lundi 9 décembre 2013

La liberté de la presse: une gageure pour les grands lacs africains

Introduction

Il est présenté ici un état des lieux fait par l’éditrice du Journal Le Souverain à l’occasion de la tournée au Sud Kivu, en octobre 2012, du chanoine François Houtart. Il sera conclu par un regard croisé de CAPSA Grands Lacs sur cette liberté de presse dans la région des grands lacs africains.
Cet état des lieux fait le point sur la liberté de la presse en RD Congo. On sait que de nombreux journalistes ont payé de leur tranquillité et même de leur vie, leur engagement au service de la vérité et des intérêts du peuple. Les auteurs des crimes, « non autrement identifiés », courent toujours.
Pourtant, il nous faut introduire une nuance: la liberté de la presse est chose précieuse. Elle est pourtant parfois instrumentalisée par des forces qui sont contraires aux intérêts des peuples. 
De par le monde, la majorité des médias sont contrôlés par de grands groupes privés. Ils distillent une information souvent tendancieuse, aliénante. Les intérêts économiques et financiers des porteurs de capitaux l’emportent souvent sur la vérité et la liberté journalistique. Ainsi par exemple, au Venezuela, l’essentiel de la presse dite « libre » est aux mains d’opposants au régime, soutenus par les USA, et mène un véritable travail de déstabilisation du pouvoir de gauche. Les mots sont parfois piégés…


Liberté de presse au Congo, un état des lieux

La constitution de la République Démocratique du Congo, en tant que loi fondamentale, garantit la liberté d’expression et d’opinion ainsi que le droit à l’information. Cette disposition est présente aussi dans la loi n°96.002 du 22 juin 1996 portant modalités de l’exercice de la liberté de la presse en RD Congo mais l’exercice de la liberté de presse est souvent mis à mal dans les faits.
Après plus de 30 ans de dictature du maréchal Mobutu, l’heure est à la démocratie mais cette dernière est encore fragile compte tenu de sa jeunesse. Les dirigeants congolais actuels n’ont pas tous été préparés à l’exercice démocratique et restent encore imprégnés d’une culture autoritaire, s’adonnent souvent à des réflexes de censure et de menace à l’encontre des journalistes qui osent s’exprimer librement.
Le contexte dans lequel le journaliste congolais exerce son travail est généralement un contexte teinté d’hostilités, marqué par beaucoup de risques sécuritaires et aussi par le manque de justice et surtout l’impunité. La transition vers la démocratie au début de cette décennie a en effet été émaillée par des cas d’assassinats, d’interpellations arbitraires, de censures, d’intimidation des journalistes. Il arrive fréquemment que le journaliste congolais s’auto-censure pour éviter les ennuis lorsqu’il traite certains sujets sensibles. A cet environnement hostile pour le travail du chevalier de la plume vient s’ajouter aujourd’hui la tension politique post-électorale liée à la crise de légitimité du régime en place ainsi qu’à la présence des groupes rebelles actifs à l’est du Congo. Celles-ci s’accompagnent d’actes d’intolérances politiques, dans un système où l’impunité semble être la règle.
Dans un contexte de guerre et de conflits, la recherche de l’équilibre dans l’information par le recours à différentes sources permettant aux journalistes de donner différents sons de cloche est presque prohibée dans l’exercice du métier bien que la loi de février 1996 y insiste. Certains médias ou journalistes qui recourent à cette obligation professionnelle s’expose à des menaces et poursuites.
Même dans un contexte de paix, les autorités ne supportent pas une plume indépendante. Prêtes à utiliser l’arme pour régler un conflit, certaines personnalités qui se sentent lésées par une presse libre n’hésitent pas à commanditer des assassinats contre les journalistes ainsi que les militants de droit de l’homme.


Les atteintes à la liberté de presse

Pour la seule année 2011, l’ONG de défense des droits de l’homme Journaliste En Danger (JED) avait dénombré 160 cas de violation de la liberté de la presse en République démocratique du Congo (RDC) en 2011 contre 87 en 2010. Au vu des cas d’agression et de menaces contre les journalistes, surtout à l’est du Congo, la crainte est qu’on atteigne un chiffre record jamais enregistré dans l’histoire du pays.
Il est à noter, pour mémoire, que sur les 8 cas d’assassinat de journalistes qui ont été enregistrés depuis 2006 sur l’ensemble de la RD Congo, la province du Sud Kivu à elle seule en compte 3 sur un intervalle de 4 ans.


Presse indépendante

Il convient de souligner avec force, cependant, l’émergence d’une presse indépendante mais exposée à la fragilité par manque d’autonomie financière.
Au Congo, il existe plus de 300 radios communautaires et une cinquantaine de télévisions. La quasi majorité de ces médias appartiennent aux hommes politiques. Pour s’être servis avant de servir le peuple, ce sont ces acteurs politiques qui disposent des moyens pour faire fonctionner leurs médias. Avec leurs moyens, ils manipulent les journalistes selon leurs ambitions politiques ou idéologiques. Le journaliste perd ainsi son indépendance même si sa conscience professionnelle l’interpelle.
Journaliste En Danger (JED) qui défend la liberté de presse fonctionne avec un dilemme, celui de défendre parfois l’indéfendable. Lorsque cette ONG s’explique en ces termes : « … les responsables ultimes de cette situation désastreuse sont identifiables: ce sont les responsables politiques qui se posent en champions de la démocratie, même les armes à la main. Et quand les armes sont devenues trop « voyantes », ils utilisent l’arme de la parole publique en instrumentalisant leurs médias. Derrière les journalistes corrompus se cache une élite politique prête à tout, et surtout à continuer à faire tourner une machine destructrice qui leur assure gloire et argent. Les journalistes là-dedans sont de petits soldats… »
Au Sud Kivu, il existe plus d’une dizaine de radios et 4 télévisions. Pour ce qui est de la presse écrite, il n’existe qu’un seul journal professionnel et indépendant à côté d’une sixaine de bulletins de liaison et d’information dont la majorité sont issus des ONG.
Il a à noter tout de même que l’indice de la liberté de la presse en RD Congo est beaucoup plus élevé qu’au Rwanda voisin où l’espace démocratique n’est pas du tout ouvert et dans une certaine mesure l’Ouganda. La presse en RD Congo reste critique malgré les insuffisances actuelles liées au contexte d’insécurité et de manque d’autonomie financière qui caractérise certains médias surtout ceux reconnus indépendants.
Au Burundi voisin, un journaliste correspondant de RFI du nom de Ruvakuki croupit en prison. Il a été condamné à perpétuité pour avoir tendu le micro à « un groupe de rebelles ». Il a été appréhendé avant même la diffusion des dites informations.
Malgré les efforts observés en RD Congo, il sied de mentionner que le décor est planté car il n’y a pas longtemps, un acteur du CSAC (Conseil supérieur de l’audiovisuel) a parcouru le pays pour interdire les médias d’interroger les rebelles.


Sans autonomie financière, pas de médias indépendants

Contrairement à d’autres pays, l’Etat congolais n’accorde pas de subventions à la presse bien que cette promesse ait été donnée par le président Mobutu en 1992 lors de la libéralisation de la presse du Congo. Ceci expose les médias ainsi que les journalistes à des pratiques contraires à l’éthique et la déontologie dans leur profession. Le "coupage", terme courant utilisé pour désigner le monnayage de l’information, devient une pratique de survie et fragilise la presse. Des sujets de société sont rarement abordés car moins payant en la faveur des reportages politiques présentés souvent sous forme de propagande.
Pour fonctionner, beaucoup de médias recourent aux hommes politiques et perdent ainsi leur indépendance. Il est à noter également que la grande partie de médias qui se disent "communautaires" appartiennent aux hommes politiques. Ces médias leurs servent comme des écrans miroirs fabriqués pour l’auto-représentation de leurs promoteurs. Du coup, les journalistes qui y travaillent perdent leur indépendance car obligés de respecter la ligne éditoriale du propriétaire. C’est la règle de "commande qui finance"


L’autocensure en RD Congo, une menace pour la liberté de presse

Les cas d’assassinats ont vite eu un impact négatif sur le moral des journalistes congolais, la pratique de l’autocensure devient un moyen pour éviter de se retrouver dans des situations inconfortables. Les journalistes évitent d’aborder des sujets dits "sensibles" et se gardent de toute critique surtout à l’endroit du chef de l’Etat. Les médias ne respectent plus le public en lui accordant son droit à l’information.
Dans une interview accordée au journal Le Souverain en 2009, Donat M’baya, Directeur de l’ONG JED soulignait : "Au Congo les médias sont bons lorsqu’ils encensent, quand ils vantent les mérites réels ou supposés des gens, mais ils deviennent mauvais quand ils critiquent, quand ils dénoncent, quand ils ne donnent pas la version officielle des faits".


En conclusion

Dans une démocratie en construction comme en RD Congo, la balle est aussi dans le camp des acteurs de la presse pour une prise de conscience tout à fait professionnelle en vue de se libérer et de libérer le secteur. Le prix à payer sont des menaces, des agressions et toutes formes d’atteinte à la liberté de presse allant jusqu’au pire.


Quel regard croisé sur l’exercice de liberté de presse dans les Grands Lacs?

Plus qu’un droit constitutionnel inscrit dans l’arsenal juridique des états, la liberté de la presse est un droit couvert par les instruments juridiques internationaux ratifiés par tous les états membres des Nations Unies.
Cependant l’exercice de la liberté de presse dans tous les états du monde, tant dans les états de vieille démocratie que dans les jeunes états à l’école de la démocratie, est embrigadé! Dans les grands-lacs africains (RD Congo, Rwanda, Burundi, Ouganda), par exemple, à des degrés légèrement divers, l’exercice de cette liberté est pris en étau entre d’une part des pouvoirs publics dictatoriaux qui voient dans l’action des médias un pouvoir dénonciateur fort, qui fait et défait les grands du monde et d’autre part des limitations juridiques couchées dans des dispositions faisant force de loi. Ce qui conduit au musellement de la presse, soit par la répression, soit par l’achat de conscience des journalistes. Ceci peut se lire dans quelques ordonnances, des décrets-lois obstruant cette liberté de presse à travers ce qu’ils criminalisent comme un délit de diffamation qui finit par faire développer chez le journaliste une sorte de torpeur qui conduit finalement à l’autocensure.
Mais alors, comment garder l’indépendance, la neutralité de la presse face à des situations injustes, face à l’oppression, face à l’agression… ? Paradoxalement, dans l’environnement des grands-lacs en conflits récurrents, la presse se trouve coincée dans un nœud gordien portant sur un dilemme permanent de concilier militantisme citoyen et l’éthique ou la déontologie du métier. N’est-on pas militant en informant, en défendant les droits de l’homme, en éduquant à la paix, au patriotisme, au civisme et en dénonçant le mal ?
Comment sauvegarder l’indépendance de la presse pour les journalistes exposés à des réels besoins primaires de subsistance. C’est évident qu’il n’y aura pas de liberté de presse sans moyen financier. En effet, dans la région des grands lacs africains, la pratique de monnayage de l’information est monnaie courante.
Pour garder discrète et protéger cette pratique de monnayage de l’information, les journalistes en ont carrément codifié l’appellation. Celle-ci varie selon les pays, mais la triste réalité reste identique dans les différents réflexes de ces derniers : question de survie. Ainsi, ce monnayage s’appelle "Gita" au Rwanda et au Burundi. Mais lorsqu’au Rwanda le pouvoir rwandais s’est rangé pour traquer la pratique, ils ont changé l’appellation de "Gita" en "Éditorial" (Gita signifie « arbre » dans leur langue vernaculaire). Au Kenya elle se nomme "Mchapa", au Bénin c’est le "Mot de la fin", en Tanzanie la pratique s’appelle "Vunja mugongo"… Et finalement, c’est la fiabilité et la crédibilité des informations issues de ces canaux qui en pâtissent et les violeurs des droits en sortent ragaillardis.
Comment le journaliste dans les Grands Lacs pourrait-il rapporter les faits, rien que les faits qui pour la plupart des cas remettent gravement en cause le pouvoir qui s’estime à son tour jouir des prérogatives de vie ou de mort contre tous ceux qui ne pensent pas comme lui ?
Plusieurs sujets chauds exposent les journalistes dans la région des Grands Lacs africains. Des questions taboues sont celles qui portent sur l’analyse de complicité et/ou de traîtrise dans les guerres interminables dans la région, le blanchiment de l’argent qui passe par la grande corruption, le business couvant les contrats miniers désastreux et inéquitables (Forest, Banro, chinois, les Sudaf, les rwandais, les ougandais…), les interventions humanitaires, les commanditaires de la criminalité urbaine et transfrontalière balisant un lit pour le terrorisme africain dans la région des grands lacs, les violations et abus de pouvoir et les différentes répressions exercées sur les personnes. Bref, nombre de questions qui aideraient les populations à se faire une opinion.

