vendredi 9 novembre 2018

Solange Lusiku, une vie de pionnière atypique …


Il est venu parmi eux et les siens ne l’ont pas reconnu... Ainsi est la vie de certaines personnes dont le modus vivendi sort de l’ordinaire et marque de manière aussi profonde que rapide leur temps sur terre.

Solange Lusiku Nsimire Kayange, « Solsol le jour », n’a pas échappé à la règle: 46 ans de vie sur terre. Pas suffisant pour mourir de sitôt pourtant ça paraît beaucoup au regard de la richesse qu’elle laisse derrière elle, de son engagement social et son combat pour la démocratie et la promotion des droits de la femme. Que de si peu de temps, elle ait eu une vie qui aura marqué son temps… il faut bien le souligner avec force.

Considérée comme l’une des femmes pionnières de la presse écrite au Sud-Kivu, voire en République démocratique du Congo, elle a passé la majeure partie de sa vie au journal le Souverain où elle a usé de sa plume pour former et informer le public congolais et d’ailleurs sur des questions de tous ordres. Battante et soldate de la démocratie, le monde l’a admis à la grande fierté de la presse du Sud-Kivu. Engagée à combattre la rumeur et la désinformation dans un environnement où tout cela s’impose comme règle; un environnement où la population reste un peu ignorante sur un certain nombre de sujets surtout sur la gestion du res publica (bien public), les droits de l’homme et particulièrement les droits de la femme, l’interaction entre les dirigeants et les dirigés, les héros vivants oubliés de la société qui ont marqué dans toute humilité et effacement leurs secteurs de vie et leurs générations, etc. Solange a forgé dans toute simplicité et détermination l’admiration de plus d’un dans sa façon de vivre et d’informer, la qualité de l’information dans le journal le Souverain libre…

Troublée souvent par les événements, par les fausses amitiés de parcours, les attitudes des hommes politiques congolais, surtout la situation socio-politique et le contexte global du pays et de la sous-région des grands lacs africains, Solange restait confiante, engagée et soucieuse d’apporter sa pierre réparatrice comme journaliste. "Faisons ce que nous avons à faire pour épargner les générations futures à vivre ce que nous déplorons aujourd’hui" nous disait-elle. Elle ne ratait jamais l’occasion de faire un plaidoyer en faveur de l’amélioration de la situation sociopolitique de la République démocratique du Congo et de la région lorsque les circonstances le lui permettaient bien.

Haïr le mensonge dans un monde où beaucoup pensent qu’il faut mentir pour survivre; dire la vérité là où beaucoup pensent que dire la vérité en face c’est manquer du respect et d’amour à son interlocuteur et c’est signer sa mort surtout s’il s’agit d’une autorité politique et administrative en face; Solange en était capable et parfois je lui disais de ne pas faire le journaliste partout et dans tout; mais non, c’était comme ça, elle devait dire les choses telles qu’elles sont pour le bien du changement … Les politiciens aimaient dire d’elle qu’elle n’avait pas sa langue en poche et son stylo en pause… Autant mieux ne pas la rencontrer et éviter ses caricatures déshonorantes. Il faut dire qu’ici, les autorités politiques se perçoivent et veulent qu’elles soient perçues comme presque des « intouchables » dont on ne peut s’aventurer de ternir l’image par des caricatures dans des journaux. Il fallait bien oser…

Adieu Solange Lusiku, mon amie, ma complice et compagne de lutte… Nous continuerons la partie du combat qui nous restait encore à faire ensemble. RIP.

mardi 23 octobre 2018

RDC : La Justice, les services de sécurité et de renseignements à l’épreuve du respect des droits humains

Est-il vraiment possible de trouver quelque part au monde un de ces services qui soit entièrement à la hauteur du respect des droits humains pour permettre une vie harmonieuse en société face à une gouvernance de dirigeants de plus en plus dictatoriaux?

Difficile, par les temps qui courent, de répondre affirmativement, malgré la valse de réformes engrangées ces dernières décennies, instaurant la participation de la communauté dans la recherche de sa sécurité au sein des états modernes. Bien plus, quiconque ose dénoncer (1) les violations des droits et des libertés se met en danger… Très alertes, les autorités, sont toujours sur la défensive permanente, et (sans enquête préalable) elles s’empressent de balayer d’un revers de main tous les griefs qu’on leur fait. Soit encore elles banalisent et minimisent l’ampleur des dégâts. Quitte par la suite, au gouvernement, de crier à l’acharnement, à l’atteinte à la souveraineté, au néo-impérialisme et, par-dessus tout, de rétorquer que d’identiques bavures perpétrées de par le monde par les services de police et de la gendarmerie tant aux Etats Unis, en France, qu’en Russie passent souvent inaperçues et sans que leurs dirigeants ne soient inquiétés et/ou traqués pour la Cour pénale internationale (CPI) comme c’est le cas pour les dirigeants africains.

