mardi 7 avril 2015

Grands lacs africains: Deux ans de l'accord-cadre d'Addis-Abeba, quels résultats?

Suite à la persistance du conflit armé animé par le M23 dans l’est de la RD Congo, conflit alimenté (preuve à l’appui) financièrement, militairement et politiquement par deux états de la CIRGL, à savoir le Rwanda et l’Ouganda, le 24 février 2013 les états des grands lacs africains ainsi que la communauté internationale s’étaient réunis en Ethiopie pour chercher des solutions inclusives à l’ensemble des conflits armés qui sévissaient dans l’est de la RD Congo et stabiliser le pays. De ces assises, un certain nombre d’engagements partagés pour l’avènement de la paix, de la sécurité et de la collaboration dans cette partie de l’Afrique centrale longtemps meurtrie avaient été pris. Le 24 février 2015 passé, cet accord a accompli deux ans d’existence mais quels en seraient donc les résultats au jour d’aujourd’hui ?

D’abord, il sied de rappeler que cet accord engageait directement plusieurs acteurs régionaux et internationaux et pour y arriver un mécanisme de suivi, dit « mécanisme 11+4 » avait été mis en place. L’accord responsabilisait les onze pays de la CIRGL (RD Congo, Burundi, Rwanda, Ouganda, Tanzanie, Kenya, République Centrafricaine, Congo Brazzaville, Sud-Soudan, Angola, Zambie), le Secrétariat des Nations Unies, la Présidence de l’Union Africaine, le Président de la CIRGL et le Président de la SADEC.

En même temps, au niveau diplomatique et international, la résolution 2098 du Conseil de Sécurité des Nations Unies est venue donner davantage de poids à cet accord-cadre d’Addis-Abeba signé par l’ensemble des onze chefs d’états de la région des grands lacs africains. Et sur le front militaire, Bosco Ntaganda a été transféré à la CPI, les M23 ont cessé d’exister parce que coupés de l’appui de leurs parrains rwandais et ougandais. Et cumulativement, le Rwanda et l’Ouganda s’étaient vus retranchés d’une partie de leurs aides comme pour monter la pression sur leur intervention avérée aux côtés des rébellions dans l’est de la RD Congo…

A ce stade, on doit honnêtement reconnaître que la résolution 2098 du Conseil de Sécurité de laquelle est née la Brigade spéciale d’intervention de la Monusco, constituée de soldats africains aguerris, qui, aux côtés des FARDC avec Feu Colonel Mamadou Ndala aura fait ses preuves contre les forces du mal incarnées par le M23.


Des engagements des uns et des autres

D’abord, la République démocratique du Congo avait pris 6 engagements:

  • continuer et approfondir la réforme du secteur de la sécurité, en particulier l’armée et la police;
  • consolider l’autorité de l’Etat surtout à l’est en empêchant la déstabilisation des groupes armés;
  • effectuer des progrès dans la décentralisation;
  • promouvoir le développement économique y compris l’expansion des infrastructures et de la fourniture des services sociaux de base; 
  • promouvoir la réforme structurelle des institutions de l’Etat y compris des finances; 
  • et enfin promouvoir les objectifs de réconciliation nationale, de tolérance et de démocratisation.

Ensuite, la région s’était engagée à:

  • ne pas s’ingérer dans les affaires intérieures des états voisins;
  • ne pas tolérer, ni fournir une assistance ou soutien à des groupes armés; 
  • respecter la souveraineté et l’intégrité territoriale des états voisins; 
  • renforcer la coopération régionale à travers l’intégration économique (…); 
  • respecter les préoccupations et intérêts légitimes des états voisins surtout au sujet des questions de sécurité; 
  • ne pas héberger ni fournir une protection de quelque nature que ce soit aux personnes accusées de crimes de guerre, de crime contre l’humanité, d’actes de génocide ou de crimes d’agression, ou aux personnes sous le régime de sanctions des Nations Unies; 
  • et enfin, faciliter l’administration de la justice, grâce à la coopération judiciaire dans la région.

Enfin, la communauté internationale s’était engagée elle aussi

  • à demeurer mobilisée dans son soutien à la République démocratique du Congo et la région, avec des moyens appropriés pour assurer la durabilité de ces actions sur le long termes et à appuyer la mise en œuvre des protocoles et des projets prioritaires du Pacte sur la sécurité, la stabilité et le développement dans la région des grands lacs; 
  • à rester saisi de l’importance d’un soutien à la stabilité à long terme de la République démocratique du Congo et de la région des grands lacs; 
  • à travailler à la revitalisation de la communauté économique des pays des grands lacs (CEPGL) et à soutenir la mise en œuvre de son objectif de développement économique et d’intégration régionale;
  • à revoir la mission de la Monusco afin de renforcer son appui au gouvernement pour faire face aux enjeux d’ordre sécuritaire et de favoriser l’expansion de l’autorité de l’Etat (…)


RDC: Etat des lieux de la mise en oeuvre…

Puisque c’est d’elle qu’il s’agissait au premier plan, elle avait librement pris 6 engagements dont il est important d’interroger le degré de mise en œuvre avant de jeter une vue sur ce qu’ont fait les autres.

