Les calculs actuels de la majorité présidentielle Congolaise de vouloir réviser ou mieux de changer la Constitution ressemble à un jeu d’enfants. C’est en fait le jeu au bord du lac. L’intelligence et la beauté de ce jeu réside dans la capacité de celui qui le conduit à éliminer les uns et les autres en les renvoyant -par leur inadvertance aux consignes- dans le lac ou au bord quand il ne le faut pas, jusqu’à avoir un gagnant qui sait exactement agir avec attention en fonction des manipulations de la formule "dans le lac, au bord". Ça fait la danse mais aussi l’enfer.
Au moment où tous les congolais veulent rester au bord du lac pour protéger le processus démocratique chèrement acquis, la majorité présidentielle veut absolument jeter tout le monde dans le lac à travers la concoction d’une révision constitutionnelle qui défraie la chronique aujourd’hui en République Démocratique du Congo. Pour le régime Kabila c’est un pas de danse qu’il faut faire pour continuer à jouir des prestiges du pouvoir mais pour le peuple c’est l’enfer. Comme qui dit que qui a bu boira !
Une révision anticonstitutionnelle ?
Non, la Constitution elle-même prévoit sa propre révision et il faut bien le reconnaître. Son article 218 dispose que : "l’initiative de la révision constitutionnelle appartient concurremment au Président de la République; au Gouvernement après délibération en Conseil des ministres; à chacune des Chambres du Parlement à l’initiative de la moitié de ses membres; à une fraction du peuple congolais, en l’occurrence 100.000 personnes, s’exprimant par une pétition adressée à l’une des deux Chambres. Chacune de ces initiatives est soumise à l’Assemblée nationale et au Sénat qui décident, à la majorité absolue de chaque Chambre, du bien-fondé du projet, de la proposition ou de la pétition de révision. La révision n’est définitive que si le projet, la proposition ou la pétition est approuvée par référendum. Toutefois, ajoute l’article, le projet, la proposition ou la pétition n’est pas soumis au référendum lorsque l’Assemblée nationale et le Sénat réunis en Congrès l’approuvent à la majorité des trois cinquième des membres les composant."Seulement, ce qui fait tiquer c’est l’intention des acteurs et le moment choisi. A 24 mois de la fin du 2e mandat constitutionnel du président Kabila. Au Congo, une fois devient toujours coutume et dans la maison d’un pendu il ne faut jamais y montrer la corde. De 1960 jusqu'à 2011, date de la dernière révision, notre pays a connu, près de dix textes constitutionnels. On peut citer: la loi fondamentale du 19 mai 1960, la Constitution du 1er août 1964 dite Constitution de Luluabourg, la Constitution du 24 juin 1967 dite Constitution révolutionnaire révisée en juillet 1990, l’Acte constitutionnel de la Transition du 9 avril 1994, le Projet de Constitution de la 3e République élaboré par la Conférence Nationale Souveraine, le Décret-Loi constitutionnel n°003 du 27 mai 1997, la Constitution de la Transition du 9 avril 2003, la Constitution de la 3e République de 2006 révisée en février 2011.
Tous ces changements n’ont fait que défaire la démocratie, jusqu’à maintenir le pays dans un sous-développement criant sur tous les plans de la vie nationale. Le pays a connu une des plus longues dictatures du continent africain avec feu le Maréchal Mobutu. Curieusement, le schéma Mobutu semble être emprunté par le régime actuel. Seulement c’est anachronique et très hasardeux voire risqué pour le pays et ceux qui veulent mener vers ce pas-là. Six millions de morts injustes c’est assez pour ne pas l’oublier. Le pays est toujours sous menace des groupes armés et forces négatives. Une goutte d’eau de trop peut faire déborder la colère et la patience des congolais et conduire ainsi à un chaos fatal dont on ne se relèvera plus. La question est, à qui cela peut-il bien profiter? Aux partisans de la partition? A ceux qui vivent des désordres et de la faiblesse de l’Etat congolais? A ceux qui pillent systématiquement les ressources naturelles du pays et financent alors les rébellions?
En février 2011, le régime en place avait initié de manière cavalière une révision constitutionnelle qui a affecté sensiblement la marche vers la démocratie en réduisant désormais l’élection présidentielle en un seul tour et en assujettissant l’indépendance de la magistrature. Désormais les parquets dépendent du Ministère de la Justice. Ceci laisse entrevoir le problème de la manipulation de la Cour Constitutionnelle lors des élections présidentielles. Avec en toile d’illustration le cas de la Côte d’Ivoire avec Laurent Bagbo et Alassane Ouatara, la position de la cour constitutionnelle après élections.