Effectivement, le fait que la cour internationale s’en prenne quasi uniquement à des dirigeants africains a conforté d’autres états non signataires de l’accord de Rome. Notamment le Rwanda voisin régulièrement impliqué dans nombre de violations de droits humains dans l’Est de la RD Congo sans qu’il ait été poursuivi. Un élan parano constaté dans le chef de certains dirigeants de la région, le Burundi en tête, a déclenché une campagne d’incitation à l’exit des états africains de la prestigieuse institution au seul motif que, la Cour pénale internationale est là juste pour traquer les dirigeants africains. Pourtant, face aux violations des droits, rien ne devrait épargner un seul dirigeant du monde de ses responsabilités et de leurs engagements constitutionnels tant vis-à-vis des administrés que des étrangers œuvrant au pays. L’exemple du film de Thierry Michel sur l’assassinat du Coordonnateur de la voix des Sans-voix, Floribert Chebeya, parle d’un crime d’état suite à l’implication avérée des hauts officiers de la PNC dont John Numbi… Il en est de même de l’enquête menée par RFI et Reuters portant sur la mort le 12 mars 2017 des deux experts des Nations Unies (Zaida Catalan et Michael Sharp) au Kasaï. Le rapport dit clairement que de graves interrogations persistaient autour du rôle des agents de services de sécurité, de renseignements et de la justice (agent ANR, de la DGM, colonel de FARDC) et, ceci à partir des “Menaces de mort, surveillances, arrestations et détentions illégales, expulsions… sic dixit!

Septembre 2018, moment butoir ?


Nous sommes à 60 jours de la tenue des scrutins. A ce moment précis, toutes les institutions de la république seront sensées n’assumer que les affaires courantes en attendant l’installation de nouvelles autorités qui jailliront des élections démocratiques.

Mais pour l’heure, aucun signal d’ouverture ne pointe à l’horizon. Par contre, c’est crispation sur crispation, avec plusieurs accrocs dénoncés par la société civile et l’opposition (la machine à voter, le fichier électoral, qui n’inspirent pas confiance, le décaissement au compte goutte des moyens pendant que le gouvernement a refusé toute aide extérieure…)

À cette allure le doute s’installe de plus en plus dans les esprits des gens sur la forte probabilité de non-tenue de ces élections dans le temps et/ou dans le calme. Les médias officiels pro-gouvernementaux trop partisans ne font que surchauffer davantage les tensions au sein d’une population trop impatiente de se doter de nouveaux dirigeants qui pourront se préoccuper de l’amélioration des conditions d’existence plus décentes. Nous risquons de traverser des turbulences politique et une ‘forte vulnérabilité’ pour les défenseurs des droits humains appelés à monitorer et à diffuser…

Encore une fois, forts de l’article 64 de la constitution accrochée comme une épée de Damoclès, les congolais exprimeront haut et fort leur besoin de l’alternance politique au travers de manifestations et malgré les risques de répressions sanglantes comme ce fut le cas pour les Marches pacifiques du 15 janvier 2015 pour la loi électorale, ou la marche des chrétiens de février 2017…

Les dirigeants en fonction sont conscients de la fatale sanction que leur réservent les électeurs au terme des prochaines élections. La pénible heure de l’inévitable, est enfin arrivée et pourrait possiblement induire à l’inéligibilité mais bien plus, à la déchéance d’immunités, de légitimité, de dignité, d’indemnités et des privilèges de la grande partie… Devant pareil développement, décrocher un nouveau mandat est très peu certain. Par exemple, dans la ville de Bukavu, pour la 1ère fois, l’association des motards a refusé de prendre la motivation financière qui leur est proposée pour accompagner un riche candidat de la majorité présidentielle afin d’aller déposer avec vacarme sa candidature au bureau provincial de la CENI comme c’est de plus en plus l’habitude... Il en est de même pour un autre candidat député national de la majorité présidentielle dans le milieu rural de la circonscription électorale de Kabare Nord qui s’est improvisé dans une manifestation et a profité de l’occasion pour faire un don de 500$ pour un breuvage après rencontre, mais à qui les villageois ont refusé son offre avec courtoisie… Autant de positions catégoriques prises par des pauvres gens à l’endroit d’anciens élus revenus pour solliciter un nouveau mandat. C’est en fait cela qui justifie la trouille générale qui habite actuellement le camp de la majorité présidentielle. Elle tente de jouer du jusqu’au-boutisme pour se retrouver dans la prochaine législature. Entretemps, l’impression qu’ils reflètent après ces réactions inattendues est qu’en adultes tous se reprocheraient des choses qu’ils auraient dû réaliser mais qu’ils n’ont pas pu.

