vendredi 6 novembre 2020

Etat de droit en RDC : Mythe, fantasme ou réalité ?

Saint Augustin disait que le pouvoir doit être fondé sur la justice: « Sans justice, qu’est-ce qu’un roi ? Sinon un bandit couvert de gloire. Qu’est-ce qu’un royaume ? Sinon une caverne de voleurs. » 

De plus en plus, en RD Congo, les hommes politiques, les médias, ainsi que certains partisans forcent le peuple congolais à intégrer le jargon « Etat de droit » dans tous leurs discours même si le terme n’a pas encore un contenu convainquant. Est-ce une propagande politique, un fantasme ou une réalité en voie de construction ?

Certes, l’état de droit reste la sublime aspiration du peuple congolais mais comment, par qui et quand y arrivera-t-il réellement ? Est-il déjà là ou doit-on encore attendre ?

Doit-on se rappeler que depuis la deuxième république, chaque régime a eu ses slogans féeriques pour hypnotiser, emballer et « violer (1) » la foule dans des refrains souvent vides de tout sens pratique et réel. Et bien souvent, le peuple s’est fait avoir…

Tenez ! Sous le régime de Mobutu Sese Seko Kuku Ngbendo Wa zabanga, que n’avons-nous pas entendu : « Plus rien ne sera comme avant… ». Mais, que cela signifiait-il concrètement dans la vie des zaïrois de l’époque sinon beaucoup et rien à la fois ? C’est ainsi qu’une partie importante des congolais qui avaient connu l’époque coloniale devenaient de plus en plus malheureusement nostalgique de cette époque pourtant reconnue sous certains égards comme indigne. En effet, avec la zaïrianisation, plus rien n’était comme avant, ça devenait même pire peut être.

Sous Mzee Laurent Désiré Kabila, nous avions entendu « Ne jamais trahir le Congo », « Le Congo va surprendre le monde »…Comment et quand ? Il est mort sans trahir le Congo certes mais rien pour surprendre le monde à part des guerres interminables, les viols et violences sexuelles contre les femmes. Les mauvaises langues sont allées jusqu’à dire que la RD Congo devenait la capitale mondiale du viol…

Sous Joseph Kabila, on nous a bourré les têtes de slogans tels que les « cinq chantiers » caricaturés par la suite comme les « cinq chansons », « Le Congo sera une puissance au cœur de l’Afrique », « La révolution de la modernité », et que sais-je encore ?  Tout n’a été que du vent, du faux-vrai ou du vrai-faux ! Naïvement beaucoup de congolais ont sans réserve cru à tous ces refrains propagandistes, ces mensonges et somnifères publics dont se sont repus nombre de politiciens (ou mieux de politi-« chiens »).

Aujourd’hui avec l’avènement de Félix Tshisekedi, on chante « le peuple d’abord » et « l’Etat de droit… ». Cet état de droit tant chanté par les militants de l’UDPS ainsi que leurs courtisans a pour devise: « Le peuple d’abord ». L’on demande au peuple de s’en réjouir et d’acclamer la tête courbée.

La question qui se pose est : sommes-nous réellement entrés dans cette ère-là de l’état de droit ou bien sommes-nous seulement en transition d’un souhait ardent qui gage vers sa matérialisation ? Si oui, quels en sont les indices irréfutables et opposables à tous ? Et dans le cas du probable, ces indices sont-ils alors conformes aux critères standards reconnus mondialement à un état de droit ?

On peut tromper une partie du peuple une fois, deux fois mais pas tout le peuple tous les jours. Il faut passer de la promesse à la réalisation. Pour ce faire, il y a nécessité de rompre radicalement avec la culture du mensonge public, la démagogie devenue un des modes privilégiés de la conquête et de la conservation du pouvoir. C’est malheureusement éphémère et à long terme, cela devient une raison de désaveu public par un peuple désabusé. Les anglais disent : « easy come, easy go » et à André-Gide d’écrire « mentez, mentez il en restera quelque chose ».

Le dictionnaire Larousse (2) de poche 2011 définit le mythe, à la fois comme un récit mettant en scène (…) des actions imaginaires, des fantasmes collectifs, aussi comme une allégorie philosophique, une construction de l’esprit dénudée de réalité. Et enfin comme une représentation symbolique.

Théoriquement c’est quoi alors un Etat de droit ?

Sans vouloir entrer dans les débats d’écoles, sommairement, l’Etat de droit est un concept juridique et politique qui implique la prééminence du droit sur le pouvoir politique dans un Etat, ainsi que l’obéissance de tous, gouvernants et gouvernés, à la loi. Il désigne aussi un système institutionnel dans lequel la puissance publique est soumise au droit. Pour Aristote par exemple, un Etat constitutionnel qu’il appelait « Politeia » avait pour condition que la loi prime sur la volonté individuelle d’un souverain et que les agents de l’Etat, les magistrats se plient aux lois.

Parmi les conditions universelles d’un Etat de droit il y a le respect de la hiérarchie des normes : l’égalité devant le droit, la non rétroaction des lois et l’indépendance de la justice. Cela dit, nous devrions distinguer « l’Etat de droit » et « l’état de droit ». Dans le premier, « l’Etat de droit » le législateur ne connait pas d’autorité qui lui soit supérieure et dans « l’état de droit » la loi votée par le législateur, peut être déclarée inconstitutionnelle par la Cour qui s’appuie sur un certain nombre de principes. C’est dans ce cadre que pour la première et l’unique fois dans l’histoire de la RD Congo, Zaïre à l’époque, on a vu la Cour suprême de justice dans sa section administrative en audience publique du 8 janvier 1993 annuler l’Ordonnance présidentielle n°86-086 du 12 mars 1986 qui abrogeait l’Ordonnance n°124 du 30 avril 1980 accordant la personnalité civile à l’association des témoins de Jéhovah.

Mais aujourd’hui, dans un pays où l’on dénonce la forte politisation des institutions ainsi que de l’administration publiques, la question de l’indépendance des fonctionnaires à la Cour constitutionnelle se pose avec acuité. Un pays où le clientélisme, le népotisme, le tribalisme et l’appartenance au parti au pouvoir font partie des critères de promotions et de nominations politiques voire dans la fonction publique. Cette appartenance politique dicte même les actes et procédures judiciaires à l’égard des justiciables...

