même si les outils de ces nouveaux concepts qui meublent souvent le renforcement des capacités sont utilisés ici et là, il y a cependant un vrai refus de renforcement des capacités. Par exemple, pendant plus de 7 ans, on a amorcé la réforme des Finances Publiques. Le but était de basculer du budget des moyens au budget programme. Pendant plus de 7 ans, les agents directeurs et responsables des syndicats avaient fait tous les pays en mission pour organiser une tonne d’ateliers en vue et en préparation de ce basculement… Tant de modules de formation furent commandés pour préparer ce basculement… Mais les mêmes personnes qui avaient fait ou conduit cette préparation - avec des fonds des bailleurs - au niveau du Ministère des finances, ont ensuite demandé un moratoire de plus de 5 ans… Et, le  parlement, qui ne comprend pas grand-chose à ce qu’il vote, vient de voter pour ce moratoire pour une période de 6 ans. Il faudra encore attendre 6 ans pour le budget programme alors que le CMRAP [1] avaient déjà fait plus de 7 ans des travaux de préparation? Aujourd’hui, les budgets des ministères  fonctionnent sur les besoins et ceux-ci sont déclinés dans les mêmes rubriques depuis plus de 40 ans pour les effets qui vont en s’empirant … En effet, ce sont les Ministères du Budget et des Finances qui décident qui aura quoi! Et, ces deux Ministères ont la «quintessence» de juger des besoins, de l’urgence et de l’importance des demandes formulées par les autres ministères. C’est ainsi que l’on trouve des Ministères avec 10 ou 20% de décaissement et d’autres qui sont largement en dépassement de l’ordre de 200 ou 400% de décaissement… Il est connu que les Ministères des finances, du budget, de la primature et la Présidence de la République sont toujours en dépassement…

Dans le même ordre d’idée, dans ce pays, quasiment tout ce qui avait été fait comme expérience pilote est resté pilote. Regardons l’expérience de Mampu [2]où des hommes ont créé des forêts d’acacias sur des espaces de plus de 8000 ha pour amorcer ce que l’on appelle la braise écologique… Cette expérience est noble mais elle n’a jamais été répliquée ailleurs.

Aussi dans le cadre dans lequel nous-mêmes étions engagés, pendant plus de trois ans, nous avions revitalisé une infime [3] partie de l’administration du développement rural dans 4 provinces, 5 territoires et 4 secteurs  en montrant l’articulation entre le pouvoir central à Kinshasa, la province, le territoire et le Secteur ou Chefferie… Nous avions équipé ces différentes administrations des locaux et des outils de travail, nous avions rajeuni des cadres à tous les niveaux, nous avions formés ces mêmes cadres à tous les niveaux et nous avions remis en marche le système de communication entre les différents niveaux de l’administration… Nous avions en quelques sorte devancé la réforme et avions refusé d’appeler les gens des fonctionnaires et nous avions créé le concept de Servicom [4].

4. Refus de la souveraineté
La souveraineté ne se trouve pas  ou ne s’exprime pas  à partir des réactions épidermiques contre ceci ou contre cela… Ce n’est pas dans les réactions conflictuelles que se décline la souveraineté. Elle se dit dans ce que vous voulez devenir comme peuple! La Révolution de la modernité… C’est ce que nous voulons devenir? Qui peut nous expliquer ceci? Au départ, tout était orienté par ce fameux contrat chinois… Pour 9 milliards et ensuite 6 milliards… Planifier  ou construire sur l’argent d’autrui…Portant, chez nous,un adage simple dit que "Liboke ya moninga basombelaka yango kwanga te" soit, "Tu ne peux pas commencer à planifier avec l’argent d’autrui!".

