mardi 19 avril 2022

Grands Lacs africains, intégration régionale : une stratégie de développement socio-économique ou une facette du rapport dominant-dominé?

Aperçu

« Pour le sociologue Pierre Bourdieu, la prise en compte de la dimension symbolique de la réalité sociale est nécessaire pour comprendre les modes de domination et pour y déceler les formes de 'violence symbolique' qui produisent, chez le dominé, l'adhésion à l'ordre dominant. Cette adhésion est typiquement définie par un double processus de reconnaissance de la légitimité de l'ordre dominant et de méconnaissance des mécanismes qui font de cet ordre un mode de domination. La sociologie de Pierre Bourdieu(1) se présente parfois comme une sorte de 'socio-analyse', équivalent social de la prise de conscience ou de l'objectivation de rapports de force cachés ou refoulés.»

A la lumière de cette pensée de Pierre Bourdieu, l’intégration régionale pour les Grands Lacs ne risquerait-t-elle pas de servir de lit à ce processus de reconnaissance par les dominés de la légitimité de la domination pour se retrouver dans ce concept évoqué de « violence symbolique » ou, a contrario, par effet inattendu, occasionner à la longue une frustration susceptible d’alimenter l’agressivité sous l’une ou l’autre forme?  Voyons voir !

Intégration régionale: de quoi parle-on?

Après la guerre mondiale, l’avis des idéologues sur l’approche « d’intégration régionale » était que la coopération économique serait au final un gage de stabilité, donc de sécurité pour les états qui se seraient initialement fait la guerre… Ici, faisant valoir soit des alliances dont la finalité première serait de garantir la sécurité collective des membres qui se donnent pour but la recherche d’une union économique soit que, d’autre part, des unions contractées sur la base de la coopération économique tendent à une intégration politico-militaire(2). Du coup, nous pouvons réaliser que, de par le monde, ce double privilège aurait inévitablement milité à la concrétisation d’ensembles sous-régionaux appelés à travailler à leur revitalisation et à soutenir la mise en œuvre d’objectifs communs de développement économique.

Faisant l’apologie de l’intégration régionale, pour Pathé Mbodje(3) «l’appui à la recherche de la paix dans les zones encore en conflit en Afrique démontre que, de l’Ouganda au Mali, les conflits retardent la coopération transfrontalière en Afrique et accentuent non seulement la faiblesse du commerce intra-africain, mais aussi la coopération décentralisée, base de la démocratie.»
C’est fort de la sommation de toutes ces pensées qu’ont finalement vu jour dans les quatre coins de la planète les différentes alliances politiques et militaires tel l’OTAN, l'UE, l'UA, l'OEA, la CEMAC, la CEDEAO, l'OPEP, la CEEAC (communauté économique des Etats de l’Afrique Centrale), en vue de se sécuriser mutuellement… 

Sur le continent africain, la coopération s’est également organisée à l’échelle sous-régionale. Les pays de la zone franc sont ainsi réunis au sein de l’Union Douanière des États d’Afrique Centrale (UDEAC) et de la Communauté Economique d’Afrique de l’Ouest (CEAO). Les pays de l’Afrique des Grands Lacs ont leur propre Communauté économique. L’Afrique australe s’est structurée autour de la Communauté pour le Développement du Sud-Africain (SADC) depuis la réintégration de l’Afrique du Sud dans le concert africain au terme de l’apartheid. La SADC entend dépasser sa stricte vocation économique pour devenir une force diplomatique régionale à l’image de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), formée autour du Nigeria. La CEDEAO n’est pas parvenue à développer l’intégration économique de ses membres, elle s’est par contre affirmée comme une instance de médiation dans les conflits locaux telle qu’elle a constitué une force d’interposition au Liberia (Ecomog).  De son côté, la RD Congo fait partie de nombre de ces grands regroupements sous-régionaux : SADC, CEPGL, UDEAC, CEMAC, BDEGL, IRAZ, SINELAC et tout récemment de l’EAC(4) (East African Communauty)…

Partant de cela, force est de faire remarquer que l’un des principaux défis qui se posent aux communautés économiques régionales de l’Afrique dans la matérialisation de leurs programmes d’intégration est l’appartenance des pays à plusieurs ensembles sous-régionaux en même temps. Ce qui n’est toujours pas évident d’organiser adéquatement ce qu’ils ont de commun avec les uns sans les autres…
Enfin, bien au-delà des considérations économiques, politiques et sécuritaires, l’intégration régionale serait à la base d’enrichissements spirituels, moraux et matériels tant que dans l’acceptation de différences des uns et des autres il y a lieu de constituer « une base du donner et/ou du recevoir » pour les parties prenantes et donc, une raison évidente d’épanouissement, d’inclusion, que dire, sinon une raison d’affirmation de soi tel que repris sur l’échelle graduelle de Maslow(5) … Ce faisant, l’élan de solidarité et de complémentarité devraient être le substratum de toute intégration régionale.

