mardi 23 février 2021

Etienne Bisimwa Ganywa, un des piliers contemporains de la prospective stratégique

« Comme une volonté parfaite de Dieu au service de nos frères, tout ce que nous entreprenons est entrepris dans le Christ de qui nous puisons les valeurs de l’Amour, Sagesse et Connaissance ».
(Sic Etienne Bisimwa, in ‘Maison de l’Espérance’ MDE, œuvre posthume)

Il était une fois un Etienne Bisimwa Ganywa


Cinquième enfant d’une famille de huit, Etienne Bisimwa Ganywamulume est né à Bukavu (RD Congo) le 5 mars 1958 dans une modeste famille chrétienne catholique. Il  a quitté notre monde, à Bukavu, ce mercredi 27 janvier 2021, laissant derrière lui un parcours riche de connaissances, un parcours des plus instructifs et utile tant pour les communautés locales, que pour la nation et les générations futures.

Sa courte vie de couple en quasi ermitage l’a poussé à consacrer le meilleur de son temps au travail en tant qu’accompagnateur des dynamiques communautaires dans leur recherche d’un bien-être durable…

Ses prérequis scientifiques et spirituels exceptionnels, soutenus par une éloquence limpide, l’ont prédisposé à remplir les ‘top-missions’ d’un bon prédicateur, formateur, éducateur, animateur pour la transformation; ceci aux termes des prestations de haute qualité rendues tant dans les organisations locales, nationales qu’internationales et de coopération technique.

Pour donner le sens ultime à son existence, il sut corroborer ses convictions de développement avec les écritures saintes et spécifiquement la Bible dont il ne pouvait se passer pour rapprocher les aspects critiques de développement et du relèvement communautaire en illustrant combien l’amour en est la clef.

Impassible, plein d’empathie, toujours positif. Par sa disponibilité sans réserve à servir et à être au plus utile, Etienne Bisimwa a reflété l’espérance qui lui faisait estimer ceux avec qui il a cheminé, en l’occurrence ceux de la société civile, du gouvernement et singulièrement les paysans qu’il consacre dans son ouvrage comme la petite marge de liberté qui nous reste quand tous les sept bataillons rangés en ordre de bataille pour le développement ont échoué (1).


La silhouette d’un personnage qui sillonne les allées de l’espérance


Certes, on ne parle pas en mal des morts, dit-on. Cependant à la mort d’Etienne Bisimwa, il vient de se révéler que la valeur d’une vie, ne peut pas s’apprécier en ne prenant en compte que les seules réalisations spectaculaires offertes au grand public de son vivant. Elle est précieusement cotée au travers des témoignages collectés et des perceptions correctes ou non, faites de lui par ses interlocuteurs et/ou ses différents auditoires. Pareille clef d’appréciation a posteriori s’observe également dans le processus de la béatification des saints dans l’église catholique. En fait, un bon nombre d’éléments révélateurs ont été spontanément déclamés sitôt que la nouvelle du décès inattendu d’Etienne parvenait aux différentes personnes, groupes, couches sociales  et communautés qui l’ont connu. Que d’émotions et d’expressions n’ont-elles pas été glanées à chaud, du genre: « Etienne ? C’est le meilleur de nous qui vient de partir », « Etienne, le malheur de t’avoir perdu  ne doit pas nous faire oublier le bonheur de t’avoir connu; tu vis dans nos cœurs » « Etienne,  tu n’es plus cloîtré là où tu étais mais tu es désormais partout où nous sommes » « La communauté vient de perdre l’homme le plus engagé dans la construction d’une nouvelle vision de développement de notre pays », « Le travail qu’il a commencé demande des ouvriers convaincus comme lui » etc…

Les réflexions partagées en conférence ainsi que ses opinions publiées, de même que ses derniers écrits posthumes, du reste inédits et retrouvés sur le chevet d’Etienne confirment sa foi inébranlable pour l’avènement de ce Congo de demain plus juste où chacun, conscient de ses responsabilités et de ses capacités devient maître du destin commun. Chaque minute qui passe, l’ombre de ses préceptes plane sur les allées que nous fréquentons. Bien plus, sa silhouette se dessine constamment à travers tous ses enseignements. En effet au cours d’une des formations qu’il facilitait de main de maître, il surprit son auditoire quand il dit qu’il ne mourait guère car poursuivit-il « L’homme est avant tout un esprit, un esprit appelé à vivre une expérience humaine. »