Plus rien ne passe au niveau de la grande partie des congolais! Qu’il s’agisse des discours des grands professeurs du camp présidentiel et du FCC, en passant par les homélies orientées de certains pasteurs et religieux acquis à la cause du pouvoir, ou encore sur le double langage de certains acteurs qui ont trahi de la société civile et qui roulent désormais en contradiction avec leur grand idéal de lutte. Et, malgré le vocabulaire juridique-social-politique de la crème pensante de la majorité présidentielle qui monopolise les mass-médias pour sa cause, en profitant de la moindre cérémonie publique pour faire passer des choses, rien ne peut plus convaincre.

De plus, au regard de deux ans de glissement occasionné par une interprétation intéressée de la constitution, il apert encore prévisible que cette Cour constitutionnelle renforcée par le Conseil supérieur de la magistrature nouvellement installé sera mise à profit pour invalider quelques opposants challengers aux candidats de la majorité présidentielle (MP). Cette cour constitutionnelle a montré ses couleurs dans l’interprétation de l’article 75 (2) de la Constitution qui a permis l’actuel glissement. A voir combien la justice est instrumentalisée pour charger et traquer les opposants et les militants de défense des droits humains et tous ceux qui osent contrarier le Pouvoir, il est évident que tout l’appareil judiciaire du pays se présente désormais en chien de chasse du pouvoir politique.

Est également convié dans la même danse, le parlement à majorité MP qui s’est empressé d’une part de voter des lois liberticides à l’encontre du mouvement associatif pour limiter son action et d’autre part a adopté en l’absence des députés de l’opposition la fameuse loi portant sur statut des présidents élus après mandat. Bien taillée sur mesure, cette loi protège le Président Joseph Kabila en lui octroyant immunité et protection de ses acquis une fois le mandat terminé. Cette loi entre en contradiction avec les lois internationales et ouvrirait un boulevard aux prochains présidents pour violer impunément les droits humains, si elle n’est pas revisitée sous la prochaine législature.

Toujours dans la même lancée, on a constaté que le commandement FARDC, du sommet jusqu'aux régions militaires en Provinces vient d’être récemment réaménagé. Comme par un coup de balai, on parle de 3200 vaillants officiers militaires, produits des meilleures académies militaires du monde, qui viennent d’être mis en retraite (3) précoce et, remplacé par ces officiers issues des rébellions, de milices et des groupes armés. La plupart de ces officiers sont sans instruction de base. Parmi eux, une bonne partie est reprise sur la liste noire des crimes imprescriptibles au niveau des juridictions internationales. Par cette opération, il s’ensuit qu’aujourd’hui, toute la partie Est du pays, partant de la Province Orientale, étreignant le Nord-Kivu, le Sud-Kivu, le Maniema jusqu’au Nord-Katanga est placée essentiellement sous le commandement de ces mêmes officiers militaires émanant du RCD (4). Les mêmes qui ont écumé l’Est du pays pendant le temps mémorable (1998-2005) où la RD Congo a été coupée en deux et où cette partie était sous occupation rwandaise et ougandaise. On sait lire les rapports sur ces crimes et graves violations archivés jalousement au sein des rapports d’ONGs et du rapport Mapping des Nations unies !

