Depuis plusieurs années, soit de 1996 jusqu’à nos jours, la République Démocratique du Congo est sous menace d’une balkanisation comparable à celle qu’a connue le Soudan. Ce projet a été porté par le rassemblement congolais pour la démocratie (RCD/Goma) de Azarias Ruberwa, rébellion soutenue par le Rwanda qui nourrit des ambitions à peine voilées d’annexer l’ancien Kivu.
Pour rappel, on se souviendra qu’en 1996, lors de l’avènement de l’AFDL avec Mzee Laurent Désiré Kabila, l’ancien président rwandais, le pasteur Bizimungu avait demandé clairement à la Communauté internationale de placer les frontières rwandaises à 150 km à l’intérieur du Zaïre de l’époque. Ces ambitions ont rencontré une résistance farouche de la population kivutienne fortement attachée à l’unité du pays.
Devant l’échec de créer un autre pays avec la partie du territoire national (plus de la moitié) occupée pendant plus de cinq ans, et ce grâce au nationalisme très poussé des congolais, cette rébellion pro rwandaise du RCD/Goma avait tenté une autre subdivision territoriale à l’intérieur de la province du Sud-Kivu voulant créer un territoire quasi mono ethnique de Minembwe pour les banyamulenge (congolais tutsi d’expression rwandaise). Toute la population s’était levée pour dire non. Ce fut un échec cuisant de ce mouvement jusqu’à ce que, lors du dialogue inter-congolais de Sun City, on décida la réunification, la pacification du pays et beaucoup d’autres accords politiques. Le territoire de Minembwe, de Bunyakiri, la commune urbano-rurale de Kasha dans la ville de Bukavu, la ville de Kitchanga dans le Masisi au Nord-Kivu avaient perdu cette possible perspective…Pourtant, leurs défenseurs n’ont jamais dit leur dernier mot.
La réunification du pays à travers la transition que nous avons connue, avec un président et quatre vice-présidents issus des différents antagonistes, l’organisation des élections de 2006 et de 2011, la mise en place des institutions démocratiques dans tout le pays avaient semblé l’emporter sur ces velléités scissionnistes du pays. Pourtant, le démon de la balkanisation hante toujours certains esprits. Certains signes ne trompent pas…
(Voir également notre article de décembre 2017 sur ce blog "Le Nord-Kivu, capitale diplomatique de la RDC")
Le débat sur les scissions des provinces du Nord et du Sud-Kivu a été relancé il y a quelques semaines. Au Nord-Kivu, un groupe de personnes, peut-être nostalgiques, de la communauté rwandophone, a initié une pétition pour demander la scission de leur province en deux : le grand nord qui serait essentiellement « nandephone » (pour la tribu Nande) et le grand Sud qui prendrait la ville de Goma et serait essentiellement rwandophone. Il faut se rappeler qu’il y a deux ans un grand notable du Nord-Kivu de la même communauté, dignitaire du RCD/Goma (Mr. Serufuli Ngayabaseka, alors ministre national de l’agriculture) avait déjà lancé le débat, et dans sa proposition, le grand sud s’étendait jusqu’au territoire de Kalehe au Sud-Kivu. Quelques semaines plus tard, un autre ancien dignitaire du même mouvement rebelle RCD/Goma et ancien ministre provincial de l’enseignement primaire et secondaire au Sud-Kivu, monsieur Ladislas Muganza Wa Kandwa, a aussi lancé le débat de la scission du Sud-Kivu en deux provincettes : le Kivu central qui prendrait les quatre territoires occupés par la tribu bashi et havu à savoir Walungu, Kabare, Idjwi et Kalehe et la province d’Elila qui prendrait les territoires d’Uvira, Fizi, Mwenga et Shabunda. Ce débat est tombé comme un plomb dans la société; des supputations et des questionnements ont fusé de toutes parts. Pourquoi pareil débat à ce moment précis où le peuple n’attend que les élections? A qui cela profite-t-il? Pourquoi ce débat est il lancé par les anciens ténors de la rébellion pro rwandais? Est-ce un signe qu’ils n’ont jamais désarmé face à l’idée de créer une république de l’Est, que certains pensent être "l’empire Hima", une sorte d’Israël au cœur de l’Afrique centrale où les Tutsi seraient les maîtres absolus? Pourquoi est-ce seulement en ce moment où l’ancien patron de cette rébellion devenue parti politique, monsieur Azarias Ruberwa est ministre national de la décentralisation que ces appétences ressurgissent? Y a-t-il un lien ou est-ce une simple coïncidence?
La Constitution de la République reconnaît 26 provinces. S’il faut en augmenter d’autres selon les humeurs politiques des gens, cela veut dire qu’il faudra la revoir…Si cela était, on devrait se demander à quels besoins de la population répondraient ces nouvelles divisions ? Le problème congolais est d’abord un problème d’hommes. Avec le même type d’hommes politiques qu’aujourd’hui, même dans les petits Balkans ou provincettes, rien ne changera. Les défenseurs de la scission du Sud-Kivu avancent qu’il y a en province une dynastie privilégiée qui dirige toujours alors qu’elle a démontré son incapacité à construire le développement de la province. Oui et non ! Au Sud-Kivu, en dehors de l’héritage colonial, aucun des huit territoires n’est plus développé que d’autres ni n’a retenu plus d’attention sur le plan développement. Certes, certains territoires ont parfois eu quelques avantages venant des initiatives privées d’ONG et autres partenaires internationaux à cause de leur situation géographique qui les rend plus accessibles à certaines actions humanitaires. Mais cela n’a rien à voir avec une quelconque action de l’Etat.
Par ailleurs, il est à noter que la majorité des gouverneurs qui ont dirigé la province depuis un certain nombre d’années vient essentiellement des ethnies Iega et Shis. Ces deux tribus sont les mieux représentées au niveau de Kinshasa mais leurs territoires n’ont aucun souvenir de cela. La misère et le sous-développement sont au comble.
Toute la population congolaise souffre du même problème : la mauvaise gestion de la respublica et l’égoïsme des politiciens alors que presque toutes les communautés du Sud-Kivu sont représentées dans la haute sphère du pays…
De telles aventures de la scission de la province auront des conséquences beaucoup plus fâcheuses sur le plan sociologique que politique. Ces provincettes seraient calquées sur des modèles tribaux, une appartenant aux Bashi et une autre au peuple Iéga, Bembe pour ce qui est du Sud-Kivu et une aux Nandés et l’autre aux rwandophones pour ce qui est du Nord-Kivu.
Le Nord et le Sud-Kivu ont été dans le temps les grands défenseurs de l’unité du pays; ils ont payé cher leur résistance contre la balkanisation du pays. Aujourd’hui que la démarche semble venir de l’intérieur même de la nation, trouvera-t-elle encore des obstacles et des oppositions suffisantes à sa réalisation ? Elle pourrait peut-être prendre encore un peu du temps mais… Pourtant, c’est l’évidence même que ce ne serait jamais une panacée aux problèmes de gouvernance et de développement que connaissent les deux provinces ni le pays. Le Sud-Soudan en est un exemple patent, la Libye de même...
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