Mathématicien de formation de l’Université Nationale du Zaïre (IPN/Kinshasa), subitement, dans les années 1990, Etienne négocie un nouvel ancrage vers les Sciences de l’éducation et du développement, au bout duquel lui fut octroyé un Diplôme d’Etudes approfondies en éducation et stratégie de développement de l’Université René Descartes Paris V à La Sorbonne axé sur les « Défis posés par les cultures africaines au développement ; construction d’une vision commune à tous les acteurs du secteur public, privé et de la société civile », comme une reconnaissance des nouveaux atouts acquis pour mieux servir. Ainsi, après avoir écrit son ouvrage-clef « Par où commencer », un véritable diagnostic sans appel de la situation de son pays la RD Congo, Etienne Bisimwa ne s’arrêtera pas à mi-chemin car, fort des liens d’amitié, de complicité positive qu’il venait de tisser avec CRESA asbl (une petite organisation locale de laquelle il était membre jusqu’à son décès), ils  se retrouvèrent « autour d’une vision commune, d’indignation contre l’injustice et porteurs d’une même détermination à changer les choses(2) ». Ensemble, ils ont théorisé une nouvelle approche de la conscientisation pour l’Afrique à travers l’ouvrage « La pédagogie de la conscientisation » jusqu’à chuter sur le montage du premier outil didactique « Guide pratique du formateur » susceptible d’aider les animateurs et les formateurs à susciter un éveil de conscience collective utile pour la RD Congo, la région des Grands Lacs et l’Afrique, qui n’arrivent toujours pas à décoller ni à s’approprier leur développement. Cette Afrique toujours attentiste pour laquelle ses problèmes continuent à se discuter loin d’elle, sans elle, et le plus souvent par des solutions inappropriées à l’emporte-pièce. A travers Malcom X, Samir Amin, Julius Nyerere, Thomas Sankara et bien d’autres panafricanistes et altermondialistes, Etienne Bisimwa ne manquait pas d’exemples pour inciter à plus de participation de la communauté et pour refuser de jouer le jeu des autres et, à commencer un nouveau jeu avec des nouvelles règles autoportées. Changer de paradigme était le maître-mot d’Etienne Bisimwa avec son équipe…


Le FPT, outil par excellence d’Etienne pour l’initiation à la démarche de conscientisation…


Des dizaines d’ateliers en format retraite formative co-organisés durant deux décennies entre 2000 et 2020 avec la participation enthousiaste des acteurs sociaux ont dans un 1er temps permis à Etienne aux côtés d’ADEN (4) et plus tard avec CRESA (5) asbl de diffuser, de transmettre à travers la région des Grands Lacs africains et en RD Congo les fondamentaux de cette pédagogie pour l’Afrique. La foi d’Etienne en cette pédagogie de la conscientisation lui a fait caresser le rêve de l’enraciner dans toute la RD Congo en commençant par trois provinces pilotes Bukavu (Sud-Kivu), la ville province de Kinshasa et Lubumbashi pour le Haut Katanga. Déjà à sa mort, sont mis en route quatre noyaux et des carrefours de réflexion FPT d’une centaine de têtes pensantes au total, appelées à porter en avant cet esprit inspiré par le pédagogue Brésilien Paolo Freire autour de la pédagogie des opprimés dans les favelas du Brésil. Dans cette approche, l’analyse et la compréhension commune des concepts dont celui de la participation de la communauté et celui de la pauvreté circonscrite à partir de quatre piliers de cette dernière que sont la vulnérabilité, la marginalisation, les faiblesses physiques, et la position de sans-voix. C’est au compte de cette foi dans cette pédagogie de la conscientisation, au travers des formations (FPT) qu’au cours du tout dernier atelier de formation qu’il aura accompagné à Kinshasa au Centre Nganda, il déclara qu’on pourrait léguer aujourd’hui en testament à toutes ses cohortes d’apprenants en disant que : «les angoisses de nos populations sont les angoisses de ceux qui ont fait le FPT»«les espérances de notre peuple sont celles des gens qui ont fait le FPT»«la misère qui prend nos peuples est de la responsabilité de ceux qui ont fait le FPT…»

Dommage que la mort ait surpris Etienne en janvier 2021, quand on envisageait de regrouper pour la 1ère fois tous les formés de tous les temps et des trois provinces dans l’une des provinces-pilotes pour discuter et jeter les bases d’un plan national de l’approche de conscientisation qui renforcera les aspects de la sensibilisation qui a montré ses limites. Cependant, un sentiment de l’inachevé qui tourmentait Etienne était moins sa thèse de doctorat en anthropologie, ethnologie et éducation sous la direction du Professeur Than Le Khol portant sur les proverbes et l'éducation chez les Bashi laissée sur sa table, que le FPT qu’il prévoyait accompagner en vue d’augmenter la participation de la communauté aux Mutuelles de santé du Sud-Kivu au 1er février 2021 (son décès est intervenu trois jours plus tôt).