Pour d’aucuns, ce remue-ménage n’est pas d’un bon présage. Il met les bourreaux en face de leurs victimes sans qu’on n’ait jamais procédé à un seul mécanisme de justice, ni de réconciliation, ni de rétablissement de la vérité dans le but de panser les plaies et essuyer les larmes des survivants de cette tragédie jamais oubliée…

Une redevabilité interne faible face à une machine permanente de répression…


Quoiqu’inscrite dans la loi fondamentale des Etats et bien que protégée par la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme et bien d’autres instruments juridiques nationaux et internationaux, la jouissance des droits et des libertés exige dans le monde entier à être revendiquée. Néanmoins, devant quelques cultures et coutumes rétrogrades prônant la soumission aveugle, les peuples, surtout les plus pauvres ignorent toujours qu’il est de leur droit d’exiger des comptes à leurs dirigeants. A défaut, ils pourraient être pris pour complices de leur propre malheur. Pour leur part, une fois aux affaires, rare sont les autorités publiques qui d’elles-mêmes reconnaissent qu’elles le sont de par et pour le compte de la population et que leur exiger continuellement des comptes est un droit légitime qui passe inéluctablement soit par des actions de la Société civile, des interpellations des parlementaires, les pétitions et par les notes techniques des bailleurs des fonds. Hélas, cet exercice est difficile car on se trouve devant une forte machine répressive. C’est alors qu’à tous égards, la tenue régulière d’élections dans les délais devient le rendez-vous de la dernière chance pour une population appelée à sanctionner (positivement ou négativement) ceux qui auront géré leur mandat à tous échelons de la gouvernance et de la gestion du pouvoir. Hélas, on constate que ce dernier rempart est de plus en plus violé par les dirigeants qui n’entendent pas être évalué par qui que ce soit fût-ce ceux qui les ont choisi. Pour ce faire, ils développent des mécanismes en opposition frontale avec l’exercice des droits et libertés des citoyens. Et dans le pire des cas le pouvoir s’impose toujours par la force et la barbarie au travers les agents de la justice et des services de sécurité et de renseignement.

Instrumentaliser la justice nationale et les services de sécurité pour le maintien au pouvoir !


On se souviendra que suite à l’usage disproportionné de la force par les services de sécurité dans les opérations Likofi 1 et Likofi 2 à l’endroit des SDF (4) de Kinshasa communément appelés shegge, les partenaires internationaux de la RD Congo en matière de la réforme des secteurs de sécurité et de la justice, dont la coopération britannique DFID, ont suspendu leur appui financier. La Belgique a emboîté le pas pour désapprouver les mêmes violations des droits humains. Le Ministère belge des affaires étrangères avait annoncé en 2017 qu’en représailles de ces violations, le gouvernement belge couperait son appui et l’orienterait vers la société civile. Les mises en garde des partenaires sur les violations des droits de l’homme sont souvent sans appel pour le Gouvernement. C’est alors que la société civile et les mouvements citoyens en tant que donneurs d’alertes crédibles sont placés dans le viseur des services de sécurité, surtout quand ces dénonciations (5) réalisées à partir de faits vécus, monitorés régulièrement, sont répercutées en dehors du pays sans censure. Plusieurs cas de violations des droits ont été portés à la face du monde à partir du monitoring de la société civile. Nombre de vaillants militants et activistes de droits humains l’ont payé de leur vie. Voilà pourquoi dans certains pays, le mouvement associatif s’organise à outiller les communautés dans le monitoring, dans la documentation approfondie des faits, dans la protection des sources et les preuves des violations en vue d’aider à rétablir la vérité et surtout aider les victimes à se constituer partie civile. En effet, les bailleurs des fonds évaluent désormais l’action d’une bonne société civile ainsi que l’utilisation des moyens alloués aux organisations de la société civile par la capacité des communautés et des associations locales (ensemble avec les victimes) à s’organiser pour mener de manière professionnelle un plaidoyer mais aussi à dénoncer et revendiquer correctement leurs droits.

Les contrecoups d’une paix sans justice!