Dans les stratégies de la réduction de la pauvreté, Ntamahungiro (2008) propose une série de solutions pour éradiquer la pauvreté en Afrique dont notamment (7e stratégie) celle de convaincre les responsables que la survie de leurs peuples et de leurs pays passe obligatoirement par la création de grands ensembles forts à l’image de l’Union Européenne.

Mais d’emblée, si dans les Grands Lacs africains au sein de la CEPGL/CIRGL cet élan de solidarité est des fois plus perceptible dans les relations bilatérales entre les Burundais et les Congolais; tel n’est toujours pas le cas entre le Rwanda et la RD Congo. Les populations congolaises frontalières se plaignent de subir plus rwandais que le Rwanda ne subisse congolais! Partant d’une toute petite observation, l’ampleur des transactions commerciales entre rwandais et congolais vont presqu’en "sens unique" et, même culturellement, on constate que les musiques et cultures rwandaises et ougandaises envahissent de plus en plus la partie Est de la RD Congo et que, paradoxalement, ce sont les congolais qui sont plus enthousiastes à épouser les rwandaises que les rwandais n’épousent les congolaises. 

Intégration régionale dans quel contexte socio-politique de base pour les Grands Lacs africains ? 


Au temps des colonies en Afrique, le Rwanda et le Burundi faisaient partie intégrante d’un même consortium belgo-germanique. La littérature existante retrace clairement une histoire commune aux trois pays. Cette histoire est ponctuée de guerres cycliques particulièrement entre les deux ethnies Hutu et Tutsi à telle enseigne qu’il a été reproché au colonisateur belge d’avoir mis en place une stratification ethnique Hutu-Tutsi pour identifier ces communautés indigènes…
Par la suite, sont successivement intervenues les indépendances respectives des trois pays dont la RD Congo en juin 1960, le Burundi et le Rwanda en 1962. Désormais sevrés, avec des prérequis spécifiques à chacun, ces trois pays ont dès lors pris chacun leur trajectoire afin de se constituer une identité propre en tant qu’État à part entière. De là, on pourrait certainement déduire que l’embryon de la CEPGL comme ensemble sous-régional aura germé des cendres de cette troïka “Congo Belge, le Rwanda et le Burundi” pour enfin engendrer ce qui, plus tard s’identifiera comme la Communauté Economique des Pays des Grands Lacs.

Toujours pendant ces temps-là, l’histoire renseigne toujours qu’en marge de l’ethnie Twa(6) minoritaire, les Hutus et Tutsis, qui tous deux ensemble englobent près de 97% de la population rwandaise et burundaise, se sont distingués par d’interminables guerres fratricides pour imposer une suprématie hégémonique. Ils ont excellé par un leadership politique ethnique viscéralement intolérante les uns envers les autres. Le génocide des rwandais en 1994 est une expression éloquente d’une extrême animosité des uns contre les autres. Hélas, des centaines de milliers de rwandais, toutes tendances confondues, ont péri et des lourdes répercussions ont débordé de leurs frontières pour la RD Congo qui, au cours de ces guerres répétitives aura, par hospitalité, accueilli en refuge, à tour de rôle, tantôt les Tutsis (1959-1960) tantôt les Hutus (1994) pourchassés. Pour cet accueil, la RD Congo a payé le prix fort contre cinq à huit millions de vies congolaises selon différents rapports des ONG et des Nations Unies. Après cette hospitalité, une instabilité permanente s’est installée dans l’Est de la RD Congo et elle s’entretient continuellement au travers d’interminables incursions, des guerres et rébellions appuyées ouvertement par ces voisins... Déjà près de trente ans durant, ces pays voisins ont agi tantôt sous couvert du RCD, CNDP, M23 et des fois par le recyclage des FDLR/Interhamwe rapatriés au Rwanda par le DDRRR des Nations Unies. En ces moments, des cohortes sont encore actives sur les fronts militaires dans les rangs des rébellions, dans les villages du Kivu, les carrés miniers de l’Est de la RD Congo… 