Alors, lorsqu’on clame l’Etat des droits s’agit-il de l’Etat de droits avec un D majuscule qui renvoie justement au droit objectif ou des droits avec un d minuscule c’est-à-dire des droits subjectifs entendus comme une prérogative individuelle accordée aux personnes par le Droit tels les droits de propriété ou le droit au respect à la vie privée, etc.

C’est un bon débat de juristes, mais qu’il s’agisse des droits avec un D majuscule ou des droits avec un d minuscule, tout devrait se retrouver dans cet Etat de droits.

Cependant la question de l’Etat de droits soulève ipso facto une autre question, celle de la souveraineté c’est-à-dire celle d’un Etat qui, sur le plan intérieur et extérieur, impose ses choix et ses volontés. Autrement dit, seul l’Etat détient le pouvoir politique et l’impose aussi bien sur les nationaux que sur les étrangers. En aucune manière il n’est la marionnette ou l’outil de manipulation des puissances étrangères, qu’elles soient étatiques ou institutionnelles.

En RD Congo, avons-nous tous, gouvernants et gouvernés, le même entendement de l’Etat de droits sur le plan théorique et sur le plan pratique ? Ce n’est pas si vrai que cela. Apparemment la tendance est plutôt réductiviste. L’Etat de droit veut s’entendre seulement dans les aspects judiciaires, avec le procès de cent (100) jours par exemple, encore que dans ce procès il y a eu beaucoup de dimensions qui ont péché contre les principes sacro saints de l’Etat de droit. Et même là, si les principes d’un Etat de droits étaient appliqués dans leur stricte rigueur beaucoup de gens impliqués dans ce dossier des maisons préfabriquées devraient se retrouver en prison. Toute la chaîne des dépenses par exemple ne saurait être exemptée des sanctions pénales mais tout à sembler à une sorte de méli-mélo politico-judiciaire qui a consacré le deux poids deux mesures.

Un Etat de droits s’applique et se vit dans tous les secteurs de la vie nationale. Tout le monde est soumis aux mêmes lois dans tous les secteurs sans exception aucune.

Aujourd’hui, le Congo est rongé par plusieurs conflits inter institutionnels, des conflits latents entre différentes forces politiques (CACH, FCC, LAMUKA) qui cherchent à s’entre-neutraliser et cela impacte sensiblement le fonctionnement de la république et la vie du citoyen congolais. Cette situation rappelle bien celle vécue au lendemain de l’indépendance où les animateurs des institutions de la république se sont entre neutralisés. Le président de la république Joseph Kasavubu a révoqué le Premier ministre Patrice Lumumba, celui-ci a révoqué à son tour le président ; s’ensuivirent les insurrections par-ci par-là sur toute l’étendue du territoire national. Aujourd’hui les institutions de la république sont prises en otage par des partis politiques qui veulent bien les utiliser pour nuire aux autres partis politiques sans se soucier du sort de la population. La Présidence de la république est gérée par la coalition Camps pour le changement (CACH) composé essentiellement par l’UDPS de Félix Tshisekedi et l’UNC de Vital Kamerhe. Tous opposants hier. Le Sénat ainsi que l’Assemblée nationale eux sont gérés par le Front commun pour le Congo (FCC) de l’ancien président Joseph Kabila, c’est-à-dire l’ancien régime qui a géré le pays dix-huit ans durant et qui n’accepterait pour rien au monde que son opposant d’hier puisse réussir là où lui a échoué. Le gouvernement central est majoritairement animé par les gens du FCC ce qui rend difficile l’action du Président de la république

Actuellement les armées de presque tous les pays frontaliers occupent une partie du territoire national, certaines y ont parfois hissé des drapeaux non-congolais : la Zambie, le Soudan, l’Angola, l’Ouganda, le Rwanda... Des velléités et discours indépendantistes émergent tacitement à travers le pays. Les populations se trouvant dans ces coins occupés n’ont-elles pas les mêmes droits que d’autres en termes de protection, de sécurité, de droit à la vie, droits d’aller et venir sur le territoire national, etc. Dans une telle situation que pourrait signifier la notion d’Etat de droits pour les citoyens soumis au diktat des étrangers ?

Notre Etat de droit congolais risque d’être à géométrie variable ! Le contexte socio-politique, juridique et économique actuel s’y apprêtent pour le meilleur et pour le pire. Les défis que connaissent les différents secteurs de la vie, les conflits inter institutionnels et leur mode de gestion semblent contredire tous les discours jusque-là galvanisés autour de l’Etat de droit.

A qui et à quoi croire ? Au discours ou à la réalité vécue ? Wait and see disent les anglais.

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(1) Terme utilisé par Maurice Duverger pour signifier le but de la propagande politique.
(2) Larousse de poche2011, Edition GCP Média, Paris 2010, Page 538

mardi 22 septembre 2020

RD Congo: Référence de la théorie de fenêtres cassées/brisées

Dans la suite des réflexions sur le 60e anniversaire de l’indépendance de la RD Congo (parue le 01.07.2020 sur notre blog), l’auteur conclut par la question « Que faire ? » De même, dans son homélie en hommage, le 30 juin 2020 dans la cathédrale de Kinshasa, l’archevêque Métropolitain Fridolin Ambongo s’est posé cette question et a lancé un appel solennel à la responsabilité de tout congolais. Longtemps avant, c’est le Pape François(1) qui, lui aussi, invitait également "gouvernants et gouvernés à réfléchir sur leurs propres responsabilités", en insistant sur la dimension charité qui doit rester le critère de base. 

Logiquement, comment réfléchir froidement sur les soixante ans de l’indépendance de la RD Congo sans frissonner ni se lamenter, sans critique facile et sans se plaindre du sort de ce géant aux pieds d’argile au cœur de l’Afrique?

Comment trouver des mots justes et des expressions adaptées qui traduisent sans trahir les espoirs d’un relèvement communautaire tant rêvé? Comment honorer et donner la force à ce congolais lambda tantôt désabusé, tantôt désespéré dans un environnement en continuel effacement des traces de cette lutte(2) qui a mis sur le plateau la tête de Lumumba, père idéologique de l’indépendance(3)? Comment ce congolais intériorise-t-il que le pays lui appartient mais, qu’il ne le possède toujours pas après soixante années…

Pourquoi seulement délirer sur la période de la colonisation alors qu’une fois le pays restitué entre les mains des nationaux, ceux-ci n’arrivent toujours pas à satisfaire les besoins vitaux des leurs… Pourquoi enfin se berner dans une sorte de paranoïa collective et se prendre constamment pour victime alors que, par l’inaction, ou par un attentisme permanent, on pourrait tout aussi bien être taxé de coupable …?