Au sortir de la guerre d’AFDL (1997) la RD Congo a été classifiée sur l’arène internationale parmi ce que l’on a appelé tantôt états fragiles, tantôt pays post-conflits, tantôt états vulnérables. Cette situation a amené les différents partenaires de la RD Congo à lui appliquer des traitements particuliers pour le rétablissement de l’autorité de l’Etat sur l’ensemble du territoire national, dans le but d’aider à retrouver la paix, la stabilité et le développement, ces conditions indispensables pour accéder aux précieuses ressources naturelles présentes au pays… Ainsi, sous le coaching de la communauté internationale, quelques arrangements politiques ont été conclus mais on ne peut pas dire qu’ils ont totalement libéré le congolais. On peut dès lors constater que vingt ans après ces guerres dites de libération, ces arrangements factuels ont suscité des comportements sociétaux qui, à la longue, ont fini par s’ancrer négativement dans le mental collectif des dirigeants. Cela a été notamment du par le fait:
  • Primo d’avoir parfois sacrifié la justice pour le prix de la paix et d’intégrer ceux qui ont ensanglanté le pays dans les institutions publiques. Ces derniers se sont imposés, en prenant les institutions en otage et bloquant aujourd’hui tout élan démocratique. Ils font preuve de triomphalisme, de ‘justice des gagnants’ et gouvernent par défis. Les retombées, ce sont des «révolutions» en cascade, c’est la pratique de justice populaire au niveau des communautés locales. Bref, c’est le cycle interminable de violence et la résurgence permanente des groupes armés et des milices entretenues sur l’ensemble du territoire national, prêts à embraser le pays à tout moment.
  • Secundo, de ne pas procéder à un vetting préalable ni d’exiger les conditions minimales du respect des droits humains pour piloter les institutions. Malgré des rapports accablants et extrêmement documentés des Nations Unies, du HRW (6), d’Amnesty International, de Global Witness, International Crisis Group, certains reçoivent l’appui de leurs pairs pour diriger en ces moments précis la présidence tournante de la Commission des Nations Unies pour les Droits Humains (CNUDH).
  • Enfin, comment comprendre que des élus du peuple congolais, fussent ceux-ce de la MP, aient pu adopter et porter ex urbi la loi portant statuts des présidents élus en fin mandat ? Une loi taillée sur mesure, et porteuse d’une logique qui exonère le chef de l’état même des crimes imprescriptibles en vue d’effacer en bloc toutes les violations des droits qui ont été perpétrées! N’est-ce pas là laisser un mauvais héritage à ceux qui gouverneront la RD Congo de demain?

Enfin, la sécurité et la justice c’est pour quand ?


Selon l’OCDE (7), ‘le concept traditionnel de sécurité a été redéfini pour inclure non seulement la stabilité et la sécurité des états mais également la sécurité et le bien-être de leurs populations; d’où, le lien inextricable entre le développement et la sécurité’. Bref, le bon moment c’est en tout temps qu’on doit l’exiger et c’est la manière de s’y prendre qui compte!

Ayant le droit légitime d’exiger plus de sécurité et de paix en tout temps, la population et les organisations de défense des droits humains nationales et internationales ont le devoir de dénoncer les violations qui entravent l’exercice de leurs droits et libertés. Seulement, la peur, combinée à un sentiment permanent d’impuissance à faire changer les situations, l’emportent toujours. Pourtant, une fois « capacitée » (formée), la communauté et ses dirigeants ont des atouts pour aider à faire changer leur destin juridique, sécuritaire et politique. Aussi, dans certains contextes analogues, les dirigeants et hauts responsables sont sans ignorer le rôle catalyseur joué par les juridictions internationales quand les populations se sont avérées impuissantes face aux pouvoirs dictatoriaux. Des exemples sont légion en Afrique et dans le monde. Noriega du Panama des années 1967 a été jugé et condamné pour 40 ans de prison ferme pour enfin y mourir seulement 20 ans après, Bagbo de la Cote d’Ivoire, Jean Pierre Bemba de la RD Congo, Hussein Habré, Pinochet… Mais pour y arriver, les populations accompagnées par la société civile doivent coordonner les stratégies et les méthodes bien appropriées pour gagner cette bataille.

En RD Congo, et peut-être ailleurs, des responsables de crimes se cachent dans les institutions juste pour échapper à la justice et faire perdre les traces de leur culpabilité, dans l’espoir qu’avec le temps, les victimes/survivants ne pourront plus rassembler les preuves. Pourtant, l’exemple du rapport de près de 800 pages sur l’Eglise Catholique de Pennsylvanie aux Etats Unis qui a documenté 1000 cas d’abus sexuels par 300 prêtres sur une période de 67 ans pourrait non seulement illustrer les victimes mais mettre en garde contre les violations des droits humains.

Le peuple congolais doit savoir qu’en dehors des guerres qu’a connues le pays, c’est en voulant se maintenir au pouvoir au-delà des prescrits constitutionnels et de la volonté du peuple que les dirigeants appuyés par ces services ont perpétré le plus de violations de ses droits et libertés. Néanmoins il doit intérioriser que les élections sont un moment essentiel pour se choisir des dirigeants au profil respectueux des droits humains.

