Saint Augustin disait que le pouvoir doit être fondé sur la justice: « Sans justice, qu’est-ce qu’un roi ? Sinon un bandit couvert de gloire. Qu’est-ce qu’un royaume ? Sinon une caverne de voleurs. »
De plus en plus, en RD Congo, les hommes politiques, les médias, ainsi que certains partisans
forcent le peuple congolais à intégrer le jargon « Etat de droit »
dans tous leurs discours même si le terme n’a pas encore un contenu
convainquant. Est-ce une propagande politique, un fantasme ou une réalité en
voie de construction ?
Certes, l’état
de droit reste la sublime aspiration du peuple congolais mais comment, par qui et
quand y arrivera-t-il réellement ? Est-il déjà là ou doit-on encore attendre ?
Doit-on se
rappeler que depuis la deuxième république, chaque régime a eu ses slogans féeriques
pour hypnotiser, emballer et « violer (1) »
la foule dans des refrains souvent vides de tout sens pratique et réel. Et bien souvent, le peuple s’est fait avoir…
Tenez ! Sous le régime de Mobutu Sese Seko Kuku Ngbendo Wa zabanga, que n’avons-nous
pas entendu : « Plus rien ne
sera comme avant… ». Mais, que cela signifiait-il concrètement dans la
vie des zaïrois de l’époque sinon beaucoup et rien à la fois ? C’est ainsi
qu’une partie importante des congolais qui avaient connu l’époque coloniale
devenaient de plus en plus malheureusement nostalgique de cette époque pourtant
reconnue sous certains égards comme indigne. En effet, avec la zaïrianisation,
plus rien n’était comme avant, ça devenait même pire peut être.
Sous Mzee Laurent Désiré Kabila, nous avions entendu « Ne
jamais trahir le Congo », « Le
Congo va surprendre le monde »…Comment et quand ? Il est mort sans
trahir le Congo certes mais rien pour surprendre le monde à part des guerres
interminables, les viols et violences sexuelles contre les femmes. Les
mauvaises langues sont allées jusqu’à dire que la RD Congo devenait la capitale
mondiale du viol…
Sous Joseph Kabila, on nous a bourré les têtes de slogans
tels que les « cinq chantiers »
caricaturés par la suite comme les « cinq
chansons », « Le Congo
sera une puissance au cœur de l’Afrique », « La révolution de la modernité », et
que sais-je encore ? Tout n’a été
que du vent, du faux-vrai ou du vrai-faux ! Naïvement beaucoup de congolais
ont sans réserve cru à tous ces refrains propagandistes, ces mensonges et
somnifères publics dont se sont repus nombre de politiciens (ou mieux de
politi-« chiens »).
Aujourd’hui avec l’avènement de Félix Tshisekedi, on chante « le peuple d’abord » et « l’Etat de droit… ». Cet état de droit tant chanté par les militants de l’UDPS ainsi que leurs courtisans a pour devise: « Le peuple d’abord ». L’on demande au peuple de s’en réjouir et d’acclamer la tête courbée.
La question qui
se pose est : sommes-nous réellement entrés dans cette ère-là de l’état de
droit ou bien sommes-nous seulement en transition d’un souhait ardent qui gage vers
sa matérialisation ? Si oui, quels en sont les indices
irréfutables et opposables à tous ? Et dans le cas du probable, ces
indices sont-ils alors conformes aux critères standards reconnus mondialement à
un état de droit ?
On peut tromper
une partie du peuple une fois, deux fois mais pas tout le peuple tous les
jours. Il faut passer de la promesse à la réalisation. Pour ce faire, il y a
nécessité de rompre radicalement avec la culture du mensonge public, la
démagogie devenue un des modes privilégiés de la conquête et de la conservation
du pouvoir. C’est malheureusement éphémère et à long terme, cela devient une raison
de désaveu public par un peuple désabusé. Les anglais disent : « easy come, easy go » et à André-Gide
d’écrire « mentez, mentez il en restera
quelque chose
Le dictionnaire
Larousse (2) de poche 2011 définit le mythe, à la fois comme un récit mettant en scène (…)
des actions imaginaires, des fantasmes collectifs, aussi comme une allégorie
philosophique, une construction de l’esprit dénudée de réalité. Et enfin comme
une représentation symbolique.
Théoriquement c’est quoi alors un Etat de droit ?
Sans vouloir
entrer dans les débats d’écoles, sommairement, l’Etat de droit est un concept
juridique et politique qui implique la prééminence du droit sur le pouvoir
politique dans un Etat, ainsi que l’obéissance de tous, gouvernants et
gouvernés, à la loi. Il désigne aussi un système institutionnel dans lequel la
puissance publique est soumise au droit. Pour Aristote par exemple, un Etat
constitutionnel qu’il appelait « Politeia » avait pour condition que
la loi prime sur la volonté individuelle d’un souverain et que les agents de
l’Etat, les magistrats se plient aux lois.
Parmi les
conditions universelles d’un Etat de droit il y a le respect de la hiérarchie
des normes : l’égalité devant le droit, la non rétroaction des lois et
l’indépendance de la justice. Cela dit, nous devrions distinguer « l’Etat
de droit » et « l’état de droit ». Dans le premier,
« l’Etat de droit » le législateur ne connait pas d’autorité qui lui
soit supérieure et dans « l’état de droit » la loi votée par le
législateur, peut être déclarée inconstitutionnelle par la Cour qui s’appuie
sur un certain nombre de principes. C’est dans ce cadre que pour la première
et l’unique fois dans l’histoire de la RD Congo, Zaïre à l’époque, on a vu la
Cour suprême de justice dans sa section administrative en audience publique du 8 janvier 1993 annuler l’Ordonnance présidentielle n°86-086 du 12 mars 1986
qui abrogeait l’Ordonnance n°124 du 30 avril 1980 accordant la personnalité
civile à l’association des témoins de Jéhovah.