Le combat pour la liberté de la presse est un combat juste et de longue haleine. Il ne peut se faire en vase clos. Il doit se trouver des alliés débordant les frontières nationales car le combat pour les vertus n’a pas de frontières. C’est dans ce sens que les efforts doivent être consentis pour explorer toutes les alternatives devant permettre à arracher ce droit à tout prix. Regardant dans cette même direction, au cours d’un atelier de réflexion sur les médias dans la région des Grands Lacs tenu en avril 2011, les journalistes du Burundi, du Rwanda, et de la RD Congo avaient consentis à un train de stratégies pour faire face collectivement à nombre d’écueils liés à l’exercice de leur profession.

mercredi 27 novembre 2013

La société civile encore dans le jeu du pouvoir? Les concertations nationales!

Les questions de vie nationale sont l'affaire de tous, certes. Dans une démocratie digne et respectueuse, la participation de chaque citoyen à la gestion de la chose publique doit être la préoccupation de tout pouvoir politique républicain.

Au Congo, le tableau n’est pas toujours celui que l’on pense ni celui que l’on rêve pour le bien de la démocratie dont on se réclame. Le pouvoir politique congolais a sa propre perception de la participation politique citoyenne, différente de celle du simple citoyen. Le premier entend par participation cette manière de faire participer à des fora nationales comme entité certains membres de la société civile pour essayer de calmer les grognes sociales en vue autour de certaines grandes questions nationales. Et, in fine, arriver à le débaucher pour fragiliser le contrepoids citoyen à l’action du pouvoir.

L’histoire récente du Congo n’a jamais connu une grande réunion des congolais pour anticiper les événements et planifier sur l’avenir; on débat toujours pour chercher à guérir et non pour prévenir. C’est toujours pour résoudre des problèmes devenus requérants…

Par contre, pour le citoyen, la participation politique c’est tout et rien à la fois. C’est d’abord la redevabilité des acteurs politiques en matière de gestion de la république, c’est l’échange des informations, c’est la redistribution équitable des services et ressources nationales, c’est la canalisation et l’agrégation de ses aspirations et de ses besoins, etc. Bref, c’est la prise en compte des conditions pour son mieux-être.

Depuis la deuxième république, en passant par Sun City ainsi que les autres multiples conclaves, conférences jusqu’aux récentes concertations, ce à quoi on assiste au Congo n’est pas de nature à favoriser l’émergence d’une vraie démocratie mais plutôt une démocratie de façade. A l’issue du dialogue inter congolais de 2001, une transition politique avait été décidée avec un gouvernement de large union nationale matérialisé par la formule 1+4. A cet effet, les grosses pointures de la société civile se virent nommées à des postes politiques avec les anciens protagonistes (gouvernement, rebellions) pour, disait-on, faire la paix, l’unité et l’intégration. La société civile qui, par essence, est le contrepoids du pouvoir est désormais dans les collimateurs du pouvoir. De cette façon, elle est devenue presque une prolongation, une caisse de résonance du pouvoir qui ne s’empêche plus à favoriser sous coulisse certains acteurs de la société civile acquis à sa politique.

Les dernières concertations nationales ont réuni la majorité présidentielle, l’opposition et la société civile (qu’on dit acquise au régime en place) pendant trois semaines pour discuter des questions nationales. Je ne veux pas revenir sur la manière dont les participants, appelés abusivement « délégués », ont été désignés ni sur la composition et la forme de ces concertations. La question qui se pose est celle de savoir qu’est-ce qui a été dit qui ne l’a jamais été depuis la conférence nationale souveraine, Addis-Abeba, Gaborone, Sun City, Goma, Nairobi ?

La question de l’insécurité à l’Est de la république, l’épine dorsale de ces assises, a mis à nu la position mitigée de certains acteurs actuels de la société civile, en l’occurrence celle du Sud-Kivu, qui a refusé de s’allier à la position de sa consœur du Nord-Kivu de bouder ces assises. C’était une façon n’est-ce pas légitime de faire entendre sa voix par rapport à la situation d’insécurité imposée. Certains argumentent que la politique de la chaise vide ne payent pas. Oui, mais à quoi sert aussi une présence minorisée où l’on fait le figurant devant les indignations sociales révoltantes? Le bureau de coordination de la société civile du Sud-Kivu aurait dû aussi boycotter ces concertations nationales en alliance avec le Nord-Kivu et imposer ainsi une absence interpellatrice au reste du pays. Mais hélas!

L’idée lancée en août dernier par Léon Kengo (Président du Sénat) d’une nouvelle majorité au pouvoir incluant l’actuelle majorité présidentielle, l’opposition ainsi que la société civile a fait baver certains acteurs sociaux et politiques de se retrouver aussi dans les rênes du pouvoir après les concertations. Mais à quoi conduira une telle nouvelle majorité si ce n’est que prolonger le mandat de Joseph Kabila au-delà de 2016 pour mettre la nation devant un fait accompli et un challenge. La révision de l’article 220 de la constitution n’a plus été possible aux concertations nationales mais la Constitution retient que les animateurs des institutions du pays restent en place jusqu’à l’installation effective de ceux qui sont élus pour les remplacer.

Donc, la seule voie restante aux prophètes de l’inanition de la nation congolaise c’est cette prolongation du mandat auquel malheureusement certains acteurs de la société civile auront donné un quitus. C’est là la nouvelle pilule amère qui sera imposée au peuple congolais.

jeudi 14 novembre 2013

Les vrais détenteurs de la victoire sur le M23

Qui est le M23 ?

A ce jour le M23 était le groupe le plus récent parmi une trentaine de groupes armés(1) opérationnels dans la partie Est de la RD Congo. Leur nombre avoisinait les 1.500 hommes.
Le M23 fut un mouvement militaire majoritairement rwandais. Il était en gestation depuis février 2012. Il fut initialement constitué de Tutsis voulant marquer leur désapprobation face à la forte pression exercée par la Cour pénale internationale (CPI) sur l’un des leurs, le général Bosco Ntaganda impliqué dans les mêmes dossiers que Thomas Lubanga (crimes contre l’humanité et dont le procès poursuit son chemin à La Haye). La première réunion préparatoire de la mutinerie tenue au mois de janvier 2012 dans les Hauts plateaux de Minembwe voudra répondre à ce souci : « Que faire et comment procéder » pour obliger le gouvernement de la République Démocratique du Congo à s’activer urgemment dans le retrait à la CPI du dossier de Bosco Ntaganda!

Deux tentatives en vue d’embarquer d’autres groupes tribalo-ethniques locaux dans cette aventure avaient échoué. Seuls dans cette cause, la mutinerie déclenchée à partir de la Province du Sud-Kivu en février 2012 emprunta alors la direction du Nord-Kivu, en prenant au passage tous les combattants anciennement CNDP intégrés aux FARDC au terme d’un accord avec le Gouvernement RD Congolais. Ces militaires, clairsemés dans les différentes unités des FARDC présentes sur ce parcours d’environs 400 km (du Sud du Sud-Kivu vers le Nord-Kivu voisin), seront en partie récupérés par la rébellion en vue de reconstituer une armée. Deux mois plus tard, soit le 12 avril 2012, ce fut au tour de la communauté tutsi basée dans le Nord-Kivu d’adresser une lettre ouverte au Secrétaire général des Nations Unies. Un texte arguant la thèse d’un complot contre toute la communauté tutsi. Ainsi, grâce à ce déclencheur, l’appui idéologique et militaire du Rwanda et de l’Ouganda vint tonifier le groupe ainsi constitué principalement des ressortissants du CNDP de Laurent Nkunda. L’essentiel de leur cahier des charges fut construit à partir des revendications légitimes des communautés locales. En mai 2012, le M23 se transforma alors en  rébellion atypique prétextant avoir reçu mandat de ces communautés. Pourtant, durant toute la durée de sa vie, ce mouvement n’a jamais bénéficié de l’appui de la population pour le reconnaître comme alternative au pouvoir de Kinshasa. Seul l’opposant Roger Lumbala rejoignit le mouvement du 23 mars, le M23. D’ailleurs, on se rendra vite compte que la victoire du M23 contre les FARDC à Goma en Novembre 2012 lui attira plus de misère que de joie car, au vu des dégâts incalculables occasionnés en peu de temps d’occupation de la ville (butins transférés au Rwanda, violations graves des droits humains, criminalités sans nom…), de nombreuses voix se sont levées de par le monde entier pour les désapprouver. La mise en scène de l’appui populaire, aux premiers jours de la prise de Goma, se révéleront vite une grande supercherie…
Mais contre toute attente, malgré ce rejet catégorique de la population, le M23 aura tenu militairement jusqu’en novembre 2013. Il a pendant cette période contrôlé un espace d’environ 700 km2 jouxtant le Rwanda et l’Ouganda et administré les territoires anciennement occupé par le CNDP…

La CIRGL(2)  proposera alors une solution africaine en vue de résoudre le conflit. Deux des 11 membres de la CIRGL, dont l’Ouganda lui-même pourtant partie prenante au conflit, deviennent médiateurs. L’Ouganda était pourtant accusé, preuves à l’appui, d’alimenter la guerre et, de son coté, le Rwanda, de surcroît membre du Conseil de sécurité des Nations Unies, fut maintes fois dénoncé pour son appui avéré au M23 et pour ses menaces directes perpétrées dans les médias contre la Monusco.
Ces éléments ont finalement mis ces deux pays dans une position inconfortable face à une communauté internationale désabusée. Plusieurs rapports d’experts internationaux et diplomatiques furent publiés pour recommander au Rwanda de se positionner non pas comme une partie du problème mais plutôt comme une partie de la solution.
Certains partenaires stratégiques du Rwanda, en particulier les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, furent interpellés pour leur inaction et, devant l’incapacité démontrée de la CIRGL, les Nations Unies ont adopté la Résolution 2098 et ont mis sur pied l’Accord cadre d’Addis-Abeba pour la RD Congo. Cet accord privilégia la constitution d’une force africaine dotée d’une mission de traque de toutes les forces négatives dont en tête le M23. Les ambivalences du Rwanda et de l’Ouganda ont poussé nombre de pays à réduire, ou même geler leur appui direct au Rwanda. Et de leur côté, les Nations Unies appuyèrent avec fermeté le mandat donnant aux casques bleus l’autorisation de combattre(3) le M23 aux côtés des FARDC.
Depuis lors, les pressions tant à l’interne qu’à l’externe n’ont cessé de croître. Le M23 traqué dans tous ses bastions a fini par craquer, se scinder en deux factions rivales après un affrontement sanglant. Il en résulta que d’un côté, une partie du M23 fidèle à Bosco Ntaganda se réfugia au Rwanda. Lui-même capitula et se rendit dans l’ambassade des Etats-Unis à Kigali d’où il sera livré à la Haye, et le reliquat des troupes piloté par Sultani Makenga entretint le leadership du M23 sur le terrain. Les négociations à Kampala se poursuivaient entre le gouvernement de Kinshasa et le M23 en même temps que les concertations nationales se tenaient à Kinshasa avec les forces politiques internes en présence en RD Congo en vue de trouver une solution politique à la crise. Sur le champ de batailles, les FARDC bien appuyées et bien équipées poursuivirent leur offensive contre les unités combattantes du M23 dans le Nord-Kivu jusqu’à la victoire totale telle que proclamée par le gouvernement de la RD Congo. (Sic Ministre Mende Omalanga)

A qui revient la palme d’honneur pour la victoire sur le M23 ?