La passion d’Etienne pour le FPT, un véritable élan de la prospective stratégique


Comme de fil en aiguille, la résultante de la pensée de ce personnage à travers ses formations s’amarre bien dans un courant philosophique ou idéologique qu’on pourrait classer sans hésitation dans la prospective stratégique. Ce qui se conforte naturellement dans la poursuite d’une démarche de la profondeur et de la recherche inlassable des causes-racines des problèmes en vue de trouver des réponses adéquates aux défis qui se posent aux communautés dans l’éclosion de la prise de conscience pour laquelle Etienne n’offrait aucun sursis(7). En outre, partant de la recherche de la relation de causes à effet dans tout le processus formatif d’ateliers FPT qu’il a dû accompagner, Etienne met constamment les acteurs dans une spirale de « réflexion-action, action-réflexion…» ainsi de suite, et encore de procéder à l’usage de la méthode de « mais pourquoi jusqu’à sept fois » de Warner, la méthode du code et du décodage avant de procéder à la planification proprement dite de l’action. Et il n’a cessé d’inviter à réfléchir constamment sur le sens et la portée de nos actions dans notre fastidieux travail d’associations,… Ce sont autant d’éléments de cette dialectique pour amener à dépasser le phénotypique et/ou le superficiel, le saupoudrage… C’est ainsi qu’à travers les formations et les conférences il n’a pas hésité à qualifier différentes interventions d’ONG, des différents gouvernements… d’actions de survie, de bricolage, de la gouvernance par complaisance, d’actions de services sécuritaires limitées juste à un niveau homéopathique après tant d’année d’indépendance du pays…


En définitive, d’Etienne au FPT, du FPT à la Prospective stratégique, il n’y a qu’un pas!


Nous réitérons que la prospective est avant tout une démarche intellectuelle visant à anticiper au mieux les évolutions de notre société. Son but est avant tout d'éclairer les choix du présent, ce que nous faisons aujourd'hui et dont les répercussions sont visibles à moyen ou à long terme. C’est elle qui fait qu’on repère qu’au cours des enseignements d’Etienne, dans les carrefours, on ait percé largement les concepts de la durabilité et du bien ultime, de la planification et de l’évaluation participative une fois la vision formulée. Etienne est revenu par exemple sur: « Quelle politique agricole, quelle politique minière, quelle politique sanitaire, quelle politique de développement rural(8) devons-nous envisager d’ici à l’horizon de 10 à 20 ans ?» et de poursuivre que « la RD Congo ayant dépassé le cap des 100 millions d’habitants (cf. rapports d’OCHA), quelle est la demande de l’éducation aujourd’hui dans notre pays et quelle sera cette demande d’ici 25 ans et, quelle est l’offre de l’éducation dans notre pays?». A ce niveau, Etienne s’appuyait sur la Bible(9) dans ‘Habaquq 2, 1-4 où Yahvé demande d’écrire la vision.

Enfin être prospectif, c’est se poser la question, en toute responsabilité, de l’avenir de son entité, du pays, du monde… La prospective est un travail sur la conscience qui fait appel à des techniques cognitives. Bien plus qu’une exploration de notre environnement, (cf. 1ère partie du guide FPT), l’analyse de nos méthodes de travail, la compréhension des concepts;  c’est une transformation du sujet, le plus souvent collectif (communauté, entreprise, association, entité: village-commune-territoires-province, organisation internationale…) qui est en jeu. Au-delà même de l’application d’une méthode d’investigation (enquête d’écoute dans le FPT), c’est un changement radical de perception qui est à l’œuvre.

En soi Etienne ne s’est jamais fait identifier personnellement comme faisant partie de ce courant dit prospectiviste et ne l’a encore moins, jamais clamé un seul instant mais, cela ressort en filigrane tout au long de la méthodologie de ces FPT qu’ensemble nous avons accompagné. Eh oui, tous ceux qui ont eu à vivre ces moments d’initiation à la conscientisation ont été émerveillés par la cohérence de la méthodologie, la subtilité des notions, et la perspicacité apaisée avec lesquelles toutes les questions d’ordre communautaires et sociales devant aider à un relèvement ont été conduites en profondeur.

