jeudi 6 août 2015

Les zigzags de la démocratie ou du "démon-cratie"… ?

De plus en plus, la fin des mandats présidentiels et autres faits connexes qui nourrissent le débat politique dans la région des grands-lacs africains en inquiètent plus d’un.
Dans les pays civilisés, la fin d’un mandat constitutionnel ouvre la voie à l’alternance et consolide la culture démocratique du pays. Malheureusement dans la sous-région, les agitations des chefs d’états actuels (Joseph Kabila, Paul Kagame, Pierre Nkurunziza, Kaguta Museveni, Denis Sassou Nguesso,…) pour s’octroyer des mandats non constitutionnels menacent dangereusement la démocratie et la vie des citoyens. On se demande si finalement les peuples font face aux zigzags de la démocratie ou ils font face au « démon-cratie » autrement dit au démon du pouvoir?

Alors qu’ailleurs dans le monde, la démocratie a pour fondement culturel les grandes valeurs respectueuses de la vie humaine telles les libertés, l’égalité, la fraternité, la solidarité, le républicanisme,… en Afrique et singulièrement dans les grands-lacs africains, elle se décline dans la négation de la vie humaine et s’établit sur un fond baigné du sang des citoyens. Le démon du pouvoir (cratos en grec) aime le sang comprend-t-on…

Depuis des décennies, le massacre des citoyens est devenu une variable d’accès au pouvoir dans la région. En RD Congo, au Burundi, au Rwanda voir en Ouganda, beaucoup de ceux qui ont émergé politiquement, économiquement voire socialement sont ceux qui ont pris les armes contre la république ou qui ont eu des accointances (in)directes avec les mouvements rebelles et groupes armés ou qui ont tué le plus.

Tous les chefs d’état actuels ainsi que certains de leurs grands collabos politiques sont des anciens compagnons qui ont accédé aux rênes du pouvoir, d’une manière ou d’une autre, grâce aux armes: Kabila, Kagame, Nkurunziza, Kaguta,… Tous furent militaires et ont acquis la culture d’infliger la mort aux autres et de relativiser les droits de l’homme. Pourtant à un certain moment, en organisant des élections, ils ont insidieusement fait croire qu’ils étaient des démocrates. Aujourd’hui cependant les masques tombent... "A bon menteur qui vient de loin et chasser le naturel il revient au galop" dit-on.

Un phénomène non hasardeux mais tout de même curieux se constate particulièrement en RD Congo depuis 2003. La marche vers la démocratie rime avec la guerre si bien qu’à chaque veille des élections il y a toujours des bruits de bottes. Et l’on se demande si la démocratie congolaise est tributaire d’une guerre qui tue les citoyens? Pourquoi à chaque fois que le pays se prépare aux élections, il y a toujours une guerre qui s’annonce dans un coin du pays et singulièrement à l’Est, et qui par la suite fait des victimes innombrables?

Pour mémoire, en 2004-2005 à la veille des élections de 2006, une guerre éclata à Bukavu, menée par le général Nkundabatware et le colonel Jules Mutebusi. En 2010, pendant que la population se prépare aux élections de 2011, ce fut la guerre du Mouvement du 23 mars (M23) et aujourd’hui, à la veille des élections de 2015-2016, une nouvelle rébellion s’annonce encore dans le Nord-Kivu, le Mouvement Chrétien pour la Construction du Congo (MCCC) guidée encore par le général déchu Laurent Nkundabatware et Jean-Marie Runiga ancien collabo de Bosco Ntaganda dans le M23. A côté, il y a le mouvement ADF/NALU soupçonné de plus en plus d’être une incubation de l’islamisme radical formant les jeunes au terrorisme africain. Qui peut bien être derrière ce genre de scenarii, à qui cela profite-t-il? Etonnamment, ce sont les mêmes acteurs et les mêmes noms qui reviennent et dont on suspecte le soutien des pays voisins pour plusieurs raisons.