A la question, on pourra répondre d’emblée soit par l’un ou l’ensemble des facteurs ci-après : les FARDC, le Gouvernement congolais, la population, la diplomatie et la Communauté internationale, la pression des USA sur Kagame, l’Union Africaine, les Nations-Unies, MONUSCO… Chacun des acteurs susmentionnés s’évertue à tirer la couverture de son côté !
En résumant et complétant l’analyse de Colette Braeckman sur les derniers succès des FARDC, on peut dire sans risque de se tromper que pour aboutir à cette victoire qui donne aujourd’hui la joie à des millions de congolais, les efforts ont été partagés et il est difficile de déterminer la part exacte de l’un ou l’autre des acteurs. Mais on retiendra principalement que :

  • La population et la société civile infatigable de Goma/Nord-Kivu n'ont pas cédé aux multiples menaces et intimidations pour monitorer, de diffuser l’évolution sécuritaire et les graves violations au jour le jour.
  • Le gouvernement Matata Mponyo a indéniablement fait de son mieux. Il a motivé matériellement et financièrement les militaires envoyés sur le champ de bataille.
  • La dextérité des chefs militaires congolais dont Hamuli et Mamadou Ndala qui ont contrasté avec le comportement d’Amisi Tango Fort(4) dans l’organisation des fronts et dans l’accompagnement des troupes… Celui-là même que, rapports à l’appui, les experts des Nations Unies ont démontré qu’il vendait armes et munitions aux rebelles et groupes armés qu’il était censé combattre.
  • Les FARDC bien encadrées et aiguillonnées par la brigade africaine et par la ferme détermination du contingent tanzanien ont démontré de quoi pouvait être capable l’armée congolaise une fois placée dans les conditions acceptables et surtout en réponse aux frustrations et humiliations accumulées.
  • La part de la Monusco avec, comme valeur additionnelle, la clairvoyance perceptible de son nouveau chef Martin Kobler a été au rendez-vous. (En 2004 la ville de Bukavu était tombée entre les mains de Laurent Nkunda pendant que la Monusco y était présente et, à Sharu Shariff son Chef de Bureau de se justifier dans les médias en disant qu’il y avait rupture d’électricité dans la ville de Bukavu…)
  • La communauté des bailleurs des fonds pour avoir placé l’épée de Damoclès sur la tête du Rwanda suite à son appui au M23…

En tant que Centre d’Analyses Politiques et Stratégiques pour les grands-lacs africains, il serait simpliste de limiter la réflexion à ce qui a occasionné la victoire/succès des FARDC mais il nous importe aussi de formuler une question subsidiaire. Quelles peuvent être les autres raisons qui ont pesé sur l’issue du conflit et ont précipité la défaite de M23, alors qu’il était sous la haute protection et l’appui de deux états voisins, bénéficiant d’importants appuis logistiques, financiers et techniques, jouissant des millions de dollars produits des taxes et multiples revenus issus des transactions effectuées sur le territoire qu’il contrôlait? Ne sont-ce pas là autant d’atouts pour gagner une guerre?
La défaite n’a-t-elle pas aussi été déterminée par d’autres facteurs?
Pour nous, c’est le cas. Et au-delà des facteurs militaires, c’est dans la genèse même de la rébellion et dans des erreurs stratégiques commises dans la conduite des affaires qu’il faut trouver certaines causes fondamentales de l’échec. En voici les principales :

  • Démarrer une mutinerie sur base tribalo-ethnique, appuyée par le Rwanda, pays reconnu pour ses visées sur l’Est de la RD Congo ne pouvait que discréditer les revendications affirmées du M23.
  • La victoire sur Goma en novembre 2012 a été suivie de tueries, viols, vols et transfert de butins vers le Rwanda, signifiant bien par là sa subordination à un état voisin.
  • Avoir tiré sur les hélicos de la Monusco et prouver ainsi qu’il constituait une menace pour celle-ci.
  • Avoir intégré dans ses rangs des éléments terroristes identifiés comme d’El Shabab ?
  • Avoir des effectifs réduits de combattants suite aux différentes défections mais aussi diminués par l’envoi de quelques unités dans la traque de Yakutumba sur le front de Fizi/Baraka entre août et octobre 2013. Certaines informations font même état de la mort sur ce front Sud de quelques officiers du M23. Qui trop embrasse mal étreint…
  • La mort de deux soldats tanzaniens, imputée au M23, a durci la détermination de la force d’intervention spéciale.
  • La division en deux factions rivales a miné le mouvement.
  • La reddition et le transfert de Bosco Ntaganda à la Haye après toutes les tentatives d’empêcher cela a constitué une défaite politique majeure et a semé le doute dans les esprits.
  • Les populations locales n’ont jamais rejoint la rébellion et ne constituaient dès lors pas un allié stratégique.
  • Le M23 n’a jamais réussi à coaliser avec les autres groupes armés opérationnels sur le terrain. Les objectifs et intérêts étaient trop divergents.
  • Le M23 n’a pas compris que cette guerre, finalement n’était plus la sienne, mais qu’il était instrumentalisé dans une autre guerre « de grands » au profit d’intérêts économiques, financiers ou géopolitiques qui le dépassent.


Que faire alors pour tirer avantage de cette dernière évolution ?

Le gouvernement de la République Démocratique du Congo a déclaré solennellement la victoire totale des FRDC, le M23 a signé officiellement qu’il mettait fin à la rébellion et, quoi de plus normal, la population longtemps meurtrie par les affres de cette guerre a manifesté sa joie !
Et la Monusco de renchérir : « Ceci marque quasiment la fin militaire du M23. » (Martin Kobler)
Le Gouvernement et les partis politiques de la majorité en ont profité pour organiser des manifestations de grande envergure dans toutes les provinces de la République et présenter la victoire comme celle du chef de l’Etat Joseph Kabila dont la cote de popularité était toujours basse depuis les élections de 2011.
Pour l’opposition qui n’avait cessé d’insinuer la complicité voire la dualité du chef de l’Etat dans toute cette affaire depuis le début, tant de démonstrations et de clameurs de triomphe n’ont aucune raison d’être. Au contraire, certains vont même jusqu’à dénoncer une guerre « business du pouvoir » à laquelle il vient lui-même de mettre fin. Et à l’artiste musicien congolais Ray Lema vivant en France de déclarer : «Le conflit dans l’Est du Congo est voulu et entretenu, les multinationales sont au cœur de ce conflit qui sert la cause de l’Occident… C’est une suite logique de la colonisation».
A Rutshuru et Bunagana par exemple, dans le Nord-Kivu, certains se demandent encore: cette victoire est-elle réelle ? Est-elle réellement congolaise ? Rien n’est moins sûr ! Ne s’agirait-il pas, une nouvelle fois, d’une pièce de théâtre ?
D’autres estiment encore qu’il suffirait demain que les pressions internationales sur le Rwanda et l'Ouganda s’atténuent pour que les prétextes à un retour en force dans la RD Congo soient remis sur la table.
On le voit, les détracteurs du pouvoir, les sceptiques font encore entendre leur voix.
En réalité, les congolais ne peuvent baisser la vigilance car la convoitise envers les richesses de la RD Congo est forte, et certaines puissances financières ou des Etats comme le Rwanda, qui doit en partie sa récente croissance économique à la prédation au Congo(5), ne renonceront pas de sitôt, quitte à provoquer de nouveaux conflits.
Le Rwanda reste donc imprévisible. Deux des prétextes pour refaire irruption en RD Congo sont dès maintenant effleurés en ces termes dans le dernier texte de Colette Braeckman : « si les Tutsis congolais se voient menacés, si les réfugiés ne sont pas autorisés à rentrer chez eux, les germes d’une nouvelle guerre seront toujours présents ». Le Chef de l’Etat dira d’ailleurs dans son discours à la Nation : « Nous devons bannir toute attitude, tout propos et tout comportement de nature à exacerber la division entre congolais. Agir autrement serait faire le jeu des ennemis de notre pays. L’heure n’est pas à la chasse aux sorcières ou à la recherche des boucs émissaires, mais plutôt au rassemblement des Congolais dans toute leur diversité autour du seul objectif qui vaille : la grandeur et la dignité du Congo ».

Le troisième et de surcroît, l’éternel prétexte magique du Rwanda est d’empêcher les FDLR de l’envahir en partant du territoire Congolais. A ce sujet on sait comment toute proposition portant sur l’incitation au dialogue entre Rwandais est rejetée, jugée tabou, un cauchemar pour le Rwanda alors qu’il s’est lui-même proposé médiateur dans les conflits entre les rebelles Congolais…
Du reste, le Rwanda vient de prévenir qu’il était prêt à intervenir en RDC. «Le Rwanda reste prêt à faire usage de tous les moyens nécessaires pour protéger ses habitants et son territoire » a assuré son ambassadeur Eugene-Richard Gasana, le 6 novembre dernier, au Conseil. L’ambassadeur rwandais a ensuite affirmé à des journalistes que « le Conseil de sécurité de l’ONU devrait ordonner à la brigade d’intervention des Nations unies au Rwanda de s’attaquer à présent aux FDLR et aux autres groupes rebelles… » On ne serait donc pas surpris d’entendre un matin qu’une nouvelle rébellion « congolaise de nom » appuyée discrètement par le Rwanda refasse son apparition ou que le Rwanda à son corps défendant ne soit « obligé » de revenir…
Pourquoi ne pas imaginer qu’il a déjà trouvé, avec ses alliés traditionnels que sont les USA et la Grande Bretagne, d’autres mécanismes pour maintenir son influence et ses intérêts à L’Est du Congo ? Comment analyser l’installation annoncée de la base militaire américaine dans le Nord-Kivu (auparavant prévue sur le sol rwandais), l’exploitation du pétrole en phase de prospection dans le Parc Nationale de Virunga par la société SOCCO de droit Britannique et tant d’autres opportunités non encore dévoilées ?


Les défis qui restent pour la RD Congo

Neutraliser les éléments du M23 est une excellente chose mais stabiliser complètement l’Est de la RD Congo demeure le défi majeur. C’est pourquoi il faut espérer qu’en échange de la reddition du M23 il ne s’est pas mijoté un nouvel accord d’amnistie et/ou de réintégration. Car alors, loin de résoudre le problème, la situation pourrait encore se radicaliser et donner l’occasion aux va-t-en-guerre de recommencer les jeux déjà vus et revus depuis plus d’une décennie. Il est bon de se souvenir que c’est suite aux privilèges du genre offerts au CNDP par le Gouvernement en échange de cessation de la guerre en 2008 que les nouveaux groupes armés se sont reconstitués. Le Gouvernement de la RD Congo doit rester ferme sur cette question. Il devrait sans atermoiements initier les poursuites des auteurs des crimes de guerre et crimes contre l’Humanité dont les preuves existent et surtout accélérer les réformes bloquées. Cette lutte exemplaire contre l’impunité aura incontestablement un effet dissuasif certain sur l’ensemble des groupes et bandes armées qui évoluent impunément dans l’Est de la RD Congo.