Nos vies sont brèves! Face à une espérance de vie moyenne qui varie entre 48 et 55 ans, soixante ans d’indépendance, c’est déjà pour un congolais un bonus d’une dizaine d’années… Ce qui n’est toutefois pas très long dans un processus de transformation d’une société. Surtout quand on sait ne pas avoir à faire qu’à de simples individus mais à des antivaleurs(4) érigées en systèmes et entretenues de législature en législature. Arriver donc à déguster les résultats d’efforts âprement consentis pour changer la mentalité des communautés exige du temps, de l’abnégation et du sacrifice. Lumumba nous en avait prévenu du haut de la tribune il y a soixante ans. Dans des contextes similaires, plusieurs leaders l’ont clamé et, Churchill(5) le reprend dans un discours devant les parlementaires en déclarant que, c’est au prix de sueur, de sang et de transpiration qu’on y arrive. Quelques avancées sont bien entendu enregistrées, et, dans une logique d’encouragement de ce qui devrait être accompli en soixante années d’indépendance, certains parleront du verre à moitié plein… Pourtant, il faut bien reconnaître que pour le commun des mortels, c’est plutôt le verre à moitié vide. Mais que le verre soit à moitié plein ou à moitié vide, les deux façons de percevoir les réalités se croisent et appellent à l’action.

Les affres des soixante-quinze années de colonisation de la RD Congo, ont eu un retentissement négatif sur le schema mental du congolais (on peut parler du syndrome de l’Oncle Tom(6) tel que systématisé par Malcom X en distinguant le comportement du nègre-de-champs de celui du nègre-de-salons). Pourtant, au lendemain de son indépendance, la RD Congo affichait quand-même de bonnes bases financières, infrastructurelles, sociales. Le pays n’avait point d’égal avec nombre d’autres états d’Afrique voire du monde : 1 franc congolais équivalait à 2 dollars américains, il faut aujourd’hui 2000 francs congolais pour un dollar!), le Congo était comparé à la RSA, à la Corée du Sud…

Des occasions manquées…


Plus qu’une rapide évaluation de soixante années d’indépendance, une remise en question radicale, et, au besoin des analyses comparatives et émulatives (pour stimuler) avec d’autres pays ayant connu un parcours similaire depuis la colonie jusqu’à la démocratisation en transitant par l’indépendance, devraient demeurer à l’agenda de chaque anniversaire… Fût-ce par impréparation et/ou par incompétence, en soixante années d’indépendance, des bavures hors-norme ont gangréné les législatures successives de 1960 à 2020. Les défis se sont enlisés et, la progression démographique n’a cessé de galoper. (Kinshasa qui comptait 400.000 habitants en 1960, avoisine en 2020 les 16 millions. Mine de rien, la RD Congo a dépassé très probablement le cap de 110 millions d’habitants pendant que les infrastructures et les conditions de vie régressent...)

Que d’occasions manquées pendant ce temps ! Sitôt au pouvoir, le 1er président du Congo, Joseph Kasavubu, homme intègre, réputé austère pour l’orthodoxie financière dans sa gestion du pays entre 1960-1965 s’est fourvoyé pour résorber une multitude des rébellions mullétistes sanglantes. A la suite d’un coup de force militaire, advint alors Mobutu qui, pendant ses trois décennies de règne, malgré la diversité des centaines des tribus que compte le pays, réussit à maintenir l’intégrité territoriale et l’unité nationale. Hélas, la rodomontade autour de l’Objectif 80 l’emporta dans ce qu’on a confusément appelé tantôt recours tantôt retour à l’authenticité avec comme corollaire la chasse aux symboles chrétiens de la puissante église catholique dans le pays. Au paroxysme de sa mégalomanie on notera la confiscation(7) sans indemnisation des investissements des étrangers en faveur de quelques nationaux, en l’occurrence les dignitaires du MPR parti-état, sans expertise en affaires ni en management. Par cette formule de la zaïrianisation, les investisseurs étrangers indexèrent pour très longtemps le pays et, les chances de relever l’économie après le départ des blancs se sont éloignées. Et comme coup de massue, Mobutu procéda à l’opération de démonétisation qui lamina le peu d’économie domestique et particulièrement des gagne-petit perdus dans la débrouille de l’informel. Enfin, c’est dans l’élan de la démocratie impulsée de l’extérieur partant du discours de la Baule et de la perestroïka que se tint la Conférence Nationale Souveraine durant les années quatre-vingt-dix, dont les résolutions constructives n’ont pas connu un début d’application. Contre toute attente, il est quand même reconnu à Mobutu le mérite d’avoir préservé quelques attributs de la souveraineté du pays…

Laurent Désiré Kabila succéda à Mobutu à la suite d’une guerre dite de libération où des armées étrangères ont eu la part belle, faisant table rase, tuant et détruisant les derniers vestiges de l’époque belge. La confrontation entre les armées rwandaise et ougandaise, en pleine ville de Kisangani et les désastres qui l’ont accompagnée, en est un cas de figure. Les négociateurs politiques congolais en position de faiblesse n’ont pas su protéger les attributs de souveraineté face aux intérêts économiques gloutons et stratégiques des coalisés conviés aux termes d’accords qui jusqu’à ce jour, tourmentent le pays. Essoufflé par toutes ses tentatives de récoler un pays déchiré par une guerre des coalisés lourdement soutenue de l’étranger par les multinationales et les collabos, Laurent Désiré Kabila finit par être assassiné en plein jour sans réussir à donner aux congolais la démocratie et le bien-être promis, ni à relever les défis liés à la paix, à la souveraineté et à l’unité nationale. Et quand Joseph Kabila est entré au pouvoir, c’est une nouvelle saga du pillage des ressources naturelles du pays, en complicité avec quelques compatriotes, qui débute… Pressentant qu’un jour des voix s’élèveront pour exiger des comptes, ils s’employèrent à placer leurs irréductibles dans toutes les instances stratégiques du pays en vue de contrôler toute décision et actions à mener, avec pour but premier de se protéger. Et pour mieux s’en assurer, des lois(8) taillées pour les besoins de la cause ont même été adoptées par un parlement entièrement acquis. C’est ainsi qu’aujourd’hui encore, les budgets continuent à saigner d’émoluments trop élevés au nom d’indemnités afin d’entretenir les prédécesseurs qui n’exercent plus aucun mandat! Les nouveaux dirigeants en fonction sont étroitement limités dans leur action... Les défis de la paix et de la sécurité sont restés et l’absence d’une armée républicaine en est une expression éloquente. 

