vendredi 6 novembre 2020

Etat de droit en RDC : Mythe, fantasme ou réalité ?

Saint Augustin disait que le pouvoir doit être fondé sur la justice: « Sans justice, qu’est-ce qu’un roi ? Sinon un bandit couvert de gloire. Qu’est-ce qu’un royaume ? Sinon une caverne de voleurs. » 

De plus en plus, en RD Congo, les hommes politiques, les médias, ainsi que certains partisans forcent le peuple congolais à intégrer le jargon « Etat de droit » dans tous leurs discours même si le terme n’a pas encore un contenu convainquant. Est-ce une propagande politique, un fantasme ou une réalité en voie de construction ?

Certes, l’état de droit reste la sublime aspiration du peuple congolais mais comment, par qui et quand y arrivera-t-il réellement ? Est-il déjà là ou doit-on encore attendre ?

Doit-on se rappeler que depuis la deuxième république, chaque régime a eu ses slogans féeriques pour hypnotiser, emballer et « violer (1) » la foule dans des refrains souvent vides de tout sens pratique et réel. Et bien souvent, le peuple s’est fait avoir…

Tenez ! Sous le régime de Mobutu Sese Seko Kuku Ngbendo Wa zabanga, que n’avons-nous pas entendu : « Plus rien ne sera comme avant… ». Mais, que cela signifiait-il concrètement dans la vie des zaïrois de l’époque sinon beaucoup et rien à la fois ? C’est ainsi qu’une partie importante des congolais qui avaient connu l’époque coloniale devenaient de plus en plus malheureusement nostalgique de cette époque pourtant reconnue sous certains égards comme indigne. En effet, avec la zaïrianisation, plus rien n’était comme avant, ça devenait même pire peut être.

Sous Mzee Laurent Désiré Kabila, nous avions entendu « Ne jamais trahir le Congo », « Le Congo va surprendre le monde »…Comment et quand ? Il est mort sans trahir le Congo certes mais rien pour surprendre le monde à part des guerres interminables, les viols et violences sexuelles contre les femmes. Les mauvaises langues sont allées jusqu’à dire que la RD Congo devenait la capitale mondiale du viol…

Sous Joseph Kabila, on nous a bourré les têtes de slogans tels que les « cinq chantiers » caricaturés par la suite comme les « cinq chansons », « Le Congo sera une puissance au cœur de l’Afrique », « La révolution de la modernité », et que sais-je encore ?  Tout n’a été que du vent, du faux-vrai ou du vrai-faux ! Naïvement beaucoup de congolais ont sans réserve cru à tous ces refrains propagandistes, ces mensonges et somnifères publics dont se sont repus nombre de politiciens (ou mieux de politi-« chiens »).

Aujourd’hui avec l’avènement de Félix Tshisekedi, on chante « le peuple d’abord » et « l’Etat de droit… ». Cet état de droit tant chanté par les militants de l’UDPS ainsi que leurs courtisans a pour devise: « Le peuple d’abord ». L’on demande au peuple de s’en réjouir et d’acclamer la tête courbée.

La question qui se pose est : sommes-nous réellement entrés dans cette ère-là de l’état de droit ou bien sommes-nous seulement en transition d’un souhait ardent qui gage vers sa matérialisation ? Si oui, quels en sont les indices irréfutables et opposables à tous ? Et dans le cas du probable, ces indices sont-ils alors conformes aux critères standards reconnus mondialement à un état de droit ?

On peut tromper une partie du peuple une fois, deux fois mais pas tout le peuple tous les jours. Il faut passer de la promesse à la réalisation. Pour ce faire, il y a nécessité de rompre radicalement avec la culture du mensonge public, la démagogie devenue un des modes privilégiés de la conquête et de la conservation du pouvoir. C’est malheureusement éphémère et à long terme, cela devient une raison de désaveu public par un peuple désabusé. Les anglais disent : « easy come, easy go » et à André-Gide d’écrire « mentez, mentez il en restera quelque chose ».

Le dictionnaire Larousse (2) de poche 2011 définit le mythe, à la fois comme un récit mettant en scène (…) des actions imaginaires, des fantasmes collectifs, aussi comme une allégorie philosophique, une construction de l’esprit dénudée de réalité. Et enfin comme une représentation symbolique.

Théoriquement c’est quoi alors un Etat de droit ?

Sans vouloir entrer dans les débats d’écoles, sommairement, l’Etat de droit est un concept juridique et politique qui implique la prééminence du droit sur le pouvoir politique dans un Etat, ainsi que l’obéissance de tous, gouvernants et gouvernés, à la loi. Il désigne aussi un système institutionnel dans lequel la puissance publique est soumise au droit. Pour Aristote par exemple, un Etat constitutionnel qu’il appelait « Politeia » avait pour condition que la loi prime sur la volonté individuelle d’un souverain et que les agents de l’Etat, les magistrats se plient aux lois.

Parmi les conditions universelles d’un Etat de droit il y a le respect de la hiérarchie des normes : l’égalité devant le droit, la non rétroaction des lois et l’indépendance de la justice. Cela dit, nous devrions distinguer « l’Etat de droit » et « l’état de droit ». Dans le premier, « l’Etat de droit » le législateur ne connait pas d’autorité qui lui soit supérieure et dans « l’état de droit » la loi votée par le législateur, peut être déclarée inconstitutionnelle par la Cour qui s’appuie sur un certain nombre de principes. C’est dans ce cadre que pour la première et l’unique fois dans l’histoire de la RD Congo, Zaïre à l’époque, on a vu la Cour suprême de justice dans sa section administrative en audience publique du 8 janvier 1993 annuler l’Ordonnance présidentielle n°86-086 du 12 mars 1986 qui abrogeait l’Ordonnance n°124 du 30 avril 1980 accordant la personnalité civile à l’association des témoins de Jéhovah.

