vendredi 28 décembre 2012

Vers la paix ou vers la guerre à l’Est de la RD Congo?

Les négociations de Kampala sont suspendues jusqu’au 4 janvier. Au delà du cynisme que peut représenter cette suspension pour les centaines de milliers de déplacés qui errent sur les chemins, pour la population de Goma qui vit dans l’angoisse d’une reprise de la ville par le M23 et qui subit quotidiennement une insécurité croissante, il y a lieu de se demander quelles sont les véritables motivations des uns et des autres dans cette pause.

Malgré les discours et les communiqués rassurants, les négociations piétinent. Le M23 avance des revendications auxquelles le gouvernement congolais ne peut souscrire, sous peine d’apparaître encore un peu plus comme traître à la Nation. Sous peine encore d’inciter tous les autres groupes armés à reprendre les hostilités de plus belle. Ils ne pourraient en effet n’en tirer comme seule conclusion que seul le langage de la force est entendu à Kinshasa. C’est probablement déjà les enseignements que tirent comme conclusion les groupes maï maï de Foka Mike ou les raia Motomboki qui reprennent les actions armées. C’est ainsi que dans la nuit du mercredi 19 au jeudi 20 décembre, de violents accrochages se sont produits du côté de Walungu, à quelques 50 km de Bukavu.

Sans doute des signes positifs sont à relever. Quoique toujours présent dans la banlieue proche de Goma, infiltré dans la ville même, le M23 a du se résoudre au repli, sous la pression internationale. Incapable de vaincre militairement sans l’appui de l’Ouganda et du Rwanda, il a montré sa faiblesse. Faiblesse non seulement militaire mais aussi politique et administrative. Car prendre une ville ou un territoire est une chose, l’administrer durablement en est une autre… A Goma, en dépit de quelques simulacres de «soutien» de la population aux «libérateurs» tout au début, les masques sont vite tombés. Par ailleurs, les parrains du M23 ont été contraints de tenir compte des pressions consécutives aux rapports du groupe d’experts de l’ONU qui les mettent clairement en cause. Susan Rice ne sera pas secrétaire d’Etat, et le coup de fil d’Obama à Kagame, s’il est loin de tout résoudre, pèsera aussi dans la balance…

L’arrivée même du Rwanda au Conseil de sécurité des Nations Unies pourrait avoir des effets insoupçonnés elle aussi. Il n’est pas si évident, comme d’aucuns le disent, que cette présence conforte d’office le Rwanda qui reste, quoi qu’il en soit, un petit pays dépendant de l’aide internationale. Kagame est fragilisé. Il doit compter avec son opposition intérieure et les fissures qui apparaissent dans son propre camp et parmi son cercle proche. Les contradictions dans la société rwandaise seraient profondes. Entre Tutsis et Hutus évidemment, ces derniers étant très massivement étouffés et mis à l’écart de la direction du pays depuis plus de 17 ans déjà, mais également parmi les Tutsis, entre les anglophones et les francophones, parmi les anglophones, entre ceux issus de la lignée royale, et ceux, comme Kagame, issus de la lignée de la reine-mère, à qui les premiers reprochent une usurpation du pouvoir royal… Les intérêts des Banyamulenge du Congo ne recouvrent pas entièrement, loin s’en faut, ceux des Tutsis vivant au Rwanda.

Une nouvelle guerre extérieure pourrait bien entendu, comme c’est souvent le cas, occulter ces dissensions et recréer l’unité nationale. Elle pourrait aussi, au contraire, se révéler le déclencheur d’une plus grande désintégration de la société et d’un affaiblissement du régime. Que se passerait-il si la guerre devait aussi être portée sur le sol rwandais? Or, le risque n’est plus à exclure. Chacun sait que d’anciens proches de Kagame, écartés brutalement, ne demandent qu’à en découdre. Kagame est dans son dernier mandat, s’il ne change pas la constitution. Il ne lui sera pas si facile de réaliser une telle opération, ni même d’opérer un tour de passe-passe. N’est pas Poutine qui veut…

Dans ce contexte incertain, Kagame peut-il risquer de se mettre ses traditionnels soutiens à dos? Rien n’est moins évident, quelles que soient ses déclarations.

Un échec des négociations, suivi d’un long enlisement de la situation sur le terrain, n’est donc pas à exclure. C’est même, certainement, l’hypothèse la plus probable.

On ne peut pour autant se laisser distraire et exclure une reprise des hostilités générale, qui reprendraient par Goma et s’étendraient à l’ensemble du Kivu.

Il est évident que chacune des parties met aussi à profit le temps des négociations et de leur suspension pour reprendre des forces, se repositionner et se préparer aux prochaines opérations. Toutes les parties se préparent à la guerre.

