mercredi 27 novembre 2019

La bonne puissance, une autre approche pour implanter une démocratie plus authentique dans les pays des Grands Lacs?

La notion de la démocratie donne faussement l’impression d’avoir gagné les esprits dans la région des grands-lacs depuis les années 90, à en croire sa propension dans les discours populaires, les rapports divers et les débats politiques. Cependant les réalités quotidiennes diverses auxquelles font face les citoyens dans cette région vont en contradiction si pas en négation des valeurs-mêmes de la démocratie : liberté, égalité, fraternité, respect des droits humains, gouvernance, distribution équitable des ressources, etc. Tout a été détruit, mis à feu et à sang au nom de la démocratie…

Plusieurs millions de dollars américains et d’euros ont été déversés dans la sous-région pour la sensibilisation aux droits humains, à la gouvernance de la chose publique, la gestion ou transformation pacifique des conflits mais les résultats sont restés jusque-là les mêmes: génocides, tueries à grande échelle, vol et détournements des biens et deniers publics, dictature, élections truquées, haine ethnique et tribale, violences sexuelles contre les femmes, démagogie, pauvreté, etc. Finalement, rien n’a changé et rien ne donne l’impression de changer d’ici demain... Les mêmes causes produisant les mêmes effets, sur base des discours politiques distillés dans les médias internationaux et nationaux et des idéologies dominantes, la région a pris les allures d’un tombeau blanchi car les réalités sociales n’ont pas trop bougé. Pourtant les citoyens en tant que tels (d’ici et de là) aspirent tous au bonheur ultime, authentique, dénudé de toute hypocrisie et de toute exclusion. Cela exige une démocratie plus authentique. Mais comment y arriver ?

Un théologien rwandais a proposé une solution qui revisite à fond l’origine du problème dans les grands lacs et puise, dans une certaine mesure, une solution dans la conscience humaine. Ce remède qui nous parait approprié, c’est ce qu’il a appelé le principe de « Bonne Puissance », qui, une fois appliqué à chaque instance de la société (individuelle, interpersonnelle et sociétale), aiderait à implanter une démocratie plus authentique dans les grands lacs africains.

Cependant, cette démarche reste à nos yeux une contribution aussi importante mais peut-être pas autosuffisante dans la recherche de solutions pérennes aux problèmes quasi radicalisés que connaît la démocratie dans la sous-région. Cette réflexion mérite d’être approfondie par d’autres contributions multidimensionnelles.

La bonne puissance qu’est-ce que c’est?

Elaboré à Leuven entre 1988 et 1990 par Laurien Ntezimana, testé et trempé dans le feu de la «décennie maudite» (1990-2000) de l’histoire des Grands Lacs, le principe de bonne puissance est un trinôme, c’est-à-dire une réalité à trois dimensions qui fonctionnent de façon intégrée. Il donne à celui qui l’incarne de rester stable, entreprenant et toujours fraternel dans le tangage et le roulis de l’histoire. Il permet d’ordonner en soi le chaos ambiant et donc de transformer le chaos extérieur par rayonnement de l’ordre intérieur.

Dimension 1 : stabilité, assurance, non-peur.

La personne venue à sa bonne puissance se sent en sécurité dans la vie, sans que cette sécurité dépende de son avoir, de son pouvoir, de son savoir ou de son valoir. Ces piliers ordinaires de la sécurité humaine lui viennent plutôt de sa profonde confiance dans la vie. Cette confiance prend sa source dans le fait qu’elle se souvient de sa véritable identité de «Single Outflow of the Universal Life - SOUL» - émanation singulière de la vie universelle ou «enfant unique de Dieu» en termes religieux. Cette mémoire active en elle son unité avec la source (re-member : redevenir membre!). Et c’est cette unité «re-connue» («connue de nouveau») comme infrangible qui devient la source ultime de sa sécurité.

Dimension 2 : énergie, force de vivre, non-résignation

La personne venue à sa bonne puissance vit toujours en possession de ses moyens, dans le moment présent. Elle a appris à activer la conscience de son corps énergétique. Ce faisant, elle s’est constituée un paratonnerre qui la protège contre les surcharges affectives. Elle sait donc se dégager du temps psychologique (passé non pardonné et futur inquiétant) et dissiper en elle le corps de souffrance. Voilà pourquoi elle ne pleure pas longtemps sur le passé, ne délire pas sur le futur, ne s’émeut pas du chant des sirènes ou du ricanement des hyènes alentour. Elle va son chemin d’être humain éveillé avec la joie comme note dominante de sa vie. La résilience est un élément naturel chez elle: elle sait en effet recadrer les échecs pour en faire des tremplins d’une vie plus épanouie.