La situation de Béni laisse un peu perplexe et l’on se demande pourquoi toutes ces tueries? Les présumés ADF/NALU qui tuent chaque semaine à Béni, qui sont-ils exactement, sont-ils si différents des fameux Rasta de triste mémoire qu’on a connu au Sud-Kivu et qui ont endeuillé le Sud-Kivu principalement dans la région de Kaniola ? D’après plusieurs sources locales, les ADF/NALU ont pris une nouvelle appellation actuellement et deviennent « International Musulm Defense». Ça sent le Boko Haram made in Afrique centrale et le danger est de taille quand on sait les richesses minières, même le plus redoutable comme l’uranium que regorge la RD Congo…

La situation politique actuelle du Burundi démontre combien de fois l’ombre d’une guerre sanguinaire plane toujours et davantage sur tous ces pays et sur leur démocratie de façade dont l’avenir est très incertain. Le président Nkurunziza veut se maintenir au pouvoir au-delà de ses deux mandats constitutionnels. La RD Congo, le Rwanda, l’Ouganda, le Congo-Brazzaville n’échappent pas à la tentation. Tous ces chefs d’Etat qui se sont auto-satisfait d’être les artisans de la paix retrouvée se trouvent aujourd’hui en contradiction avec eux-mêmes et rattrapés par le temps dans la mesure où ils deviennent le scandale de la démocratie dont ils se sont tant vantés.

Aujourd’hui l’odeur du sang humain circule allégrement dans la région et on ne sent pas de mesures draconiennes pour empêcher que cette démocratie acquise au sacrifice ultime des peuples continue à se nourrir injustement de ce même sang des citoyens et que le pire n’arrive. Alors que les citoyens veulent mordicus défendre les valeurs de la démocratie pour le bien de leurs pays respectifs, les dirigeants politiques eux, se préparent en armes et munitions pour imposer leur « démon-cratie » du sang.

Au regard des tendances politiques actuelles, si rien n’est fait par la Communauté internationale, cette région risque d’être encore à feu et à sang avant la fin de cette décennie. Les révolutions citoyennes pour la sauvegarde des valeurs démocratiques, risquent de se transformer en carnage pour l’instauration des régimes iniques.

Quelles solutions possibles ?

La démocratie dans les pays des grands-lacs africains est confrontée aux conflits ethniques/identitaires, économiques et géopolitiques imposés qui gangrènent la région. Elle est aussi confrontée aux désirs tyranniques des chefs d’état actuels qui plutôt que d’asseoir la démocratie pour le bien de tous, veulent imiter les empereurs romains Caligula et Néron (le premier se roulait dans le sang de ceux qu’il avait assassinés de ses mains par ivresse sadique, le second fit incendier Rome pour jouir du spectacle d’une ville en feu)… Platon décrit le tyran comme "ne connaissant que la loi de ses désirs, celui-ci est prêt à tout pour les assouvir". Le tyran ne poursuit le pouvoir que parce qu’il est poursuivi par son propre désir.

Pour arriver à stabiliser et consolider la démocratie dans les grands-lacs, il faudra nécessairement un jour donner des solutions idoines à ces conflits qui obstruent l’incrustation de la culture démocratique dans les grands-lacs.

Certaines thèses ont été avancées par des spécialistes mais aucune n’a aujourd’hui attiré l’attention de la communauté internationale ni de la population, ni probablement rencontré les intérêts des uns et des autres.

Pour que la démocratie et par ricochet la paix progressent dans la sous-région et particulièrement au Congo, certaines "personnalités", dont l’ancien président français Nicolas Sarkozy, ont proposé le partage des richesses du Congo avec les voisins. D’autres, comme Pierre Pean ont préconisé le retour au Rwanda de la communauté tutsie congolaise puisque, estime-t-il, de Mobutu à Joseph Kabila, plusieurs actes encourageant son intégration dans l’espace national congolais ont été pris mais sans résultats probants. On en déduit que la communauté tutsie, tout au moins son élite n’a jamais réellement voulu l’intégration. Et cela conforte la thèse du tutsi land qui s’étendrait aussi sur le territoire congolais au détriment du Kivu.

Depuis l’indépendance, toutes les solutions préconisées se révèlent inadéquates, ajoute-t-il.