Aux alentours de Goma, le M23 consolide ses positions, se réarme et prépare ses troupes. L’insécurité n’y a jamais été si forte. Les habitants vivent toujours dans une grande psychose, les assassinats se multiplient, des banques sont braquées et le butin va vers le pays voisin. Beaucoup de commerçants et d’acteurs sociaux quittent la ville, certains partent vers le Nord, d’autres vers Kisangani ou Bukavu, car tous s’attendent à une reprise des combats. L'insécurité croît fortement aussi à Bukavu et dans l’ensemble du Sud-Kivu. A Uvira et dans la plaine de la Ruzizi, de nouveaux foyers de tensions sont réapparus, opposant durement les Barundis, dont le Mwami a été assassiné il y a quelques mois, aux Bafuleros. Ces derniers jours, les heurts furent nombreux et la tension monte encore d’un cran avec la mort, le samedi 22 décembre du Mwami des bafuleros, qui la trouvent suspecte et crient à l’empoisonnement. Les balles ont crépité dans la foulée. Quelques jours plus tôt, le Président de l’Assemblée provinciale Baleke, originaire d'Uvira et en mission de négociation en vue d’apaiser les tensions et trouver un accord entre les deux communautés, sera pris par le coup par le major Banyamulenge de la place d'Uvira…

De nombreux infiltrés du M23 sont signalés à Kalehe, sans doute à Bukavu aussi. Il y a quelques jours des incursions des éléments rwandais ont été signalées vers Nyangezi à une vingtaine de kilomètres de la ville de Bukavu. Les manœuvres d’approche de certains leaders sont en cours.

Du côté gouvernemental, on appelle à la mobilisation générale. L’opération de recrutement de jeunes pour l’armée a été lancée. Les résultats sont minces. Mais on signale déjà des troupes angolaises et zimbabwéennes aux côtés des FARDC.

Les FDLR ne sont pas en reste et se remobilisent. Le font-ils de leur propre chef ou à l’initiative du pouvoir congolais, comme ça s’est déjà vu dans le passé, ou bien encore n’est-ce qu’une mascarade organisée une fois de plus par Kigali pour justifier une nouvelle intervention officielle cette fois? Certes, l’argument-prétexte des FDLR est bien usé déjà, mais il peut encore servir.

En cette fin 2012 donc, la situation reste incertaine et toutes les questions restent. Les négociations sont suspendues et on ne sait trop si elles reprendront et si oui, sur quelles bases. Chaque partie met ce temps à profit pour se renforcer, affiner ses stratégies et se chercher des alliances.

Les chefs d’Etat de la Sadec ont parqué leur accord pour l’envoi sans délai de la force neutre qui devrait neutraliser une «force négative» avec laquelle le gouvernement doit négocier… Que signifie tout cela?

L’opinion internationale va rentrer dans la léthargie des fêtes de fin d’années.

Espérons qu’elle ne se réveille pas avec un conflit qui aurait repris, plus meurtrier que jamais.

Le 26-12-2012

jeudi 13 décembre 2012

Brève analyse de la situation après le retrait du M23 de Goma

     1. Le retrait du M23 de Goma, même s’il est partiel et qu’un grand nombre de ses hommes y sont restés camouflés en civils ou en policiers, est un échec pour ce mouvement, et surtout pour ses parrains.
Tenir Goma seul n’était pas tenable. L’objectif des rebelles était bel et bien de prendre aussi le Sud-Kivu et Bukavu en particulier.
La prise de Bukavu était programmée en même temps que celle de Goma. Mais le colonel Kahasha (Foka Mike), ex maï maï servant comme colonel dans les FARDC en Ituri, qui avait repris le maquis il y a quelques mois en faisant mine de se rallier au M23 le temps de remonter vers le Sud-Kivu, et sur qui le M23 comptait, s’est rendu aux FARDC. Sa défection a perturbé les plans du M23. (NDLR: Entre-temps, apparemment menacé d’être mis aux arrêts, Foka Mike a de nouveau disparu et repris le maquis dans le territoire de Kabare au Sud-Kivu).
Bukavu n’est donc pas tombée. Les pressions ont eu le dessus et ont imposé au M23 le retrait qu’on connaït.

2.  Le plan avait pourtant été soigneusement mis au point depuis le début de l’année. En janvier déjà, une rencontre de trois jours s’est tenue à Fizi, dans le sud du Sud-Kivu, rassemblant des délégations de tous les groupes armés opposés à Kabila, Banyamulenge compris. 
      Objectif : définir la  charte et la feuille de route devant conduire au renversement de Kabila ou, au minimum, au contrôle de l’Est du pays. Etrangement, cette réunion fut coordonnée par une femme occidentale, parlant avec un accent anglais et qui s’est présentée comme une fonctionnaire européenne…
(Notre avis est qu’il s’agissait plutôt d’un agent spécial des USA, ou de la Grande Bretagne, ou... ?). 
Le plan qui en sort prévoit la prise de Goma et d'Uvira, avec ainsi la ville de Bukavu prise en tenaille.

