Il est de ces moments où, à la croisée des chemins, tout homme ou toute
institution doit s’arrêter pour un temps de bilan, une évaluation, une
introspection. Surtout entre l’âge d’or et le jubilé de diamant, il est impératif
de faire un bilan sans complaisance, car, pour le cas de l’homme, la plus grande
partie de sa vie est derrière lui, on va vers le crépuscule et l’atterrissage
doit se faire en douceur… On ne dira pas la même chose pour une institution. A 50
ans on célèbre, mais à 60 ans on fait un bilan en vue de réorienter, on pose la
question de la pertinence des outils utilisés...
Si, en 2010, nous avions célébré avec faste le cinquantenaire de
l’indépendance, il s’impose à nous de faire passer le pays par une
introspection (la 58e fête de l’indépendance… et, depuis 48 heures avant
ce 30 juin 2018, nous étions sans électricité!) la plus critique qui soit.
Il est plus qu’urgent de travailler sur notre
conscience comme pays et comme citoyen de ce pays. Il est plus que temps de
passer des sens à la conscience, de quitter la dispensation de la
sensibilisation et rentrer dans celle de la conscientisation…
Pourquoi cette conscientisation est-elle impérative? A quoi répond-t-elle?
Voici selon nous quelques éléments du rationnel qui nous poussent sur ce
chemin de changement. Les besoins en
conscientisation concernent largement au-delà des communautés? C’est l’ensemble
de nos institutions, TOUTES les institutions de la RDC qui souffrent chroniquement
des carences en conscientisation. Et cela rejaillit sur toute la marche du pays.
Dans les lignes qui suivent, nous vous en exposons quelques éléments.
1. Les limites de la sensibilisation
Nous croyons que la sensibilisation n’a pas
répondu aux attentes des populations et moins encore, elle n’a pas été
l’antidote nécessaire et suffisant pour une plus grande compréhension de l’action
et surtout du rationnel de l’action… La sensibilisation a placé et laissé le
citoyen dans un activisme non situé dans un cadre orienté ou dans une vision du devenir de la communauté… Cet
activisme a dès lors été converti en une stratégie individuelle de survie, aveugle sur tout ce qui relève du bien ou de l’intérêt
commun… La sensibilisation peut avoir répondu à l’une ou l’autre question du
pourquoi l’action… Mais était-ce la question fondamentale? La question du
fond sur laquelle peut se construire un code? Nous pouvons confirmer que
les questions auxquelles la sensibilisation a répondu sont restées au niveau
des symptômes et ne sont pas allées au cœur, à la base même des problèmes…
C’est comme un militaire qui tire dans tous les
sens et croit qu’il se défend et qu’il pourra gagner la guerre. Non, il ne
pourra pas… Et, même si les tirs sont orientés, ils doivent contribuer stratégiquement
à la démolition du centre névralgique du camp de l’adversaire.
L’action comme les cartouches ont besoin de cadre
et de direction et elle doit concourir à la résolution d’un problème de
base…
2. Renforcement des capacités comme stratégie de survie personnelle
Pendant ces 30 dernières années, la sensibilisation
était souvent couplée au renforcement des capacités. Mais la question de
renforcement des capacités est venue comme une mode non pas axée sur les
besoins méthodologiques de transformation des communautés. Il a été et il reste
un créneau pour des groupes d’intellectuels consultant en sciences sociales qui
papillonnent autour du tandem Gouvernement et organismes internationaux.
Les plannings stratégiques et d’autres concepts
comme le GAR, Monitoring et Evaluation et bien d’autres avaient été utilisés sans une
mise en place des fondations qui sont la vision et le plan de base, le cadre. Et,
si la vision et le plan de base ne sont pas au rendez-vous, toute méthodologie
est vouée à des résultats extrêmement limités.
C’est le cas aujourd’hui de ces concepts, ici, en RD
Congo.