D’autres stratèges géopolitiques des grandes puissances mondiales soutiennent qu’il faut plutôt la balkanisation de certains états dans les grands-lacs puisque la démocratie peine à se déployer dans de trop grands pays. Le Soudan a été le pays test de cette approche, la RD Congo est dans l’œil du cyclone et probablement l’Angola suivrait. Malheureusement, l’expérience du Sud-Soudan est un échec patent et joue en défaveur de la balkanisation. Tout ce qu’on y a fait miroiter au peuple afin de voter pour l’autodétermination n’était que pire fantasme et vanité: aujourd’hui c’est la guerre sans fin, la faim, les violations graves des droits humains, le sous-développement,… Il n’y a ni paix ni démocratie à Djouba.

La dimension géographique d’un pays n’est donc en soi ni un obstacle ni un atout à la démocratie et à la paix. Les petits pays ne sont pas les plus démocrates que l’on connaisse. Le Rwanda, le Burundi, l’Ouganda, le Congo-Brazzaville n’ont rien de démocrates, bien au contraire.

A toutes ces thèses avancées, d’autres ne manqueront pas d’être formulées pour la sous-région des grands-lacs.

Pour certains peut-être faudra-t-il bien un jour se décider de faire du Burundi et du Rwanda des pays mono-éthiques en les répartissant entre l’ethnie hutue et l’ethnie tutsie. Cela pourrait se faire par référendum populaire, ou simplement penser à une confédération des états d’Afrique centrale selon le modèle de la colonisation qui, pour mieux gérer ces pays, en avait fait un seul espace administratif, une seule colonie : Congo-Rwanda-Urundi. Cela donnerait-il la chance à la paix et à la démocratie de s’installer définitivement? On en doute. Si en démocratie, c’est la voix de la majorité qui l’emporte, le respect des minorités en constitue aussi une valeur centrale. Chaque société a ses minorités. Croire qu’on peut en être exempté relève de la mystification, et ne peut conduire qu’à des tragédies.

Toutes ces solutions ne sont que des tâtonnements et des supputations qui bousculeraient l’équilibre politique mondial. La seule solution pour que la démocratie devienne effective dans les grands-lacs africains, c’est de respecter la souveraineté interne et externe de chaque pays. Respecter la souveraineté interne exige de tout citoyen (qui qu’il soit) le respect de la Constitution et des autres lois de la république votées au nom et pour le peuple, lesquelles définissent bien les règles de jeu. Il ne faut pas le personnaliser et en faire des œuvres de circonstance taillées sur mesure. La légitimité a besoin de la légalité et inversement car si on sacrifie la loi de la cité, on risque de nuire à l’humanité, disait Bertrand Vergely dans son livre « les grandes interrogations politiques. »

La souveraineté externe quant à elle suppose le non ingérence dans les affaires d’autrui tant que cela ne trouble pas la paix mondiale. Ainsi la démocratie s’installera pour le bien de tous.

mercredi 1 juillet 2015

RD Congo: Ne pas avoir peur de dialoguer, ni dialoguer par peur!

Quels lendemains pour les consultations menées par le Président Joseph Kabila. 

Coup d'œil furtif sur les consultations et le dialogue en perspective

De l’avis de plus d’un observateur, les consultations en cours au Palais de la Nation depuis plus d’une semaine, menées par le chef de l’Etat en face à face avec chacune des forces sociales et politiques congolaises séparément, en vue de récolter avis et considérations pour un dialogue politique, le Président Joseph Kabila cherche une fois de plus une nouvelle légitimité pour ses 18 derniers mois de mandat. Cela n’a pas manqué de susciter de la polémique et de diviser la nation congolaise. Pour le camp des plus sceptiques, notamment les poids lourds de l’opposition, cet exercice périlleux est dénué de tout fondement au regard des véritables priorités de l’heure qui sont avant tout sécuritaires, économiques, sociales, et surtout d’harmoniser les échéances du calendrier électoral global récemment publié. Par contre, pour le camp soutenant la thèse de la nécessité de ce dialogue politique avant les élections, l’exercice vaut bien la chandelle et facilitera une issue apaisée des élections. Toujours pour ces derniers, le dialogue politique permettra de baliser le chemin des élections, d’harmoniser certains points d’achoppements susceptibles d’entamer la cohésion nationale, bref d’arriver à faire le point sur un certain nombre de questions en vue d’éviter de tomber dans la situation qui a prévalu à Bujumbura dernièrement(1). Entre-temps, le sondage se poursuit…
Qui a raison? Seul le temps pourra dire si ces retombées seront positives ou négatives sur un processus de paix qui a longtemps évolué en dents de scie.