Mais aujourd’hui, dans un pays où l’on dénonce la forte politisation des institutions ainsi que de l’administration publiques, la question de l’indépendance des fonctionnaires à la Cour constitutionnelle se pose avec acuité. Un pays où le clientélisme, le népotisme, le tribalisme et l’appartenance au parti au pouvoir font partie des critères de promotions et de nominations politiques voire dans la fonction publique. Cette appartenance politique dicte même les actes et procédures judiciaires à l’égard des justiciables...

Alors, lorsqu’on clame l’Etat des droits s’agit-il de l’Etat de droits avec un D majuscule qui renvoie justement au droit objectif ou des droits avec un d minuscule c’est-à-dire des droits subjectifs entendus comme une prérogative individuelle accordée aux personnes par le Droit tels les droits de propriété ou le droit au respect à la vie privée, etc.

C’est un bon débat de juristes, mais qu’il s’agisse des droits avec un D majuscule ou des droits avec un d minuscule, tout devrait se retrouver dans cet Etat de droits.

Cependant la question de l’Etat de droits soulève ipso facto une autre question, celle de la souveraineté c’est-à-dire celle d’un Etat qui, sur le plan intérieur et extérieur, impose ses choix et ses volontés. Autrement dit, seul l’Etat détient le pouvoir politique et l’impose aussi bien sur les nationaux que sur les étrangers. En aucune manière il n’est la marionnette ou l’outil de manipulation des puissances étrangères, qu’elles soient étatiques ou institutionnelles.

En RD Congo, avons-nous tous, gouvernants et gouvernés, le même entendement de l’Etat de droits sur le plan théorique et sur le plan pratique ? Ce n’est pas si vrai que cela. Apparemment la tendance est plutôt réductiviste. L’Etat de droit veut s’entendre seulement dans les aspects judiciaires, avec le procès de cent (100) jours par exemple, encore que dans ce procès il y a eu beaucoup de dimensions qui ont péché contre les principes sacro saints de l’Etat de droit. Et même là, si les principes d’un Etat de droits étaient appliqués dans leur stricte rigueur beaucoup de gens impliqués dans ce dossier des maisons préfabriquées devraient se retrouver en prison. Toute la chaîne des dépenses par exemple ne saurait être exemptée des sanctions pénales mais tout à sembler à une sorte de méli-mélo politico-judiciaire qui a consacré le deux poids deux mesures.

Un Etat de droits s’applique et se vit dans tous les secteurs de la vie nationale. Tout le monde est soumis aux mêmes lois dans tous les secteurs sans exception aucune.

Aujourd’hui, le Congo est rongé par plusieurs conflits inter institutionnels, des conflits latents entre différentes forces politiques (CACH, FCC, LAMUKA) qui cherchent à s’entre-neutraliser et cela impacte sensiblement le fonctionnement de la république et la vie du citoyen congolais. Cette situation rappelle bien celle vécue au lendemain de l’indépendance où les animateurs des institutions de la république se sont entre neutralisés. Le président de la république Joseph Kasavubu a révoqué le Premier ministre Patrice Lumumba, celui-ci a révoqué à son tour le président ; s’ensuivirent les insurrections par-ci par-là sur toute l’étendue du territoire national. Aujourd’hui les institutions de la république sont prises en otage par des partis politiques qui veulent bien les utiliser pour nuire aux autres partis politiques sans se soucier du sort de la population. La Présidence de la république est gérée par la coalition Camps pour le changement (CACH) composé essentiellement par l’UDPS de Félix Tshisekedi et l’UNC de Vital Kamerhe. Tous opposants hier. Le Sénat ainsi que l’Assemblée nationale eux sont gérés par le Front commun pour le Congo (FCC) de l’ancien président Joseph Kabila, c’est-à-dire l’ancien régime qui a géré le pays dix-huit ans durant et qui n’accepterait pour rien au monde que son opposant d’hier puisse réussir là où lui a échoué. Le gouvernement central est majoritairement animé par les gens du FCC ce qui rend difficile l’action du Président de la république

Actuellement les armées de presque tous les pays frontaliers occupent une partie du territoire national, certaines y ont parfois hissé des drapeaux non-congolais : la Zambie, le Soudan, l’Angola, l’Ouganda, le Rwanda... Des velléités et discours indépendantistes émergent tacitement à travers le pays. Les populations se trouvant dans ces coins occupés n’ont-elles pas les mêmes droits que d’autres en termes de protection, de sécurité, de droit à la vie, droits d’aller et venir sur le territoire national, etc. Dans une telle situation que pourrait signifier la notion d’Etat de droits pour les citoyens soumis au diktat des étrangers ?

Notre Etat de droit congolais risque d’être à géométrie variable ! Le contexte socio-politique, juridique et économique actuel s’y apprêtent pour le meilleur et pour le pire. Les défis que connaissent les différents secteurs de la vie, les conflits inter institutionnels et leur mode de gestion semblent contredire tous les discours jusque-là galvanisés autour de l’Etat de droit.

A qui et à quoi croire ? Au discours ou à la réalité vécue ? Wait and see disent les anglais.

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(1) Terme utilisé par Maurice Duverger pour signifier le but de la propagande politique.
(2) Larousse de poche2011, Edition GCP Média, Paris 2010, Page 538