Le sempiternel pouvoir rwandais conduit par Paul Kagamé à partir de 1994, est le tout premier depuis l’indépendance, piloté par une ethnie minoritaire. Du côté burundais, Pierre Nkurunziza, de l’ethnie majoritaire a été désigné Président de la transition suite à un arrangement au terme d’un compromis politique conclu d’abord à Arusha et finalisé à Bujumbura sous la médiation internationale de Nelson Mandela. L’accession au pouvoir et sa gestion au Rwanda et au Burundi s’est passé de toute élégance des règles de jeu d’une Démocratie moderne. Et, du coup, on peut comprendre tout le forcing qu’ils ne sourcillent à envahir la partie Est d’un état membre partageant un même regroupement sous-régional. Ils n’hésitent pas à alimenter des conflits armés qui occasionnent des dégâts aux conséquences désastreuses par des cycles d’ensauvagement, par la prolifération de groupes armés transnationaux, de vols et crimes transfrontaliers, de pillages récurrents des biens et ressources naturelles, de violences sexuelles, de massacres, de déplacement des populations, de traitements indignes, humiliants et dégradants, de l’interférence et de l’ingérence flagrantes dans les affaires intérieures de la RD Congo… Tel est le contexte ambiant de l’intégration régionale dans l’espace des Grands Lacs africains. 

L’escalade de 1998 avec l’avènement du RCD appuyé par le Rwanda venait de violer l’article 1er de l’acte fondateur de la CEPGL. Les trois pays, avec un passé partagé et une histoire aux fortes similarités en tant que membres, n’ont ni sécurisé ni empêché l’invasion. C’est ainsi que la recherche des solutions durables dans les Grands Lacs s’est prolongée sur un ensemble régional beaucoup plus vaste de 11 états(7) dits de la CIRGL(8). Malgré la position géographique et l’immensité de la RD Congo, sa démographie, l’importance de ses ressources naturelles potentielles, la RD Congo est restée le maillon faible de l’ensemble au point où, pour lui restituer sa paix arrachée, il aura fallu et il faut encore et toujours davantage, une pression insistante de la Communauté internationale. (Etats-Unis, Belgique, Union Européenne, UA…). Toutes les initiatives de développement, de paix et de sécurité ont dû être menées sous l’égide et sous la pression et les menaces de la communauté internationale et des fois appuyées d’ultimatums de ruptures de partenariats financiers. Les plaidoyers de haut niveau de la Société Civile et les grandes ONG internationales poussant sans relâche sur l’accélérateur n’ont pas suffi. L’expression palpable de cette affirmation demeure sans conteste la résolution 2098 et l’accord cadre d’Addis-Abeba qui ont mis fin au M23 en 2013. Ce trinôme composant l’ensemble sous-régional ne pouvait à lui seul être en mesure de solutionner toutes ces questions sécuritaires, économiques, et politiques pourtant l’élément-clef à la base d’un besoin de l’Intégration régionale pour les Grands Lacs africains. Cela parce qu’en sourdine dans le chef de certains états-membres de l’union larve l’idéologie d’asservissement, d’hégémonie, de prédation, d’accaparement bref de domination. 

Enfin, tant que les acteurs sur terrain feront partie des problèmes à résoudre que de la solution à trouver, tant qu’ils seront à la fois juges et parties, en même temps pyromanes et sapeurs-pompiers tel qu’il a été plusieurs fois constaté au cours des dernières années, les issues d’une intégration régionale pour la Région auront encore une fois cautionné la relation “dominant-dominé”.

Intégration régionale: marché de dupes pour les uns, agenda caché des alliés, complicités du public

C’est certainement suite à une fausse identification des causes et motivations réelles des problèmes dans les Grands Lacs africains qu’au nom d’une Union régionale dans les Grands Lacs africains, on est passé de réunions en réunions sans résoudre les problèmes. Ce manège a réellement obstrué les bonnes voies de l’intégration régionale pour les Grands Lacs africains.

En effet, la principale cause exogène des guerres successives sur la RD Congo par ses voisins a sans conteste comme face cachée l’accaparement de ses richesses. Pour faire la paix, des propositions de projets intégrateurs dans l’économique dont, la pacification et la cohabitation, les recherches en science agronomiques, dans les infrastructures avec le Corridor Nord sont mises en œuvre etc. Cependant, par des actions téléguidées, malgré ces projets intégrateurs, le Rwanda s’est vite retrouvé de plain-pied dans l’appui à des groupes armés en RD Congo tel les FDLR recyclés, le CNDP, les M23… C’est ainsi que pour rebondir sur les questions sécuritaires on est arrivé à des propositions du genre: "Si vous voulez la paix, partagez vos richesses avec les voisins"(9) . C’est le début de la formule de l’intégration régionale sous un fond de vives tensions. Ici, les questions de fond ont refait surface et l’intégration régionale pour les Grands Lacs sera entendue comme acceptation de partager la pauvreté des voisins pauvres et la richesse de la RD Congo riche sous peine de raviver la guerre et les conquêtes. Et donc l’issue imposée résiderait en la résignation pour le prix de la paix. Plus grave, on a été obligé de sacrifier la justice au prix de la paix. 