Tel que démarré à l’initiative du chef de l’Etat, et à la demande(2) de l’opposition et de la société civile (cette dernière ne semble pas le reconnaître), l’événement divise la classe socio-politique du pays.
Par ailleurs, on sait que les gouverneurs de province sont chargés par le sommet de l’Etat d’effectuer les mêmes consultations dans leurs provinces respectives. Quoi qu’il en soit, d’ores et déjà, pour le pouvoir en place, stratège avisé, l’opération est déjà gagnante. La forte médiatisation qui l’entoure, appuyée par une publicité agressive autour de la question dans les médias officiels, focalise l’attention sur ce dialogue politique préconisé, devenu désormais un enjeu majeur précurseur d’élections apaisées. Il ressemble ainsi à un rendez-vous de dernière chance.

Flot des spéculations récoltées ça et là sur le fond

En attendant les conclusions officielles des consultations, les supputations en sens divers qui alimentent la place publique et la rue se voient amplifiées par les médias communautaires.

  • Pour certains, les présentes consultations ainsi que le dialogue politique ne sont organisés que pour arracher un consensus autour de la représentation du Raïs aux prochaines échéances. Ceci au regard de maintes tentatives antérieures manquées, dont la première, et non la moindre, qui portait sur la modification de quelques articles de la Constitution de la République. Sur cette question, les marges de manœuvres légales du chef de l’Etat en cette matière semblent largement amoindries au regard du court laps de temps qui nous sépare des élections présidentielles. On se souviendra que la dernière révision/modification de la Constitution faite en 2006 réduisant de deux à un seul tour le scrutin présidentiel, avait permis au Président Kabila de passer de justesse, (non sans contestation), mais sans lui garantir une réelle majorité d’électeurs au scrutin universel. La probable spéculation dans le camp de la majorité étant que la révision de la Constitution aurait ouvert au chef de l’Etat la possibilité de se représenter une deuxième et dernière fois sous ce format de scrutin à un seul tour. Dans les diverses consultations qui se déroulent, il n’est pas impossible que l’une ou l’autre personnalité suggère au chef de l’Etat d’autres voies légales, qui quoique non constitutionnelles, pourraient être activées.
    En un mot, ce serait pour user de tous les moyens de convaincre puisqu’on ne doit pas contraindre.
  • A l’opposé, tous ceux qui ne voulaient plus d’un énième dialogue politique, perçu comme une brèche rendant possible le glissement du calendrier électoral, voient leur crainte renforcée par l’insistance pour ces consultations préparatoires à la tenue du dialogue politique. Mais ceux-là, sceptiques, ont peu à peu atténué leurs critiques et rejoint le camp du « Oui pour le dialogue », moyennant quelques préalables pour sa matérialisation. Entre autre préalables, la non-obstruction aux différentes opérations électorales à réaliser dans les délais ainsi que ne pas cautionner l’illégitimité.
  • L’exercice démocratique avec l’alternance est difficilement intériorisé dans le mental de certains dirigeants de l’Afrique centrale enclins à un carriérisme dénué de réel projet politique et social (cas de la RDC, Ouganda, Rwanda, Congo Brazzaville, Burundi). Cela donne à penser que les élections ne constituent pour eux qu’un mauvais moment à passer pour continuer à exercer le pouvoir sans une obligation quelconque de résultat ni de redevabilité. Ce qui fait qu’en général, après avoir normalement gagné les élections une première fois, ces derniers s’acharnent à s’enrichir gloutonnement contre tous les espoirs des populations. Les pratiques pour le maintien dont, le noyautage des opposants, des acteurs de la société civile et des syndicalistes, le musellement des médias indépendants et des députés, fût-ce par des menaces, bref, tout mécanisme susceptible de garantir le maintien au pouvoir sont notre quotidien. La modification des constitutions venant couronner le tout et assurer le maintien pour une très longue période. A l’instar de la pratique de l’alternance démocratique observée dans les pays de l’Afrique du nord et occidentale, le Burundi était jusqu’aux derniers événements du coup d’état manqué de mai dernier, la seule référence de l’Afrique centrale où se trouvent quatre anciens présidents en vie, au pays, vaquant à leurs occupations citoyennes. 
 En définitive, le dialogue politique s’annonce pourtant sur des enjeux aux intérêts divergents, différents, voire contradictoires et mutuellement exclusifs. Il sera dès lors très difficile d’arriver à des résolutions acceptables et acceptées par toutes les parties.