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(1) Selon un article de RFI : “Le mandat des deux experts des Nations Unies Zaida Catalan et Michaël Sharp tués le 12 mars 2017 au Kasaï était d’enquêter sur de possibles violations de l’embargo sur les armes, toujours en vigueur dans le pays, mais aussi sur de possibles violations des droits de l’homme ou l’exploitation illégale des ressources naturelles afin qu’au terme de leurs recherches, ils dressent une liste des personnes susceptibles d’être sanctionnées par les Nations unies, côté miliciens et/ou parfois côté officiers congolais".
(2) Le président de la République reste jusqu’à l’installation du nouveau président élu.
(3) Les généraux Didier Etumba, Nabiolwa, Denis Kalume, Philemon Baramoto, Marcelin Lukama, Rigobert Masomba, François Olenga… Presque tous ont été formés dans les plus prestigieuses académies militaires de France, Belgique, Etats Unis, Israël…
(4) John Numbi, Tango Fort, Delphin Kahimbi, Etienne Kasereka, alias Mundos…
(5) SDF : sans domicile fixe ou communément dit les enfants de la rue dont l’équivalent Maibobo dans la ville de Bukavu

(6) HRW : Human Rights Watch, une ONG internationale de Défense des droits humains
(7) OCDE : Organisation de Coopération et de Développement Economique dont les pays membres sont l’Allemagne, Australie, Autriche, Belgique, Canada, Corée, Danemark, Espagne, États-Unis, Finlande, France, Grèce, Hongrie, Irlande, Islande, Italie, Japon, Luxembourg, Mexique, Norvège, Nouvelle-Zélande, Pays-Bas, Pologne, Portugal, République slovaque, République tchèque, Royaume-Uni, Suède, Suisse et Turquie

mercredi 12 septembre 2018

RDC: Joseph Kabila a désigné son dauphin…

Fin d’un suspens ou début d’une stratégie?
Depuis 2015, les pressions internes et externes n’ont fait que croître sur Joseph Kabila pour qu’il renonce à se représenter au troisième mandat conformément à la constitution du pays qui fixe à deux seulement le mandat du Président de la république.Pour rappel, son deuxième et dernier mandat présidentiel a pris fin le 19 décembre 2016 à minuit. Mais comme constaté depuis 2015, son régime a multiplié des stratagèmes pour le maintenir au pouvoir en dépit des prescrits de la constitution. Le peuple congolais a résisté jusqu’au sacrifice: assassinats, arrestations arbitraires, tortures, exils, viols, extorsion, etc.

A côté de la pression populaire s’est joint celle de la communauté internationale… Mais tout cela n’a pourtant pu vite faire plier le régime Kabila qui, associant des combines politiques du genre dialogue, concertation, gouvernement d’union nationale…, a maintenu un suspens le faisant bénéficier alors d’un bonus de deux ans d’illégitimité.


Le discours du suspens devant le congrès réuni…

Le 19 juillet 2018 passé, un jour avant la fin de la session extraordinaire du parlement, le président Kabila tenait un discours sur l’état de la nation devant les deux chambres réunies. Tous les congolais étaient rivés sur les écrans pour suivre ce qui, pour certains, devait être le discours de la dernière chance pour Kabila d’annoncer qu’effectivement il ne se représentera pas aux élections prévues au 23 décembre 2018. Grande fut la déception, puisqu’il ne l’a pas annoncé et ne l’a jamais annoncé jusqu’à présent.

A quelques semaines du dépôt des candidatures aux législatives nationales et à la présidentielle, les congolais voulaient que le président Kabila dévoile enfin le sens réel de cette petite phrase qu’ils sont habitués à entendre « je respecterai la constitution » en disant expressis verbis qu’il ne sera plus candidat aux prochaines élections du 23 décembre 2018, mais hélas ! Pas pressé, ni par le temps, ni par la pression de tous bords, l’homme de Kingakati a souhaité maintenir encore le suspens…

Les congolais s’attendaient à la désignation officielle de son dauphin au sein de sa majorité présidentielle: non, rien de tout cela n’a été au rendez-vous sauf le refrain habituel « Je vais respecter la constitution »!

Ce fut donc un rendez-vous manqué. Il préféra plutôt se lancer dans une sorte de propagande électorale ventant des réalisations dont se moque et se fâche le peuple congolais. Des commentaires acerbes ont fusé de partout exprimant un ras-le-bol collectif de la nation dont la situation socio-économique ne s’est pas vraiment améliorée en 17 ans de règne.

