Quant on parle de l'indépendance du Congo, les générations nées après les années 70, jusque là, n'avaient rien vu, rien vécu ni de bon ni de bien dans ce pays sinon la pauvreté, la misère, les rébellions, les tracasseries, le détournement des biens publics, l'enrichissement illicite d'une certaine caste, le chômage, la déscolarisation, l'injustice, l'impunité, la corruption érigée en système,les trafics d'influences, le massacre et les tueries à grande échelle de leurs parents, l'utilisation des violences sexuelles comme une arme de guerre de destruction massive, le pillage des ressources naturelles ainsi que l'occupation de certaines parties du territoire nationale par des armées étrangères... Les générations nées après les années 1970 se demandent à quoi aura servi le sacrifice du héros national Lumumba?
Depuis 53 ans, la situation socio-politique à l'interne du pays contrarie sans appel les rêves de nos pères d'indépendance et défie toute idée reçue de liberté et de souveraineté. Tout n'est que simple illusion. Le capitalisme le plus brutal a élu domicile au Zaïre (Congo). Par un endettement exponentiel, Mobutu a agenouillé le pays et ce dernier a cessé d'être souverain. La situation de la population s'est détériorée chaque année davantage: la faim, la maladie, l'insécurité…
De quelle indépendance parle-t-on exactement ?
Indépendance politique? A l'assassinat de Lumumba, les puissances étrangères avaient choisi Mobutu pour gérer le pays. Elles auraient pu à l'époque, si elles le voulaient, le démocratiser pour le bien de la population. Mais hélas ! Le Maréchal Joseph-Désiré Mobutu régna 32 ans au mépris des aspirations du peuple. Pendant ce temps, le pays a connu plus de vingt gouvernements quasi inutiles. La prédation a supplanté les valeurs républicaines. Les richesses nationales sont devenues une affaire de quelques individus au service de l'impérialisme et du néocolonialisme. Vint alors en octobre 1996 la guerre de l'Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération du Congo (AFDL") avec Laurent-Désiré Kabila. Cette guerre n'a jamais été une initiative congolaise mais elle est venue de l'extérieur bien qu'elle ait connu un soutien populaire pour en découdre avec le mobutisme. L-D Kabila, émancipé de ses alliés d'hier (Rwanda, Ouganda et Burundi) fut vite assassiné par conspiration des puissances impérialistes. Les espoirs populaires déjà fondés sur ses quelques actions nationalistes et patriotiques furent alors estompés. L'énigme jamais comprise jusqu'à ce jour est de savoir qui avait imposé Joseph Kabila comme successeur de Laurent-Désiré alors qu'il n'en avait pas les atouts nécessaires et indispensables ? L'avenir du pays fut confié à une sorte de régence. Le pays a traversé depuis lors des turbulences politiques inédites qu'aux élections de 2006, la population crut que Joseph Kabila était l'homme de la situation. Illusion. Mais tout de suite la vérité l'a rattrapé et les doutes sur son incapacité à bien conduire le pays ont été dissipés. En 2011, il a bourré les urnes pour se maintenir au pouvoir. Aucune sanction draconienne ne lui a été opposée par la communauté internationale. Par contre, son gouvernement donne l'impression d'être un gouvernement de coalition des puissances étrangères. Des ministres et hauts responsables publics recommandés par l'extérieur.
Indépendance militaire ? Du point de vue militaire, la RD Congo n'est pas non plus indépendante. Depuis les troubles de l'indépendance de 1960 jusqu'à nos jours le pays a toujours fait recours aux armées étrangères pour juguler ses problèmes internes. D'abord les casques bleus pour mettre fin aux velléités katangaises. Lors de la guerre des gendarmes katangais de monsieur Bomba Nathanaëlle (autour de 1977), Mobutu lui-même fit venir l'armée marocaine pour mater ces gendarmes. En 1996 pour faire partir Mobutu, Laurent-Désiré Kabila utilisa les armées ougandaise, burundaise et rwandaise. Aussi, toutes les rebellions dirigées par des congolais ou des pseudos congolais ont eu l'appui des armées étrangères, que ce soit le MLC de Jean-Pierre Bemba ou le RCD/Goma d'Azarias Ruberwa, etc. Cette situation des guerres successives a fait revenir au Congo l'armée de l'ONU depuis 1999 jusqu'à ces jours avec des missions qui changent (Mission d'observation des Nations Unies au Congo : MONUC ou Mission de l'organisation des Nations Unies pour la stabilisation et le développement du Congo : MONUSCO). Et malgré ses 17000 hommes présents au Congo et son budget dépassant le milliard/an, cette mission a encore échoué. Comme ce fut le cas de la MINUAR au Rwanda en 1994: elle n'a pas réussi à imposer la paix, ni à protéger les civils (plus de 6 millions de morts sans compter les femmes violées). Actuellement une brigade spéciale africaine de 3000 hommes est en train de se déployer à l'Est du Congo.