Les dernières concertations tenues à Kinshasa ont été décriées par nombre de Congolais comme un stratagème du pouvoir de Kinshasa en vue de la modification de certains articles de la Constitution de 2006. Celles-ci ont néanmoins passé au peigne-fin et sans complaisance la situation du pays à travers cinq thématiques clefs. Les analyses rejoignant celles de tant d’acteurs de la société civile. Il en sort des centaines de recommandations qui montrent bien que la situation socio-économique du pays est tellement grave qu’il faudra des mesures difficiles, voire impopulaires pour se tirer d’affaire. Les richesses du pays, même exploitées par des acteurs étrangers, doivent l’être dans la légalité et la transparence et doivent profiter enfin au peuple congolais, par l’amélioration de ses revenus, de son pouvoir d’achat, par la mise en œuvre concrète de politiques sociales, dont la couverture universelle… Reste à les mettre en œuvre, avec détermination, courage, persévérance, car la tâche est rude et le chemin sera long.

Les vrais bénéficiaires de la victoire contre le M23 seraient alors les populations.

-----------------------------------------------
1) Le M23, Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR)  avec leurs dissidences FDRL/RUD, FDLR/SOKI, FDLR/FOCA, FDLR/MANDEVU,Maï Maï Hilaire (Union pour la réhabilitation de la démocratie au Congo – URDC), Raia Mutomboki, Maï Maï Sheka (Nduma Defence of Congo – NDC), Maï Maï Kifuafua, Forces de défense locale Busumba (FDL), Front de défense du Congo (FDC), Union des patriotes congolais pour la paix (UPCP/FPC), Mouvement d’action pour le changement (MAC), Mouvement populaire d’autodéfense (MPA), Maï Maï Morgan, Maï Maï Simba, Forces démocratiques alliées (ADF-Nalu), L’Armée de résistance du Seigneur (LRA), Forces nationales de libération (FNL), Maï Maï Yakutumba, Maï Maï Nyatura, Forces de défense des intérêts du peuple congolais (FDIPC), Alliance des patriotes pour un Congo libre et souverain (APCLS), Coalition des groupes armés de l’Ituri (COGAI)/MRPC , Forces de résistance patriotiques en Ituri (FRPI), Kata Katanga, Forces de défense nationale (FDN), M18, M26 

2) CIRGL : Conférence Internationale sur La Paix dans la Région des Grands Lacs.

3) C’est la première fois depuis plus d’une décennie que les nations unies ont ordonné aux casques bleus de combattre sur terrain ; finie l’observation…

4) Le général Amisi alias Tango était le Chef d’Etat-Major des FARDC que le général Oleko a remplacé. Le Président Kabila, Commandant suprême des armées, l’a juste suspendu sans l’arrêter ni initié une poursuite judiciaire pour haute trahison à l’endroit de cet homme comme le prévoit la législation Congolaise. 

5) (sur base d' indicateurs mesurés par Doing Business, le Rwanda est placé deuxième des 10 économies qui ont progressé le plus. Par ordre croissant d’amélioration on annonce : l’Ukraine, le Rwanda, la Russie, les Philippines, le Kosovo, Djibouti, la Côte d’Ivoire, le Burundi, l'ex République Yougoslave de Macédoine et le Guatemala)

mardi 29 octobre 2013

La souveraineté alimentaire

La sécurité alimentaire n’est pas suffisante, pis, elle pourrait s’avérer n’être qu’un leurre masquant les politiques capitalistes en matière d’agriculture. 
Via Campesina lui oppose le concept de souveraineté alimentaire, seul capable de rendre compte des enjeux pour le droit des personnes et des peuples à se nourrir suffisamment et sainement. Lors du dernier Forum Mondial de Tunis, les débats et échanges relatifs à l’enjeu furent nombreux et riches. C’est l’occasion de rappeler ces enjeux et de faire le point sur le Sud-Kivu en la matière.

Lors du dernier Forum Social Mondial à Tunis, Via Campesina a organisé un panel important qui a connu la participation des nombreux mouvements sociaux et paysans venus de tous les continents. Les exposés ont tourné sur les riches expériences organisationnelle et pratiques de la Via Campesina, des mouvements paysans de l'Europe (France), de l'Asie (Inde), de l'Amérique latine (Brésil), de l'Afrique (Algérie), etc.

La souveraineté alimentaire est un principe basé sur le droit de chaque pays et de chaque peuple de définir ses propres politiques agricoles et alimentaires. Elle ne se limite pas à l'objectif de la sécurité alimentaire (1) mais définit un cadre de règles et des droits s'appliquant aux politiques agricoles, alimentaires et commerciales. Développée par l'organisation paysanne Via Campesina, la vision de la souveraineté alimentaire a été portée sur la scène publique lors du Sommet mondial de l'alimentation en 1996. Dans ses premières déclarations, Via Campesina définit la souveraineté alimentaire comme suit : "Nous entendons par souveraineté alimentaire le droit des peuples de définir leurs propres politiques et stratégies durables de production, distribution et consommation d'aliments, qui garantissent à l'ensemble de la population le droit à l'alimentation, sur la base de la petite et moyenne production, dans le respect de la culture locale et de la diversité des modes de production agricole et piscicole, de commercialisation et de gestion des espaces ruraux, dans lesquels la femme joue un rôle fondamental".

Via Campesina est un mouvement international présent dans les cinq continents du monde. Elle regroupe des paysans et des paysannes, des travailleurs de la terre et de peuples indigènes. Elle a été mise en place en 1993, suite à une rencontre des représentants des organisations de 4 continents du monde, en Belgique. C'était à l'époque où les politiques agricoles et l'industrialisation agro alimentaire entraient dans un processus de mondialisation. Et à ce moment les paysans avaient besoin d'avoir une vision commune et de se faire entendre sur le plan international. Aujourd'hui , Via Campesina est reconnu sur le plan international par les autres mouvements sociaux et par les institutions internationales comme la FAO comme un mouvement de défense des droits des paysans.

Via Campesina travaille sur des thèmes essentiels tels que:
1) la lutte pour la souveraineté alimentaire et de ce fait se bat contre l'OMC qui fait de l'agriculture une simple marchandise;
2) la violence contre les femmes parce que Via Campesina considère que celles-ci jouent un rôle majeur dans les questions alimentaires;
3) Via Campesina travaille aussi sur la biodiversité car elle est consciente qu'aujourd'hui l'humanité est menacée. Via Campesina travaille aussi sur les droits des paysans parce qu'il est extrêmement important que les paysans retrouvent leurs droits par rapport à la gestion des ressources naturelles, l'accès aux ressources naturelles et le respect de leur dignité. Les jeunes aussi constitue une préoccupation de Via Campesina parce que ce sont eux l'avenir du mouvement et il est impératif de mener des politiques qui les aideront à travailler dans l'agriculture.


Les combats essentiels de Via Campesina

Le premier combat est celui contre l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC) qui veut faire de l'agriculture une simple marchandise alors qu’elle est un élément essentiel et constitutif du droit irrépressible à manger correctement et en suffisance. Si l'agriculture devient de la marchandise, jamais on atteindra la souveraineté alimentaire. Nous devons donc combattre vigoureusement l'OMC pour que l'agriculture ne soit pas un commerce mais plutôt un moyen pour que chacun puisse avoir une souveraineté alimentaire.

Le deuxième combat est celui contre l'OMC et le FMI qui développent des politiques néo libérales dans tous les pays du monde, qui, dans le cas du FMI, imposent des politiques de libre-échange qui sont contraires aux intérêts des pays du Sud.

Le troisième combat, est un combat local contre les dirigeants/gouvernants qui prennent des décisions qui vont à l'encontre des besoins et des préoccupations des peuples.

Via Campesina est une organisation des masses populaires: elle tire donc sa légitimité dans les organisations paysannes de base. Elle s'organise de façon décentralisée au sein de neuf régions et une coordination entre les régions est gérée par le comité de coordination internationale dans lequel chaque région est représentée par deux personnes, un homme et une femme toujours par respect de la parité.
Ce comité de coordination internationale est tournant: de 1993 à 1996 la coordination était en Belgique, de 1997à 2004 en Honduras, actuellement elle se trouve en Indonésie. Le mouvement est financé par les cotisations annuelles de ses membres et des dons des organismes internationaux…


En Afrique

L’action du mouvement se déploie sur deux zones, la zone A avec comme siège le Mozambique et la zone B avec comme siège le Mali. Via Campesina est en Afrique depuis sa création. L'organisation paysanne mozambicaine a été la première organisation africaine à adhérer au mouvement. Ensuite c'était au tour du Mali, du Sénégal, du Niger et les adhésions ont augmenté après la conférence internationale de Sao Paulo en 2004. Cette augmentation des adhésions a posé le problème de l'efficacité du travail : comment faire sur un grand continent comme l'Afrique avec des distances énormes, pour que le travail de coordination puisse être efficace entre les pays membres? C'est cela qui a motivé le comité international de coordination Via Campesina à créer deux régions en Afrique. Originellement la première coordination mise en place fut au Mozambique et elle y est toujours jusqu'à maintenant et la deuxième région est au Mali.


Pourquoi les mouvements paysans africains ont rejoint Via Campesina? 

La raison est simple: l'Afrique est le continent où les politiques néo-libérales ont fait les plus grands dommages. Si nous analysons les Programmes d'Ajustement Structurel (PAS) que les institutions de Breton Wood (la Banque Mondiale et le FMI) ont lancé en Afrique dès les années 80, et qu'elles imposent aujourd’hui d’une autre manière en Europe, on mesure bien que l’objectif était de démanteler totalement tout soutien à l'agriculture locale vivrière et paysanne. Les gouvernements devaient laisser l'agriculture entre les mains des forces du marché: c'était ça le projet de la Banque Mondiale et du FMI. L'agriculture ayant été abandonnée, les paysans se sont organisés pour créer des mouvements et organisations en vue de se rendre des services que le gouvernement n'était plus capable de leur rendre puisque cela a été interdit par la Banque Mondiale et le FMI. L'histoire des mouvements a donc commencé comme cela . C'est tout naturellement que l'adhésion des mouvements paysans africain à Via Campesina s’est réalisée. Les problèmes que nous vivons sont identiques aux problèmes que vivent nos homologues petits paysans d'Amérique latine et d'Asie qui sont aussi agressés par les mêmes politiques néo libérales, les politiques de libéralisation forcées, d'ouverture des marchés qui font que nous sommes marginalisés sur nos propres marchés locaux. C'est pour cela que les paysans africains ont décidé de rejoindre le mouvement paysan international.

Ensuite il y a eu un combat dur avec la question des semences notamment la question des OGM. Il y a eu un forcing très fort des multinationales pour introduire les OGM dans beaucoup de pays africains avec corruption des élites politiques notamment. Ici aussi, les énergies africaines se sont coalisées avec les autres organisations mondiales pour refuser et lutter contre la percée de ces OGM dans notre système agricole.