Il ne faut pas avoir peur de dialoguer et il ne faut pas non plus dialoguer par peur(3)

Petit rappel: sentant sa fin venir, le Maréchal Mobutu Sese Seko, craignant sa fin accélérée par la force de la perestroïka et des courants novateurs de par le monde entier, initia des consultations populaires en procédant par itinérance à travers les 11 provinces de l’époque, contrairement à l’actuelle démarche du Président Joseph Kabila où, les protagonistes sont invités à venir vers le Président. A cette époque-là, de ces consultations menées au travers le pays, Mobutu fut secoué par des révélations graves qui lui firent comprendre que, quoiqu’il en coûtait, il ne pourrait plus continuer à diriger le Zaïre de l’époque(4). Chose qu’il ne pouvait digérer. (Il disait alors que de son vivant, on ne l’appellerait pas « ex-Président »…). Comme on le sait cependant, ces consultations menées de son propre chef pour désamorcer l’inattendu n’ont ni empêché, ni amorti la descente en enfer de sa dictature. La Conférence Nationale Souveraine organisée dans la suite de ces consultations n’a pas non plus permis de remonter la pente du capital-confiance des zaïrois/congolais car c’est dans cette Conférence Nationale Souveraine que les congolais s’accordèrent à dire que «quand on doit manger avec le démon, il faudrait se munir de longues fourchettes». 

La peur du dialogue est un fait observé de tous les temps

Certaines personnalités bien avisées, avouent s’être abstenues de se rendre aux dialogues politiques convoqués par le pouvoir en place pour des raisons avouées:
  • La peur de ne pas pouvoir y exercer pleinement leur liberté d’expression ou d’opinions contraires sur des questions sensibles sans risquer de mettre en péril leur intégrité physique. Ceux-ci se réfèrent à des cas vécus dans l’histoire politique du pays…
  • La peur de cautionner une démarche désavouée parce que minée et porteuse de schémas aux évidents agendas cachés, par exemple, le retour à un éventuel gouvernement de 1+4 nouvelle version dont la première expérience ne s’expliquait qu’en post-conflit.
  • La peur d’être empoisonné dans les séances organisées par des ennemis politiques. La société africaine est encore portée sur l’intolérance et la non-acceptation de ceux qui ne partagent pas les mêmes convictions idéologiques, spirituelles ou qui simplement ne pensent pas comme vous. En effet, la pratique anglo-saxonne «to agree to desagree», qui accepte de «se convenir de ne pas se convenir» reste absurde pour la société congolaise surtout aux moments les plus délicats de leurs divergences idéologiques, éthiques ou politiques. Chacun tient à l’effacement de son adversaire/concurrent… A titre d’illustration, pendant la Conférence Nationale Souveraine de 1990, l’extinction inopinée de certains conférenciers détenant des dossiers sensibles (parmi lesquels le mwami Munongo Msiri du Katanga) avait donné la frousse à certaines personnalités qui ne se précipitèrent plus aux dialogues initiés par le pouvoir en place. Il en a été de même de la mort d’un général des FARDC, séance tenante, pendant les pourparlers politiques avec le M23 au sommet de Kampala en 2013… Déjà au Sud Kivu, en 2002, aux temps les plus forts de l’agression rwandaise, par l’entremise de quelques compatriotes véreux, quand la société civile fut invitée par le Gouverneur de province du RCD à dialoguer autour des questions essentielles (dont les abus de l’agression-rébellion rwandaise), son porte-parole commença par ces mots : «Souffrez, excellence Mr le Gouverneur de Province, que personne de notre délégation ne puisse boire ni manger au buffet que vous avez apprêté pour notre accueil de peur qu’en revenant d’ici, si par malheur quelqu’un avait un quelconque malaise, on ne puisse vous taxer de nous avoir empoisonné».
Toujours en RD Congo, c’est au terme des dialogues politiques à répétition que s’est muée l’impunité en système de partage de pouvoir et de blanchiment des criminels… En effet, dans ces conditions de rapport de force inégalitaire du moment, coincé, privé des moyens d’action (mobilité et finance), dans une logique de non-ouverture pour ne laisser qu’une petite brindille au nom du dialogue politique, comment ne pas nourrir des inquiétudes ? 

