jeudi 10 janvier 2013

Haine ethnique dans le Kivu?

Quand certains Congolais parlent ou écrivent sur la situation vécue à l’est du Pays, certaines sensibilités occidentales semblent y déceler quelques ombres de racisme et de xénophobie à l’encontre des Rwandais, principalement les Tutsis.

Certes, certaines paroles peuvent être malheureuses et laisser croire à une telle dérive. Certes, il n’est pas totalement à exclure que les souffrances, l’humiliation et les rancœurs accumulées ne se transforment un jour en haine ethnique...
Il faut pourtant nuancer le propos et surtout analyser et comprendre les tenants et aboutissants.
Les Congolais doivent bien entendu être attentifs à ces dérives possibles, et aux sensibilités de l’opinion occidentale quand on évoque les mots de « génocide, xénophobie… », d’autant que, nous y reviendrons, Kagame et son régime usent habilement de ces sensibilités pour « vendre » le génocide et obtenir jusqu’aujourd’hui un blanc seing des puissances occidentales pour ses politiques de domination et de conquêtes. Il y a là une bataille de l’opinion internationale, et occidentale en particulier, dont il ne faut pas minimiser l’importance et l’impact.

Cela dit, il est nécessaire aussi de faire comprendre à l’opinion publique la réalité des faits et veiller qu’elle ne réagisse pas de façon excessive en fonction de son propre traumatisme non encore dépassé, suite au génocide juif perpétré par les nazis.
Si des guerres tribales ont émaillé l’histoire des peuples des grands lacs bien avant la colonisation, il est vrai également que les échanges furent nombreux. Les différences ethniques existaient certes, et il serait sot d’en nier la réalité et de n’attribuer celles-ci qu’aux politiques colonialistes. Il n’en demeure pas moins que les colonisateurs usèrent habilement de ces différences, et les ont exacerbées dans le but de diviser pour mieux asseoir leur domination. Déjà alors ils ont favorisé des migrations et déplacements de populations au gré de leurs intérêts économiques. Des Rwandais furent ainsi massivement utiliser pour travailler dans les mines Congolaises.

A la veille de l’indépendance encore, en 1959, plusieurs vagues de Rwandais ont franchi la frontière pour s’intégrer et s’assimiler aux populations locales, sans que ces dernières en fasse problème… Ils ont pu intégrer la fonction publique, accéder à de nombreux postes de responsabilité dans des secteurs divers, y compris dans des secteurs aussi stratégiques et sensibles que la Police, l’Armée…Mobutu prendra même, durant de nombreuses années, un directeur de cabinet Rwandais! Ils ont administré plusieurs entités territoriales telles celles de Masisi, Rutchuru, Kalonge, les Hauts plateaux de Kalehe, Mimenbwe...  On pourrait multiplier les exemples de bon accueil de ces populations congolaises, au regard desquels, soit dit en passant, l’accueil réservé aux immigrés arrivant en France, en Belgique, en Allemagne… est bien plus problématique.
Plus tard, les Congolais découvriront qu’invariablement, ces Rwandais résidents envoyaient discrètement leurs garçons faire l’armée au Rwanda, en Ouganda, en Erythrée…

Mais les choses basculeront vraiment dans la foulée du génocide Rwandais de 1994 et des guerres qui s’en suivirent. Les Congolais  accueilleront alors d’abord ceux qui fuyaient les génocidaires, leur portèrent secours et les aidèrent, malgré leur peu de moyens. Ils devront ensuite recevoir les génocidaires qui, protégés par l’armée française, fuyaient l’avancée du FPR et ses massacres de masse commis en représailles. Ils seront des centaines de milliers à s’entasser dans des camps de réfugiés et à tenter de survivre, provoquant au passage une déforestation dont les conséquences sont encore dramatiques.
Kagame prend le pouvoir. Médusés, les Congolais verront alors une majorité de ceux qui vivaient parmi eux depuis des décennies, sous l’appellation de banyamulenge, quitter de leur plein gré le Congo pour rejoindre le Rwanda et servir le nouveau régime et cueillir sans doute les fruits de la victoire… (Ils n’y seront d’ailleurs pas toujours si bien accueillis…) Certains auront alors vendu maison et biens, déchiré leur carte d’identité congolaise aux postes frontières de Kamenbe, Kiliba, Kaminvira…

