mardi 21 avril 2015

La garde à vue dans les amigos, les commissariats et sous-commissariats de la police nationale congolaise au Sud Kivu, encore un défi de la réforme de la police...

Cas d’illustration à l'amigo du centre pénitentiaire de Bukavu.


« Par principe, la garde à vue est une mesure de privation de liberté prise par un officier de police judiciaire pour maintenir à la disposition des enquêteurs, le suspect d'un crime ou d'un délit. Fondamentalement, cette mesure doit constituer l'unique moyen de parvenir à certains objectifs comme celui d’empêcher que la personne ne modifie les preuves, ne fuie ou ne consulte ses complices.
Sa durée maximale légale en RD Congo et dans beaucoup de pays est de 48 heures avec des faibles exceptions de déborder de quelques heures pourvu que cela soit justifié, motivé et documenté. Tous les officiers de police judiciaire (OPJ) de la RD Congo le savent bien et la conceptualisation de la réforme de la police nationale congolaise en a pris compte.»

La gestion de la garde à vue et la réforme de la PNC (police nationale congolaise) déclenchée en 2004

Un des casse-tête dans la laborieuse démarche de rétablissement de l’autorité de l’état en RD Congo, c’est la réforme de la police, de l’armée et des services de sécurité et de renseignements en tant que bras séculiers de tout pouvoir public de par le monde. Domaine sensible de la souveraineté de l’état, la réforme de la police aujourd’hui mise en marche, principalement avec l’appui des partenaires occidentaux dont en tête la coopération britannique DFID, met à l’épreuve la réelle volonté politique des dirigeants.
La réforme des services de sécurité (RSS) entraîne une gymnastique extrêmement complexe car, au-delà des contraintes financières, infrastructurelles et politiques, elle doit se centrer sur l’homme, le policier en tant que tel, qui devrait être formé pour être à la hauteur des missions délicates et souvent pénibles qui lui sont demandées. Il devrait répondre au gabarit du policier standard dont le pays a besoin. Longtemps avant, en 2004, le rapport de GMR³ (1) pour la RD Congo révélait que la police congolaise était issue des rebuts de l’armée, des veuves et orphelins des anciens militaires, de la gendarmerie. Ce qui, à coup sûr, loin de faciliter la tâche, a sérieusement fragilisé davantage les efforts visant à mettre sur pied une police digne et respectueuse des droits humains capable de répondre aux exigences de ses missions régaliennes dont prioritairement la sécurité des personnes et de leurs biens.

Dans cette réforme, la charrue a-t-elle été mise avant le bœuf ?

On peut se poser la question, quand on entend un policier, de surcroît un officier, qui, dans l’exercice de ses fonctions, placé devant ses responsabilités face aux abus, justifie sans sourciller qu’il est obligé d’agir ainsi pour vivre et faire vivre sa famille. C’est ainsi que certains viennent à se demander par où doit réellement commencer la réforme en RD Congo. Fallait-il réformer en commençant par l’assainissement des effectifs ou, à l’opposé, commencer par améliorer les conditions des policiers dans l’ensemble et puis procéder par la suite à la réforme ?
Question difficile à trancher: pour les policiers bien entendu, il s’agit d’abord d’améliorer leur sort, du côté de l’état, on répondra qu’on n’a pas les moyens d’améliorer les conditions de revenus et de travail d’un effectif largement pléthorique…

Quelques pratiques persistent malgré 10 ans de la réforme de la police nationale!

De bonnes pratiques ont été accumulées car dorénavant les bavures de la PNC peuvent être documentées. On doit pourtant constater que c’est en période préélectorale et électorale que le nombre d’abus monitoré est le plus élevé. La politisation de la police et/ou de l’empiétement de l’autorité publique sur les prérogatives de la PNC sont hélas encore une bien triste réalité. Et, dans la gestion quotidienne de la sécurité urbaine et plus singulièrement dans la répression des manifestations publiques de la société civile ou de l’opposition, la police s’est comportée avec très peu de professionnalisme.
Mais une des questions les plus cruciales, c’est la gestion délétère des 48 heures de garde à vue. Malgré les dénonciations des organisations de la société civile et des partenaires internationaux, les officiers de police judiciaire de la PNC font des 48 heures de garde à vue une chasse gardée et une véritable source de gain.

Le petit amigo du centre pénitentiaire de la prison centrale de Bukavu illustre bien ce propos.
Le centre pénitencier de Bukavu, communément appelé « prison centrale de Bukavu », placé à l’intersection de trois communes urbaines de la ville de Bukavu, pour la sécurité des pénitentiaires, est fortement gardé à la fois par des unités de FARDC et de la PNC. Pour visiter les prisonniers en détention, dans nombre de cachots et dans la prison centrale, un paiement officieux est exigé au visiteur par les agents affectés à la garde des détenus. Comme si cela ne suffisait pas, la police des prisons (PP) descend dans la cité, effectue des arrestations et emporte des citoyens dans leur amigo qui jouxte la porte d’entrée de la cellule dite 'Quartier spécial' initialement aménagé pour les prisonniers en état de santé fragile. Aujourd’hui, c’est le quartier huppé de la prison où sont placés quelques prisonniers « respectables » (officiels, politiciens de renom, religieux, cadres et nantis…)

Que peut-on dire sur les arrestations et les incarcérations au sein de cet amigo?

Par rapport à la forme, nous observons que :
  1. Avec ou sans la plainte d’un quidam, les officiers de police judiciaire de ce sous-commissariat de garde de la prison débarque sur le terrain et, pour les cas que nous avons monitorés, sans convocation ni mandat d’amener. Cette levée se fait manu-militari sous escorte jusqu’au lieu de la garde à vue. La personne est immédiatement dé-ceinturée, déchaussée, interdite d’utiliser son téléphone pour alerter les siens, bref elle est privée de toute sa liberté et placée dans des conditions inadéquates…
  2. L’importuné se voit verbalisé par un PV quelques heures plus tard et le plaignant n’est souvent apparu qu’aux environs de la 48e heure de la garde à vue pour s’exprimer superficiellement, mais en fait, pour négocier un arrangement à l’amiable, pourvu que l’officier ait formulé la demande à payer les amendes transactionnelles qui sont allées de 250.000 à 500.000 francs congolais.
  3. Les faits reprochés à la victime sont aggravés pour la placer dans une position d’extrême faiblesse où la seule alternative reste la négociation tournée vers le paiement des frais afin de recouvrer la liberté. A défaut de paiement, la personne s’imagine qu’elle sera fourrée de l’autre côté de la porte qui sépare l’amigo de 6 mètres de la prison centrale proprement dite. Et à l’importuné de réaliser ce qu’il en serait alors pour quitter une prison où gisent des centaines des prisonniers gardés sans jugement pendant de longs mois. On assiste alors le plus souvent à la résignation pour tout accepter pourvu qu’on quitte le lieu au plus vite…

Par rapport au fond des problèmes présentés :
Souvent, les faits pour lesquels est imposée une garde à vue sont bénins. C’est souvent pour retard de paiement d’une dette ou de réparation, ou encore de transaction civile qui tarde à être conclue. Les infractions calquées sont souvent liées à la revendication de paiement total ou d’apurements de dettes qui lors de l’audition se muent en escroquerie et abus de confiance juste pour constituer un dossier pénal, sachant que les dossiers au pénal sont les plus contraignants. Les règles de l’art ne sont pas observées. Même la tenue et la transcription des PV sont juste faits dans le but d’enfoncer davantage l’accusé. Celui qui a amené le dossier a d’office raison. La plupart du temps, les vrais criminels ne sont pas pris dans cet engrenage car ils savent anticipativement s’arranger avec l’officier de police judiciaire instructeur du dossier. La garde à vue est donc d’abord et avant tout un moyen de pression,  un objet de marchandage en vue de négociations lucratives pour les policiers.
En assistant les présumés, on constate que les infractions sont mal cadrées, faussement qualifiées et la loi interprétée de travers, visiblement dans le but d’acculer davantage en vue d’asseoir des prétextes d’argumentation pour exiger des fortes sommes d’argent. Alors que pour qu’on soit assujetti à une amende transactionnelle, il faudrait que l’infraction soit clairement reconnue et que les faits soient proscrits par la loi, ce qui est rarement le cas. Par exemple le fait de n’avoir pas livré la marchandise dans les délais convenus, et qu’on en a prévenu son client ne peut constituer une infraction mais plutôt une faute. Le juge du Tribunal du commerce est le juge naturel, habilité à trancher cette question sans que la police ne s’en mêle.

Cet amigo de la prison centrale de Bukavu entretient de manière permanente les actes de violation des droits humains.
On peut relever notamment:
  • De fausses qualifications des infractions à dessein de nuire et d’enfreindre à la distribution juste de la justice.
  • L’incarcération dans la même cellule d’hommes et de femmes indistinctement.
  • Le délai de garde à vue rarement respecté.
  • Les amendes transactionnelles payées de main à main en liquide, sans preuve de versement dans le trésor public.
  • Les règles de commissariat de police ne sont ni observées ni affichées comme l’exige le comité de suivi pour la réforme de la police en RD Congo (CSRP).
Bref, loin de toute norme, l’amigo du centre pénitentiaire de Bukavu est un lieu par excellence de violation des droits des citoyens …
Quel est le rôle de la police judiciaire dans les auditions passées dans l’amigo de la prison centrale de Bukavu? De quelle juridiction dépendent ceux qui mènent les auditions? Y a-t-il subsidiarité ou complémentarité entre la police de parquet, la police des prisons, l’inspection de police judiciaire? Il est difficile de croire que cette situation puisse se perpétuer sans un réseau organisé de ces pratiques…
A Bukavu, la garde à vue fait plutôt penser à des enlèvements. La bonne foi et la présomption d’innocence pour les officiers de police judiciaire n’est qu’un concept vide. Le principe selon lequel la liberté est la règle et l’incarcération l’exception ne dit rien aux officiers de police judiciaire… Au contraire, la règle, c’est la partialité dans le traitement des dossiers. Les fausses déclarations faites dans le but de rançonner les présumés, sont légion.
La population connaît tout cela et réagit peu.

Pourtant, la personne en garde à vue a aussi des droits dont notamment:
  • Celui de faire prévenir, par téléphone, la personne avec laquelle elle vit habituellement, l'un de ses parents en ligne directe, l'un de ses frères et sœurs, son employeur, son curateur et son tuteur.
  • De se faire examiner à tout moment par un médecin désigné par le procureur; si la personne gardée à vue ne demande pas cet examen, un des membres de sa famille peut le faire, et il est obligatoirement fait droit à cette requête.
  • De s'entretenir confidentiellement avec un avocat pendant 30 minutes, dès le début de la garde à vue (sauf exceptions prévues à l'article 706-88 du code de procédure pénale).
  • De demander à ce que son avocat consulte le procès-verbal notifiant notamment la garde à vue et/ou assiste à ses auditions et confrontations.
  • De répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire (après avoir décliné son identité).
Mais tel n’est toujours pas le cas pour nombre de cachots et amigos de la RD Congo et plus particulièrement de la Province du Sud Kivu où nous avons eu l’occasion de monitorer un bon nombre de ces lieux de détention provisoire.

Tous ces droits ci-haut énoncés sont malheureusement bafoués à longueur de journée…

En conclusion

Avoir permis à l’amigo de la prison d’instruire des dossiers aura été une mesure à la base de graves violation de droits et de liberté des citoyens favorisée tant par la police nationale congolaise, la justice que les pouvoirs politiques. Cet amigo est le champ d’un grand trafic d’influence et d’enrichissement sans cause pour les officiers placés à la tête d’un commissariat ou d’un amigo.
Toutes les tentatives de la réforme de la PNC se sont soldées par un échec sur la question du respect de la loi dans la mise en œuvre des gardes à vue. On peut vraiment affirmer que, sur ce point, la réforme des services de sécurité a totalement échoué.
La qualité d’officier de police judiciaire ne lui donne pas plein pouvoir sur tous les dossiers et en tous temps. Il doit en tout temps user du discernement pour ne pas amener la police dans les abus de nature à torpiller les efforts de la réforme de la police en RD Congo. Rien ne pourrait l’amener à violer la déontologie, l’éthique et toute la doctrine de la nouvelle police.
Pour le cas de l’amigo de la prison centrale de Bukavu, il sied de reconnaître la différence entre la prison et les lieux de détentions. Le cachot de la prison est devenu un lieu d’intimidation de la population. On devrait respecter les qualités de maison d’arrêt et la prison. Pour la population, il ne s’agit pas moins que d’un réseau mafieux où l’on qualifie les faits non-infractionnels et civils. Ce cachot est un lieu qui ronge la confiance de la population vis-à-vis de la PNC car il est devenu un lieu et une raison de persécution et d’enrichissement illicite des officiers de la police y affectés.
La police des prisons devrait se concentrer sur le gardiennage de la prison et si des gens doivent être amenés, ils ne peuvent y être gardés durant de longues heures, mais doivent être transférés dans les délais requis devant leurs juges.

En avant la réforme de la police nationale congolaise!

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(1) Groupe Mixte de Réflexion pour la Réforme et la Réorganisation de la police nationale congolaise 2004

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