3. Pour plusieurs raisons (pressions internationales prévisibles, rejet d’une majorité de la population d’une occupation étrangère…), le contrôle de l’Est devait impérativement apparaître comme une affaire purement congolaise. On a vu comment le Rwanda s’est évertué tout au long de ces mois à faire croire qu’il n’était pas concerné. Les différentes manœuvres opérées pour mettre dans le coup le maximum de groupes maï maï congolais étaient indispensables pour réaliser cette mystification. On voit aussi comment le M23 avance  des revendications largement partagées par la population congolaise. Qu’on ne s’y trompe pas, c’est juste une façon de faire écran. Les actions d’intoxication de la population congolaise et le l’opinion internationale furent nombreuses avant, pendant et après la prise de Goma.

 
4. Les choses ne se sont manifestement pas passées comme prévu. D’une part, le groupe d’experts des Nations Unies a publié deux rapports qui ont mis clairement en lumière l’implication déterminante du Rwanda et de l’Ouganda dans la nouvelle guerre du  Kivu.Les réseaux d’information nationaux et internationaux ont, comme lors de la prise de Bukavu en 2004 par Nkunda-Mutebusi, joué a fond pour relayer, alerter, faire pression sur les décideurs.Par ailleurs, les « alliés » congolais du M23 ne furent pas aussi dupes ou dociles qu’attendus.De plus, l’armée congolaise résistant mieux que prévu, l’armée rwandaise et les Ougandais ont été contraints d’intervenir directement et de se dévoiler. Sans leur intervention déterminée, le M23 était incapable à lui seul d’atteindre les objectifs.

5. Tout cela a permis des pressions suffisantes pour imposer au M23 un retrait de Goma.
En dépit des ambiguïtés de ce retrait, en dépit des pillages importants perpétrés par le M23 à son profit ou à celui du Rwanda (chacun sait tout ce qui a franchi la frontière, et il est surprenant que pas une fois l’exigence de restitution ou de dédommagements n’ait encore été formulée) la vie y reprend peu à peu, le trafic reprend sur le lac… Il est donc légitime de parler d’une certaine victoire du nationalisme congolais et il y a lieu de s’en réjouir.

6. Pour autant, rien n’est terminé. Cette victoire est loin d’être totale ou définitive
, le revers des rebelles n’est peut-être qu’un repli tactique. Il y a lieu de rester vigilant, d’observer et d’analyser ce qui va se passer dans les jours qui viennent.D’une part, on peut estimer que Kabila est un peu piégé : le M23 dit s’être retiré pour « donner une chance à la paix et mettre Kabila devant ses responsabilités ». Le M23 attend les négociations… qui doivent se dérouler à Kampala, capitale de l'Ouganda, pays dénoncé par les experts de l’ONU pour son appui logistique important à la rébellion...Soit Kabila fait de grandes concessions dans ces négociations et il sera attaqué dans son pays, soit il n’en fait pas et les hostilités risquent de reprendre.Par ailleurs, sur le terrain, rien n’est joué. Des infiltrés du M23 sont restés à Goma, sont déjà présents à Bukavu. L’insécurité reste forte dans les alentours de Bukavu. Les maï maï congolais n’ont pas désarmés.  Foka Mike, comme déjà dit, a repris le maquis où il avait sans aucun doute laissé de nombreux hommes et des armes. On relève une recrudescence d’opérations attribuées (à raison ou à tort –il peut s’agir d’une
manipulation-) aux FDLR, tant au Nord qu’au Sud-Kivu.
Enfin, nous ne savons pas dans quel sens influera l’agenda et le contexte international dans les mois qui viennent : le Rwanda sera pour un an membre du Conseil de Sécurité, Susan Rice, soutien de longue date de Kagame, deviendra bientôt le nouveau Secrétaire d’Etat des Etats-Unis…

7. Les négociations ont commencé ce dimanche 10 décembre… en  l’absence du M23 qui a préféré la politique de la chaise vide!
Alors que le rapport du groupe d’experts de l’ONU a clairement mis en lumière l’implication du Rwanda et de l’Ouganda dans le soutien appuyé au M23, il est piquant de constater que c’est à Kampala que les négociations doivent démarrer… Il est avéré que dans la communauté internationale, plus d’une voix s’exprime pour faire pression sur Kabila afin qu’il fasse les concessions suffisantes. C’est le cas notamment du délégué de l’Union européenne en RD Congo, qui le fait en arguant de l’incapacité des FARDC à résister. Ce qu’il ne dit pas, c’est qu’au fil des accords successifs imposés à la RDC, l’ennemi a infiltré et pénétré tant et plus l’armée et les autres appareils de l’Etat et que dès lors, la trahison se trouve en son sein... Nul doute que de nouvelles concessions accentueront encore cet état de choses et permettront à nouveau aux tenants d’une partition du pays de faire un nouveau pas en avant.Le M23 revendique des postes de commandement, des postes ministériels, le gouvernorat du Nord et Sud-Kivu… Il ne fait pas de doute que l’Ouganda lui aussi avancera ses revendications...

8. Plus que jamais donc, il est indispensable de poursuivre le monitoring quotidien du terrain, d’analyser, de comprendre les intentions et plans des uns et des autres.
L’accalmie doit être mise à profit pour améliorer ce travail, renforcer les réseaux, les articulations dans le pays et avec l’extérieur, renforcer la diplomatie.

Bukavu, le 13-12-2012