Entre-temps l'armée congolaise est abandonnée à elle-même, sans volonté de la réformer: des militaires mais sans armée constituée depuis 12 ans de régime de Joseph Kabila. Il existe une armée fourre-tout pleine d'étrangers. Ces derniers détiennent même des grandes responsabilités au détriment des nationaux. Joseph Kabila n'a pas été à même d'organiser l'armée, par contre il l'a fragilisée par des stratégies incontrôlées telles que le mixage, le brassage, l'intégration, avec les différentes rébellions concoctées dans les pays voisins et ce, sous l’influence et les exigences de puissances étrangères occidentales. Il a initié sur le sol congolais des opérations militaires conjointes avec le Rwanda, l'Ouganda. Ces opérations ont joué le rôle de cheval de Troie pour les pays agresseurs puisque leurs militaires ne sont jamais rentrés chez eux et font désormais partie intégrante des Forces Armées Congolaises (FARDC") C'est le cas de Laurent Nkundabatware, de Bosco Ntaganda, etc. L'armée compte aujourd'hui plusieurs officiers militaires étrangers connus comme tels.
Depuis plus de 16 ans le Congo, surtout dans sa partie Est, vit de manière exacerbée ce que Chris Dietrich appelle "le commercialisme militaire". Selon cet auteur, lorsqu'un état soutient soit un gouvernement, soit des rebelles dans un pays voisin affaibli, en échange d'avantages matériels, des considérations d'ordre mercantile déterminent alors les décisions stratégiques et militaires, notamment le déploiement de troupes et l'endroit de leur engagement. Ces pratiques permettent d'occulter des activités illicites, plus faciles à soustraire à la vigilance internationale lorsqu'elles prennent la forme de prédation extraterritoriales, menées sous couvert d'objectifs politiques ou militaires. Comment explique-t-on que la paix n'est toujours pas venue en République Démocratique du Congo alors qu'on dispose de la plus grande, la plus budgétivore et la plus importante mission de paix au monde ? Comment la paix n'est toujours pas là après plusieurs sommets internationaux débouchant sur plusieurs résolutions ?
Indépendance monétaire? La très forte dollarisation du marché congolais est une preuve incontestable de la dépendance monétaire du pays. Tout se pense, se marchande en dollars dans beaucoup de provinces du pays, à l'exception de certaines provinces de l'ouest et de l'intérieur du pays. La monnaie congolaise ne s'impose vraiment pas ni à l'intérieur ni à l'extérieur. Entouré des neufs voisins, les provinces longeant les frontières comprennent mieux cette dépendance monétaire puisque les francs congolais ne sont pas concurrentiels dans les échanges économiques et ne pèsent pas trop dans la balance avec les monnaies des pays voisins. A certains endroits, les échanges se font mieux en monnaie étrangère que congolaise pourtant c'est l'inverse qui devrait être vrai. Psychologiquement cette situation crée une certaine frustration et une certaine humiliation à l'identité congolaise.
Indépendance économique ? L'économie congolaise dépend plus de l'extérieur, une économie trop extravertie voire sous perfusion. La production interne n'existe quasiment pas. Pour beaucoup et pour rien le pays dépend de l'extérieur. Que ce soit en termes de produits manufacturés ou autres. Les industries n'existent pas et les quelques rarissimes ne sont pas compétitives ni innovatrices. L'économie du pays vit grâce aux petites initiatives privées de survie qui ne peuvent pas développer le pays. Tous les grands produits viennent de l'extérieur avec des prix exorbitants. La politique en place n'encourage pas les rarissimes initiatives locales. Bien au contraire, lorsqu'il y en a, elles se trouvent asphyxiées par une surfacturation étouffante.