Bien que la révision soit légale et une nécessité, pour le bien de la démocratie et de la paix au niveau national et même sous régional, elle n’est pas la bienvenue dans cet objectif de pérennisation au pouvoir. Les circonstances actuelles ne sont pas favorables à une révision constitutionnelle tant que le peuple ne fait pas confiance à la classe politique congolaise: non républicaine, corrompue et illégitime en partie.
Par ailleurs, pour qu’il y ait stabilité dans la région, les présidents actuels doivent accepter de quitter le pouvoir (Burundi, Ouganda, Rwanda, RDC, Congo-Brazza, Angola, etc.). Les députés burundais ont
fait preuves d’une grande maturité politique et d’un grand républicanisme en rejetant la révision constitutionnelle proposée par le régime de Bujumbura. Les autres députés ailleurs, seront-ils à même s’affranchir devant la corruption, l’achat des consciences et les intimidations des pouvoirs en place?
Une révision pourquoi faire ?
Dans les pays civilisés, la Constitution se présente comme une œuvre durable destinée à braver le temps. Ainsi sa protection est toujours la règle et sa révision une exception. Donc la décision de réviser, d’abroger une Constitution est un événement exceptionnel. Mais il faut admettre que la Constitution ne résiste pas indéfiniment à l’évolution de la société nous dit Philippe Ardant. Toute révision doit être poussée par la volonté de faire avancer la démocratie sans l’offusquer et de l’adapter objectivement au contexte. En Afrique, la logique est plutôt paradoxale, les révisions constitutionnelles imposent un recul dans le processus démocratique en installant des régimes autocratiques qui étouffent le principe de l’alternance au pouvoir et de la circulation des élites.En RD Congo, ça sera un recul de 30 ans si la démarche de la majorité présidentielle aboutissait. Réviser la constitution en ses modes de scrutins signifie commencer la 4e république. Ce qui donne à Joseph Kabila la possibilité de remettre le compteur à zéro et briguer encore deux voire trois nouveaux mandats.
Une stratégie dans une autre ?
Les choses se suivent et se ressemblent. Il y a quelque peu, Evariste Boshab, un cacique du pouvoir publiait un livre intitulé "De la révision constitutionnelle ou de l’inanition de la nation congolaise". Avec cette publication, en tant que secrétaire du parti présidentiel, il jetait le pavé dans la marre et annonçait les couleurs. La messe noire du 20 mars 2014 dans la ferme présidentielle de Kingakati n’a pas retiré de la circulation la pétition pour un changement (différent de la révision) de la Constitution initiée par Claude Mashala de la majorité présidentielle.En logique, il existe une règle selon laquelle en niant une chose on l’affirme. La politique congolaise s’adapte bien à la règle. Nier publiquement une chose en l’affirmant dans les actes? Napoléon ne disait-il pas que le mensonge n’est un mal que quand il nuit, c’est une vertu quand il rend service? Lorsque Lambert Mende, porte-parole du gouvernement congolais et Aubin Minaku, président de l’Assemblée national et secrétaire de la majorité présidentielle affirment que Kabila respectera la Constitution et ne briguera pas un 3e mandat, sont-ils en train de mentir, de le trahir ou c’est une simple fuite en avant? A notre sens, non. Sauf que pour mieux comprendre, il faut les mettre en lien avec la démarche de leur camarade, Claude Mashala qui a conçu un artifice, une renardière pour le changement de la Constitution. Ainsi, à en croire les discours officiels de Mende et Minaku, le président Joseph Kabila n’aurait pas voulu briguer un 3e mandat mais c’est le peuple qui le lui a demandé à travers la pétition de Mashala. C’est du déjà-vu. Moise Katumbi, gouverneur du Katanga face aux pépins qu’il avait eus avec sa famille politique, le PPRD, annonçait qu’il ne voulait plus être gouverneur mais entre-temps il envoyait des gens manifester en réclamant qu’ils ne voulaient que de lui comme gouverneur.
Le gouvernement de cohésion nationale ou mieux de collision nationale, le noyautage de l’opposition politique, la volonté d’organiser les élections au mode de scrutin indirect sont des traquenards qu’utilise le régime Kabila pour se pérenniser au pouvoir.
Qui sait ? Peut-être les ingrédients pour le printemps congolais seront bientôt réunis. La société civile ainsi que toutes les forces vives, l’Eglise catholique et les autres confessions religieuses doivent être à l’avant garde pour dire non à un éventuel coup d’Etat constitutionnel. Un pas de danse, un pas dans l’enfer, trop de mouvements il faut tirer attention.
Quoi qu’il en soit, bien que cela paraisse comme un vœu pieux, la phrase de Barack Obama devrait être un principe fondamental pour l’envol de la démocratie en Afrique. "L’Afrique n’a pas besoin des hommes forts mais des institutions fortes". Jusqu’à quand les Constitutions africaines resteront-elles encore des œuvres de circonstances et des instruments de liquidation de la démocratie au lieu d’être des véritables piliers de construction de la république ?