Passation du pouvoir entre Joseph et Felix, un cadeau empoisonné !


Dès sa prise des fonctions d’Etat, fortement entamée par des soupçons persistants de fraude électorale, tant en présidentielle qu’en législatives, la législature de Felix est à longueur de journées critiquée d’agir au doigt et à l’œil de son prédécesseur. Un deal a été conclu entre les deux et une coalition aux allures de cohabitation s’impose sur le pays depuis deux ans, (même s’ils ne cessent de se rentrer dedans, y compris publiquement, au mépris de la dignité et des intérêts de la nation).

Tout cela donne l’impression d’un triste folklore, quand le président déclare faire d’un état de droit, des réformes(9) administratives et politiques, de la sécurité, du combat contre la corruption… son cheval de bataille. Des scandales se poursuivent et le fossé d’inégalités sociales continue à se creuser de jour en jour. Au point que, dans le mental collectif, l’idée progresse que pour accéder au mieux-être dans ce pays, il faut arracher un poste public ou exercer des mandats politiques, meilleure façon de se protéger et de s’enrichir facilement et rapidement. Sans abnégation ni sacrifice des gouvernants il n’y a pas de solutions pour sortir du bourbier. Le mal est profond et les implications se ramifient jusqu’au de-là des frontières nationales. Pour la population, il y a urgence d’un leadership politique responsable à son chevet… et les églises pourraient encore jouer un rôle dans la mobilisation de la population.

Amener les congolais à plus d’amour et de solidarité dans cette situation et faire comprendre le besoin d’un combat d’ensemble pour un Congo uni et plus fort en constitue la piste. Trêve aux interminables spéculations, aux diagnostics et aux états des lieux sans appel et de s’employer à répondre au « que faire ».

Le dernier discours de l’archevêque de Kinshasa, Ambongo, trace un tableau sombre d’une gouvernance catastrophique du pays à travers des mots durs autour des questions importantes de la vie nationale et pour lesquelles le politique ne sourcille même pas … Plus il y aura d’indignations, la grogne montera et, plus les motivations pour un engagement ferme à se libérer(10) se multiplieront. Quoique menacée, l’Eglise aura toutes les raisons de s’engager sur le terrain aux côtés de la population. Il suffira de très peu pour que le vent de l’Afrique de l’Ouest qui a fait partir Blaise Compaoré, Yayah Jameh et dernièrement Ibrahim Boubacar Kéita souffle de ce côté…

Soixante ans d’indépendance: une extrapolation de la théorie (11) de fenêtres brisées…


L’esprit de la théorie des fenêtres cassées ou des vitres brisées développée par le professeur Phillip Zimbardo et ses collègues, partant des causes racines de la criminalité à partir de l’expérience du métro de New-York, pourrait servir une démarche de conscientisation utile pour la RD Congo. En tant que méthode, elle renferme le mérite d’ouvrir la petite piste pratique et réaliste en réponse à « comment s’y prendre » et surtout « par où commencer » en vue de casser la spirale des mauvaises pratiques qui ont envoûté les différentes législatures au sommet de l’Etat.

Quoiqu’initialement expérimentée en matière de l’incivilité dans différents contextes, la théorie des vitres brisées pourrait tout aussi bien expliquer le déficit de responsabilité tant dans le chef des gouvernants que des gouvernés pendant les législatures qui se sont succédées en soixante années d’indépendance. On retrouve aux affaires pendant des décennies les mêmes têtes et, la réédition de mêmes modes opératoires qui n’ont cessé d’être décriés et fustigés. C’est ainsi que les déclarations de bonnes intentions, «plus rien ne sera comme avant», «tolérance zéro», «instaurer l’état de droit», «gouverner autrement» confrontés aux mauvaises pratiques érigées en système restent lettres mortes. Entretemps les détournements, la grande et la petite corruption (sehemu yangu en français facile ‘ma part’, se retrouver…), l’impunité, la criminalité, l’abus de pouvoir… poursuivent leur bonhomme de chemin.

De grands slogans du genre «Objectif 80» sous Mobutu, «la révolution de la modernité et le Congo émergeant» sous Joseph K, «faire de la RDC l’Allemagne de l’Afrique et, faire émerger la classe des millionnaires, le peuple d’abord » sous Fatshi ne font plus crédit pour les congolais…

Une fois en fonction, le sevrage des nouveaux responsables ne dure que quelques temps avant qu’ils ne soient récupérés par le système. Comble de tout, ‘dirigeants et administrés’ et/ou paradoxalement ‘bourreaux et victimes’ s’en accommodent facilement.

Enfin, la théorie des vitres ou fenêtres cassées a le mérite de proposer la façon de s’y prendre qui a donné de bons résultats en termes de la tolérance zéro, parce que cette théorie prédit que les imperfections de l’environnement vont générer la sensation que la loi n’existe pas, l’insouciance qui va créer un sentiment d’absence de loi, des normes et de règle. Et de poursuivre que, dans une situation où il n’y a pas de normes, il est très probable que des comportements de dégradation, de déprédation, de destruction, de détérioration… apparaissent et s’installent. L’expérimentation de la théorie de vitre cassée démontre que partant des petites choses, elles peuvent à la longue conduire à imprimer un terrible comportement collectif de dérèglement et occasionner ainsi un déferlement des crimes plus importants même à l’échelle de la gouvernance du pays et, cela de décennies en décennies. Et alors, une fois perçu de la sorte, il faudra aussi rétropédaler pour promouvoir le principe de la tolérance zéro au plus bas niveau de la communauté.