D’autres disent qu’en 2030 la RDC sera pays émergent! Mais qu’est-ce qu’un pays émergent? Il faut faire un "buruyeke [5]" sur ce concept pour savoir combien de congolais savent ce que signifie émergent! Concept exogène qui ne peut mobiliser nos populations, qui contentent les institutions étrangères et bat de l’aile déjà au niveau international… Je ne me sens ni galvanisé ni mobilisé par ce concept qui est bien limité car sa vision nous place dans une perspective de rattrapage, illusoire, sinon néfaste pour nos populations…

Notre souveraineté est l’expression de ce que nous voulons devenir! Que voulons-nous devenir? Déclinons ce que nous voulons devenir… C’est seulement après cela que chaque ministère peut bien avancer ce qu’il veut apporter comme à l’édifice, dans sa spécialité, et des actions qui soutiennent cet apport! C’est dans ce sens que toutes les institutions en République doivent dire ce qu’elles comptent apporter… A tous les niveaux: provincial, territorial, secteurs et chefferies et au niveau national… Et le budget devient une somme articulée de toutes ces actions…
C’est ainsi que le budget devient le lieu de l’expression de ce que nous voulons devenir… Si nous ne voulons pas grandir, nous aurons un budget de 3 milliards… Nous dirons au monde entier que nous voulons rester nains! Le pays aujourd’hui est un nain de 58 ans!

5. Refus de sa richesse
On a tendance à croire que la première richesse de ce pays c’est le cuivre, le coltan et d’autres minerais: les mines… Ce cuivre, il profite à combien de congolais? Un nombre infime! Le cobalt avait rapporté en 2017, moins de 300 millions de dollars américains… Ceci rapporte une moyenne de 3 dollars américains par congolais... C’est bien pauvre ! Soit 0,25 dollars américains par congolais par mois… 
Faisons un calcul simple. Nous comptons plus de 85 millions de congolais aujourd’hui… Supposons que 60% de cette population  - qui est bien jeune - a l’âge de travailler, ce qui fait 51 millions. Supposons que  le taux de chômage est de 90% soit 45.900.000 personnes, avec une moyenne de 8 heures de travail par jour… Ca fait que la RD Congo perd aujourd'hui 367.200.000 heures de travail chaque jour. C'est-à-dire que, pendant 25 jours ouvrables mensuels, 9.180.000.000 heures de travail sont perdues. Et sur 11 mois de travail, 100.980.000.000 heures de travail perdues par an. Si l’Etat avait 10 centimes sur chaque heure de travail il pourrait donc rassembler 10.098.000.000 dollars américains aujourd’hui.

Si on considère l’ensemble de la population active, l'Etat pourrait rassembler 11.107.800.000 dollars + la TVA pour 2 dollars par jour, pour lesquels le manque à gagner est de 9.928.000.000 dollars américains.

Les deux rubriques taxe horaire et TVA font à elles seules un total de 21.035.800.000 dollars américains, actuellement perdus chaque année par une mauvaise vision de la richesse et par un défaut d'organisation.
La richesse de ce pays est avant tout le citoyen congolais. Mais l’Etat ignore son citoyen, il ne sait pas où est le citoyen et ne sait pas ce qu'il fait. L'Etat est tout simplement un ignorant de sa propre richesse… Qui peut construire une économie sans le citoyen?
Il nous semble important que l’Etat et toutes ses institutions intègrent la conscientisation de manière impérative pour le bien de sa population. Il n’y aura pas de construction sans un retour vers notre conscience au travers de la pédagogie de la conscientisation. Le besoin est réel dans toutes les institutions de la République.

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[1] Abréviation du CMRAP ou Cellule de Mise en œuvre du Rajeunissement des Agents de l’Administration Publique.

[2] Mampu est sur la route de Kikwit. Une des premières expériences de l’agroforesterie en RD Congo.
[3] Nous disons infime partie car nous avions travaillé dans 4 provinces sur 11 à l’époque, 5 territoires sur 145 et 4 secteurs sur 737. Cette expérience avait effectivement été pilote.
[4] Servicom c’est le condensé de Serviteur de la Communauté. Peut-être à l’époque du MPR quand nous avions comme devise Servir et non se servir, le concept allait passer !!!
[5] Jeu à la télévision congolaise avec des questions troubles où toutes les réponses proposées sont fausses…