Du point de vue de la souveraineté territoriale. La dimension géopolitique et géostratégique du territoire congolais est depuis longtemps à la merci de plusieurs problèmes liés à la convoitise des ressources naturelles, à l'expansion démographique de plusieurs pays voisins, aux visées expansionnistes et hégémoniques d'une ethnie sur les autres, à l'absence d'une véritable démocratie dans la sous-région des grands lacs africains. Cela a conduit à l'occupation directe et ou indirecte de beaucoup de parties du territoire national par les pays voisins.
La RDC partage près de 10522 kms de frontières avec ses voisins dont 6195 kms de frontières naturelles et 4187 de frontières artificielles, plus la cote atlantique de 42 kms. Le Congo connaît ainsi de plus en plus de contentieux liés à l'occupation de certaines portions du territoire national par certains de ses neuf voisins. Cela a pris de l'ampleur depuis l'avènement des guerres successives. A titre illustratif, il existe des conflits latents entre la RDC et le Congo-Brazzaville autour des îles Mbamu (sur le fleuve Congo), une zone neutre occupée illégalement par Brazzaville ; entre la RDC et la Zambie autour de la bande frontalière entre les lacs Tanganyika et Moero ; entre la RDC et le Burundi qui occupe une bande de 10 kms du territoire congolais (delta de la Ruzizi) communément appelé Katumba; avec le Rwanda autour des constructions anarchiques dans la zone neutre entre Goma et Gisenyi (sans parler de l'occupation militaire du Kivu) et enfin avec l'Angola autour de la destruction des bornes frontalières par ce dernier à l'intérieur de la RDC dans le district de la Lukaya au Bas-Congo et aussi le dossier Kahemba…
Mais quel autre pays au monde accepterait que son territoire, attribut de l'Etat, soit décapité et occupé illégalement par d'autres sans le protéger ? Les réponses sont à trouver dans ce que Jean Ziegler appelle la "raison d'Etat".
En outre, le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (UNHCR) n'a jamais dit combien de réfugiés hutu rwandais et autres sont sur le sol congolais. La Direction Générale des Migrations (DGM-RDC) n'a jamais été en mesure de fixer l'opinion sur le nombre de citoyens étrangers, rwandais et autres vivant régulièrement sur le sol congolais. Quel genre de visa ont-ils ? Octroyés où et quand ? Poser ces questions ne relève pas de la xénophobie, mais les normes internationales veulent que ces questions soient claires pour tout Etat qui se veut souverain. Pourquoi passe-t-on par les étrangers pour noyauter les attributs fondamentaux du Congo?
Quoi qu'on dise, tant que ces questions resteront posées et sans réponse, la RD Congo restera théoriquement, apparemment, un pays indépendant mais son peuple croupira encore longtemps dans l'ombre de la soumission économique, politique, géostratégique, etc. Dans son testament Lumumba disait : "Mais ce que nous voulions pour notre pays, son droit à une vie honorable, à une dignité sans tache, à une indépendance sans restriction, le colonialisme belge et ses alliés occidentaux (…) ne l'ont jamais voulu. Ils ont corrompu certains de nos compatriotes, ils en ont acheté d'autres, ils ont contribué à déformer la vérité et à souiller notre indépendance. Que pourrai-je dire d'autre ? Que mort, vivant, libre ou en prison sur ordre des colonialistes, ce n'est pas ma personne qui compte. C'est le Congo, c'est notre pauvre peuple dont on a transformé l'indépendance en une cage d'où l'on nous regarde du dehors tantôt avec cette compassion bénévole, tantôt avec joie et plaisir."
La vraie indépendance et la souveraineté doivent se conquérir aujourd'hui par la population elle-même à la manière du printemps arabe. On ne libère pas un peuple mais un peuple se libère dit-on. Seul un printemps congolais doit sortir le pays de cette ambiguité et confusion politique, économique, militaire, sociale et régionale devenues chroniques. Se libérer de la honte identitaire imposée, de l'impérialisme du capitalisme et de la démocratie de façade qu'on essaie d'implanter dans la sous-région des grands-lacs africains.