En tout cas, ce discours-là aura été tout sauf celui de quelqu’un qui voulait quitter le pouvoir. Je dirai plutôt un discours hypnotique et amnésiant…

Et pourtant sans baisser les bras, le peuple ainsi que la communauté internationale ont maintenu la pression et l’étau se resserrant de plus en plus, Joseph Kabila n’a eu d’autres choix que de lever, bon gré mal gré, son suspens et de désigner, contre toute attente, son dauphin en la personne de Emmanuel Ramazani Shadari, un oncle de la Province du Maniema. En tout cas, un dauphin né d’une césarienne.
Certains analystes comme le professeur Thierry Nlandu, du Comité laïc de coordination, pense que c’est une désignation par défi, car il se choisit un membre de sa famille, une personne en délicatesse avec la communauté internationale comme tous ceux qu’ils rappellent autour de lui en cette fin de mandature. Il reconstitue le clan des mousquetaires avec pour devise « Un pour tous, tous pour un ». Bien plus, par rapport au Congo, il reste fidèle à la conception léopoldienne du Congo « bien privé » légué à celui à qui on en confie la gestion. Et, sous l’AFDL, le Congo est et restera une propriété familiale qu’on se lègue de père à fils, de fils à oncle et demain d’oncle à neveu, amen (1) !

Fin d’un suspens ou début d’une stratégie nouvelle?

Nombreux analystes restent prudents sur la sincérité de cette désignation, et ce, pour plusieurs raisons évidentes:

  • Une désignation non démocratique au sein de la famille politique et qui a pris de cours toutes les autres prétentions les plus sérieuses: Augustin Matata Mponyo (ancien premier ministre et directeur de cabinet du chef de l’Etat), Modeste Bahati Lukwebo (ministre national du plan et autorité morale de l’AFDC, la deuxième grande force au sein de la majorité présidentielle), Aubin Minaku Ndjalandjoko (Secrétaire général de la majorité présidentielle et président de l’assemblée nationale), etc.
  • Une désignation annoncée à quelques deux heures seulement avant l’expiration du délai de dépôt des candidatures à la présidentielle, soit le mercredi 8 août à 14h00, heure de Kinshasa. Cette façon de faire transpire une mauvaise foi et une volonté jusqu’au boutiste de s’accrocher au pouvoir. 
  • Thierry Nlandu Mayamba (2) dit que c’est aussi une désignation par dépit car elle est le fruit de nombreuses pressions internes et externes. Une réponse qui sonne comme imposée, non désirée par la personne qui la prend. Ce n’est pas un acte de bonne foi. Cet acte doit en même temps refuser aux Congolais cette joie qui aurait résonné comme une défaite pour Kabila (...). Il veut rester maître du jeu même au moment où, visiblement, il ne maîtrise pas tout ce qui lui arrive. Bien plus, s’il renonce à un 3e mandat, il n’abandonne pas l’idée de conserver le pouvoir.

Aussi, Emmanuel Shadari est une personnalité qui ne pèse pas sur l’échiquier national au regard de ceux qui devront être ses challengers au sein de l’opposition mais aussi, il est sous le coup des sanctions internationales… Pourquoi choisir une personne aussi contestable et politiquement légère? Est-ce seulement pour apaiser les tensions et pressions autour de soi et avoir un temps de répit et de repeaufinage de stratégie ou pour sauvegarder le giron familial au pouvoir?

Shadari a déposé sa candidature à la présidentielle comme indépendant mais soutenu par le regroupement politique du chef de l’Etat, les Forces congolaises du changement (FCC), mais en même temps, il est candidat député national dans la circonscription de Kabambare, son fief natal sous le label du parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD). Quel désordre organisé!

Le contexte tendu de cette désignation avec un flux de pressions internes et externes aurait-il contraint le président de la république à faire le ménage dans les mises en place au sein des forces armées congolaises (FARDC) quelques jours avant. Une redistribution des cartes plutôt suspecte que normale au regard du contexte temporel. Il a confié des hautes responsabilités à des généraux qui sont recherchés par la justice. A titre illustratif, le général John Numbi, l’assassin suspect numéro un des défenseurs des droits de l’homme, Floribert Chebeya, Fidel Bazana est revenu en fonction comme chef d’Etat major, le général Akilimali Mundos, suspect numéro un dans les massacres au Kasaï et à Beni dans le Nord-Kivu, envoyé comme commandant de la 33e région militaire au Sud-Kivu, etc.
Tout cela serait-il un fait du hasard ? Non!