Du coup, il est question de construire une nouvelle conscientisation qui fait du développement une vision commune entre tous les acteurs locaux et de mettre fin à tous les bricolages ambiants.

Adieu Etienne, Bonjour le FPT !

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(1) Etienne Bisimwa Ganywa : Par où commencer, une autre vision de développement pour la RD Congo, Ed. Weyrich Africa 2018
(2) Expression formulée par son collègue Luc Dusoulier à la nouvelle de la mort d’Etienne Bisimwa
(3) T4T ou FPT; Training for Transformation en français Former Pour Transformer
(4) ADEN : African Development and Education Network traduit de l’anglais, Réseau Africain d’Education au Développement.
(5) CRESA, Carrefour de Réflexion Santé, une asbl de droit congolais créée en 2010 et qui tire du FPT sa devise : Réflexion sans action est verbiage et Actions sans réflexion est de l’Agitation.
(6) Il sera une fois... la prospective stratégique Luc de Brabandère, Anne Mikolajczak Dans L'Expansion Management Review 2008/1 (N° 128), pages 32 à 43
(7) « Un impératif pour la RDC: la conscientisation! » réflexion parue sur notre blog en 2018
(8) Un protocole de partenariat technique et institutionnel entre l’Institut Supérieur de Développement Rural (ISDR/Bukavu) était signé et un colloque national sur le développement rural était en cours de préparation.
(9) Habaquq 2. 1-4 Bible de Jérusalem, Nouvelle Edition 1975. « Je vais me tenir à mon poste de garde, je vais rester debout sur mon rempart ; je guetterai pour voir ce qu’il me dira, ce qu’il va répondre à ma doléance. Alors Yahvé me répondit et dit : écris la vision, grave-la sur les tablettes pour qu’on la lise facilement car c’est une vision qui n’est que pour son temps ; elle aspire à terme sans décevoir, si elle tarde, attends-la : elle viendra sûrement sans faillir… »

vendredi 6 novembre 2020

Etat de droit en RDC : Mythe, fantasme ou réalité ?

Saint Augustin disait que le pouvoir doit être fondé sur la justice: « Sans justice, qu’est-ce qu’un roi ? Sinon un bandit couvert de gloire. Qu’est-ce qu’un royaume ? Sinon une caverne de voleurs. » 

De plus en plus, en RD Congo, les hommes politiques, les médias, ainsi que certains partisans forcent le peuple congolais à intégrer le jargon « Etat de droit » dans tous leurs discours même si le terme n’a pas encore un contenu convainquant. Est-ce une propagande politique, un fantasme ou une réalité en voie de construction ?

Certes, l’état de droit reste la sublime aspiration du peuple congolais mais comment, par qui et quand y arrivera-t-il réellement ? Est-il déjà là ou doit-on encore attendre ?

Doit-on se rappeler que depuis la deuxième république, chaque régime a eu ses slogans féeriques pour hypnotiser, emballer et « violer (1) » la foule dans des refrains souvent vides de tout sens pratique et réel. Et bien souvent, le peuple s’est fait avoir…

Tenez ! Sous le régime de Mobutu Sese Seko Kuku Ngbendo Wa zabanga, que n’avons-nous pas entendu : « Plus rien ne sera comme avant… ». Mais, que cela signifiait-il concrètement dans la vie des zaïrois de l’époque sinon beaucoup et rien à la fois ? C’est ainsi qu’une partie importante des congolais qui avaient connu l’époque coloniale devenaient de plus en plus malheureusement nostalgique de cette époque pourtant reconnue sous certains égards comme indigne. En effet, avec la zaïrianisation, plus rien n’était comme avant, ça devenait même pire peut être.

Sous Mzee Laurent Désiré Kabila, nous avions entendu « Ne jamais trahir le Congo », « Le Congo va surprendre le monde »…Comment et quand ? Il est mort sans trahir le Congo certes mais rien pour surprendre le monde à part des guerres interminables, les viols et violences sexuelles contre les femmes. Les mauvaises langues sont allées jusqu’à dire que la RD Congo devenait la capitale mondiale du viol…

Sous Joseph Kabila, on nous a bourré les têtes de slogans tels que les « cinq chantiers » caricaturés par la suite comme les « cinq chansons », « Le Congo sera une puissance au cœur de l’Afrique », « La révolution de la modernité », et que sais-je encore ?  Tout n’a été que du vent, du faux-vrai ou du vrai-faux ! Naïvement beaucoup de congolais ont sans réserve cru à tous ces refrains propagandistes, ces mensonges et somnifères publics dont se sont repus nombre de politiciens (ou mieux de politi-« chiens »).

