mercredi 12 septembre 2018

RDC: Joseph Kabila a désigné son dauphin…

Fin d’un suspens ou début d’une stratégie?
Depuis 2015, les pressions internes et externes n’ont fait que croître sur Joseph Kabila pour qu’il renonce à se représenter au troisième mandat conformément à la constitution du pays qui fixe à deux seulement le mandat du Président de la république.Pour rappel, son deuxième et dernier mandat présidentiel a pris fin le 19 décembre 2016 à minuit. Mais comme constaté depuis 2015, son régime a multiplié des stratagèmes pour le maintenir au pouvoir en dépit des prescrits de la constitution. Le peuple congolais a résisté jusqu’au sacrifice: assassinats, arrestations arbitraires, tortures, exils, viols, extorsion, etc.

A côté de la pression populaire s’est joint celle de la communauté internationale… Mais tout cela n’a pourtant pu vite faire plier le régime Kabila qui, associant des combines politiques du genre dialogue, concertation, gouvernement d’union nationale…, a maintenu un suspens le faisant bénéficier alors d’un bonus de deux ans d’illégitimité.


Le discours du suspens devant le congrès réuni…

Le 19 juillet 2018 passé, un jour avant la fin de la session extraordinaire du parlement, le président Kabila tenait un discours sur l’état de la nation devant les deux chambres réunies. Tous les congolais étaient rivés sur les écrans pour suivre ce qui, pour certains, devait être le discours de la dernière chance pour Kabila d’annoncer qu’effectivement il ne se représentera pas aux élections prévues au 23 décembre 2018. Grande fut la déception, puisqu’il ne l’a pas annoncé et ne l’a jamais annoncé jusqu’à présent.

A quelques semaines du dépôt des candidatures aux législatives nationales et à la présidentielle, les congolais voulaient que le président Kabila dévoile enfin le sens réel de cette petite phrase qu’ils sont habitués à entendre « je respecterai la constitution » en disant expressis verbis qu’il ne sera plus candidat aux prochaines élections du 23 décembre 2018, mais hélas ! Pas pressé, ni par le temps, ni par la pression de tous bords, l’homme de Kingakati a souhaité maintenir encore le suspens…

Les congolais s’attendaient à la désignation officielle de son dauphin au sein de sa majorité présidentielle: non, rien de tout cela n’a été au rendez-vous sauf le refrain habituel « Je vais respecter la constitution »!

Ce fut donc un rendez-vous manqué. Il préféra plutôt se lancer dans une sorte de propagande électorale ventant des réalisations dont se moque et se fâche le peuple congolais. Des commentaires acerbes ont fusé de partout exprimant un ras-le-bol collectif de la nation dont la situation socio-économique ne s’est pas vraiment améliorée en 17 ans de règne.

En tout cas, ce discours-là aura été tout sauf celui de quelqu’un qui voulait quitter le pouvoir. Je dirai plutôt un discours hypnotique et amnésiant…

Et pourtant sans baisser les bras, le peuple ainsi que la communauté internationale ont maintenu la pression et l’étau se resserrant de plus en plus, Joseph Kabila n’a eu d’autres choix que de lever, bon gré mal gré, son suspens et de désigner, contre toute attente, son dauphin en la personne de Emmanuel Ramazani Shadari, un oncle de la Province du Maniema. En tout cas, un dauphin né d’une césarienne.
Certains analystes comme le professeur Thierry Nlandu, du Comité laïc de coordination, pense que c’est une désignation par défi, car il se choisit un membre de sa famille, une personne en délicatesse avec la communauté internationale comme tous ceux qu’ils rappellent autour de lui en cette fin de mandature. Il reconstitue le clan des mousquetaires avec pour devise « Un pour tous, tous pour un ». Bien plus, par rapport au Congo, il reste fidèle à la conception léopoldienne du Congo « bien privé » légué à celui à qui on en confie la gestion. Et, sous l’AFDL, le Congo est et restera une propriété familiale qu’on se lègue de père à fils, de fils à oncle et demain d’oncle à neveu, amen (1) !

Fin d’un suspens ou début d’une stratégie nouvelle?