Actuellement l'Afrique fait face à des défis "émergents" liés aux crises que le monde a connu récemment notamment la crise financière, la crise énergétique et la crise alimentaire, beaucoup de fonds d'investissement ont choisi l'Afrique comme un eldorado d'investissement dans l'agriculture et plus particulièrement dans la terre. Aujourd'hui beaucoup de fonds de pension américain ou des multinationales qui ont des ressources à investir ont choisi d'acheter des terres en Afrique ou tout au moins de prendre la terre en Afrique, d'une façon ou d'une autre. Certains ont le projet d’y produire des agro-carburants, d'autres de l’agriculture alimentaire. Ce problème est le même que ce que vivent les organisations paysannes de l'Amérique latine et de l'Asie.

Aujourd'hui il y a aussi un forcing pour introduire la nouvelle révolution verte en Afrique sous le nom de "AGRA" promue par la fondation Bill Gates et qui est encore une fois une volonté de détruire l'agriculture paysanne africaine. Les mouvements paysans africains essaient de développer leurs propres approches de l'agriculture basée sur l'autonomie du paysan dans une perspective de durabilité. C'est dans cette optique que la question de l'agro-écologie est une réponse que les membres de Via Campesina développent aujourd'hui avec la construction de 4 écoles déjà opérationnelles en agro-écologie, une au Mali, une au Niger, une au Mozambique et une au Zimbabwe. La Via Campesina africaine veut que les paysans construisent une vision politique totalement autonome avec des alternatives concrètes au système néo-libéral et qui promeuvent des modes de production qui font qu'ils puissent continuer à être paysans et que leurs enfants ainsi que les enfants de leurs enfants puissent continuer à être bien alimentés.

En RD Congo, de nombreuses organisations paysannes naissent et tentent de lutter localement. Elles se structurent en Province, tentent difficilement de créer des coalitions nationales.

Dans l’article qu’il a rédigé en novembre 2012 suite à sa visite dans le Sud-Kivu, François Houtart décrit bien l’état de la question dans la région :

« Le mouvement paysan (2) 

En 2006, fut créée la Fédération des Organisations des Producteurs Agricoles du Congo au Sud Kivu (FOPAC du Sud Kivu). Son but est de valoriser la production paysanne, de mettre en place des stratégies de sécurité foncière, de socialiser la commercialisation des produits agricoles, de protéger l’environnement, de représenter les paysans auprès des autorités publiques. 

La Fédération regroupe 10 organisations paysannes sous-régionales (Mwenga, Uvira, Walungu, Kabare, etc.) ou sectorielles (éleveurs, producteurs de café, cultures maraîchères, etc.). En 2012, elle comptait près de 80000 membres sur les 8 territoires de la province. Les objectifs immédiats se concentrent sur la souveraineté alimentaire, par le biais de la lutte contre l’invasion des produits extérieurs, l’intégration de l’agriculture et de l’élevage, la lutte contre l’appauvrissement des sols et contre la concentration des terres, la formation des producteurs ruraux. 

Des collectifs villageois sont formés pour sensibiliser les paysans. Ils rassemblent entre 25 et 50 personnes. Lors d’une réunion avec un de ces collectifs de Walungu, voici ce que le chef du village et les paysans exprimèrent. 

Le principal problème est celui des terres. Dans une région montagneuse avec 240 habitants au km2, la proportion de bonnes terres disponibles est réduite. Les communautés régies par le droit coutumier ne disposent pas de titre de propriété: il s’agit de terres ancestrales possédées collectivement. Une nouvelle bourgeoisie rurale, ayant accès à l’administration publique, obtient des certificats de propriété et développe des plantations sur les meilleures terres. Il se produit alors un phénomène de concentration, qui réduit l’espace disponible pour les petits paysans. Il est clair que le Gouvernement ne s’intéresse guère à leur sort. Il faut ajouter à cela l’extension des parcs nationaux, où les paysans ne peuvent étendre leur production et dont la superficie a considérablement augmenté au cours des dernières décennies. La tâche de la FOPAC, dont fait partie le collectif du village, est de défendre les paysans devant le Tribunal d’Arbitrage, afin de sécuriser leur statut de producteur.

Les cultures sont vivrières: haricots, patates, bananes. Les engrais organiques diminuant, par manque de disponibilité de terres, ils sont remplacés par des produits chimiques, qui coûtent cher. Les maladies provoquées par les insectes et les rats affectent surtout les haricots et les bananes. Quant aux pasteurs se dédiant à l’élevage, ils manquent aussi de terres et ont été très affectés par les guerres, à cause du vol et de l’abattage du bétail. Pour pallier au manque d’accès à des sources de financement, le recours au microcrédit s’est développé. Par ailleurs, l’infrastructure des chemins vicinaux est totalement déficiente et ceux-ci sont souvent impraticables en cas de pluies, ce qui isole les parcelles de terres et rend difficile, sinon impossible, la commercialisation des produits locaux. Au cours des deux dernières décennies, l’insécurité a été monnaie courante : invasions, réfugiés, groupes armés rançonnant les paysans, violations des femmes.

A tout cela s’ajoute l’érosion des collines à cause du déboisement, provoquant aussi une diminution de l’eau disponible. Le dérèglement du climat et notamment l’irrégularité de la saison des pluies a pour effet sporadique un ensemencement précoce, provoquant la perte des semences affectées par le manque d’eau. Pour les jeunes, la situation est pénible. Ils manquent d’accès à l’éducation. Ils ne voient guère d’avenir et doivent se diriger vers l’exode. Les déviances (banditisme, boisson,...) sont fréquentes. Comment les ouvrir aux problèmes du monde ?

Le collectif essaye de répondre à ces défis. La seule manière est de se regrouper, car individuellement, les paysans sont impuissants. Ils ont peu de prises sur les grands problèmes politiques : l’insécurité, la reconstruction d’un Etat, mais ils peuvent au moins essayer ensemble de résoudre des problèmes locaux, en pratiquant la solidarité. 

Un tel discours appuyé sur des pratiques concrètes, constitue une stratégie de survie, montrant la lucidité de ces paysans sur leur sort et sur les causes d’une situation souvent dramatique.»

Une structuration plus forte, une articulation au Mouvement Paysan International est impérative pour renforcer les luttes. L’adhésion à Via Campesina y est aussi à l’ordre du jour.

 "Globalisons la lutte, globalisons l'espoir." 

-----------------------------------------------
1) Selon le FAO, la sécurité alimentaire est assurée quand toutes les personnes, en tout temps, ont économiquement, socialement et physiquement accès à une alimentation suffisante, sûre et nutritive qui satisfait leurs besoins nutritionnels et leurs préférences alimentaires pour leur permettre de mener une vie active et saine. 
2) Cette partie du travail se base sur la contribution d’Olivier Matabazi, chargé de programmes à l’UPDI (Union Paysanne pour un Développement intégral).

mercredi 11 septembre 2013

Goma: l'étau se resserre encore...

Après les dernières victoires cuisantes que les FARDC ont imposées au M23 début juillet, les gomatraciens sont à nouveau dans l'angle de tir. L'étau se resserre sur la ville depuis une semaine de combat à 15 kms seulement de la ville.
Du jeudi 22 au samedi 24 août 2013, 11 obus sont tombés en pleine ville, faisant 7 morts et plusieurs blessés selon les sources officielles. D'après plusieurs sources concordantes, ces explosifs ont été lancés à partir du territoire rwandais. Selon la Radio France Internationale, captée le vendredi 23 août matin, d'après les premiers éléments dont disposerait le gouvernement congolais, ces obus proviendraient bel et bien du Rwanda. Le Rwanda, quant à lui, accuse les FARDC d'avoir lancé un projectile sur son territoire, projectile qui n'aurait pas fait de dégâts humains. La société civile locale parle même d'éventuelle rentrée des éléments des forces rwandaises (RDF) au Congo pour appuyer le M23.

L'insaisissable dans ce feuilleton…
Il y a seulement quelques semaines que les Etats-Unis ainsi que l'ONU ont mis en garde le Rwanda pour tout soutien au M23. Mais alors, d'où viendrait que Kigali fasse la tête devant ces menaces fermes de ses parrains?
Tout fait à croire qu'il s'agissait plutôt de l'hypocrisie internationale camouflée dans des discours des USA ainsi que de l'ONU plutôt que des menaces. Les USA jouent à la drible diplomatique, malheureusement les congolais se laissent duper. Que fait la brigade d'intervention internationale? Doit-elle se cacher derrière le déploiement pour justifier son inaction ou doit-on trouver des explications ailleurs? Les forces de l'ONU seraient-elles venues entériner la thèse de la balkanisation?
Le dernier discours de Mary Robinson à Goma en dit long. Comment et pourquoi imposer indéfiniment au Congo de dialoguer avec des rebelles rwandais et cajoler le Rwanda dans le sens du poil, lui qui refuse de faire autant pour les FDLR ? Robinson a presque donné un ultimatum à Kinshasa, lequel a été relayé par la CIRGL, exigeant à Kinshasa de rentrer à Kampala dans les trois jours qui suivaient, c-à-d le lundi 3 septembre, et de trouver un compromis avant le 14 prochain. L’éventuelle sincérité de cette diplomate chargée de l’Afrique centrale ne peut nous empêcher certaines interrogations citoyennes. Si les congolais ont refusé la participation du M23 aux concertations nationales ouvertes ce samedi 7 septembre à Kinshasa, la communauté internationale impose, elle, la relance et la clôture de Kampala, parallèlement à ces assises nationales. Quelles résolutions auront de l’ascendance sur les autres, celles de Kinshasa ou de Kampala? Lesquelles des deux cherchent à trouver une issue favorable à l’intérêt national? A notre analyse, tout est et sera concurrentiel dans les conclusions. C’est là la ruse et la cacophonie entretenues en RDC par la communauté internationale qui joue effectivement le pyromane.

L'enjeu politique derrière l’attaque de Goma… 
Cinq cents jours après, le M23 reste certes, fidèle à ses objectifs de départ, c'est-à-dire la balkanisation de la RDC, le pillage des ressources naturelles, la formation d'un tutsiland à l'Est de la RDC. Ils ne lâcheront pas prise. Le chef de l'Etat congolais, Joseph Kabila prônait trois voies pour mettre fin à l'aventure guerrière du M23 : la voie diplomatique, la voie politique (dialogue) et la voie militaire. Aujourd'hui, seules les voies politiques et diplomatiques ont effectivement été expérimentées à travers le dialogue de Kampala dont l'issue est aujourd'hui incertaine. Toutes ces voies ont montré leur limite. La voie militaire osée début juillet, a vite mis à mal le plan général des ennemis puisque, cette fois là, les FARDC ont montré de quoi ils étaient capables avec le colonel Mamadou Ndala. Plusieurs pertes ont été enregistrées du côté du M23 et de l'armée rwandaise. Tout de suite une rumeur a pris route faisant état d'un éventuel relèvement de ce vaillant colonel Mamadou chargé du commandement des troupes au front par Kinshasa. La population de Goma a farouchement contesté ce relèvement. Mais curieusement, il s'en est suivi une trêve et comme par effet de surprise, ce sont des bombes qui tombent aujourd'hui sur Goma. Cette trêve était-elle pour permettre au mouvement rebelle de se réorganiser et contre-attaquer avant la tenue des concertations nationales.

Tout était prévisible si on en croit l'expérience passée avec le CNDP de Laurent Nkundabatware et Bosco Ntaganda: quelques semaines avant le lancement de la conférence de Goma sur la paix, la sécurité et le développement du Kivu de janvier 2008, on avait assisté au même scénario.