Aujourd’hui avec l’avènement de Félix Tshisekedi, on chante « le peuple d’abord » et « l’Etat de droit… ». Cet état de droit tant chanté par les militants de l’UDPS ainsi que leurs courtisans a pour devise: « Le peuple d’abord ». L’on demande au peuple de s’en réjouir et d’acclamer la tête courbée.

La question qui se pose est : sommes-nous réellement entrés dans cette ère-là de l’état de droit ou bien sommes-nous seulement en transition d’un souhait ardent qui gage vers sa matérialisation ? Si oui, quels en sont les indices irréfutables et opposables à tous ? Et dans le cas du probable, ces indices sont-ils alors conformes aux critères standards reconnus mondialement à un état de droit ?

On peut tromper une partie du peuple une fois, deux fois mais pas tout le peuple tous les jours. Il faut passer de la promesse à la réalisation. Pour ce faire, il y a nécessité de rompre radicalement avec la culture du mensonge public, la démagogie devenue un des modes privilégiés de la conquête et de la conservation du pouvoir. C’est malheureusement éphémère et à long terme, cela devient une raison de désaveu public par un peuple désabusé. Les anglais disent : « easy come, easy go » et à André-Gide d’écrire « mentez, mentez il en restera quelque chose ».

Le dictionnaire Larousse (2) de poche 2011 définit le mythe, à la fois comme un récit mettant en scène (…) des actions imaginaires, des fantasmes collectifs, aussi comme une allégorie philosophique, une construction de l’esprit dénudée de réalité. Et enfin comme une représentation symbolique.

Théoriquement c’est quoi alors un Etat de droit ?

Sans vouloir entrer dans les débats d’écoles, sommairement, l’Etat de droit est un concept juridique et politique qui implique la prééminence du droit sur le pouvoir politique dans un Etat, ainsi que l’obéissance de tous, gouvernants et gouvernés, à la loi. Il désigne aussi un système institutionnel dans lequel la puissance publique est soumise au droit. Pour Aristote par exemple, un Etat constitutionnel qu’il appelait « Politeia » avait pour condition que la loi prime sur la volonté individuelle d’un souverain et que les agents de l’Etat, les magistrats se plient aux lois.

Parmi les conditions universelles d’un Etat de droit il y a le respect de la hiérarchie des normes : l’égalité devant le droit, la non rétroaction des lois et l’indépendance de la justice. Cela dit, nous devrions distinguer « l’Etat de droit » et « l’état de droit ». Dans le premier, « l’Etat de droit » le législateur ne connait pas d’autorité qui lui soit supérieure et dans « l’état de droit » la loi votée par le législateur, peut être déclarée inconstitutionnelle par la Cour qui s’appuie sur un certain nombre de principes. C’est dans ce cadre que pour la première et l’unique fois dans l’histoire de la RD Congo, Zaïre à l’époque, on a vu la Cour suprême de justice dans sa section administrative en audience publique du 8 janvier 1993 annuler l’Ordonnance présidentielle n°86-086 du 12 mars 1986 qui abrogeait l’Ordonnance n°124 du 30 avril 1980 accordant la personnalité civile à l’association des témoins de Jéhovah.

Mais aujourd’hui, dans un pays où l’on dénonce la forte politisation des institutions ainsi que de l’administration publiques, la question de l’indépendance des fonctionnaires à la Cour constitutionnelle se pose avec acuité. Un pays où le clientélisme, le népotisme, le tribalisme et l’appartenance au parti au pouvoir font partie des critères de promotions et de nominations politiques voire dans la fonction publique. Cette appartenance politique dicte même les actes et procédures judiciaires à l’égard des justiciables...

Alors, lorsqu’on clame l’Etat des droits s’agit-il de l’Etat de droits avec un D majuscule qui renvoie justement au droit objectif ou des droits avec un d minuscule c’est-à-dire des droits subjectifs entendus comme une prérogative individuelle accordée aux personnes par le Droit tels les droits de propriété ou le droit au respect à la vie privée, etc.