Pour l’opposition radicale, y prendre part dans ces conditions n’est autrement perçu que comme de la résignation issue de l’usure… Pour la petite histoire, en 2005, confiant de son adhésion populaire face aux forces politiques en position de faiblesse, le pouvoir n’avait pas cautionné la tenue d’un dialogue politique tel que réclamé par les forces politiques adverses de l’époque. Il s’était alors rangé au plaidoyer de la société civile qui réclamait mordicus d’aller droit aux élections sans tergiverser. 

De même, le niveau régional et/ou sous régional n’est pas exempt de cette triste réalité car, c’est au cours des pourparlers de paix sur le Burundi tenus à l’extérieur de son pays que le Président burundais Pierre Buyoya fut éjecté du pouvoir par un coup de force et que plusieurs années plus tard, au terme des pourparlers de paix d’Arusha sur le Rwanda en proie à une guerre civile qu’au retour fut abattu l’avion qui transportait les Présidents rwandais et burundais Ndadaye, déclenchant ainsi le génocide rwandais. Tout récemment encore, pendant les concertations politiques de paix sur le Burundi en avril 2015, eut lieu un coup d'état contre le Président Pierre Nkurunziza.

Peut-on dialoguer par peur?

Certes! Prenant en compte le rapport de forces, les faibles sont constamment appelés à dialoguer par peur, à négocier fût-ce pour des questions existentielles, afin de ne pas disparaître. Il n’est un secret pour personne que plusieurs dialogues sont initiés sous la menace, les pressions et des ultimatums.

Loin de tout cela, la sagesse africaine dans la région des Grands lacs africains développe des adages et des proverbes apparentés à ce postulat qui vente les vertus du dialogue sous l’arbre à palabre jusqu’au plus extrême spécifiant qu’«un arbre qu’on n’est pas capable d’abattre, on est appelé de dialoguer, voire de pactiser avec lui». C’est malheureusement la perpétuation de relation de dominant-dominé d’autant plus vérifiable dans le concert des états depuis la nuit des temps où, les états faibles, une fois en conflits, ont été contraints d’envoyer des émissaires dans des pays forts pour tenter de désamorcer toute menace d’affrontement par le dialogue. A cet égard, encore les vertus du dialogue sont brandies au grand maximum. 

Que de fois n’a-t-on pas entendu renchérir par plusieurs politiciens opportunistes que la «politique de la chaise vide ne paie pas», les entraînant immanquablement dans l’opportunisme politique ou la prostitution intellectuelle par le bradage des valeurs éthiques de dignité et d’honneur. La peur de se retrouver hors des centres de décision et des circuits de partage du pouvoir mène à de bien étonnantes capitulations… 