La réforme de l’armée et de la police
C’est depuis exactement dix ans que le pays s’est lancé sur la réforme du secteur de la sécurité et de la justice, particulièrement la police. A ce sujet, une nouvelle doctrine (insufflée par la société civile), qui fixe un nouveau modus vivendi et operandi de la police, a vu le jour: la police de proximité. Ce nouveau mode opératoire bien que concernant toute la police nationale n’a été testé que sur 4 provinces-pilotes à savoir le Bas-Congo, la ville de Kinshasa, le Kasaï occidental et le Sud-Kivu. Mais tout semble resté sur le plan théorique puisque dans la pratique les agissements ou les interventions policières font toujours et encore objet de critiques acerbes et de lamentations populaires.
Pour mémoire, la réforme du secteur de sécurité comprend la réforme de l’armée, de la police, des services de renseignements et de la justice. Même si l’esprit et la lettre de l’accord-cadre mettent un «focus» sur la réforme de l'armée et de la police, cela ne dissimule pas les autres réformes. Il faut donc noter que quelques efforts ont été accomplis en termes d’avancées dans le secteur de la police, mais beaucoup d’efforts restent encore à accomplir en termes des perspectives.
Plus particulièrement, le caractère civil et apolitique de la police nationale (articles 183 de la Constitution de la RD Congo et 2 et 4 de la Loi organique) pose un réel problème au quotidien et surtout pendant les répressions disproportionnées des manifestations de l’opposition et de la société civile. Selon le rapport (de 2013) des OSC pour la réforme du secteur sécuritaire et de la justice, la neutralité et le caractère civil de la police nationale sont difficilement compris par la population, dans la mesure où fréquemment des cas de détournement de la police à des fins propres aux regroupements politiques de la majorité au pouvoir sont enregistrés.

La consolidation de l’autorité de l’état
Avec des cas de kidnapping récurrents dans plusieurs localités et villes de l’est du pays, notamment au Nord-Kivu, des attaques contre les populations civiles comme à Mutarule au Sud-Kivu, des caches d’armes et l’activisme des groupes armés dans la quasi-totalité de la partie est, on se demande à quand cette consolidation de l’autorité de l’état ?
L’autorité de l’état se perçoit aussi comme la capacité de l’état à fournir à sa population des services de base: eau, électricité, scolarité, transport public, accessibilité aux soins de santé, communication impeccable,… Pourtant, malheureusement, beaucoup de citoyens restent privés de ces services publics fondamentaux.
Apparemment, pour le pouvoir public, la notion de l’autorité de l’état se focaliserait uniquement sur la présence de ses répondants (armée, police, administration) sur la totalité de l’espace géographique.
Actuellement, en ville comme dans des régions plus rurales, cette autorité ne se fait sentir que quand elle doit assujettir les citoyens aux taxes et tracasseries policières sans rétablir les normes minimales d’un état moderne. Partout, on trouve toujours des petites barrières à rançonnement sur des tronçons routiers après la pluie, des constructions anarchiques, de l’insalubrité, du tapage nocturne et diurne des églises de réveil dans les quartiers résidentiels, des écoles et officines de santé hors toute normes, le régime de bail,…

La décentralisation
De manière précise, la décentralisation repose sur le transfert des ressources ainsi que des compétences. Ceci reste jusqu’à ce jour un exercice très difficile pour les autorités congolaises. Pourtant, ce nouveau mode de gestion du pays, nourrit par les multiples attentes de la population, donnait espoir de rapprocher les dirigeants des dirigés à tous les niveaux.
Ce transfert des ressources et des compétences comme piliers de la décentralisation apparaît à ce jour avoir été un appât pour la campagne électorale de 2006 qui a réussi à faire arriver les actuelles autorités au pouvoir.
A ce sujet, selon un rapport des organisations de la société civile, les membres du groupe de travail pour le suivi de la mise en œuvre de l’accord-cadre ont fait observer qu’«une chose est d’adopter les textes ou de prendre les décisions et une autre est de poser les actes ou de mettre en application les textes et décisions pris.»
En effet, sur un total de 14 lois attendues pour la mise en œuvre de la décentralisation depuis la première législature jusqu’aujourd’hui, 9 lois seulement ont été votées sans être appliquées malheureusement. La décentralisation est restée couchée sur le papier et cela crée effectivement beaucoup de problèmes entre l’administration publique et les administrés. Kinshasa, comme capitale de toutes les décisions et initiatives de survie des entités administratives, empêche aux provinces de démarrer leur modèle de développement endogène. La décentralisation traîne et piétine pour maintes raisons et là encore, on n'observe aucune volonté politique à la booster... Toujours pas de retenue à la source ni de rétrocession régulière pour le développement des entités territoriales décentralisées, pas de loi de péréquation pour aider les provinces les plus démunies, pas de respect de calendrier électoral…