C’est un bon débat de juristes, mais qu’il s’agisse des droits avec un D majuscule ou des droits avec un d minuscule, tout devrait se retrouver dans cet Etat de droits.

Cependant la question de l’Etat de droits soulève ipso facto une autre question, celle de la souveraineté c’est-à-dire celle d’un Etat qui, sur le plan intérieur et extérieur, impose ses choix et ses volontés. Autrement dit, seul l’Etat détient le pouvoir politique et l’impose aussi bien sur les nationaux que sur les étrangers. En aucune manière il n’est la marionnette ou l’outil de manipulation des puissances étrangères, qu’elles soient étatiques ou institutionnelles.

En RD Congo, avons-nous tous, gouvernants et gouvernés, le même entendement de l’Etat de droits sur le plan théorique et sur le plan pratique ? Ce n’est pas si vrai que cela. Apparemment la tendance est plutôt réductiviste. L’Etat de droit veut s’entendre seulement dans les aspects judiciaires, avec le procès de cent (100) jours par exemple, encore que dans ce procès il y a eu beaucoup de dimensions qui ont péché contre les principes sacro saints de l’Etat de droit. Et même là, si les principes d’un Etat de droits étaient appliqués dans leur stricte rigueur beaucoup de gens impliqués dans ce dossier des maisons préfabriquées devraient se retrouver en prison. Toute la chaîne des dépenses par exemple ne saurait être exemptée des sanctions pénales mais tout à sembler à une sorte de méli-mélo politico-judiciaire qui a consacré le deux poids deux mesures.

Un Etat de droits s’applique et se vit dans tous les secteurs de la vie nationale. Tout le monde est soumis aux mêmes lois dans tous les secteurs sans exception aucune.

Aujourd’hui, le Congo est rongé par plusieurs conflits inter institutionnels, des conflits latents entre différentes forces politiques (CACH, FCC, LAMUKA) qui cherchent à s’entre-neutraliser et cela impacte sensiblement le fonctionnement de la république et la vie du citoyen congolais. Cette situation rappelle bien celle vécue au lendemain de l’indépendance où les animateurs des institutions de la république se sont entre neutralisés. Le président de la république Joseph Kasavubu a révoqué le Premier ministre Patrice Lumumba, celui-ci a révoqué à son tour le président ; s’ensuivirent les insurrections par-ci par-là sur toute l’étendue du territoire national. Aujourd’hui les institutions de la république sont prises en otage par des partis politiques qui veulent bien les utiliser pour nuire aux autres partis politiques sans se soucier du sort de la population. La Présidence de la république est gérée par la coalition Camps pour le changement (CACH) composé essentiellement par l’UDPS de Félix Tshisekedi et l’UNC de Vital Kamerhe. Tous opposants hier. Le Sénat ainsi que l’Assemblée nationale eux sont gérés par le Front commun pour le Congo (FCC) de l’ancien président Joseph Kabila, c’est-à-dire l’ancien régime qui a géré le pays dix-huit ans durant et qui n’accepterait pour rien au monde que son opposant d’hier puisse réussir là où lui a échoué. Le gouvernement central est majoritairement animé par les gens du FCC ce qui rend difficile l’action du Président de la république

Actuellement les armées de presque tous les pays frontaliers occupent une partie du territoire national, certaines y ont parfois hissé des drapeaux non-congolais : la Zambie, le Soudan, l’Angola, l’Ouganda, le Rwanda... Des velléités et discours indépendantistes émergent tacitement à travers le pays. Les populations se trouvant dans ces coins occupés n’ont-elles pas les mêmes droits que d’autres en termes de protection, de sécurité, de droit à la vie, droits d’aller et venir sur le territoire national, etc. Dans une telle situation que pourrait signifier la notion d’Etat de droits pour les citoyens soumis au diktat des étrangers ?

Notre Etat de droit congolais risque d’être à géométrie variable ! Le contexte socio-politique, juridique et économique actuel s’y apprêtent pour le meilleur et pour le pire. Les défis que connaissent les différents secteurs de la vie, les conflits inter institutionnels et leur mode de gestion semblent contredire tous les discours jusque-là galvanisés autour de l’Etat de droit.

A qui et à quoi croire ? Au discours ou à la réalité vécue ? Wait and see disent les anglais.

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(1) Terme utilisé par Maurice Duverger pour signifier le but de la propagande politique.
(2) Larousse de poche2011, Edition GCP Média, Paris 2010, Page 538