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(1) Source,Vatican-RadioVatican,https://fr.aleteia.org/2013/09/16/pape-francois-un-bon-catholique-doit-se-meler-de -politique/
(2) Cette lutte sublime qui fut de larmes, de feu et sang… cfr Discours de Lumumba 30 juin
(3) Lire et relire le Discours de Lumumba et sa lettre à Pauline son épouse posté sur http://www.millebabords.org/spip.php?article14656
(4) Souvent le contenant c.-à-d. la forme, la dénomination pour exiger ces vices peuvent changer d’une époque ou d’un milieu à un autre mais en pratique le contenu reste la corruption et ou le détournement, les trafics d’influences, les abus de pouvoir…
(5) Je n’ai rien d’autre à offrir que du sang, du labeur, des larmes et de la sueur. W. Churchill dans un discours au parlement au début de la guerre contre le nazisme.
(6) Impossibilité du dialogue entre opprimés. Cfr ouvrage intitulé la case de l’Oncle Tom.
(7) Je vous demande enfin de respecter inconditionnellement la vie et les biens de vos concitoyens et des étrangers établis dans notre pays cfr Discours de Lumumba au 30 juin 1960

(8) Un stylo est plus dangereux dans les mains d’un politicien corrompu qu’un revolver le serait dans les mains d’un bandit de grand chemin; c’est pour exprimer toutes les lois votées par le système partant et où l’on a arrogé au président sortant des émoluments allant au-delà même des salaires de tous les présidents du monde en fonction et non en fonction. Des lois qui protègent les dirigeants contre toute la population, des lois qui noient tout l’espoir d’un bien être des générations entières.
(9) Réformes électorales, judiciaires, de lutte contre la corruption et le détournement des fonds publics…
(10) Prof Th Nlandu du CLC/Kinshasa paraphrase son mentor Prof Sevotte qu’un peuple se libère seul. Néanmoins il faut d’abord qu’il s’indigne pour ensuite s’engager à se libérer cfr Hessel… 
(11) La théorie des fenêtres cassées, part d’une expérience en psychologie sociale menée en 1969, à l'Université de Sanford (USA), par le professeur Philip Zimbardo. Elle consiste en ceci : 
=> 2 voitures identiques, de même marque, modèle et couleur sont abandonnées dans la rue. L’une dans le Bronx, une bourgade pauvre et troublée de New York et l'autre à Palo Alto, bourgade riche et pacifique de la Californie ; 2 milieux avec des populations très différentes. Une équipe de spécialistes en psychosociale s’est mise à étudier le comportement des personnes sur chaque site. Résultat : la voiture abandonnée dans le Bronx a commencé à être vandalisée en quelques heures. Elle a perdu moteur, rétroviseurs, radio, pneus… Tout ce qui était utilisable a été emporté et ce qui ne l'était pas, a été détruit. Au contraire, la voiture abandonnée à Palo Alto est restée intacte. Conclusion : Il est fréquent d'attribuer à la pauvreté la cause des crimes. Attribution partagée par les positions idéologiques les plus conservatrices tant de droite que de gauche. 
=> Suite de l'expérience: les chercheurs ont ensuite décidé de briser la vitre du véhicule de Palo Alto. Le résultat a été le déclenchement du même processus du Bronx, avec le vol, la violence et le vandalisme du véhicule, réduit au même état que celui du quartier pauvre. Pourquoi la vitre brisée d'une voiture garée dans un quartier soi-disant sécurisé est-elle capable de déclencher tout un processus délictueux? 
Conclusion : 
1. Ce n'est pas à cause de la pauvreté. Il existe évidemment quelque chose qui a à voir avec la psychologie, avec le comportement humain et avec les relations sociales. 
2. La vitre brisée d'une voiture abandonnée transmet une idée de décadence, de désintérêt, d'une négligence qui rompt les codes de coexistence. C'est comme si la loi, les normes et les règles étaient absentes et que plus rien n'a de la valeur. Chaque nouvelle attaque subie par l'automobile réaffirme et multiplie cette idée, jusqu'à ce que l'escalade des événements s'aggrave et devienne incontrôlable, menant à la violence irrationnelle. 
Des expériences ultérieures (James Q. Wilson et George Keeling) ont permis de développer la «théorie des vitres cassées ». D'un point de vue criminologique, cette théorie établit que la criminalité est plus élevée dans les zones où la négligence, la saleté, le désordre et la violence sont les plus élevés.
Si des « petites fautes » telles que le stationnement dans un lieu interdit, le dépassement de la vitesse limite ou l'irrespect d'un feu rouge ne sont pas sanctionnés, des fautes majeures commenceront à se développer, suivies par des crimes encore plus graves.
Celle-ci est peut-être une hypothèse du délabrement de la société , le manque de respect pour les valeurs universelles , le manque de respect de la société envers elle-même et envers les autorités ( extorsion et corruption ) et vice- versa , la corruption à tous les niveaux, le manque d'éducation et de formation pour la culture urbaine , le manque d'opportunités qui créé un pays avec des fenêtres brisées, avec de nombreuses fenêtres brisées que personne ne semble vouloir réparer. 
La théorie des fenêtres brisées a été appliquée pour la première fois au milieu des années 80 dans le métro de New York, qui était devenu la partie la plus dangereuse de la ville. Ils ont commencé à lutter contre les petites transgressions : le graffiti qui détériorait les lieux, la saleté des stations, l'ivresse des usagers, l’évasion du paiement des tickets, les larcins et les troubles. Les résultats ont été évidents... En ayant commencé par le plus petit on est donc parvenu à sécuriser le métro. 
En 1994, Rudolph Giuliano, maire de New York, basé sur la théorie des fenêtres cassées et l'expérience du métro, a propulsé une politique de «tolérance zéro». La stratégie consistait à créer des communautés propres et bien rangées, ne permettant pas des violations de la loi et des règles de la vie urbaine. Le résultat pratique a été une énorme baisse des taux de criminalité dans la ville de New York. Le terme «tolérance zéro» sonne comme une sorte de solution autoritaire et répressive, mais son concept principal est plutôt la prévention et la promotion des conditions de sécurité sociale. Il ne s'agit pas de lyncher le délinquant, ou de l'arrogance de la police, en fait, pour les abus de pouvoir devrait s'appliquer également la tolérance zéro. Ce n'est pas une tolérance zéro de celui qui a commis le crime, mais une tolérance zéro du délit en lui-même. Il s'agit de créer des communautés propres, bien rangées, respectueuses de la loi et des codes de base de la coexistence sociale de l'homme. (Voir Google research)

vendredi 3 juillet 2020

Homélie de Son Eminence Fridolin Cardinal Ambongo Besungu, Archevêque Métropolitain de Kinshasa, le 30 juin 2020 à l’occasion du 60e anniversaire de l’Indépendance de la RD Congo

Liturgie de la Parole du mardi 30 juin 2020 (60 ans de l’Indépendance de la RDC)
1ère lecture : Exode 13, 3-10 Psaume 5, 6-8 Evangile : Matthieu 25, 14-30


Excellence Monseigneur le Vicaire Général,
Chers Frères et Sœurs dans le Seigneur,
Chers Compatriotes,

La RD Congo, notre pays, célèbre aujourd’hui un jour exceptionnel : le 60e anniversaire de son accession à la souveraineté internationale. Nous n’avons pas le droit d’oublier ce jour qui a été l’aboutissement de tant de sacrifices et du sang versé par les vaillants fils et filles du Congo.

Comme nous l’avions entendu dans la première lecture, à la sortie d’Egypte, Moïse avait dit aux Israélites : « Souvenez-vous de ce jour » (Ex 13,3.8). Et nous peuple congolais, nous avons ce grave devoir de mémoire, de nous souvenir de ce jour.
Seulement, l’événement que nous célébrons aujourd’hui est aussi, en partie, à la source de notre malheur d’aujourd’hui. Contrairement aux pays voisins, l’indépendance du Congo, obtenue le 30 juin 1960, a été une indépendance plus rêvée que réfléchie : alors qu’ailleurs, on réfléchissait sur le sens de l’indépendance, on préparait les gens aux conséquences de l’indépendance ; nous, au Congo, nous rêvions l’indépendance ; de telle sorte que notre indépendance a été rêvée avec émotion, avec passion, avec l’irrationalité, au point qu’à ce moment-là, nous ne savions pas ce qui nous attendait le lendemain. La conséquence sur le comportement des Congolais qui ont eu à accéder des responsabilités continue encore à se vérifier aujourd’hui.

Rêver de l’indépendance signifiait pour les Congolais de l’époque : accéder à l’indépendance pour occuper les postes des Blancs, s’asseoir sur les sièges des Blancs, jouir des avantages qui étaient réservés aux Blancs et pas aux Indigènes à l’époque. Accéder à l’indépendance signifiait pour beaucoup, la fin des travaux forcés, justement ; mais au-delà des travaux forcés, l’indépendance était comprise comme la fin de tous les travaux salissants. A l’indépendance, nous ne ferons plus des travaux de terre, nous serons tous des chefs. Nous allons occuper les postes des blancs. Le lendemain de l’indépendance, et cela s’est vérifié avec la décision de la zaïrianisation, les Congolais ont occupé les postes des Blancs. Et étant donné qu’ils ne comprenaient rien de ce que faisaient les Blancs quand ils occupaient tel ou tel poste, l’exercice d’autorité, l’exercice des charges, que ce soit des charges politiques ou dans le socio-économique ou dans l’administration a été compris comme l’occasion de jouir comme les Blancs.

Ainsi, l’exercice d’autorité au Congo a été compris comme une occasion de jouissance. On accède au pouvoir pour jouir, non pas pour rendre service à ceux qui sont sous ma responsabilité mais pour jouir comme le Blanc. Alors que ce dernier, quand il était assis sur ce fauteuil, il ne faisait pas que jouir. Il travaillait. Il comprenait le sens de son travail. Nous, par contre, nous avons mis de côté le service à rendre aux autres et nous avons mis l’accent sur la notion de la jouissance.

Un regard rapide sur les soixante ans qui viennent de se passer montre que ce grand rêve des Congolais a été progressivement brisé par une série de faits et événements. Nous avons connu la succession des régimes autocratiques qui arrivent au pouvoir comme les colons sans aucun souci de la volonté du peuple et cela continue jusqu’aujourd’hui : par la force, les guerres ou par la ruse, la fraude et en installant un système égoïste dans la gestion de la chose publique au lieu de promouvoir le bien-être commun du peuple congolais à qui on estime qu’on a aucun compte à lui rendre parce que ce n’est pas à grâce de lui qu’on est arrivé au pouvoir. On ne se sent pas du tout redevable à ce peuple. A cela s’ajoute la culture de l’impunité pour les grands. On sanctionne les petits qui volent une poule, qui vole une chèvre, qui donne un coup à quelqu’un. Il peut se retrouver à Makala. Les grands, c’est l’impunité totale. Heureusement qu’il y a quelque chose qui commence à bouger. Il y a l’acharnement de la majorité parlementaire actuelle à faire main basse sur la CENI et la Magistrature. Ce sont des pratiques qu’on ne peut jamais tolérer. Parce que nous savons que de ces deux institutions, dépendent l’indépendance du peuple. Et ses principes sont consacrés dans l’Etat de droit. Quand on parle de l’Etat de droit, il y a ces principes-là : l’indépendance de l’organe qui organise les élections et l’indépendance de la Justice, de la Magistrature. Si vous n’avez pas ces deux-là, oubliez l’importance qu’on puisse accorder au peuple.

Comment comprendre que 60 ans après son accession à la souveraineté internationale, le peuple congolais continue à s’appauvrir au point d’être classé aujourd’hui parmi les peuples les plus misérables de la terre. L’inviolabilité de son territoire n’est vraiment pas garantie et le projet de la balkanisation du Congo toujours à l’ordre du jour. Quand nous regardons tout ce qui se passe à l’Est du pays, la situation à Ituri, avec l’insécurité organisée, malheureusement par certains responsables à partir de Kinshasa, la situation à Beni-Butembo, avec les ADF-NALU qui sont toujours là. Comment expliquer que toute une armée du pays comme le Congo ne soit pas capable de déloger ces quelques individus qui sont dans la brousse à Beni. Et pourtant, vous vous en souviendrez qu’au mois de janvier, l’Armée avait solennellement annoncé ici la fin de ces Mouvements ADF-NALU qu’elle avait pris le contrôle de tout le territoire et qu’elle les avait mis hors d’état de nuire. Pourtant, ils sont toujours là et toujours menaçants. Il y a la situation au Sud-Kivu, dans le Diocèse d’Uvira, autour de Minembwe, où les Armées des pays voisins viennent s’affronter chez nous : le Rwanda et le Burundi. Et que dire de la situation au Tanganyika : même la Zambie qui, jusqu’ici, est considérée comme un pays ami, se permet d’occuper notre territoire. La vérité est que le Congo a 9 voisins, et tous sont présents chez nous : soit par leurs armées, c’est la plus part des cas, soit par leurs immigrés. Nous savons que derrière les immigrés se cache la politique d’occupation de notre pays. C’est le cas de Grand Nord, avec les réfugiés venant de Centrafrique et avec les éleveurs Mbororo. Quant à la spoliation de ses ressources naturelles, elle se fait au grand jour, avec la complicité de certains Congolais, sans que la population ne puisse en profiter réellement.

Nous devons bien le reconnaître, chers Frères et Sœurs, après 60 ans d’indépendance, le constat est sans appel : nous avons honteusement échoué. Nous n’avons pas été capables de faire du Congo un pays plus beau qu’avant. Nous n’avons pas aidé notre peuple à redresser son front plus que jamais courbé. En tout, nous avons collectivement failli.

Que devons-nous faire ? L’évangile de ce jour nous invite à la responsabilité. Car chacun de nous aura à rendre compte devant Dieu de ce qu’il aura fait de ses talents, de ce beau pays aux potentiels immenses : qu’avez-vous fait de votre pays ? C’est la question qui nous sera posée lorsque nous nous présenterons devant le Tribunal Suprême. Qu’avez-vous fait de toutes ces richesses, de toutes ces potentialités que je vous ai données gracieusement ? A cette question, ce n’est pas la classe politique qui va aider le pays à sortir de la détresse. Nous devons sortir de cette mentalité comme on l’entend souvent à la cité : que le Président ou le Gouvernement vienne faire ceci ou cela. Ce sont des comportements irresponsables. C’est le peuple lui-même.

Nous savons très bien que la coalition CACH-FCC qui est au pouvoir depuis plus d’une année, cette coalition sait très bien comment elle avait foulé au pied la volonté du peuple pour en arriver là. La coalition sait. Maintenant, ses membres le disent. Malgré tout, le peuple avait fini par se résigner et accepter le fait accompli. Un peu comme dans le récit de Jacob qui avait volé la bénédiction destinée à son frère aîné Esaü (cf. Gn 27), le peuple espérait que du mal originel pouvait sortir un bien. Malheureusement, le constat est là.

Il n’y a de coalition au pouvoir que de nom. De part et d’autre, c’est le désamour, le cœur n’est plus à l’ouvrage. Au lieu de travailler ensemble autour d’un programme commun de gouvernement, les coalisés ne se font plus confiance. Ils ont développé un rapport dangereux de rivalité qui risque d’entrainer tout le pays dans le chaos définitif. Pendant ce temps, l’action gouvernementale est complètement paralysée et le service légitime à rendre à la population est sacrifiée. Le peuple est abandonné. En définitive, la coalition au pouvoir a perdu sa raison d’être. Elle devrait normalement disparaître. C’est de la responsabilité de ceux qui se sont coalisés, le Président et le Président sortant, de faire éclater cette coalition qui conditionne le développement de notre pays. Et aussi longtemps que cette coalition sera là, il n’y a rien à espérer de nos Gouvernants. C’est inacceptable.

Nous dénonçons les velléités actuelles, surtout de la Majorité parlementaire actuelle, qui tendent à remettre en question les espoirs de la population pour un pouvoir judiciaire réellement indépendant et au service du pays, et non des individus, et aussi pour une CENI au-dessus de tout soupçon. Sur ces deux points : la position de l’Eglise Catholique est claire.
  1. Autour de la question de la CENI, nous notons de la part de la Présidente de l’Assemblée Nationale une attitude de mépris vis-à-vis de l’Eglise Catholique, de l’Eglise Protestante et de la population congolaise. Ces deux Eglises qui représentent plus de 80% de la population congolaise ont dit non à la nomination d’un personnage qui a déjà fait ses preuves dans les fraudes électorale. Malgré le non de ces deux Eglises, Madame la Présidente continue tranquillement à faire croire au peuple que les Confessions religieuses se sont réunies pour signer un document pour la candidature de ce Monsieur qui était le cerveau-moteur du système Naanga. Nous n’en voulons pas.
  2. La deuxième preuve du mépris que l’Assemblée Nationale a pour le peuple, c’est par rapport à ces trois lois Minaku-Sakata. Le peuple n’en veut pas. L’Eglise Catholique, l’Eglise Protestante, les associations civiles se sont prononcées massivement contre ces lois qui ne visent qu’à protéger ceux qui se sentent coupables. Et là, nous notons aussi une attitude de mépris, d’arrogance qui a caractérisé l’ancien système. Nous ne l’acceptons pas. 
Dès lors, et à l’occasion de la célébration de l’indépendance de notre pays, je lance cet appel à l’ensemble de notre peuple, de notre population, à la Société Civile, à l’Eglise Catholique qui est déjà à l’ordre de marche, à l’Eglise Protestante, à s’élever, à redresser le front pour faire barrage à ces velléités qui n’ont comme unique objectif que de protéger les intérêts partisans de ceux qui ne veulent pas d’une justice juste. Les jours à venir seront difficiles. Et je tiens ici à demander au peuple de se tenir en ordre de marche. Lorsque le moment viendra, lorsqu’ils s’obstineront à faire passer ces lois et ce personnage à la tête de la CENI, il faudra qu’il nous trouve sur leur chemin. On ne peut pas continuer, après 60 ans de l’indépendance du pays, à gouverner par défi, par mépris du peuple, par mépris de l’Eglise Catholique et de l’Eglise Protestante.

Que par l’intercession de nos Bienheureux Martyrs, Isidore Bakanja et Marie-Clémentine Anuarite, Dieu libère le Congo de tous ceux qui l’écrasent et le conduise à sa pleine souveraineté.

Fridolin Cardinal Ambongo Besungu, ofm cap
Archevêque Métropolitain de Kinshasa

mercredi 1 juillet 2020

60 ans: plus qu'un adulte!

Etienne Bisimwa Ganywa, chrétien depuis longtemps engagé pour le relèvement de son peuple et animateur du programme Former pour Transformer (FPT), partage à partir de Bukavu une réflexion sur les 60 ans de l’indépendance de son pays, la République démocratique du Congo.

Oh Congo, qu’as-tu fait de tes 60 ans…

Aujourd’hui 18 juin 2020, trois coups de bombes lacrymogènes viennent d’être tirés par la police sur un groupe des manifestants sur l’avenue Emery Patrice Lumumba ici à Nyawera (Bukavu).

Dans la nuit de lundi 15 au 16 juin dernier, un chauffeur de taxi a été tué par une bavure policière pour la raison qu’il ne portait pas son masque. La matinée suivante, des jeunes ont barricadé la route de Bagira, et le poste de quarantaine des malades du COVID 19 a été vandalisé et les malades obligés de s’évanouir dans la nature, sans doute vers leurs familles respectives.

Aujourd’hui, les députés provinciaux rentrent dans leur 9e mois de non payement de leurs émoluments. Chaque jour amène son lot de détournement de l’argent public, détournement qui se compte en millions de dollars américains…

Entre temps, les pauvres sont devenus encore plus pauvres et la classe moyenne a disparu. Il y a moins de 1% de la population dans la classe des riches et les 99% autres croupissent dans une misère dont seul Dieu connaît l’intensité. Depuis longtemps, l’espoir n’est plus au rendez-vous… Pourtant, les populations avaient placé la dernière dose de leur espoir dans le pouvoir de Félix Tshisekedi, mais chaque heure qui passe emporte une partie de celui-ci, au point où le pays entier est rentré dans une zone de désespoir…

Au moment où tout le monde attend que l’État joue son rôle, on le cherche et il brille par son absence. L’État n’est pas là… Et, quand il est là, il joue toujours une fausse partition. Il est absent par une présence incongrue! Parce qu’en réalité, il en reste quelques bribes… Oui! Quelques bribes d’une institution finissante qui n’a plus une compréhension de son rôle comme service, de sa vocation première et de la vision qu’elle doit construire pour y conduire le citoyen. Comme Lumumba, l’État est mort.

Une des conséquences de cette situation est de pousser le citoyen à la recherche d’un leadership alternatif. Les Églises? Les Chefs traditionnels? Pourtant, force est de constater que l’intensité de ces leaderships est faible et leur profondeur superficielle, pour autant qu’on les trouve…

Si nous nous regardons de dedans, nous aurons peur, et il est vrai : nous ne pouvons que construire dans le moment présent et pas dans le passé. Le tout est de partir et de faire un saut de qualité en construisant notre « ici et maintenant ».


60 ans, temps de maturité!

Dans un couple, c’est le temps où l’amour est fort, où l’intelligence est au zénith, mêlée à la sagesse, à l’expérience et au détachement. C’est un temps d’accomplissement… Temps où nous sommes supposés être au-dessus de notre art…

Comme, pays, c’est aussi le temps de cette même maturité où nous devons nous aimer, car l’amour est la seule force qui nous permet de transporter les montagnes; nous devons choisir par nous-mêmes car nous savons discerner l’utile qui donne vie et l’agréable sans âme qui détruit et donne la mort. C’est le temps de mettre nos intelligences au service de la communauté et développer une cohésion qui ne laisse pas d’espace à ce qu’une certaine presse appelle la balkanisation.

La vision. Répondons ensemble à la question de savoir le type de Congo que nous voulons léguer à nos enfants. Comme nous le chantons dans l’hymne national : « Don béni ». Nous l’avons reçu et nous devons le léguer à nos enfants et aux enfants de nos enfants… Un don a toujours cette caractéristique de donner la joie, l’amour, la vie et partant le bonheur. Et, quand il est béni, il devient une source intarissable d’espérance sans cesse renouvelée.

La tâche de réinventer la nation à tous les niveaux. Ceci pourra se faire en refondant l’État qui met la personne au centre de tout. Il nous est important d’affirmer que ce qui fait la RD Congo c’est d’abord le citoyen congolais car toutes les autres choses existent pour lui. Ce pays ne pourra jamais être ce Don Béni si chaque homme ou chaque femme qui y vit n’est pas reconnu comme un don béni de Dieu. C’est en reconnaissant cette valeur intrinsèque de chaque citoyen que l’on pourra refonder et réinventer la nation et l’État. La première richesse de la RD Congo c’est le congolais. C’est le citoyen qui est notre mine d’or et nous en avons plus de 120 millions (1). Quelle richesse !!!

Le Congo est une chance pour le monde. Le Congo comme un Don Béni a et aura un rôle moteur dans les pays d’Afrique Centrale, en Afrique et dans le monde. C’est incontestablement un Congo debout qui est une chance pour le monde, pas un Congo meurtri. C’est plus ce Don Béni qui reste une chance pour l’Univers. Frottez-vous au Congo par la vie et vous vivrez! Et frottez-vous au Congo par la mort, vous définissez votre propre sort.

Quelle est notre force. Notre force n’est pas dans les armées, ni dans les mines, ni dans les terres, encore moins dans les ressources naturelles en général… Notre force est dans le citoyen et les valeurs qui l’animent. C’est en effet ce citoyen qui transformera notre armée en une force républicaine, c’est lui qui fera que nos mines soient en réalité une force, c’est lui qui fera que nos terres soient une source de vie pour les hommes et les femmes. C’est lui enfin qui va transformer nos ressources naturelles en ressources de vie.

Quel que soit le contexte dans lequel nous célébrons ces 60 ans de l’indépendance, il y a un vent de retour de la fierté de l’identité noire dans le monde. Quant à la tournure des affaires judiciaires dans notre pays, même si nous ne pouvons pas nous mettre d’accord, nous vivons ces affaires comme notre investissement. Le cas de Vital a sonné les glas : « Plus jamais ça », quel que soit le niveau de l’auteur. Telle une partie de la douleur d’enfantement. Alors nous pouvons nous poser la question de savoir quelle est le sens de notre action… Ceci nous permettra de répondre profondément à la question : Que faire?

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(1) Ce chiffre de 120 millions peut choquer les esprits. Cependant, il y a plus d’un an, les services de OCHA (Organisme des Nations Unies) avaient fait la compilation des chiffres de centres de santé. Et il avait été constaté que la population de la RD Congo avait dépassé le chiffre de 100 millions d'habitants. Or on sait que les recensements des zones de santé vont toujours au voisinage de 75% de la population… C’est dire qu’il y a 25% autres qui ne sont pas répertoriés… 120 millions de congolais est une appréciation basée sur les travaux d’OCHA. Il faut prendre aussi en compte le fait que le dernier recensement en RD Congo date de 1984…