La réconciliation nationale.
Pour mettre fin aux différentes rébellions qui ont ensanglantés l’est de la RD Congo, la formule magique de réconciliation a souvent été de faire fi de la justice pour réprimer les protagonistes. On a octroyé l’amnistie, effectué l’intégration et les reconnaissances des grades au sein de l’armée, octroyé des postes ministériels mais aussi initié pour les catégories à conflit des projets d’intégrateurs. C’est aussi ce que l’on craignait dans l’organisation des dernières concertations nationales.
Mais si l’organisation desdites concertations nationales en octobre 2013 fut perçue par beaucoup comme le jalon de la réconciliation devant déboucher sur la cohésion nationale, la non-application de ses 700 recommandations semble avoir entamé sa crédibilité, encore qu’une partie importante de la classe politique n’y avait pas pris part.
Aujourd’hui, tout le débat politique se radicalise et se galvanise au grand risque d’assister à des scènes macabres de chasse à l’homme entre les protagonistes politiques. On le (prés)sent aujourd’hui avec le débat sur la volonté de la majorité présidentielle d’octroyer un 3e mandat (non constitutionnel) à Joseph Kabila et les réactions de l’opposition. La dernière mouture de la loi électorale votée par le parlement et rejetée par le sénat en son article 8 suite aux manifestations violentes en signe de protestation constitue l’une des stigmates de cette non-réconciliation nationale.
Plus qu’un ballon d’essai, les événements y relatifs ont perpétrés morts d’hommes et casses incommensurables dans plusieurs provinces du pays.
Par ailleurs, il est à noter que sur le plan régional, l’accord-cadre s’est ajouté à d’autres instruments sur la paix et la sécurité qui existaient déjà tels le pacte international sur la paix, la sécurité, la démocratie et le développement de la région des grands lacs, l’acte fondateur de la CIRGL, et qui n’ont jamais connu un début d’exécution.
On constate qu’aujourd’hui, par exemple, que le Rwanda et l’Ouganda continuent à héberger et à fournir protection à certaines personnes accusées de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité, de crimes d’agression et à des personnes sous le régime de sanctions des Nations Unies. Ces
pays ne facilitent pas l’administration de la justice dans la région conformément à l’esprit de cet accord d’Addis-Abeba. Citons par exemple le M23 et les alliés de Bosco Ntaganda qui, par endroit en Ouganda et au Rwanda, n’ont pas cessé d’être soupçonnés de se muer en ADF Nalu.


La réforme financière et le développement économique. 
Le climat des affaires en RD Congo ne s’est guère amélioré. Plusieurs situations politiques, économiques et sécuritaires ne rassurent pas encore. Certains investisseurs étrangers comme locaux sont obligés de fermer leurs usines à cause de la surtaxation, des tracasseries administratives au bénéfice des importations et d’entrées frauduleuses de produits au nom des accords pour le commerce frontalier.
L’entreprenariat local est littéralement asphyxié par des mesure drastiques d’impositions au profit des biens et services provenant des pays voisins à tel point que les congolais aujourd’hui sont contraints à consommer ce qu’ils ne produisent pas (vivres et biens de 1ère nécessité) et de produire ce qu’ils ne consomment pas (tel les minerais et autres ressources naturelles extraites à vil prix pour enrichir les exploitant étrangers). Des mesures administratives occasionnent de grands manques à gagner pour les opérateurs économiques. A titre d’exemple, la suspension délibérée depuis deux semaines des services des messageries téléphoniques et de l’internet sur toute l’étendue du territoire national puisqu’il fallait empêcher aux citoyens de contester une loi électorale jugée dangereuse à la démocratie.

En définitive, bien qu’il y ait quelques avancées timides dans la mise en œuvre de l’accord-cadre d’Addis-Abeba, le gros reste à faire pour que la paix, la sécurité et la coopération dans la région des grands lacs africains deviennent une réalité pratique. La stabilisation de la région comme préconisée par l’accord-cadre et appuyée par la résolution 2098 des Nations Unies ne sera possible que si on respecte d’abord le principe de l’alternance démocratique dans toute la région particulièrement en ces jours où beaucoup de présidents en exercice et acteurs clés dans le conflit régional sont en fin de mandat constitutionnel.
Ensuite, il faudrait aussi imposer à cet accord, un régime de sanction au lieu de le fonder seulement sur la bonne foi des parties pendant que cette dernière illustre progressivement ses limites. Ce train des sanctions aiderait à dissuader, voire empêcher certains dirigeants à mal de positionnement d’utiliser cycliquement les rébellions pour s’improviser en sapeurs-pompiers.

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