Les concertations nationales pointent à l'horizon. Le présidium de ces assises (le président du Sénat et de la Chambre basse) se dit ouvert à la participation des groupes armés mais l'on mord la langue lorsqu'il faut dire si oui ou non le M23 va aussi prendre part à ce dialogue interne en même temps qu'ils sont à Kampala. Pour le moment, les nouvelles attaques de Goma s'inscrivent aussi dans cette démarche de maintenir le pied sur le levier afin que Kinshasa accepte justement la participation du M23 à ces concertations. Le M23 veut manger dans les deux assiettes (Kampala et Kinshasa). L'on se souviendra qu'il y a peu, l'ancien président du Rassemblement Congolais pour la Démocratie, RCD/Goma (ancienne rébellion dont est issus les actuels membres du CNDP et du M23), Azarias Ruberwa, réclamait la participation du M23 aux concertations nationales.

Ces concertations nationales prennent ainsi les couleurs d'un guet-apens déjà tendu par le régime de Kinshasa. Le risque de déboucher sur un gouvernement élargi à l'opposition, à la société civile ainsi qu'aux groupes armés est grand. Ce sera un coup d'Etat constitutionnel puisqu'on troublera tout l'ordre institutionnel établi et le sacrifice consenti par le peuple pour l'avènement de la démocratie. N'est-ce pas là un joli coup de Joseph Kabila : court-circuiter son mandat actuel en faisant un tel gouvernement pour se représenter aux élections de 2016?

Les congolais doivent bien saisir le discours diplomatique et comprendre "Ce que parler veut dire" comme l'écrit si bien Pierre Bourdieu. Ainsi, ils cesseront de se laisser berner par les discours relevant de l'hypocrisie internationale puisque très souvent dire n'est pas faire.

Faut-il oui ou non toucher à la Constitution? 
La situation chaotique du Kivu a créé depuis des années un tâtonnement chronique dans la recherche des solutions durables pour certains (société civile) et circonstanciel pour d'autres (politiciens). Devant des rebellions fomentées par certains pays voisins bien identifiés et quelques politiciens congolais tapis dans l'ombre, les positions et propositions de régulation fusent toujours de partout. Elles sont parfois l'expression d'une désespérance ou d'une politique machiavélique pour conserver le pouvoir et les intérêts occidentaux. Certains sociologues sous-tendent la vie politique comme un espace de perpétuels compromis et de débats permanents mais faut-il que cela aboutisse toujours à quelques changements positifs et visibles dans la vie des citoyens?

A l'époque de Mobutu, on a cru qu'une conférence nationale souveraine (CNS) pouvait faire courber l'échine à la longue dictature de trente ans. On a eu tort puisque la conférence n'a rien changé dans le mental et le système. Bien au contraire. On pourrait parler du multipartisme comme résultat de la CNS mais qu'est-ce que cela a changé dans la gouvernance de l'Etat congolais ? Il y eu fallu une force militaire de l'AFDL pour renverser cette dictature.

Des mouvements rebelles sont nés de partout au pays (MLC, RCD/Goma, RCD/KN, Mai Mai): certains pour rectifier la politique de l'AFDL, d'autres pour re-libérer le Congo, d'autres enfin pour défendre l'intégrité territoriale. La cacophonie des divers intérêts des acteurs finit par créer l'impasse.
Une deuxième conférence nationale (appelée dialogue inter-congolais) fut organisée cette fois là à Sun City en Afrique du sud. Quatre objectifs fondamentaux furent assignés aux assises : la pacification, l'unification, l'intégration et l'organisation des élections libres et transparentes. On considéra ceux-ci comme une sorte de panacée au problème du Congo. Encore une fois on s'y était trompé. Les citoyens congolais n'ont eu droit qu'à un semblant d'unification, d'intégration, d'organisation des élections surtout en 2011 et un semblant de pacification.

L'unification: les hommes au pouvoir ont réduit cet objectif au simple fait de permettre la circulation des citoyens des quatre points cardinaux du pays, ce qui était impossible durant les différentes rebellions. L'unification est restée illusoire pour certains coins de la République où l'autorité de l'Etat n'a jamais été établie jusqu'aujourd'hui. Des zones toujours sous contrôle des forces négatives (FDLR en occurrence) et qui sont restées inaccessibles aussi par manque d'infrastructures de communication.

L'intégration: elle a eu lieu à deux niveaux : politique et administratif avec la formule 1+4. Mais là où on l'attendait plus, c-à-d au niveau militaire, ça été un fiasco total et la base de tous les problèmes actuels. Tout fut compliqué au niveau militaire: l'intégration devint à dessein le mixage, ou une simple interposition des troupes à idéologies diverses, ce qui a conduit au caractère multiple de l'armée, des armées dans l'armée et donc à la multiplicité de commandement.

La conséquence fut la guerre menée par le général déchu Laurent Nkundabatware, Jules Mutebusi, Bosco Ntaganda et consort. Tous étant des tutsis issus de la rébellion du RCD/Goma d'Azarias Ruberwa parrainé par Paul Kagamé. Une autre conférence fut initiée en janvier 2008 pour, disait-on, ramener la paix, la sécurité, la stabilité et le développement dans le Kivu. Tous les groupes armés opérant dans le Kivu (18 au total dont 11 au Sud Kivu et 7 au Nord-Kivu) signèrent un acte d'engagement à la paix. Encore une fois ce fut du bluff puisque cela n'a pu empêcher Bosco Ntaganda de poursuivre la guerre jusqu'à l'avènement du Mouvement du 23 mars 2008, il y a bientôt plus de 535 jours.

Aujourd'hui ces sont les concertations qui dominent les esprits et les lèvres. Les moins avertis et les moins patriotes se hâtent pour y prendre part. Certainement pas par conviction d'aller vraiment chercher des solutions aux problèmes internes qui rongent le pays mais parce que les participants recevront des per diem. Toutes les résolutions sont déjà ficelées par le régime de Kabila. Ceux qui ont participé à la conférence de Goma se souviendront comment les résolutions ont été parachutées et comment cela était organisé savamment pour que tous ne puissent pas réagir…

Les concertations sont dites injustement nationales alors qu’elles ne sont qu'une stratégie pour endormir les consciences congolaises devant l'impasse de la gouvernance que connaît le pays. C'est donc un somnifère politique pour faire entériner de fait la révision constitutionnelle rêvée par le clan politique au pouvoir qui parle de l'inanition de la nation si tel n'était pas le cas et si Kabila ne recevait pas un troisième mandat.

La récente attaque de Goma pourrait donc trouver son essence dans cette stratégie générale d'inclure tous le monde même le M23 à ces concertations politiques. Que les congolais ne s'y trompent pas: il est quasi certain qu'une fois de plus la communauté internationale s'accommodera avec les résolutions desdites concertations telles qu'elles seront. Elle s'était déjà accommodée au trucage des élections au Rwanda et en RDC ainsi qu'aux violations massives des droits de l'homme dans la région.
On peut tromper une partie du peuple durant un temps mais l'on ne peut pas tromper tous les peuples tous les jours, dit-on. Wait and see!

lundi 5 août 2013

Du 30 juin 1960 au 30 juin 2013: 53 ans d'ambigüité et de confusion politiques en RD Congo

C'est par une petite phrase de quelques mots que le Congo eut théoriquement son indépendance. Tous les espoirs et les rêves étaient permis aux Congolais, surtout aux leaders politiques de l'époque. Ce fut éphémère et peut-être trop chimérique puisque, aussitôt, Bruxelles et les autres puissances occidentales opérant sous la couverture des Nations Unies voulurent à tout prix renverser le gouvernement nationaliste de Lumumba et installer un régime néocolonial, plaçant ainsi le pays à la merci des trusts et des holdings, qui, depuis des décennies déjà, le dominaient et le tiennent encore.

Quant on parle de l'indépendance du Congo, les générations nées après les années 70, jusque là, n'avaient rien vu, rien vécu ni de bon ni de bien dans ce pays sinon la pauvreté, la misère, les rébellions, les tracasseries, le détournement des biens publics, l'enrichissement illicite d'une certaine caste, le chômage, la déscolarisation, l'injustice, l'impunité, la corruption érigée en système,les  trafics d'influences, le massacre et les tueries à grande échelle de leurs parents, l'utilisation des violences sexuelles comme une arme de guerre de destruction massive, le pillage des ressources naturelles ainsi que l'occupation de certaines parties du territoire nationale par des armées étrangères... Les générations nées après les années 1970 se demandent à quoi aura servi le sacrifice du héros national Lumumba?

Depuis 53 ans, la situation socio-politique à l'interne du pays contrarie sans appel les rêves de nos pères d'indépendance et défie toute idée reçue de liberté et de souveraineté. Tout n'est que simple illusion. Le capitalisme le plus brutal a élu domicile au Zaïre (Congo). Par un endettement exponentiel, Mobutu a agenouillé le pays et ce dernier a cessé d'être souverain. La situation de la population s'est détériorée chaque année davantage: la faim, la maladie, l'insécurité… 

De quelle indépendance parle-t-on exactement ? 

Indépendance politique? A l'assassinat de Lumumba, les puissances étrangères avaient choisi Mobutu pour gérer le pays. Elles auraient pu à l'époque, si elles le voulaient, le démocratiser pour le bien de la population. Mais hélas ! Le Maréchal Joseph-Désiré Mobutu régna 32 ans au mépris des aspirations du peuple. Pendant ce temps, le pays a connu plus de vingt gouvernements quasi inutiles. La prédation a supplanté les valeurs républicaines. Les richesses nationales sont devenues une affaire de quelques individus au service de l'impérialisme et du néocolonialisme. Vint alors en octobre 1996 la guerre de l'Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération du Congo (AFDL") avec Laurent-Désiré Kabila. Cette guerre n'a jamais été une initiative congolaise mais elle est venue de l'extérieur bien qu'elle ait connu un soutien populaire pour en découdre avec le mobutisme. L-D Kabila, émancipé de ses alliés d'hier (Rwanda, Ouganda et Burundi) fut vite assassiné par conspiration des puissances impérialistes. Les espoirs populaires déjà fondés sur ses quelques actions nationalistes et patriotiques furent alors estompés. L'énigme jamais comprise jusqu'à ce jour est de savoir qui avait imposé Joseph Kabila comme successeur de Laurent-Désiré alors qu'il n'en avait pas les atouts nécessaires et indispensables ? L'avenir du pays fut confié à une sorte de régence. Le pays a traversé depuis lors des turbulences politiques inédites qu'aux élections de 2006, la population crut que Joseph Kabila était l'homme de la situation. Illusion. Mais tout de suite la vérité l'a rattrapé et les doutes sur son incapacité à bien conduire le pays ont été dissipés. En 2011, il a bourré les urnes pour se maintenir au pouvoir. Aucune sanction draconienne ne lui a été opposée par la communauté internationale. Par contre, son gouvernement donne l'impression d'être un gouvernement de coalition des puissances étrangères. Des ministres et hauts responsables publics recommandés par l'extérieur. 

Indépendance militaire ? Du point de vue militaire, la RD Congo n'est pas non plus indépendante. Depuis les troubles de l'indépendance de 1960 jusqu'à nos jours le pays a toujours fait recours aux armées étrangères pour juguler ses problèmes internes. D'abord les casques bleus pour mettre fin aux velléités katangaises. Lors de la guerre des gendarmes katangais de monsieur Bomba Nathanaëlle (autour de 1977), Mobutu lui-même fit venir l'armée marocaine pour mater ces gendarmes. En 1996 pour faire partir Mobutu, Laurent-Désiré Kabila utilisa les armées ougandaise, burundaise et rwandaise. Aussi, toutes les rebellions dirigées par des congolais ou des pseudos congolais ont eu l'appui des armées étrangères, que ce soit le MLC de Jean-Pierre Bemba ou le RCD/Goma d'Azarias Ruberwa, etc. Cette situation des guerres successives a fait revenir au Congo l'armée de l'ONU depuis 1999 jusqu'à ces jours avec des missions qui changent (Mission d'observation des Nations Unies au Congo : MONUC ou Mission de l'organisation des Nations Unies pour la stabilisation et le développement du Congo : MONUSCO). Et malgré ses 17000 hommes présents au Congo et son budget dépassant le milliard/an, cette mission a encore échoué. Comme ce fut le cas de la MINUAR au Rwanda en 1994: elle n'a pas réussi à imposer la paix, ni à protéger les civils (plus de 6 millions de morts sans compter les femmes violées). Actuellement une brigade spéciale africaine de 3000 hommes est en train de se déployer à l'Est du Congo.