Parfois, c’est par peur de sanctions économiques, diplomatiques et d’indexation que, des états faibles d’Afrique, en conflits, agressés de l’extérieur et/ou par des rébellions par endroit commanditées de l’extérieur ont été contraints, par la Communauté internationale, à dialoguer avec leurs rébellions sans se lasser, et cela contre leur bon gré. Pour illustration, en plus des injonctions internationales à dialoguer avec les ennemis du pays, le dialogue forcé entre le gouvernement de la RD Congo et le CNDP du général Laurent Nkunda en 2008 a été convoqué et tenu suite à la peur de la capture de la ville de Goma par ces derniers,  appuyés militairement par l’armée rwandaise. Les concessions et les sacrifices qui en ont découlé constituent les conséquences innommables de ce genre de «dialogue par la peur». Et jusqu’à ce jour, quoiqu’il en soit, pour la paix, les états pourront être contraints de dialoguer par peur… 

Comment ne pas tomber dans les deux extrêmes? 

Le conflit fait partie inhérente de la vie de toute société humaine et, le dialogue est la voie la moins risquée pour trouver des solutions à bas frais dans la mesure où il est conduit délicatement et conformément aux règles de l’art dans le but, non seulement de rassurer toutes les parties concernées mais bien plus d’éviter qu’il ne soit lui-même la cause ou la conséquence de nouveaux problèmes (5). Plusieurs dialogues politiques en effet ont déployé d’importants moyens pour des résultats souvent dérisoires car, après coup, on a compris que certains protagonistes n’avaient pas joué franc-jeu et avaient vite repris des actions plus meurtrières encore. Ici, le dialogue politique sera perçu comme un stratagème pur et simple d’anéantissement ou de distraction dans le combat politique. Dans certains cas même, certains processus de dialogue ont débouchés sur des conflits plus graves encore que ceux qu’ils étaient censés régler. Notamment dans le cas où les protagonistes agiraient par procuration.

Malgré que les dialogues au Congo aient été toujours initiés pour sauver une situation au bord de l’explosion et surtout pour sauver les intérêts égoïstes des acteurs politiques, on doit relever que dans les pays démocratiques, le compromis politique permanent, fruit du dialogue, a toujours constitué le fondement du fonctionnement politique, surtout dans des pays qui connaissent des divisions ethniques ou culturelles. Alors, le dialogue devient, à côté des élections, un dispositif visant le partage «démocratique» du pouvoir. Mais, les résultats des compromis issus de ces dialogues, souvent de courte durée, voire éphémères ne tardent pas à se traduire en compromissions et, les alliances tissées à l’occasion finissent par se défaire. Il est indispensable de ne pas l’oublier… 

En conclusion

Il n’y a pas que du négatif dans le dialogue politique en perspective. Du reste le dialogue préconisé dans l’accord-cadre d’Addis-Abeba du 21 février 2013 constitue la base de revendication de l’opposition, chose que les gouvernants auront gelé pendant plus de deux ans parce que non prioritaire pour eux. 
« Peur de dialoguer et/ou dialoguer par peur » sont, toutes deux des réalités extrêmes, contrôlables, à condition que toutes les précautions d’usage soient prises à temps par toutes les parties en présence... Ce faisant, de manière élémentaire, un dialogue politique sous-entend qu’il y ait à la base un ou plusieurs problèmes réels à régler par la voie pacifique. Il ressort d’emblée que sa préparation implique toutes les parties ou tout au moins les représentants desdites parties pour aboutir à de bonnes issues et pour rassurer toutes les parties concernées par le/les problème(s) à résoudre.
Dans le cas précis du dialogue politique en perspective en RD Congo avant la tenue des élections et, pour lequel des consultations ont été initiées par le chef de l’Etat, il se poserait déjà un problème dans la mesure où le Président est supposé par nombre d’opposants être lui-même le problème et qu’il est quasiment improbable que l’on puisse négocier sa sortie du pouvoir au cours de ce dialogue politique. 
Le président sera cyniquement taxé de juge et partie à la fois. Il sera de surcroît soupçonné d’entretenir un agenda caché, ce qui, du coup, remet en question toute la fiabilité de pareil processus et présage déjà d’un fiasco.
D’autre part en décryptant les médias, le problème des véritables représentants des catégories conviées a été présenté. C’est le cas par exemple de certains représentants de la société civile et de quelques partis politiques qui auraient pris part aux consultations du Palais de la Nation sans en avoir ni qualité ni mandat de leurs pairs et pire encore, ceux qui auraient participé au nom de la société civile alors qu’ils font indéniablement partie des regroupements et partis politiques de la majorité présidentielle… 
Ce serait enfin une occasion manquée pour un dialogue politique où nombre des parties prenantes conviées pourraient participer sans mandat légal des pairs ou sans légitimité parce que montées à dessein pour jouer au remplissage en vue de contrebalancer le boycott de l’opposition.

