A l’arrivée de Kamerhe et de ses milliers de sympathisants à la Place de l’Indépendance, des heurts violents se sont déroulés entre manifestants et policiers mobilisés en masse. Malgré les explications des autorités, les événements ont suscité de nombreuses réactions. Aujourd’hui encore, de nombreuses questions se posent. Martin Kobler lui-même, représentant de la Monusco, annonce qu’ils feront l’objet d’une enquête.
Voici les faits, relatés par un témoin sur place, et les questions qu’elles amènent...
"Pour avoir vécu ces événements, voici retracé sous ces quelques mots ce dont je suis personnellement tantôt témoin oculaire et par endroit complété par ce que d’autres personnes présentes m’ont relaté.
Il était 16h15 quand j'ai quitté mon bureau de Labotte pour le port Rafiki. Déjà au niveau de l’hôtel Bulungu, il était quasi impossible de franchir la foule immense qui surplombait toute la place jusque dans la colline de l’économat général de Bukavu. En avançant jusqu’au niveau de la brasserie (4 km), c’était toujours pareil... quand j'ai vu progressivement avancer un très grand cortège de milliers de personnes, de véhicules et motos aux couleurs rouge et blanc de l’UNC, klaxonnant et scandant des chants de la révolution et soudain, le passage de Vital Kamerhe, l’autorité morale de ce regroupement politique de l’opposition congolaise. Il a fallu une trentaine de minutes pour que la circulation bloquée dans un sens unique soit décantée et que je sois capable de poursuivre ma route. Sitôt arrivé au port Rafiki, j’ai entendu des coups d’armes automatiques et des détonations qui se révéleront par la suite être des grenades lacrymogènes au pili-pili. Là où j’étais débout, j’ai assisté à un mouvement inverse des foules en bousculade et en grande débandade. En téléphonant pour savoir ce qui se passait au niveau du terminus du cortège de Vital Kamerhe (Place de l’Indépendance), j’en ai appris un peu plus... J’ai eu de la peine à tenter de rentrer chez moi car toutes les voies officielles étaient barricadées et j’ai dû emprunter des petites pistes longeant le lac pour atteindre le feu rouge où j'ai pu échanger à chaud avec les gens.
Toute la ville était enfumée car des pneus brûlaient sur la chaussée à partir de l’HPGRB jusqu’au niveau de la Raw Bank et jusqu’au niveau de la Prison centrale de Bukavu.
Voici le récit plus ou moins reconstitué de ce qui s’est passé:
Arrivé à la Place de l’Indépendance, le cortège s’est vu empêché par les policiers et militaires armés de monter à la Tribune. Malgré leur surnombre, ils n'ont pu contenir tant de monde et encore moins les véhicules et motos qui accompagnaient Vital Kamerhe, qui lui était transporté sur un tipoy à partir de Kalengera juste après Bwindi (à environs 6 km de la Place de l’Indépendance). Une fois déposé de son tipoy, à la seule tentative de franchir la première marche de l’escalier conduisant à la tribune d’honneur, les policiers ont dégoupillé et largué les grenades lacrymogènes en direction de toute la délégation de Vital Kamerhe. Sous la fumée de pili-pili, le crépitement de balles réelles ont été entendu et ce fut encore le sauve qui peut. Il n’a pas fallu une demi-heure pour qu’en revanche les jets de pierres jaillissent en direction des policiers et militaires qui avaient poursuivi avec le crépitement des balles. Quelle image, sinon une véritable émeute car il y eu des blessés tant dans la population que dans le rang des policiers même armés. La masse en furie a commencé la chasse aux policiers et autres cibles du PPRD pendant que tout ce lieu était pimenté de grenades lacrymogènes. Au niveau de la SNCC où je me trouvais pour chercher un passage, moi-même j’étais sous ce pili-pili…
C’est ainsi qu’au feu rouge devant la BCZ, une toute petite et vieille voiture Starlet identifiée comme appartenant à un policier a été mise à feu pour compléter le décor d’autres feux de pneus qui brûlaient çà et là. De leur côté, les policiers ont renforcé la chasse à la population, arrachant tout aux passants, frappant les motards jusqu’à arracher des centaines de motos, en conduire certaines à la brigade routière et en faire carrément disparaître d’autres... Ce fut un véritable imbroglio, et sur le champ on a parlé d’une personne tuée et d'une trentaine d’autres grièvement blessées. Vital Kamerhe lui-même a failli de peu être touché par une balle et par une baïonnette d'un policier.
Nous apprendrons par après qu’ayant préalablement demandé à Vital Kamerhe de ne pas passer plus de 30 minutes à la Place de l’Indépendance on lui avait en échange autorisé d’aller tenir son rassemblement au stade de Kadutu qui, malicieusement, était aussi octroyé à Kantitima du PPRD pour y organiser une autre activité en vue de démobiliser la population pour ne pas s’abonder dans l’attente de Vital Kamerhe… De même pour les motards: l’honorable Mukubaganyi s’est activé à remettre 20 dollars à chacun d'eux pour qu'ils ne se rendent pas à l’aéroport pour attendre le président de l’UNC… Hélas, c’est comme si cet argent des ténors, non les moindres, de la majorité présidentielle leur était donné pour qu’enfin ils aient du carburant et puissent se rendre nombreux à l’aéroport pour attendre Vital Kamerhe."
Quelques constatations :
- Les fausses déclarations des autorités locales en rapport avec ces événements sur les médias frisent le ridicule devant une population qui a vécu la réalité de la situation.
- Le monnayage/corruption criant des politiciens de la majorité présidentielle pour désorienter ou vider la participation de la population à une manif organisée par l’opposition.
- Dans les médias, Vital Kamerhe a remercié la population pour ce dévouement et le lendemain de ces événements, il s’est rendu à l’hôpital voir tous les blessés pour finir par aller demander à la brigade routière de restituer toutes les motos confisquées.
Et quelques questions…
- Devant pareille frustration collective, qu’adviendra-t-il quand les acteurs du pouvoir demanderont à leur tour à la même population la même mobilisation pour leur arrivée, question de jurisprudence ou de précédent!
- Avoir de près ou de loin permis que cet usage de la force ait eu lieu, le pouvoir aura lui-même mis de l’eau au moulin d’un de leurs opposants car plus que jamais, cette situation aura été d’une valeur inestimable dans la cote de popularité d’un de leurs meilleurs opposants…
- Entre la réforme de la Police Nationale Congolaise et sa mise en œuvre il y a un écart incroyable car à cinq ans de sa mise en œuvre, la police civile telle que conceptualisée et souhaitée par la société civile et les donneurs de fonds ne le sera jamais tant qu’elle ne se sera pas dépolitisée. Son usage disproportionné de la force et des armes létales dans les manifestations publiques l’expose à des perpétuelles violations des droits de l’homme et obscurcit toute la perspective mise dans la notion de la Police de proximité.
- Opposants, société civile, et quelques membres de la majorité présidentielle toutes tendances unis : ces bévues se sont plutôt retournées contre la coalition actuelle au pouvoir et laisse à présager que la volonté politique pour les prochaines élections risquerait d’être remise en question…
- La marche de la démocratie en RD Congo avec la liberté de manifestation confisquée et l’intolérance politique affichée montre qu’on est rentré au pays à la case départ, c’est-à-dire la période d’avant 1990....
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