Mais aujourd’hui, dans un pays où l’on dénonce la forte politisation des institutions ainsi que de l’administration publiques, la question de l’indépendance des fonctionnaires à la Cour constitutionnelle se pose avec acuité. Un pays où le clientélisme, le népotisme, le tribalisme et l’appartenance au parti au pouvoir font partie des critères de promotions et de nominations politiques voire dans la fonction publique. Cette appartenance politique dicte même les actes et procédures judiciaires à l’égard des justiciables...
Alors, lorsqu’on
clame l’Etat des droits s’agit-il de l’Etat de droits avec un D majuscule qui
renvoie justement au droit objectif ou des droits avec un d minuscule
c’est-à-dire des droits subjectifs entendus comme une prérogative individuelle
accordée aux personnes par le Droit tels les droits de propriété ou le droit au
respect à la vie privée, etc.
C’est un bon
débat de juristes, mais qu’il s’agisse des droits avec un D majuscule ou des
droits avec un d minuscule, tout devrait se retrouver dans cet Etat de droits.
Cependant la
question de l’Etat de droits soulève ipso facto une autre question, celle de la
souveraineté c’est-à-dire celle d’un Etat qui, sur le plan intérieur et
extérieur, impose ses choix et ses volontés. Autrement dit, seul l’Etat détient
le pouvoir politique et l’impose aussi bien sur les nationaux que sur les
étrangers. En aucune manière il n’est la marionnette ou l’outil de manipulation
des puissances étrangères, qu’elles soient étatiques ou institutionnelles.
En RD Congo,
avons-nous tous, gouvernants et gouvernés, le même entendement de l’Etat de
droits sur le plan théorique et sur le plan pratique ? Ce n’est pas si
vrai que cela. Apparemment la tendance est plutôt réductiviste. L’Etat de droit
veut s’entendre seulement dans les aspects judiciaires, avec le procès de cent
(100) jours par exemple, encore que dans ce procès il y a eu beaucoup de
dimensions qui ont péché contre les principes sacro saints de l’Etat de droit.
Et même là, si les principes d’un Etat de droits étaient appliqués dans leur
stricte rigueur beaucoup de gens impliqués dans ce dossier des maisons
préfabriquées devraient se retrouver en prison. Toute la chaîne des dépenses
par exemple ne saurait être exemptée des sanctions pénales mais tout à sembler
à une sorte de méli-mélo politico-judiciaire qui a consacré le deux poids deux
mesures.
Un Etat de
droits s’applique et se vit dans tous les secteurs de la vie nationale. Tout le
monde est soumis aux mêmes lois dans tous les secteurs sans exception aucune.
Aujourd’hui, le
Congo est rongé par plusieurs conflits inter institutionnels, des conflits
latents entre différentes forces politiques (CACH, FCC, LAMUKA) qui cherchent à
s’entre-neutraliser et cela impacte sensiblement le fonctionnement de la
république et la vie du citoyen congolais. Cette situation rappelle bien celle
vécue au lendemain de l’indépendance où les animateurs des institutions de la
république se sont entre neutralisés. Le président de la république Joseph
Kasavubu a révoqué le Premier ministre Patrice Lumumba, celui-ci a révoqué à
son tour le président ; s’ensuivirent les insurrections par-ci par-là sur
toute l’étendue du territoire national. Aujourd’hui les institutions de la
république sont prises en otage par des partis politiques qui veulent bien les
utiliser pour nuire aux autres partis politiques sans se soucier du sort de la
population. La Présidence de la république est gérée par la coalition Camps
pour le changement (CACH) composé essentiellement par l’UDPS de Félix
Tshisekedi et l’UNC de Vital Kamerhe. Tous opposants hier. Le Sénat ainsi que
l’Assemblée nationale eux sont gérés par le Front commun pour le Congo (FCC) de
l’ancien président Joseph Kabila, c’est-à-dire l’ancien régime qui a géré le
pays dix-huit ans durant et qui n’accepterait pour rien au monde que son
opposant d’hier puisse réussir là où lui a échoué. Le gouvernement central est
majoritairement animé par les gens du FCC ce qui rend difficile l’action du Président
de la république
Actuellement
les armées de presque tous les pays frontaliers occupent une partie du
territoire national, certaines y ont parfois hissé des drapeaux non-congolais
: la Zambie, le Soudan, l’Angola, l’Ouganda, le Rwanda... Des velléités et
discours indépendantistes émergent tacitement à travers le pays. Les
populations se trouvant dans ces coins occupés n’ont-elles pas les mêmes droits
que d’autres en termes de protection, de sécurité, de droit à la vie,
droits d’aller et venir sur le territoire national, etc. Dans une telle situation
que pourrait signifier la notion d’Etat de droits pour les citoyens soumis au diktat
des étrangers ?
Notre Etat
de droit congolais risque d’être à géométrie variable ! Le contexte socio-politique, juridique et économique actuel s’y apprêtent pour le meilleur et
pour le pire. Les défis que connaissent les différents secteurs de la vie, les
conflits inter institutionnels et leur mode de gestion semblent contredire tous
les discours jusque-là galvanisés autour de l’Etat de droit.
A qui et à
quoi croire ? Au discours ou à la réalité vécue ? Wait and see disent
les anglais.
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(1) Terme utilisé par Maurice Duverger pour signifier le but de la
propagande politique.
(2) Larousse de poche2011, Edition GCP Média, Paris 2010, Page 538