Entre-temps l'armée congolaise est abandonnée à elle-même, sans volonté de la réformer: des militaires mais sans armée constituée depuis 12 ans de régime de Joseph Kabila. Il existe une armée fourre-tout pleine d'étrangers. Ces derniers détiennent même des grandes responsabilités au détriment des nationaux. Joseph Kabila n'a pas été à même d'organiser l'armée, par contre il l'a fragilisée par des stratégies incontrôlées telles que le mixage, le brassage, l'intégration, avec les différentes rébellions concoctées dans les pays voisins et ce, sous l’influence et les exigences de puissances étrangères occidentales. Il a initié sur le sol congolais des opérations militaires conjointes avec le Rwanda, l'Ouganda. Ces opérations ont joué le rôle de cheval de Troie pour les pays agresseurs puisque leurs militaires ne sont jamais rentrés chez eux et font désormais partie intégrante des Forces Armées Congolaises (FARDC") C'est le cas de Laurent Nkundabatware, de Bosco Ntaganda, etc. L'armée compte aujourd'hui plusieurs officiers militaires étrangers connus comme tels.

Depuis plus de 16 ans le Congo, surtout dans sa partie Est, vit de manière exacerbée ce que Chris Dietrich appelle "le commercialisme militaire". Selon cet auteur, lorsqu'un état soutient soit un gouvernement, soit des rebelles dans un pays voisin affaibli, en échange d'avantages matériels, des considérations d'ordre mercantile déterminent alors les décisions stratégiques et militaires, notamment le déploiement de troupes et l'endroit de leur engagement. Ces pratiques permettent d'occulter des activités illicites, plus faciles à soustraire à la vigilance internationale lorsqu'elles prennent la forme de prédation extraterritoriales, menées sous couvert d'objectifs politiques ou militaires. Comment explique-t-on que la paix n'est toujours pas venue en République Démocratique du Congo alors qu'on dispose de la plus grande, la plus budgétivore et la plus importante mission de paix au monde ? Comment la paix n'est toujours pas là après plusieurs sommets internationaux débouchant sur plusieurs résolutions ? 

Indépendance monétaire? La très forte dollarisation du marché congolais est une preuve incontestable de la dépendance monétaire du pays. Tout se pense, se marchande en dollars dans beaucoup de provinces du pays, à l'exception de certaines provinces de l'ouest et de l'intérieur du pays. La monnaie congolaise ne s'impose vraiment pas ni à l'intérieur ni à l'extérieur. Entouré des neufs voisins, les provinces longeant les frontières comprennent mieux cette dépendance monétaire puisque les francs congolais ne sont pas concurrentiels dans les échanges économiques et ne pèsent pas trop dans la balance avec les monnaies des pays voisins. A certains endroits, les échanges se font mieux en monnaie étrangère que congolaise pourtant c'est l'inverse qui devrait être vrai. Psychologiquement cette situation crée une certaine frustration et une certaine humiliation à l'identité congolaise.

Indépendance économique ? L'économie congolaise dépend plus de l'extérieur, une économie trop extravertie voire sous perfusion. La production interne n'existe quasiment pas. Pour beaucoup et pour rien le pays dépend de l'extérieur. Que ce soit en termes de produits manufacturés ou autres. Les industries n'existent pas et les quelques rarissimes ne sont pas compétitives ni innovatrices. L'économie du pays vit grâce aux petites initiatives privées de survie qui ne peuvent pas développer le pays. Tous les grands produits viennent de l'extérieur avec des prix exorbitants. La politique en place n'encourage pas les rarissimes initiatives locales. Bien au contraire, lorsqu'il y en a, elles se trouvent asphyxiées par une surfacturation étouffante. 

Du point de vue de la souveraineté territoriale. La dimension géopolitique et géostratégique du territoire congolais est depuis longtemps à la merci de plusieurs problèmes liés à la convoitise des ressources naturelles, à l'expansion démographique de plusieurs pays voisins, aux visées expansionnistes et hégémoniques d'une ethnie sur les autres, à l'absence d'une véritable démocratie dans la sous-région des grands lacs africains. Cela a conduit à l'occupation directe et ou indirecte de beaucoup de parties du territoire national par les pays voisins.

La RDC partage près de 10522 kms de frontières avec ses voisins dont 6195 kms de frontières naturelles et 4187 de frontières artificielles, plus la cote atlantique de 42 kms. Le Congo connaît ainsi de plus en plus de contentieux liés à l'occupation de certaines portions du territoire national par certains de ses neuf voisins. Cela a pris de l'ampleur depuis l'avènement des guerres successives. A titre illustratif, il existe des conflits latents entre la RDC et le Congo-Brazzaville autour des îles Mbamu (sur le fleuve Congo), une zone neutre occupée illégalement par Brazzaville ; entre la RDC et la Zambie autour de la bande frontalière entre les lacs Tanganyika et Moero ; entre la RDC et le Burundi qui occupe une bande de 10 kms du territoire congolais (delta de la Ruzizi) communément appelé Katumba; avec le Rwanda autour des constructions anarchiques dans la zone neutre entre Goma et Gisenyi (sans parler de l'occupation militaire du Kivu) et enfin avec l'Angola autour de la destruction des bornes frontalières par ce dernier à l'intérieur de la RDC dans le district de la Lukaya au Bas-Congo et aussi le dossier Kahemba… 

Mais quel autre pays au monde accepterait que son territoire, attribut de l'Etat, soit décapité et occupé illégalement par d'autres sans le protéger ? Les réponses sont à trouver dans ce que Jean Ziegler appelle la "raison d'Etat".

En outre, le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (UNHCR) n'a jamais dit combien de réfugiés hutu rwandais et autres sont sur le sol congolais. La Direction Générale des Migrations (DGM-RDC) n'a jamais été en mesure de fixer l'opinion sur le nombre de citoyens étrangers, rwandais et autres vivant régulièrement sur le sol congolais. Quel genre de visa ont-ils ? Octroyés où et quand ? Poser ces questions ne relève pas de la xénophobie, mais les normes internationales veulent que ces questions soient claires pour tout Etat qui se veut souverain. Pourquoi passe-t-on par les étrangers pour noyauter les attributs fondamentaux du Congo?

Quoi qu'on dise, tant que ces questions resteront posées et sans réponse, la RD Congo restera théoriquement, apparemment, un pays indépendant mais son peuple croupira encore longtemps dans l'ombre de la soumission économique, politique, géostratégique, etc. Dans son testament Lumumba disait : "Mais ce que nous voulions pour notre pays, son droit à une vie honorable, à une dignité sans tache, à une indépendance sans restriction, le colonialisme belge et ses alliés occidentaux (…) ne l'ont jamais voulu. Ils ont corrompu certains de nos compatriotes, ils en ont acheté d'autres, ils ont contribué à déformer la vérité et à souiller notre indépendance. Que pourrai-je dire d'autre ? Que mort, vivant, libre ou en prison sur ordre des colonialistes, ce n'est pas ma personne qui compte. C'est le Congo, c'est notre pauvre peuple dont on a transformé l'indépendance en une cage d'où l'on nous regarde du dehors tantôt avec cette compassion bénévole, tantôt avec joie et plaisir."

La vraie indépendance et la souveraineté doivent se conquérir aujourd'hui par la population elle-même à la manière du printemps arabe. On ne libère pas un peuple mais un peuple se libère dit-on. Seul un printemps congolais doit sortir le pays de cette ambiguité et confusion politique, économique, militaire, sociale et régionale devenues chroniques. Se libérer de la honte identitaire imposée, de l'impérialisme du capitalisme et de la démocratie de façade qu'on essaie d'implanter dans la sous-région des grands-lacs africains.

samedi 29 juin 2013

La gratuité des soins de santé au Sud Kivu. Un cadeau empoisonné ?

Dans le souci d'un plaidoyer en faveur de l'accès pour tous aux soins de santé de qualité, le Centre d'Analyses Politiques et des Stratégies pour l'Action dans les grands-lacs (CAPSA-GL) avec l'appui financier de Solidarité Santé Sud (SSS), PSS/Sud Kivu et WSM, a mené une étude au Sud Kivu sur l'impact et les effets de la gratuité des soins de santé sur le système de santé provincial. Les résultats de l'étude ont été révélateurs et font objet d'un livre qui paraîtra très prochainement. Tout restant égal par ailleurs, le protocole de gratuité appliqué par les organisations internationales dans la province du Sud Kivu a occasionné plus de mal que de bien en dépit des indices trompe-l'oeil dont il se venterait.

La gratuité des soins telle que soutenue par la Déclaration Universelle des droits de l'homme (DUDH), décrétée et voulue par les conférences d'Alma Ata, les objectifs du millénaire (OMD), les Initiatives de Bamako (IB), la charte populaire pour la santé ainsi que d'autres instruments internationaux est une réponse adéquate au problème général posé au monde : l'accès pour tous aux soins de santé. Mais cette gratuité s'applique ou ne s'applique pas, se vit ou ne se vit pas mutatis mutandis dans les différents pays du nord ou du sud et selon les conditions socio-politiques de chaque pays. Ainsi dit, la réussite du système de gratuité est dépendante de l'équilibre sociopolitique des autres secteurs de la vie nationale dans un pays.

En République Démocratique du Congo, tout comme la justice, l'enseignement ainsi que les autres secteurs de la vie nationale, la santé constitue un autre indice de ce qui ne va pas bien. Elle est devenue au fil des temps une sorte d'insécurité psychologique si on s'en tient aux inquiétudes qu'elle génère dans les chefs des congolais et aux antivaleurs qui la gangrènent. C'est plus de l'insécurité qu'une sécurité sociale. Sur le plan fonctionnel, on pourrait définir la sécurité sociale comme un ensemble de mesures officielles coordonnées ayant, entre autres, pour fonctions de garantir un accès aisé à des soins médicaux de qualité et la protection de la santé; de garantir l'octroi d'un revenu social de substitution notamment en cas de maladie, maternité, vieillesse, décès, du soutien de la famille, d'invalidité, d'accident, de maladie professionnelle et de chômage, etc.

Or, en RDC, on peut au contraire parler d’insécurité des structures sanitaires, des prestataires des soins et de tous les congolais désireux de se faire soigner… bref à tout le système de santé congolais. Le désordre quasi général qui ruine l'administration congolaise n'a pas exempté le secteur de la santé pivot central de la sécurité sociale. Le Sud Kivu est devenu depuis près de 20ans, une terre de prédilection des organisations
humanitaires intervenant dans divers secteurs dont la santé dans une approche urgentiste. Malgré la multitude de ces ONGs dans le domaine sanitaire, les réalités sanitaires quotidiennes en province du Sud Kivu sont dans l’ensemble médiocres et aléatoires. Pourtant l'accès aux soins de santé de qualité est un droit fondamental de la personne humaine. Tout Etat responsable a l'obligation de le garantir à tout citoyen. Cela exige donc de cet Etat une vision de son système de financement, une organisation systémique et une politique réaliste et concertée de mise en place progressive d’un tel système.