A cette allure, pour la paix, denrée précieuse, la RD Congo devra partager son or, son coltan, son cuivre avec ses conquérants, ses forêts, son eau/électricité jusqu’en Egypte, en Tanzanie, et donc aller jusqu’à renoncer à une partie de sa souveraineté, la laisser à des états susceptibles de lui retourner le canon à tout reniflement. 

Pourtant pour les petites populations frontalières, avec ou sans les accords d’union, elles collaborent dans tous les sens par le commerce et les échanges transfrontaliers de petite envergure bien sûr, et parfois non structurés. Attention, si ces échanges ne se font pas en sens unique du côté burundais, et dans la moindre mesure du côté ougandais, cela ne l’est pas du côté rwandais. Les Rwandais envahissent littéralement l’Est de la RDC avec tous leurs surplus et avec toutes leurs méchancetés. (Le Rwanda-Burundi-Ouganda-Tanzanie et le Kenya sont dans un ensemble sous-régional où n’était pas la RD Congo jusqu’à ce jour… ainsi les produits atterrissaient (transitaient) dans ces états pour entrer en RD Congo au nom du commerce transfrontalier avec combien de manque à gagner pour le gouvernement…)

Jusqu’à ce jour les rues de Bukavu sont pleines de marchands ambulants rwandais avec toute sorte de pacotilles faisant du porte à porte en train de vendre lait, alcool, savons, poissons, médicaments, parfums, aphrodisiaques, objets scolaires dans les quartiers, les bureaux, les institutions et services à longueur de journées. Ils affluent comme ouvriers de chantiers, chauffeurs moto taxis, servantes de bars, de bistrots et restaurants et encore que la qualité n’est pas vérifiée. Chose qui ne peut se réciproquer! Une alerte est présentement en circulation sur les réseaux sociaux pour mettre en garde contre la propagation du VIH à partir de ces jolies prostituées rwandaises et burundaises qui envahissent la ville de Bukavu. Réciprocité impossible car même en transitant par le Rwanda en venant du territoire d’Uvira dans le Sud de la Province, étaient déversés dans la Ruzizi les produits alimentaires achetés à partir d’Uvira. Tel n’est pas le cas quand les congolais prennent le bus à partir de Bujumbura pour traverser le Rwanda afin d’arriver à Bukavu.

Ce jeu d’intégration a permis aux pays voisins, en l’occurrence le Rwanda, de tricher sur leurs identités dans le but de s’arroger certains avantages dans certaines instances décisionnelles de la RD Congo. Un bon nombre de sujets rwandais disposent aujourd’hui des cartes d’électeurs congolaises, le seul document d’identité.

Une intégration sans harmoniser certaines lois tout en ne brisant pas l’identité des uns et des autres, relèverait bien d’un agenda caché sur le long terme. A ce sujet, on sait que sur la double nationalité la constitution rwandaise est taillée sur mesure pour contourner les lois congolaises… La loi sur le commerce transfrontalier qui pousse à des taxes exorbitantes en RD Congo favorise l’entrée des produits rwandais sur le marché de la RDC. Elle a poussé à la fermeture des unités de production congolaises pour laisser libre champ à l’entrée des produits concurrents. 

La coopération militaire et judiciaire n’a pas facilité la traque des criminels au Congo car ces derniers sont gardés et bien protégés par le Rwanda jusqu’à cautionner une “Exportation de la criminalité frontalière”. Le cas de Laurent Nkunda, Jules Mutebusi, Jean-Marie Runiga, Baudouin Ngaruye, Eric Badege, Innocent Zimurinda en sont une illustration…

Intégration régionale: deal des dirigeants, humiliation et/ou frustration de la population

La fin tragique du président hutu rwandais Habyarimana en 1994 suivie de l’affaiblissement progressif de son ami le maréchal Mobutu en 1996 ont, non seulement permis la capture du pouvoir par la minorité tutsie au Rwanda, mettant de facto un terme au temps de gloire de la CEPGL. Mais aussi, dès lors qu’une coalition venait d’être montée par le Rwanda et le Burundi et qui attaqua militairement son voisin la RD Congo, au mépris de l’article 1er de ses textes fondateurs, la CEPGL venait de s’auto-suicider et l’intégration régionale dévoilait ses limites et la face cachée de la domination. 

La remise en question de la raison d’être de la CEPGL comme instance sous-régionale de règlement de questions sécuritaires et économiques n’avait plus aucun prétexte. Nonobstant cela, devant pareil tableau, Louis Michel, à l’époque député européen, ne s’empêcha, sans état d’âme, d’insister sur la continuation des objectifs assignés à cette instance, la CEPGL.  A son tour, le Président français Nicolas Sarkozy renchérit du haut de la tribune de l’Assemblée Nationale de la RD Congo que si la RD Congo voulait la paix, elle devrait consentir à partager ses richesses avec ses voisins, en l’occurrence, le Rwanda… 

Certes, comme dit en relations internationales qu’il n’y a pas d’actions sans intérêt, quels seraient dans ce contexte précis les intérêts de la RDC avec le Rwanda? Sinon la paix, fruit d’une résignation du dominé face à un rapport de force militaire imposé sur le terrain.  

Pour les populations congolaises, ses dirigeants n’ont jamais exprimé la moindre désapprobation de tous ces abus car, estiment-elles, ces derniers usent du jeu de l’intégration régionale pour se maintenir au pouvoir. Si on reconnait que la vraie apogée de la CEPGL fut au temps fort de l’amitié entre Habyarimana et son homologue Mobutu Sese Seko et pourquoi celle de la CIRGL ne pourrait-elle pas tenir sur l’amitié de Joseph Kabila avec Paul Kagamé et celle d’aujourd’hui de Fasthi avec Paul Kagame? 

A ce sujet, l’Opposition et la Société Civile congolaise n’ont jamais cessé de dénoncer l’hypocrisie et la duplicité des dirigeants congolais face à ces questions d’intégration. On avait montré que le point du désaccord entre le pouvoir de Joseph Kabila avec son ex-ami personnel Vital Kamerhe, en ces temps-là président de l’Assemblée Nationale et aujourd’hui président de l’UNC, relèverait des arrangements du dessous de table entre le Président Kabila et Paul Kagamé. Il s'agissait de faire entrer les troupes rwandaises sur le territoire congolais au prétexte malheureusement contesté de venir pour la traque de leurs frères ennemis les FDLR.

Si, sous d’autres cieux, l’intégration régionale au travers des ensembles régionaux a su ramollir nombre d’animosités entre états ou permis de bannir quelques rivalités, l’intégration de la région des Grands Lacs avec la CEPGL n’a aucunement profité à la population congolaise mais elle a plutôt été l’occasion d’humiliation et de dures frustrations à longueur de journées jusqu’à poser des questions banales du genre:

  • "A quoi aura servi l’appartenance de la RD Congo à la CEPGL quand le Rwanda et le Burundi ne pourraient s’empêcher de coaliser (de 1994 à 2014) pour attaquer et opérer à ciel ouvert en RD Congo jusqu’à causer des dégâts sur son voisin alors que l’article 1er de cette instance stipule qu’aucun pays ne pourra attaquer l’autre ?"  
  • "A quoi aura servi l’appartenance de la RD Congo à une CIRGL où on sait que le Rwanda, le Burundi cette fois renforcés par l’Ouganda s’activent constamment à monter des milices, des groupes armés en territoire congolais pour déstabiliser un pays membre du même regroupement et, au final, se pointer comme médiateur pour les conflits qu’ils auraient eux-mêmes attisés et soutenus ?"

C’est ici l’occasion de survoler en passant quelques murmures pour nombre d’humiliations subies à longueur de journées par des populations locales à la frontière des trois pays qui font partie tant de la CEPGL que de la CIRGL.

  • La question du courant électrique produit par la SNEL (Société nationale) partagé par SINELAC (société sous-régionale) qui est servi 24h/24 au Rwanda et au Burundi pendant que les populations du Nord et du Sud-Kivu passent le gros de leurs semaines dans l’obscurité sous le phénomène appelé délestage! Les rares fois où le courant est rétabli, on entend des acclamations dans les quartiers populaires.
  • Les usines et autres entreprises locales de production tel, la cimenterie de Katana, la tôlerie industrielle du Kivu (TOLINKI), les petites unités de production brassicoles Momberg, de l’eau minérale ‘Rafiki Maji Safi’ et bien d’autres, ont été asphyxiées par des taxes, par de multiple impositions et autres tracasseries administratives de tous genres pour finalement laisser libre champ à l’entrée massive des produits concurrents rwandais, burundais et ougandais sans des droits d’entrée, mettant ainsi à mal le fonctionnement toute entreprise locale astreinte à une concurrence de produits venus de l'extérieur!

"Devant cette situation particulière, les entrepreneurs et/ou tout investisseur en RD Congo, coincés, sont contraints de développer des attitudes et comportements qui dans l’ensemble n’avantagent pas l’Etat congolais en quête de moyens devant propulser le développement promis aux populations locales! Ces derniers optent soit pour la fermeture de leurs unités de production existantes au pays pour les placer dans d’autres pays de la région et utilisent pour ce faire une main d’œuvre étrangère alors que la RD Congo connaît un taux de chômage élevé. Ceux qui ont opté pour cette première alternative se félicitent sans remord d’avoir ainsi valorisé et sécurisé leurs investissements. Cette délocalisation d’investissements devrait logiquement interpeller la conscience de tout un chacun et préoccuper au plus haut point le dirigeant congolais appelé à résorber le chômage de sa population.
D’autres, par contre, optent pour la liquidation pure et simple de matériel, bâtiments et équipements au profit de ceux ayant des nerfs capables de supporter et/ou de jongler indéfiniment avec les préposés de l’Etat sur les quantités, la qualité, la conformité des produits et services à mettre sur le marché… et enfin, pour question de survie, d’autres sont contraints à fonctionner dans la clandestinité, dans la corruption, l’évasion fiscale et dans la fraude qui (tous) gangrènent profondément la société congolaise. Ce qui n’est jamais sans conséquence néfaste à très court terme à la fois pour les agents de l’Etat qui prennent ce grand risque de perpétuer un système décrié, de même que pour les hommes d’affaires qui l’entretiennent quand il s’avère que des voix s’élèvent de plus en plus pour exiger de déclarer toujours ce que l’on paie à l’Etat en vue de voir comment attaquer ces pratiques qui paralysent tout effort de développement.”
(10) 

  • Au nom du commerce frontalier, les commerçants locaux sont voués à effectuer leurs importations à partir du Rwanda voisin, quitte à faire entrer leurs marchandises au Congo par petits lots successifs jusqu’à l’épuisement de la cargaison totale. Que gagne la douane congolaise dans cela ?
  • Comme les routes intérieures de la RD Congo sont en état de délabrement avancé, les déplacements du Chef-lieu de la Province du Sud-Kivu vers le territoire d’Uvira et la plaine de la Ruzizi s’effectuent en transitant par le Rwanda moyennant des frais de transit avec des traitements inhumains et dégradants tels que refuser aux Congolais en transit de traverser les 40 km dans le Rwanda avec des effets personnels (des quantités commerçables sont bloquées, des aliments et vivres frais tel le lait de vache qu’on exige au propriétaire de choisir soit de tout consommer sur place à la frontière sans quoi le produit est déversé sans recours dans la rivière Ruzizi. Ceci a même été imposé à certaines autorités provinciales lors de leur traversée). Curieusement, on n’est pas astreint à cette restriction quand on se trouve sur la frontière entre le Burundi et le Rwanda.
    Par ailleurs pour le transport aérien, l’élargissement de la piste d’atterrissage de l’aéroport national de Kavumu serait bloqué pour laisser libre champ à l’aéroport de Cyangugu afin qu’il desserve les Congolais à partir de là et faciliter ainsi au Rwanda de réaliser des bénéfices sur le dos des Congolais. De l’avis de plus d’un observateur, le tout serait apparemment bien agencé et astucieusement concocté sous la barbe des autorités nationales congolaises pour qu’il en soit ainsi, comme pour corroborer « l’adhésion du dominé à l’ordre dominant ».
  • Par rapport à la sécurité et à la justice transfrontalière, une fois les criminels ayant opéré en RD Congo réussissent à se positionner au Rwanda au Burundi ou en Ouganda, ils s’enkystent et sont désormais à l’abri de toute poursuite même quand le sang des Congolais crie Justice. Et, étrangement, quand les acteurs de la Société Civile sont amenés à quitter le pays pour répondre aux invitations et formations en Occident et qu’ils choisissent d’effectuer les démarches de visa et de transport à partir du Rwanda, au regard de la distance qui sépare la partie Est du pays de Kinshasa la Capitale, ils sont non seulement censurés pour leurs opinions politiques et surtout pour leur engagement dans la défense de l’intégrité de la RD Congo jusqu’à les mettre dans une insécurité morale!
  • Que dire alors des opérations de commerce ambulant réalisées par des sujets rwandais dans les rues et ruelles de Goma et de Bukavu ? Que dire de l’exploitation illégale des mines de l’Est de la RD Congo ? Que dire, que dire…
    Oser réprimer ces choses-là et attirer l’attention de la population expose les défenseurs des droits humains aux menaces venant souvent du sommet de l’état. Tel est le cas du porte-parole militaire qui venait de présenter dans les médias des sujets rwandais capturés dans le front dit du M23

Intégration régionale sans intégration nationale, n’est-ce pas la charrue avant le bœuf ?

A entendre s’exprimer les autorités rwandaises sur cette polémique, elles s’exclament cyniquement qu’il revient à la RD Congo et aux congolais de prendre en mains leurs responsabilités pour vitaliser leur espace de vie tout en assurant leur participation au niveau de l’ensemble sous régional. Ici, avec Pierre Bourdieu, on reviendrait sur ce qu’il a identifié être « la méconnaissance par le dominé des mécanismes qui font de cet ordre un mode de domination ».

Pour notre part, une intégration nationale entend le renforcement du pays d’abord dans ses volets politique, économique, social, sécuritaire, structurels… afin qu’à la croisée avec les autres, le pays ait de quoi proposer pour faire face aux grands défis communs liés à l’intégration régionale sans s’aliéner ni dissoudre son identité dans un ensemble régional plus vaste. Les problèmes de gestion et d’organisation interne des pays ne devraient pas chercher leurs solutions à partir du regroupement sous-régional. C’est notamment les problèmes élémentaires du vécu quotidien, de la criminalité urbaine, de la cohésion nationale, des infrastructures, de l’administration et de la gestion, mais aussi de son développement économique. 

Confiante de ses potentialités et de ses besoins, la RD Congo devrait construire sa propre vision à partir de laquelle coordonner son fonctionnement. Quel n’a pas été l’étonnement de plusieurs, quand dans l’accord cadre d’Addis-Abeba (2013) sur la RD Congo, ce soit les 11 chefs d’Etats et de gouvernements qui décident même sur les réformes (11)  à engranger dans un état souverain. Ils ont exigé « la réforme des forces de sécurité, de l’armée et de la police, les réformes politiques, la décentralisation, les réformes économiques, des infrastructures et des services sociaux, la réconciliation nationale, la tolérance et la démocratisation » (12).

Pour se développer, "la Chine (13)  n’a-t-elle pas vécu pendant longtemps dans une autarcie économique au point qu’elle puisse aujourd’hui avoir son mot à dire dans le concert des nations? Sur ce plan précis, la Chine a mis l’accent sur l’autosuffisance qui doit être obtenue par le labeur acharné des travailleurs au sein des communautés locales et, politiquement, elle a introduit une innovation fondamentale avec le concept du gouvernement des masses, qui a intégré des intellectuels comme des dirigeants de la guérilla paysanne."

Plus qu’une question de choix politique, c’est un pragmatisme politique qui devrait logiquement inciter prioritairement à une intégration nationale. Il reste absurde de planifier à transporter et commercialiser le courant électrique d’Inga de l’Afrique du Sud au Caire en passant par l’Afrique de l’Ouest pendant que le congolais moyen manque lui-même de quelques kilowatts de courant pour cuisiner son haricot et son foufou de maïs (usage domestique). Il en est de même de l’eau de la RD Congo sollicitée pour irriguer une partie de l’Afrique où les eaux du Nil Blanc ont tari pendant que dans plusieurs villes de la RD Congo, l’eau de consommation domestique est devenue de plus en plus une denrée rare, voire de grand luxe. Ce qui justifie en partie la propension toujours en hausse des maladies d’origines hydriques dans le registre des indicateurs de santé au niveau du pays.

Procéder à une intégration régionale aux conditions et contexte tel que décriés et, de la manière tel que ci-haut décrite, pire que de mettre la charrue avant le bœuf, c’est renoncer à toute ou à une partie de souveraineté du pays. 

Dommage, quand on constate des situations où quelques responsables ont osé exercer pleinement leur responsabilité dans le sens de renverser cette tendance, ils ont été sévèrement réprimés par les instances supra-provinciales. A ce sujet, quelques chefs d’armée qui ont stoppé l’agression se sont vus limogés ou réduits au silence total, de même que quelques agents de migrations qui auraient poussé plus loin leur curiosité et traqué les suspects et autres déviations de ce secteur seraient muselés, soit permutés et des fois placés au garage de l’administration publique. C’est ainsi que pour préserver leurs vies et leurs postes, un bon nombre de congolais ont choisi de se résigner, de laisser faire… Et au commun des congolais ne sachant pas à quel saint se vouer d’interjeter en des termes voilés : « Ils jouent à quoi ? Où allons-nous avec ça ? … »

En conclusion: quels risques à la longue pour la RD Congo ?

Au terme de ce développement de la pensée portant sur l’intégration régionale et à la lumière de la socio-analyse de Pierre Bourdieu, il parait illusoire de promouvoir une véritable intégration régionale avant une intégration nationale. Il est par ailleurs, irrationnel pour un état digne, de prendre part à un regroupement régional ou sous-régional avec des états qui ne partagent pas la même vision sur les fondamentaux de l’intégration et/ou qui ne disposent pas d’une éthique politique élémentaire portant sur le respect mutuel. 