Nombreux analystes restent prudents sur la sincérité de cette désignation, et ce, pour plusieurs raisons évidentes:

  • Une désignation non démocratique au sein de la famille politique et qui a pris de cours toutes les autres prétentions les plus sérieuses: Augustin Matata Mponyo (ancien premier ministre et directeur de cabinet du chef de l’Etat), Modeste Bahati Lukwebo (ministre national du plan et autorité morale de l’AFDC, la deuxième grande force au sein de la majorité présidentielle), Aubin Minaku Ndjalandjoko (Secrétaire général de la majorité présidentielle et président de l’assemblée nationale), etc.
  • Une désignation annoncée à quelques deux heures seulement avant l’expiration du délai de dépôt des candidatures à la présidentielle, soit le mercredi 8 août à 14h00, heure de Kinshasa. Cette façon de faire transpire une mauvaise foi et une volonté jusqu’au boutiste de s’accrocher au pouvoir. 
  • Thierry Nlandu Mayamba (2) dit que c’est aussi une désignation par dépit car elle est le fruit de nombreuses pressions internes et externes. Une réponse qui sonne comme imposée, non désirée par la personne qui la prend. Ce n’est pas un acte de bonne foi. Cet acte doit en même temps refuser aux Congolais cette joie qui aurait résonné comme une défaite pour Kabila (...). Il veut rester maître du jeu même au moment où, visiblement, il ne maîtrise pas tout ce qui lui arrive. Bien plus, s’il renonce à un 3e mandat, il n’abandonne pas l’idée de conserver le pouvoir.

Aussi, Emmanuel Shadari est une personnalité qui ne pèse pas sur l’échiquier national au regard de ceux qui devront être ses challengers au sein de l’opposition mais aussi, il est sous le coup des sanctions internationales… Pourquoi choisir une personne aussi contestable et politiquement légère? Est-ce seulement pour apaiser les tensions et pressions autour de soi et avoir un temps de répit et de repeaufinage de stratégie ou pour sauvegarder le giron familial au pouvoir?

Shadari a déposé sa candidature à la présidentielle comme indépendant mais soutenu par le regroupement politique du chef de l’Etat, les Forces congolaises du changement (FCC), mais en même temps, il est candidat député national dans la circonscription de Kabambare, son fief natal sous le label du parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD). Quel désordre organisé!

Le contexte tendu de cette désignation avec un flux de pressions internes et externes aurait-il contraint le président de la république à faire le ménage dans les mises en place au sein des forces armées congolaises (FARDC) quelques jours avant. Une redistribution des cartes plutôt suspecte que normale au regard du contexte temporel. Il a confié des hautes responsabilités à des généraux qui sont recherchés par la justice. A titre illustratif, le général John Numbi, l’assassin suspect numéro un des défenseurs des droits de l’homme, Floribert Chebeya, Fidel Bazana est revenu en fonction comme chef d’Etat major, le général Akilimali Mundos, suspect numéro un dans les massacres au Kasaï et à Beni dans le Nord-Kivu, envoyé comme commandant de la 33e région militaire au Sud-Kivu, etc.
Tout cela serait-il un fait du hasard ? Non!

Que peut bien cacher et signifier tous ces calculs politiciens et militaires à quatre mois de la tenue hypothétique des scrutins présidentiels? L’avenir proche nous le dira…
Est-ce suffisant pour penser à une stratégie à la Poutine et Medvedev? Rien n’empêche d’y croire sauf qu’avec l’expérience présidentielle vécue, il paraît peu plausible de voir Joseph Kabila accepter d’être Premier ministre, la primature étant un poste trop complexe et exigeant.
La constitution lui donne droit d’être sénateur à vie, il pourrait même briguer la Présidence de cette chambre haute du parlement avec l’espoir qu’en cas d’empêchement définitif du Président de la République en exercice pour telle ou telle autre raison, le Président du Sénat assume la présidence ad intérim et organise les élections dans les 90 jours qui suivent. L’article 75 stipule qu’en cas de vacance pour cause de décès, de démission ou pour toute autre cause d’empêchement définitif, les fonctions de Président de la République, à l’exception de celles mentionnées aux articles 78, 81 et 82 sont provisoirement exercées par le Président du Sénat.
Et selon l’article 76 alinéa 3 : « (…) En cas de vacance ou lorsque l’empêchement est déclaré définitif par la Cour constitutionnelle, l’élection du nouveau Président de la République a lieu, sur convocation de la Commission électorale nationale indépendante, soixante jours au moins et quatre-vingt-dix jours au plus, après l’ouverture de la vacance ou de la déclaration du caractère définitif de l’empêchement… »
Dans cette hypothèse, Joseph kabila maintenant son influence sur l’armée et sur son défunt, pourrait organiser un faux coup d’Etat pour reprendre le pouvoir…


Tout n’est donc pas fini pour le peuple congolais. Il lui faut une vigilance d’épervier et maintenir la pression sur la classe politique entière pour espérer vaincre…

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[1] Thierry Nlandu Mayamba "Désignation du dauphin du président Kabila. Au-delà de la surprise : que cache la partie visible de l’iceberg Emmanuel Shadari ?" Aout 2018.
[2] Ibidem.