Dorénavant l’intérêt supérieur de la Nation devant être au cœur du dialogue politique préconisé, on devra d’une part parcourir les préalables présentés par les différentes parties et d’autre part confectionner de bons garde-fous pour tous les camps en pourparlers: ce qui doterait le processus de plus de chance. 
Pour ce faire, le pouvoir initiateur du dialogue devrait sportivement exhiber plus de garantie de sa bonne foi à partir de son ouverture afin de rassurer toutes les parties prenantes et dissiper tout soupçon, rayer toute la méfiance par la prise en compte et l’analyse des doléances fondées de toutes les forces sociales au travers un appel solennel à la participation à toutes les étapes depuis la première réunion préparatoire jusqu’à l’atterrissage d’un accord, si accord il y a. Sous ces préalables et garde-fous, on aura enrayé toute peur de dialoguer et de ne pas dialoguer par peur. 
Il faut pour cela, et à titre illustratif, militer pour arriver à:
  • Un accord concerté, intégrant les intérêts de toutes les parties et qui implique la responsabilité de toutes les parties concernées dans la démarche.
  • Un accord préalable sur un ordre du jour précis, le timing des travaux pour éviter débordement et glissement. Pour ce faire, un site ou un terrain neutre pour limiter les soupçons serait l’idéal.
  • S’accorder sur une méthodologie qui permettrait d’aboutir à un accord tout en listant les points de non accord qui pourraient faire l’objet d’autres pourparlers sans bloquer l’avancement des points cardinaux.
  • Veiller minutieusement sur les mandats et les mandants.
  • Avoir au plus vite une médiation consensuelle qui pourrait conduire les pourparlers sans aucun parti pris est très indispensable. Boutros Boutros Ghali disait que lorsqu’une médiation a réussi, le médiateur disparaît mais quand elle échoue le médiateur est pris pour un bouc émissaire.
  • Il ne faudrait surtout pas à ce stade oublier que, quoique voulues, l’ombre des élections contestées de 2011 plane dans les esprits des gens, que les conclusions des recommandations d’Addis-Abeba et des concertations nationales n’ont pas été atteintes et que, contrairement aux échéances de 2011, des alliances sont en train de se ficeler. Tenter de débaucher les opposants serait contre-productif et pousserait la nation à perdre foi en la démarche.
Une bonne préparation du dialogue exige d’explorer le "Qui", le "Quoi" et le "Comment". Attention à la «Négomanie», qui est le fait de concession dans la négociation comme seul moyen de satisfaire ses intérêts. Attention au blocage, à la rupture des pourparlers pour ne pas arriver à l’appel répété des médiateurs après médiateurs comme si nos problèmes ne pouvaient pas se résoudre même quand on se met ensemble…
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(1) Propos du Ministre de Communication et porte-parole du Gouvernement de la RD Congo.
(2) Selon les propos du Président et de sa majorité.
(3) C’est du Président John Fitzgerald Kennedy des Etats Unis, 35e Président des Etats-Unis, que nous tirons la phrase.
(4) Il faut noter que l’itinérance aura permis au Maréchal Mobutu de se rendre compte combien toute sa curie le trompait à longueur des journées en le bernant que tous les zaïrois/congolais étaient inconditionnellement derrière le guide éclairé.
(5) C’est notamment à la suite du dialogue initié par la Conférence de Goma, que des officiers recherchés par la justice auraient été intégrés et promus dans les FARDC, la justice a été obstruée pour le besoin de la paix…