Moins de deux ans plus tard, en 1996, ils reviendront en force avec l’AFDL et l’armée Rwandaise. La population Congolaise connaitra alors les pires brimades, humiliations et exactions diverses perpétrées par les mêmes qu’ils avaient accueillis et hébergés auparavant!
Sollicitude trahie, bafouée, payée en retour par de nombreux traitements inhumains, dégradants et d’une cruauté inouïe. Là des femmes enterrées vivantes, ailleurs des corps vivants empalés sur des bambous, des viols d’une sauvagerie indescriptible. Des centaines de milliers de Congolais et plus sans doute, sont morts de ces guerres et de ses suites. Début des années 2000, dans le Sud-Kivu, le taux de mortalité infanto-juvénile était de 460/1000 !
En 2004, quand les bandes armées de Laurent Nkunda et Mutebusi prirent Bukavu, on assistera dans certains quartiers à des ratissages maison par maison, pillages et viols collectifs à l’appui. On ne compte pas les fosses communes à Bukavu et dans la province.

Ces dernières semaines, lors de la prise de Goma par le M23, soutenu par Ougandais et Rwandais, les cruautés furent de retour, massivement. Il n’y a pas plus de quatre semaines, une femme vendant de l’alcool dont le M23 venait d’interdire la vente, eut une altercation chez elle avec des hommes armés du M23. Elle a été tuée, on lui a ouvert le ventre à la machette. On a tué son bébé en lui tordant le cou et on placera son petit corps sur le ventre ouvert de sa mère… D
Des récits de ce genre sont légion.
Tout cela s’est passé dans le silence assourdissant de la Communauté Internationale.

A l’Est du Congo, nul mémorial pour honorer nos morts… Pendant ce temps, le mémorial du génocide à Kigali fait recette et est visité par de nombreux visiteurs qu’on veille bien à éviter qu’ils ne se posent des questions sur les responsabilités et les ressorts du génocide rwandais. Et qu’il s’en pose encore moins sur l’étrange sélectivité qui a présidé aux choix de la présentation de plusieurs génocides de  l’histoire humaine.
Loin de nous de minimiser les faits de 1994, ni de simplifier l’analyse de ceux-ci.
Mais il nous est difficile d’avaler la propagande qui utilise ces horreurs de 94 pour cacher et mystifier l’opinion sur ses crimes d’aujourd’hui. De très nombreux Rwandais partagent cette opinion et sont les premiers à souffrir d’un Etat policier qui sévit et étouffe toute expression critique sur les inégalités sociales qui aujourd’hui, recouvrent très largement des différences ethniques dans ce pays,  sous prétexte d’incitation à la haine en vue d’un nouveau génocide des Tustsis.

Les  génocides d’hier doivent être pleinement reconnus et il est indispensable de combattre le négationnisme qui s’exprime parfois. Cela étant, ils ne peuvent pas non plus, d’aucune manière, justifier les politiques criminelles menées par d’aucuns qui s’en servent comme fond de commerce, que ce soit en Israël ou en Afrique Centrale.
S’il est aujourd’hui une haine qui monte, c’est d’abord et avant tout celle de l’occupant et de ses terribles exactions. Il se fait que celles-ci soient imputables pour l’essentiel à une communauté ethnique qui détient le pouvoir dans son pays. Cela fait-il de cette haine bien compréhensible une haine raciale, basée sur des préjugés ethniques ? Nous ne le pensons pas, même si nous sommes conscients des risques possibles de dérive et du travail de conscientisation à réaliser sur cette question. Le peuple Congolais sait bien qu’on ne peut incriminer le seul Rwanda et son pouvoir dans les drames du Congo. Les responsabilités internes au pays sont très lourdes. On sait aussi que le régime de Kigali ne pourrait rien faire  s’il ne bénéficiait de la complaisance et de l’appui de certaines puissances.

Il est urgent que la Communauté Internationale reconnaisse pleinement les souffrances du peuple congolais et soit à ses côtés dans son combat pour retrouver la dignité et des conditions décentes de vie et de développement.  Et que soient mises enfin en place les conditions politiques pour qu’il en soit ainsi. Les Communautés d’Etats, économique, ou autres, ne peuvent fonctionner valablement que sur base de relations égalitaires entre les Etats. Si on souhaite qu’elles soient durables et fécondes, elles doivent constituer une réelle avancée  pour toutes les populations concernées.
Ce n’est pas, hélas, le chemin qui est pris.

Les craintes sont grandes que les frustrations accumulées, la colère qui monte, l’humiliation insupportable ne dégénèrent et ne se transforment en violence aveugle et extrême.

L’Afrique des Grands Lacs reste une poudrière.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire