mardi 3 mars 2015

Le processus électoral déclenché en RD Congo

Attention à la fraude électorale


Il est évident que la dernière publication du calendrier des élections en RD Congo n’a pas été faite par capitulation et encore moins par quelconque retour aux bons sentiments mais bien plutôt par contrainte. A partir de cette publication, il y a lieu de comprendre que le compte à rebours a bel et bien commencé pour les acteurs politiques et la Société civile qui doivent participer et/ou accompagner le processus dans son ensemble.

Jetant un regard rétrospectif sur les dernières manifestations de trois jours de ville morte, suivies par les soulèvements populaires violemment réprimés par la Police et les services de Sécurité à Kinshasa dans l’Ouest du Pays et à Goma dans l’Est, on peut désormais lire une nette expression de désapprobation généralisée de la loi électorale initialement votée par l’Assemblée Nationale en l’absence des députés de l’opposition.
Les partenaires sociaux, dont l’Eglise catholique et la Communauté internationale, n’ont pas tardé à montrer leur position et se sont immédiatement impliqués pour calmer le jeu. Ce qui n’a pas été vu d’un bon œil par le pouvoir en place qui, par la bouche voix de son porte-parole, a crié à l’ingérence dans les affaires du pays jusqu’à parler d’atteinte à la souveraineté de la RD Congo.

La deuxième lecture et la proposition d’amendement qui s’en est suivie au Sénat, conformément à la Constitution de la RD Congo, a permis d’atténuer le sur-échauffement des esprits. La dé-subordination des élections à un recensement général de la population a été appréciée. Pourtant, la majorité au pouvoir n’a visiblement pas désarmé.

La lecture et l’analyse faite du contenu du calendrier global des élections laissent transparaître des éléments qui jettent des doutes sur de possibles fraudes électorales, fussent-elles légales…

Fraude électorale et fraude légale, de quoi parle-ton exactement?

Selon Ferdinand Kampanga, auteur du Petit Dictionnaire pratique des élections, "les fraudes électorales, c’est l’ensemble des moyens illégaux utilisés par les partis et les candidats pour fausser les résultats d’une élection. Ces fraudes peuvent être commises à toutes les étapes du processus électoral à savoir la présentation des candidatures, l’inscription sur les registres électoraux, les opérations de vote, le dépouillement, la transcription et la proclamation des résultats".
Toujours du même auteur, "la fraude légale c’est la fraude ou toute irrégularité qui est favorisée par une mauvaise loi électorale conçue dans l’idée de favoriser le parti au pouvoir ou qui a écrit la loi électorale".
A la lumière de ces deux notions chères aux élections, on pourrait qualifier d’intentionnels certains agissements observés à ce jour dans la démarche visant à nuire à l’alternance démocratique en RD Congo ainsi que dans certains pays des Grands-Lacs Africains. Quelques dispositions couchées dans le projet de loi électorale ainsi que le fond du calendrier des élections dernièrement rendu public pourraient bien relever de ces dernières…

Quel est l’enjeu qui fait problème?

D’entrée de jeu, on observe une certaine opiniâtreté du pouvoir en place de se reconduire aux affaires sur base des prochaines échéances électorales.
La Constitution stipule dans son article 70 que "le Président de la République est élu au suffrage universel direct pour un mandat de cinq ans renouvelable une seule fois" et l’article 220 enchérit en ceci "… le nombre et la durée de mandats du Président de la République ne peuvent faire l’objet d’aucune révision constitutionnelle…"
Au terme de plusieurs tentatives du pouvoir en place, ces articles n'ont pu être déverrouillés... C’est le hic du problème.

Par quel autre mécanisme/magie pourrait-on arriver à arracher ce 3e mandat face à ces dispositions sur lesquelles, tant la population, que l’opposition, les églises ou les partenaires internationaux restent d’une vive vigilance ?

Le pouvoir actuel qui regorge en son sein d’éminents professeurs de droit constitutionnel n’ignore pas les dangers et les conséquences qui surviendraient aux institutions au cas où le flou actuel se pérenniserait jusqu’à l’épuration du temps/délai constitutionnel de sa mandature.

La notion constitutionnelle d’un "mandat de cinq ans une fois renouvelable" non encore radiée de la Constitution à seize mois de la fin, rétrécit davantage la marge de manœuvre légale et conduit inévitablement à des épreuves de force, à jouer le tout pour le tout jusque même à risquer des choix apocalyptiques. C’est bien le moment de parler de compte à rebours ! Certes, nombre d’analystes ont déjà prouvé que, tel que conçu, le calendrier électoral reste irréalisable et donc, si les élections sont malgré tout organisées dans ces conditions, elles seraient immanquablement "anormales" et ne pourront pas garantir la stabilité de l’Etat.

Le nombre de mandats limité à deux appelle l’actuel Président à prendre une option courageuse : dire clairement aux citoyens et au monde qu’il ne se représentera plus et commencera à consacrer le meilleur de son temps pour préparer sa succession. Ce n’est pas le cas. Il semble à son tour faire partie de ces chefs prisonnier de leur "curie"!

Quelles sont les conditions singulières à remplir?

  1. Avoir élaboré le calendrier des élections sans concertation préalable des parties prenantes vient ouvrir aux spéculations et suspicions qui vont briser la cohésion nationale et tendre les esprits pendant que les bonnes élections demandent de la sérénité…
  2. Organiser les élections locales et provinciales en 2015 avec l’actuelle CENI à la solde du pouvoir, c’est pousser l’actuel pouvoir à les cautionner en faisant passer à tout prix les candidats de son obédience. Et dans le pire des cas, on voit mal comment les entités qui feraient passer des opposants à leur tête fonctionner et bénéficier des moyens de l’Etat.
  3. Aller encore dans les élections présidentielles à 1 seul tour face à un Président en fonction qui tient à se représenter à tout prix met en péril tout le processus et ouvre dès le début la porte des contestations massives. (La conséquence des présidentielles à 1 tour pour des pays à forte population porte le risque d’élire un Président qui ne jouirait pas de la majorité des voix des électeurs).
  4. L’accaparement des médias, le musellement de la presse, l’utilisation abusive de la Police et des services de sécurité aux fins du pouvoir en place, l’incarcération des opposants dans les cachots et prisons du pays, l’exil des potentiels challengers aux présidentielles, les menaces perpétrées sur la Communauté internationale et les Nations Unies taxées d’ingérence, le contrôle des communications sms et téléphones,… ne peuvent qu’installer la terreur et la réserve de certains candidats pour leur intégrité physique. Il est difficile que les élections préparées dans une telle configuration n’augurent du bonheur pour les populations.
  5. Organiser le même jour les élections combinées « présidentielles et législatives », publier les résultats des présidentielles jusqu’à passer à la prestation de serment avant de publier les résultats des législatives dénote d’une intention de les manipuler à la mesure du Président élu. Garder tout ce temps ces bulletins de vote dépouillés sans les publier plus tôt inciterait au tripatouillage des résultats.
  6. La constitution stipule dans son article 73 que le scrutin présidentiel est convoqué 90 jours avant l’expiration du mandat du Président en exercice. L'actuel Calendrier ne le prévoit pas de la sorte et risque de conduire à l’illégitimité et l’illégalité. Ce qui amènera le pays dans des tensions populaires et le discrédit auprès des partenaires au développement.
  7. Organiser les élections dans un contexte de manque de confiance dans la CENI qui est remise en cause pour son allégeance avérée ne confirme pas son indépendance et ne donne pas de crédibilité aux opérations qu’elle est appelée à déclencher.

Quel scénario probable ?

Vouloir organiser les présentes élections dans des conditions de fond et de forme telles que décriées et prétendre gagner à tout prix les élections serait un précédent à très haut risque pour le processus électoral en lui-même dans la RD Congo et la région des Grands-Lacs en général. Plus qu’un hold-up, ce serait une jurisprudence regrettable qui pourrait intéresser les dirigeants africains qui nourrissent la même hantise. Une escalade de ce genre serait suicidaire et responsable de grandes perturbations telles qu’observées sous d’autres cieux où, des pays entiers, initialement stables ont pu sombrer dans des désordres interminables dont il est difficile de sortir. Comme une épée de Damoclès, la RD Congo est constamment guettée par les démons des rébellions et groupes armés en partie instrumentalisées pour des fins politiques.

Alors,

  • Pendant que l’opposition et la Société civile dénoncent les irrégularités et les intentions de fraude;
  • Pendant que la CENI reconnaît être confrontée à des contraintes d’ordre politiques, juridiques, financières et logistique (de la complétude de l’arsenal juridique en termes des lois nécessaires et utiles pour la tenue des élections, de découpage de nouvelles circonscriptions électorales, du fichier électoral non actualisé depuis 2011);
  • Pendant que les opposants, réclament à cor et à cri, comme préalable aux élections, la tenue d’un dialogue politique pour baliser toutes les divergences et tout harmoniser;
  • Pendant que le pouvoir en place attend désespérément des partenaires la part du financement sur les 1 milliard de dollars à rassembler;
la direction de la majorité, astucieux stratèges attendraient que, face à un calendrier serré à dessein, et face aux contraintes exhibées par la CENI, les opposants eux-mêmes qui veulent des élections, demandent la révision de la constitution dans le seul but d’amender les quelques dispositions qui régulariseraient les conditions de bonnes élections. Ce qui, pour le pouvoir en place, constituerait un répit, une aubaine dans son souhait de tirer en longueur son mandat dans l’espoir de remettre le compteur à zéro et permettre à son candidat de redevenir éligible. Il n’est pas impossible qu’une revendication dans ce sens provenant de l’opposition trouve vite l’adhésion de la députation dont profiterait le pouvoir en exercice pour glisser dans une révision des articles qui les arrangeraient.

Enfin, en matière d’observation électorale, dès que la loi est votée et publiée et que le calendrier global est rendu public, le travail de l’observation doit entrer dans sa phase cruciale. Toutes les parties prenantes (partis politiques de l’opposition comme de la majorité) doivent préparer leurs états-majors et leurs témoins pour surveiller le déroulement du processus dans son ensemble. Les organisations de la Société civile à leur tour sont tenues de préparer les observateurs indépendants et sensibiliser la population à effectuer des choix judicieux en faveur de bonnes personnes pour conduire la destinée du pays. Le peuple, dit-on, a les dirigeants qu’il mérite…
Le pouvoir organisateur doit mettre à la disposition de l’organe d’organisation et de gestion des élections tous les moyens d’action requis, et de la population toutes les conditions administratives, sécuritaires et de capacitation. Ce qui ne semble pas être dans la ligne des préoccupations des dirigeants responsables de ces tâches. Devant plusieurs dilemmes et face à un pouvoir obstiné à se reconduire contre vents et marrées, il est important que l’opposition arrive à parler d’une seule voix et que la Société civile arrive à bien fédérer les forces vives pour ne pas être manipulée par les différentes tendances politiques.