D'après la politique nationale de la santé de 2010, en RD Congo la situation sanitaire a connu des niveaux variables depuis la période coloniale jusqu'à ce jour. A l'aube de l'indépendance, la politique sanitaire était essentiellement axée sur la médecine curative avec des centres médicaux-chirurgicaux et des dispensaires satellites. Avec les changements sociopolitiques des années 1960 et 1970, le système de santé a connu de profondes perturbations. La population ne pouvait plus accéder aux rares soins de santé que grâce aux efforts des plusieurs intervenants...

Les guerres qui sévissent au Kivu depuis 1996 et la situation socio économique très alarmante peu avant, sous le règne de Mobutu, ont gravement détruit tous les tissus et structures sociales. La pauvreté et la misère sont devenues le lot quotidien de la population. Toutes les capacités locales d'auto-prise en charge et de participation communautaire au développement endogène ont été annihilées dans tous les secteurs et même celui de la santé. Ce qui a donné avantage à la prolifération, à l'extension et la persistance des maladies endémique ou pandémiques, infantiles ou maternelles mortelles ainsi qu'à d'autres antivaleurs nuisibles au secteur.

Comme toujours, la Communauté internationale via les organisations internationales est venue à la rescousse de la population. Pour répondre au besoin accru de l'accès aux soins de santé, nombre d'entre-elles ont adopté, de manière sélective dans le système sanitaire du Sud Kivu, l'approche de la gratuité totale ou de semi gratuité des soins ou encore d'achat de performance dans certaines zones de santé. C'est le cas de MSF Hollande et Espagne qui ont appliqué la gratuité totale successivement dans les zones de santé Baraka, Kimbi Lulenge en territoire de Fizi axe sud du Sud Kivu, à Bunyakiri, Kalonge dans le territoire de Kalehe dans l'axe nord de la province ainsi que dans le territoire de Shabunda un peu à l'ouest de la province. L'IRC a opté pour la semi gratuité dans une partie de la zone de santé de Kalehe (Hôpital d'Ihusi,…) et dans le territoire de Kabare (Hôpital de Mukongola), Malteser International était à Walungu (Hôpital FSKI au sud ouest), International Médical Corps (IMC) était dans la plaine de la rivière Ruzizi dans le territoire d'Uvira et même au Nord Kivu, le CICR était à Fizi, Uvira et Shabunda… pour ne citer que ces organisations-là.

Contenu de la gratuité

Pour les organisations impliquées dans le système de gratuité des soins de santé (totale ou partielle), ce système contient un certain nombre d'interventions dans une zone de santé ou dans une formation sanitaire: un appui en médicaments et équipements, un appui en prime du personnel et frais de fonctionnement et un appui dans la réhabilitation et/ou la construction des infrastructures sanitaires.

Des médicaments: les structures médicales bénéficiaires reçoivent des médicaments sur base d'une réquisition élaborée par l'hôpital et contresignée par le président du comité de développement de la santé (CODESA). Pour le cas des structures appuyées par International Rescue Committee (IRC), elles reçoivent trimestriellement des lots de médicaments génériques. Après expérience, il s'est avéré que les médicaments ne couvrent pas la période requise. Ils sont à peine suffisants pour deux mois successifs ; la conséquence est que lorsqu'il y a rupture de stocks, les patients s'en prennent aux prestataires les accusant de détourner leurs dons. En outre, beaucoup de cas, surtout les interventions chirurgicales nécessitent toujours des médicaments spécialisés pendant que dans les stocks il n'y a que des génériques essentiels de base. Cela exige du médecin de faire des prescriptions sur ordonnance pour que le patient trouve les médicaments ailleurs. Malheureusement dans beaucoup de cas ces ordonnances ne sont pas acceptées puisque la population estime que c'est du détournement de médicaments par le corps médical.

La prime au personnel: la prime donnée par IRC, qui varierait entre 90$ et 200$, est moins alléchante. En
plus de ce fait, elle est frappée d'une condition de performance de 30% retenu et remis au bénéficiaire au bout de trois mois. Seuls le donateur fixe et évalue la performance du prestataire sur base des critères subjectifs. Il y a toujours eu des grognes par rapport à ce pourcentage gardé et qu'on ne recouvre pas en totalité. En ce qui concerne MSF-H, sa prime est plus ou moins alléchante (à Baraka) mais elle est souvent à la base des jalousies et conflits interpersonnels. Tout le monde dans la zone de santé veut travailler dans les structures soutenues par MSF et du coup on développe de petit coup bas, des "ôte-toi de là que je m'y mette".

Les infrastructures: certaines structures ont été réhabilitées et équipées en partie; quelques rarissimes bâtiments ont été aussi construits ça et là dans certaines zones de santé mais ce qui étonne l'opinion ainsi que l'administration locale c'est l'opacité qui entoure l'enveloppe globale des travaux accomplis et le fait de ne pas associer la communauté à toutes les phases d'exécution du projet. Ceci a comme conséquence la non appropriation de l'ouvrage au départ du partenaire. Dans ce domaine et dans toutes les 34 zones de santé que compte la province du Sud Kivu, la courbe de la demande est grande alors que l'offre demeure minime malgré la modique contribution des ONGs internationales. L'insuffisance des infrastructures sanitaires est grande. A certains endroits la couverture n'existe pas et les gens font de longues distances pour atteindre une formation médicale.

Les frais de fonctionnement: pour fonctionner, une structure sanitaire organise, consécutivement à sa taille, plusieurs services interdépendants même paramédicaux. Cela exige des moyens financiers conséquents. L'International Rescue Committee (IRC) donne aux grands hôpitaux de Mukongola à Kabare et d'Ihusi à Kalehe une enveloppe de 1500$ pour leur fonctionnement mensuel. "Ce qui est très insignifiant par rapport à la demande", réagissent ces bénéficiaires. Le système de gratuité frappe tous les services médicaux, ainsi elle exige par exemple que pour le service d'ambulance l'hôpital n'exige au patient que 5$ pour une course quelle que soit la distance à parcourir et l'état climatique, or cette somme ne peut pas couvrir ne fut-ce que le besoin de carburant pour l'ambulance. Il en est de même pour le générateur qui doit alimenter 24h/24h en énergie puisque beaucoup de zones ne sont pas couvertes par l'électricité publique. Le coût en carburant est énorme. Les 1500$ reçus constituent une menace réelle à la vie institutionnelle de la structure.

Dans le cas des hôpitaux appuyés par MSF, c'est le donateur lui-même qui tient le fonctionnement de la structure si bien qu'à son départ, le risque est grand.

Au début, cette gratuité ou semi-gratuité des soins apparut comme un "ouf de soulagement" pour une population paupérisée et désemparée quant à leurs soins de santé.

Après plusieurs années de pratique, lorsqu'on scrute et interroge actuellement la réalité sur le terrain, les faits et les bénéficiaires (population, prestataires des soins, acteurs étatiques) ainsi que les porteurs de cette gratuité des soins sur les avantages et la pertinence de ce système dans les différentes zones de santé (où la pratique est toujours en cours ou pas) les avis et les perceptions sont divergents et étonnants.

Les OSC (population) n'apprécient guère la manière d'intervenir des ONGs internationales particulièrement leurs actions en urgence qui n'aident en rien la population. Elles ne tiennent pas compte des vrais besoins de la population ni ne les associent à la planification. En dépit de quelques avantages tels que la baisse de la mortalité infantile de moins de 5 ans ainsi que la hausse du taux de fréquentation et d'utilisation, le maintien relatif du capital familial, la gratuité a des inconvénients sur la qualité des soins (diminution sensible), démotivation des prestataires qui ne respectent plus au doigt les règles du métier, le détournement des médicaments ainsi que la faible adhésion aux Mutuelles de santé, etc.

Pour les prestataires des soins, la gratuité influe négativement surtout sur le mental collectif local. Elle détériore la mentalité et gâche la qualité des soins de santé. Ainsi les gens se déversent plutôt dans les structures privés que les publiques. Les patients développent une négligence dans la prise des soins administrés sous le protocole de gratuité. Différents prestataires des soins affirment que la gratuité des soins est une humiliation pour le personnel médical. En gratuité, les prestataires sont moins compétents, ne remplissent pas leurs tâches convenablement, les infirmiers font la consultation dans ces structures à gratuité,…

Les acteurs étatiques quant à eux, estiment que les urgentistes qui accompagnent normalement l'Etat congolais dans la réalisation des OMD et de sa politique nationale sanitaire, parfois se comportent en maîtres sur le terrain sans associer les répondant du pouvoir se trouvant à l'échelle le plus bas de la vie nationale afin de savoir exactement les besoins sanitaires de la population à la base. La gratuité des soins telle que pratiquée par les ONG au Sud Kivu place la population dans l'attentisme... Comme pour toute aide une fois arrivée à sa fin, la population non préparée rechute.
La gratuité ne prévoit pas un plan de désengagement conséquent. Cette gratuité tue le réflexe d'auto-prise en charge dans le chef de la population et empêche ainsi le développement intégral de la province.

Les ONGI, pour leur part, estiment que leur travail reste humanitaire et s'inscrit dans la ligne de la politique internationale sur l'aide au développement. Cela étant, elles ne peuvent ni ne veulent remplacer l'Etat congolais dans ses obligations vis-à-vis de sa population. Elles viennent en appui si pas en accompagnement des initiatives étatiques. Par rapport à la gratuité des soins de santé telle qu'elles l'appliquent est irréprochable, disent-elles, c'est l'Etat congolais qui ne fait pas son travail. Il y a plus de peur que de mal. Pourtant certaines parmi elles comme Aide Médicale Internationale (AMI) a justement constaté et vécu les conséquences de la gratuité dans la province du Nord Kivu et a alors décidé d'abandonner la pratique. Il s'est avéré que ces ONG ne respectent pas du tout le protocole de Paris sur l'alignement de l'aide.
Somme toute, dans le contexte socio-politique de la RDC aujourd'hui, avec l'incapacité réelle des gouvernants actuels de répondre aux besoins fondamentaux de la population, les Mutuelles de santé sont la seule voie de sortie pour l'accès de tous aux soins de santé. Au Sud Kivu, la dynamique des Mutuelles de santé, qui est une initiative de solidarité à la base, existe depuis une dizaine d'années. Aujourd'hui cette dernière se trouve menacée par les interventions en urgence des humanitaires.
Parsemés ici et là dans la province, les humanitaires appliquent la gratuité des soins de santé dans certaines zones et dans certaines structures sanitaires. Cette gratuité sélective est une menace et un cadeau empoisonné dans la mesure où elle brise tout élan de solidarité et l'esprit d'auto-prise en charge de la population. Très souvent, elle ne prévoit pas un plan de désengagement avec un ticket modérateur accessible pour ne pas faire tomber la structure.
Pour sa part, l'Etat congolais devrait prendre ses responsabilités dans le secteur de la santé en viabilisant, modernisant les structures sanitaires, en instituant et en harmonisant la politique de la gratuité de soins avec les autres intervenants. Il devrait s'occuper de la situation sociale des prestataires des soins et appliquer un contrôle minutieux pour le respect des textes régissant la santé. Imposer le respect du protocole de Paris sur l'alignement de l'aide, ainsi devrait-il remplir sa part de devoir.

Les lois et la politique congolaises devraient articuler la solidarité institutionnelle et trouver des alternatives au financement de la santé en recréant un lien social et une culture de sociabilité civique. L'Etat doit inciter à la solidarité et faire éclore, partout où il peut, des initiatives mutualistes plutôt que de recourir de façon sempiternelle au financement alternatif pour colmater les brèches de la sécurité sociale.