Dimension 3 : union, accueil absolu d’autrui, non-exclusion

La personne venue à sa bonne puissance ne se reconnaît pas d’ennemi. Elle a appris à activer la fréquence vibratoire de la présence consciente qui fonctionne comme un transformateur d’énergies. Elle sait donc retourner les forces mortifères qui l’agressent en énergies vivifiantes. Voilà pourquoi elle ne voit autour d’elle ni violents ni méchants; son regard traverse les masques jusqu’à ne voir simplement que des gens qui souffrent et qui croient que pour guérir, ils doivent faire souffrir! Elle les perçoit comme des somnambules et des amnésiques qui ne font rien délibérément, mais sont plutôt vécus par des programmes automatiques issus de l’histoire personnelle et collective dont ils demeurent prisonniers («Pardonne-leur, Père, car ils ne savent pas ce qu’ils font!»). Aussi commence-t-elle toujours par le respect. Ses relations sont empreintes de compassion, c’est-à-dire d’empathie et d’éveil à la grandeur divine de l’humain.


La bonne puissance, à quoi ça sert?

La bonne puissance sert à vivre délibérément sa vie et à rendre les gens à eux-mêmes. Elle sert donc à engendrer la vie, à nourrir la vie, à soigner la vie, à protéger la vie quand elle est menacée, à re-susciter la vie et à la ré-épanouir quand elle a été malmenée. L’humain venu à sa bonne puissance ne connaît plus la logique de la guerre: il ne lutte plus, il danse la vie, même et surtout au cœur des génocides et de leurs traînées mortifères.


Comment arrive-t-on à la bonne puissance ?

La bonne puissance s’acquiert par la «théopraxie» (entendez la théorie et la pratique) de l’être humain à l’endroit. Celle-ci consiste à «se récapituler» (= retrouver la tête et le Nord), démarche également appelée «développement vertical» et qui s’accomplit en deux temps trois mouvements :
Temps 1, mouvement 1 : jeûner de l’avoir-pouvoir-savoir-valoir par un travail sur les quatre plans fondamentaux de l’être humain - les plans physique, émotionnel, mental et spirituel - pour développer la sobriété, la bienveillance, l’objectivité et la dignité.
Temps 1, mouvement 2 : prier à l’endroit pour obtenir la connexion à l’être et non plus prier à l’envers pour obtenir avoir-pouvoir-savoir-valoir, ceux-ci ne devant plus être des buts en soi mais des corollaires de la connexion à l’être (voir la prière de Salomon en 2 Chroniques 1, 10-12).
Le temps 1 est accompli lorsque la personne, vivant à partir de son être essentiel, arrive à «ne pas se cabrer devant le méchant» (Mt 5, 39 ss), ne pas fuir le lieu du témoignage, rechercher et affirmer la vérité, accepter la souffrance liée à ce mode de vie et d’intervention dans les affaires humaines. Elle est alors à pied d’œuvre pour passer au temps suivant.
Temps 2, mouvement 3 : réconcilier les humains que divise leur inversion vers l’avoir-pouvoir-savoir-valoir et cela en quatre moments, à savoir : distinguer le mal du malfaiteur, passer outre l’acte injuste sans se soumettre à l’injustice, contribuer à payer la facture de ce que cassent ceux «qui ne savent ce qu’ils font» au lieu d’éprouver du plaisir et du soulagement à les faire payer, éduquer «ces enfants» et ramener «ces fous» à la raison grâce à «la méthodologie de troisième niveau (1)


Comment fonctionne la bonne puissance au jour le jour?

La personne qui a développé sa bonne puissance se lève tôt. Elle commence sa journée par une routine inventée par elle-même pour activer ses quatre plans. Elle passe ensuite ses journées à prendre ses occupations professionnelles comme «pré-textes» pour goûter la vie et répandre le goût de la vie autour d’elle, quel que soit le contexte.


Comment user de la bonne puissance pour bâtir la cité ?

Les personnes venues à leur bonne puissance sont toujours occupées à entraîner les humains à mettre hors-jeu la violence pour « euclure (2) » leurs inévitables conflits. Elles ont définitivement remplacé la logique de la concurrence, de la compétition et de la guerre par celle de la synergie, de la création et de la danse.
Elles créent des groupes d’entraînement à la bonne puissance (GEBP) pour se multiplier (clé de la fécondité). Ces groupes fonctionnent comme des groupes supports de développement vertical (GSDV) pour leurs membres et comme des noyaux générateurs d'éveil et d'efficacité (NGEE) pour leur environnement. C’est la multiplication des GEBP qui finit par créer dans la société une masse critique de gens éveillés. Cette masse critique (racine carrée de 1% (3)) pousse alors toute la société à s’éveiller progressivement de ses cauchemars et à aborder de nouvelles rives de la vie, des rives plus riantes et plus luxuriantes.


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(1) Qui consiste à amener une masse critique au niveau de conscience dit «de l’individu individualisé».
(2) «Euclure un conflit» est un néologisme inventé par Laurien Ntezimana pour désigner l’action de jouer de la normativité du conflit («naturel, normal, neutre et normatif») pour lui faire accoucher de règles qui protègent et promeuvent la paix. «Euclure un conflit», c’est donc «mettre un terme» (-clure) «heureux» (eu-) à un conflit. 

(3) D’après Gregg Braden dans "La guérison spontanée des croyances. L’éclatement du paradigme des fausses limites", éditions Ariane, 2009. Pour Laurien Ntezimana la masse critique est la quantité de sel qu’il faut pour saler un plat!