3. Refus de renforcement des capacités
Même si les outils de ces nouveaux concepts qui meublent
souvent le renforcement des capacités sont utilisés ici et là, il y a cependant
un vrai refus de renforcement des capacités. Par exemple, pendant plus de 7 ans, on a amorcé la réforme des Finances Publiques. Le but était de basculer du
budget des moyens au budget programme. Pendant plus de 7 ans, les agents
directeurs et responsables des syndicats avaient fait tous les pays en mission
pour organiser une tonne d’ateliers en vue et en préparation de ce basculement…
Tant de modules de formation furent commandés pour préparer ce basculement… Mais
les mêmes personnes qui avaient fait ou conduit cette préparation - avec des
fonds des bailleurs - au niveau du Ministère des finances, ont ensuite demandé
un moratoire de plus de 5 ans… Et, le
parlement, qui ne comprend pas grand-chose à ce qu’il vote, vient de voter
pour ce moratoire pour une période de 6 ans. Il faudra encore attendre 6 ans pour
le budget programme alors que le CMRAP [1] avaient
déjà fait plus de 7 ans des travaux de préparation? Aujourd’hui, les
budgets des ministères fonctionnent sur
les besoins et ceux-ci sont déclinés dans les mêmes rubriques depuis plus de 40
ans pour les effets qui vont en s’empirant … En effet, ce sont les Ministères
du Budget et des Finances qui décident qui aura quoi! Et, ces deux Ministères
ont la «quintessence» de juger des besoins, de l’urgence et de
l’importance des demandes formulées par les autres ministères. C’est ainsi que
l’on trouve des Ministères avec 10 ou
20% de décaissement et d’autres qui sont largement en dépassement de l’ordre de
200 ou 400% de décaissement… Il est connu que les Ministères des finances, du budget, de la primature et la Présidence de la République sont toujours en dépassement…
Dans le même ordre d’idée, dans ce pays, quasiment
tout ce qui avait été fait comme expérience pilote est resté pilote. Regardons
l’expérience de Mampu [2], où
des hommes ont créé des forêts d’acacias sur des espaces de plus de 8000 ha
pour amorcer ce que l’on appelle la braise écologique… Cette expérience est
noble mais elle n’a jamais été répliquée ailleurs.
Aussi dans le cadre dans lequel nous-mêmes étions
engagés, pendant plus de trois ans, nous avions revitalisé une infime [3] partie de l’administration du développement rural dans 4 provinces, 5
territoires et 4 secteurs en montrant
l’articulation entre le pouvoir central à Kinshasa, la province, le territoire
et le Secteur ou Chefferie… Nous avions équipé ces différentes administrations
des locaux et des outils de travail, nous avions rajeuni des cadres à tous les
niveaux, nous avions formés ces mêmes cadres à tous les niveaux et nous avions
remis en marche le système de communication entre les différents niveaux de
l’administration… Nous avions en quelques sorte devancé la réforme et avions
refusé d’appeler les gens des fonctionnaires et nous avions créé le concept de
Servicom [4].
4. Refus de la souveraineté
La souveraineté ne se trouve pas ou ne s’exprime pas à partir des réactions épidermiques contre
ceci ou contre cela… Ce n’est pas dans les réactions conflictuelles que se décline
la souveraineté. Elle se dit dans ce que vous voulez devenir comme
peuple! La Révolution de la modernité… C’est ce que nous voulons
devenir? Qui peut nous expliquer ceci? Au départ, tout était orienté
par ce fameux contrat chinois… Pour 9 milliards et ensuite 6 milliards…
Planifier ou construire sur l’argent
d’autrui…Portant, chez nous,un adage simple dit que "Liboke ya moninga basombelaka
yango kwanga te" soit, "Tu ne peux pas
commencer à planifier avec l’argent d’autrui!".
D’autres disent qu’en 2030 la RDC sera pays
émergent! Mais qu’est-ce qu’un pays émergent? Il faut faire un "buruyeke [5]" sur ce
concept pour savoir combien de congolais savent ce que signifie émergent!