Attention,

  1. Si le Rwanda, en tant que nation plus favorisée dans ce schéma imposé par les partenaires, en profite pour renforcer sa mainmise sur l’économie, le politique et le structurel d’un état membre, il devient alors dangereux que ce premier, aux ambitions hégémoniques avérées puisse étendre sa zone d’influence sur les provinces de l’Est de la RD Congo et, par cet empiétement, cautionner la balkanisation de la RD Congo. 
  2. Si 60 ans après son indépendance, malgré ses potentialités olympiques, emballée dans une intégration régionale, face à ses voisins, la RD Congo intervienne en état faible avec un profil continuellement bas, pire, en non-état parce que les voisins peuvent l’envahir à tout bout de champ et, à l’interne une RDC dotée des dirigeants moins responsables, agissant apparemment par ordre commandité de quelque part; alors, loin d’être une stratégie de développement socio-économique, son intégration dans les Grands Lacs ne sera que cautionnement de l’oppression et soumission aux dictats de ses voisins au détriment du bien-être de ses populations.

 Comme la sagesse africaine recommande de traverser la rivière en groupe de peur que le crocodile ne vous bouffe, dorénavant, il est bon de marcher sur les trousses des idéologues propulseurs de l’intégration régionale de par le monde mais, il reste indispensable de tirer des leçons de l’intégration régionale dans les Grands Lacs et plus loin celles du contrecoup du boum des migrations de l’Orient et de l’Afrique vers l’Occident pour repenser la doctrine de l’intégration régionale dans les Grands Lacs africains où un chèque en blanc a longtemps été accordé. Ce qui amènerait tout de même à exhorter la participation de la RD Congo dans cet espace sous-régional mais aux textes à réaménager (14), et qui tiennent minutieusement compte de ce qu’il donne à la RD Congo et aux congolais et ce qu’en retour la RD Congo peut donner. Sinon, il n’y a aucune raison pour la RD Congo de faire partie d’un même ensemble sous-régional avec des voisins qui ne cessent de la malmener et de l’empêcher de se relever pour devenir le déclencheur du développement socio-économique pour toute l’Afrique comme l’a si bien prédit Franz Fanon (15)  en disant: l’Afrique est en forme de revolver dont la gâchette se trouve être la RD Congo.


Réfléchi en 2015 et réactualisé en 2022 après la signature d’adhésion RDC à la CEA

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(1) Pierre Bourdieu, Sociologue rural français: 1930-2002
(2) Encarta
(3) Pathé Mbodje, journaliste et sociologue auteur de "Coopération décentralisée et transfrontalière et intégration régionale", N° 298 du 12/10/2013
(4) Acte d’adhésion signé en mars 2022
(5) Echelle des besoins humains de Maslow: grille représentant graduellement 5 besoins humains élémentaires, utilisée dans l’enquête dite d’écoute. 1. Les besoins physiques. 2. Les besoins de sécurité. 3. Le besoin d’amour et d’appartenance propre. 4. Le respect de soi. 5. La réalisation de soi.
(6) Twa: une autre dénomination des pygmées
(7) RD Congo, Rwanda, Burundi, Ouganda, Tanzanie, Zambie, Congo Brazzaville, Soudan du Sud, République Centre Afrique, et l’Afrique du Sud
(8) CIRGL: Conférence Internationale sur la Région des Grands Lacs Africains
(9) Nicolas Sarkozy
(10) Extrait des termes de plaidoyer des jeunes entreprises locales en émergence portant sur « La problématique du fonctionnement des unités de traitement et de commercialisation de l’eau minérale et les difficultés liées à leur surtaxation par les services étatiques, Conférence-débat juillet 2010 à Bukavu
(11) Cfr l’Accord cadre d’Addis Abeba cité précédemment
(12) Voir l’Accord cadre d’Addis Abeba 2013
(13) Cfr Cours d’Histoire de la Chine de la 4e année des humanités littéraires en RD Congo
(14) Harmoniser certaines lois sans briser les identités respectives: la loi rwandaise sur la nationalité taillée sur mesure pour favoriser les immixtions rwandaises en RDC, la loi sur le commerce transfrontalier, la coopération militaire et judiciaire quand les criminels se sentent protégés une fois en fuite au Rwanda
(15) Franz Fanon (1925-1961), écrivain français favorable à la révolution algérienne et auteur d’œuvres d’importance orientée d’une part vers la psychiatrie institutionnelle dont il a jeté les bases, d’autre part vers la colonisation qu’il s’est attaché à combattre.