Concept exogène qui ne peut mobiliser nos populations, qui contentent les
institutions étrangères et bat de l’aile déjà au niveau international… Je ne me
sens ni galvanisé ni mobilisé par ce concept qui est bien limité car sa vision
nous place dans une perspective de rattrapage, illusoire, sinon néfaste pour
nos populations…
Notre souveraineté est l’expression de ce que nous
voulons devenir! Que voulons-nous devenir? Déclinons ce que nous
voulons devenir… C’est seulement après cela que chaque ministère peut bien
avancer ce qu’il veut apporter comme à l’édifice, dans sa spécialité, et des
actions qui soutiennent cet apport! C’est dans ce sens que toutes les
institutions en République doivent dire ce qu’elles comptent apporter… A tous
les niveaux: provincial, territorial, secteurs et chefferies et au niveau
national… Et le budget devient une somme articulée de toutes ces actions…
C’est ainsi que le budget devient le lieu de
l’expression de ce que nous voulons devenir… Si nous ne voulons pas grandir,
nous aurons un budget de 3 milliards… Nous dirons au monde entier que nous voulons
rester nains! Le pays aujourd’hui est un nain de 58 ans!
5. Refus de sa richesse
On a tendance à croire que la première richesse
de ce pays c’est le cuivre, le coltan et d’autres minerais: les mines…
Ce cuivre, il profite à combien de congolais? Un nombre infime! Le
cobalt avait rapporté en 2017, moins de 300 millions de dollars américains… Ceci
rapporte une moyenne de 3 dollars américains par congolais... C’est bien pauvre ! Soit
0,25 dollars américains par congolais par mois…
Faisons un calcul simple. Nous comptons plus de 85
millions de congolais aujourd’hui… Supposons que 60% de cette population - qui est bien jeune - a l’âge de travailler, ce
qui fait 51 millions. Supposons que le
taux de chômage est de 90% soit 45.900.000 personnes, avec
une moyenne de 8 heures de travail par jour… Ca fait que la RD Congo perd aujourd'hui 367.200.000 heures
de travail chaque jour. C'est-à-dire que, pendant 25 jours ouvrables mensuels, 9.180.000.000 heures de
travail sont perdues. Et sur 11 mois de travail, 100.980.000.000 heures
de travail perdues par an. Si l’Etat avait 10 centimes sur chaque heure de travail
il pourrait donc rassembler 10.098.000.000 dollars américains aujourd’hui.
Si on considère l’ensemble de la population active, l'Etat pourrait rassembler 11.107.800.000 dollars + la TVA pour 2 dollars par jour, pour lesquels le manque à gagner est de 9.928.000.000 dollars américains.
Les deux rubriques taxe horaire et TVA font à elles seules un total de
21.035.800.000 dollars américains, actuellement perdus chaque année par une mauvaise vision de la richesse et par un défaut d'organisation.
La richesse de ce pays est avant tout le citoyen congolais. Mais l’Etat ignore son citoyen, il ne sait pas où est
le citoyen et ne sait pas ce qu'il fait. L'Etat est tout simplement un
ignorant de sa propre richesse… Qui peut construire une économie sans le citoyen?
Il nous semble important que l’Etat et toutes ses institutions intègrent la
conscientisation de manière impérative pour le bien de sa population. Il n’y
aura pas de construction sans un retour vers notre conscience au travers de la
pédagogie de la conscientisation. Le besoin est réel dans toutes les
institutions de la République.
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[1] Abréviation du CMRAP ou Cellule de Mise en œuvre du Rajeunissement des Agents de l’Administration Publique.
[2] Mampu est sur la route de Kikwit. Une des premières expériences de l’agroforesterie en RD Congo.
[3] Nous disons infime partie car nous avions travaillé dans 4 provinces sur 11 à l’époque, 5 territoires sur 145 et 4 secteurs sur 737. Cette expérience avait effectivement été pilote.
[4] Servicom c’est le condensé de Serviteur de la Communauté. Peut-être à l’époque du MPR quand nous avions comme devise Servir et non se servir, le concept allait passer !!!
[5] Jeu à la télévision congolaise avec des questions troubles où toutes les réponses proposées sont fausses…