Que peut bien cacher et signifier tous ces calculs politiciens et militaires à quatre mois de la tenue hypothétique des scrutins présidentiels? L’avenir proche nous le dira…
Est-ce suffisant pour penser à une stratégie à la Poutine et Medvedev? Rien n’empêche d’y croire sauf qu’avec l’expérience présidentielle vécue, il paraît peu plausible de voir Joseph Kabila accepter d’être Premier ministre, la primature étant un poste trop complexe et exigeant.
La constitution lui donne droit d’être sénateur à vie, il pourrait même briguer la Présidence de cette chambre haute du parlement avec l’espoir qu’en cas d’empêchement définitif du Président de la République en exercice pour telle ou telle autre raison, le Président du Sénat assume la présidence ad intérim et organise les élections dans les 90 jours qui suivent. L’article 75 stipule qu’en cas de vacance pour cause de décès, de démission ou pour toute autre cause d’empêchement définitif, les fonctions de Président de la République, à l’exception de celles mentionnées aux articles 78, 81 et 82 sont provisoirement exercées par le Président du Sénat.
Et selon l’article 76 alinéa 3 : « (…) En cas de vacance ou lorsque l’empêchement est déclaré définitif par la Cour constitutionnelle, l’élection du nouveau Président de la République a lieu, sur convocation de la Commission électorale nationale indépendante, soixante jours au moins et quatre-vingt-dix jours au plus, après l’ouverture de la vacance ou de la déclaration du caractère définitif de l’empêchement… »
Dans cette hypothèse, Joseph kabila maintenant son influence sur l’armée et sur son défunt, pourrait organiser un faux coup d’Etat pour reprendre le pouvoir…


Tout n’est donc pas fini pour le peuple congolais. Il lui faut une vigilance d’épervier et maintenir la pression sur la classe politique entière pour espérer vaincre…

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[1] Thierry Nlandu Mayamba "Désignation du dauphin du président Kabila. Au-delà de la surprise : que cache la partie visible de l’iceberg Emmanuel Shadari ?" Aout 2018.
[2] Ibidem.

mercredi 5 septembre 2018

RDC: Cap vers les élections, cap vers de nouveaux mensonges…

Depuis une année et près de huit mois, c’est-à-dire depuis le 19 décembre 2016, date marquant la fin du deuxième et dernier mandat constitutionnel du président Joseph Kabila, les congolais attendent impatiemment d’aller aux élections générales pour renouveler une classe politique qui visiblement a échoué sur toute la ligne. Plusieurs dates ont été projetées et aucune d’elles n’a été celle du rendez-vous électoral, toutes ont été fausses et renvoyées aux calendes grecques pour des raisons politiciennes moins convaincantes.

A l’issue du dialogue politique piloté par les évêques catholiques, une autre date avait été convenue pour la tenue de ces élections politiques, le 23 décembre 2018. Depuis huit mois, à en croire les discours de la commission électorale nationale indépendante (CENI), on a l’impression que tout va bien dans les préparatifs et que rien ne pourrait plus empêcher l’organisation des élections. Les congolais veulent bien y croire mais il est des faits liés à l’environnement électoral qui créent des doutes sur la tenue effective de ces scrutins, leur crédibilité et leur caractère d’être libres, transparentes et démocratiques.

L’accord politique de la Saint-Sylvestre qui avait fixé la date de décembre 2018 pour la tenue de ces élections avait émis des conditionnalités sine qua non pour sa bonne tenue; par ailleurs, le calendrier électoral publié par la CENI était lui aussi assorti de 17 contraintes réparties en quatre axes qui devaient être toutes satisfaites pour espérer avoir des élections respectant les normes voulues. Où en sommes-nous par rapport à ces conditionnalités et contraintes? Il se peut qu’aujourd’hui, nombre de ces contraintes n’ont pas été vidées: la décrispation du climat politique, l’inclusivité, la libération du budget voté, la logistique, etc. A ce stade, seuls près de 25% du budget attendu a été libéré. Il ne reste plus que quatre mois de préparation, le gouvernement saura-t-il encore mobiliser tous ces millions restant et remplir le panier de la CENI? Entre-temps, l’on récuse toute aide extérieure susceptible de suppléer à ses efforts financiers dans l’organisation de ces scrutins sous prétexte que les élections relèvent de la souveraineté nationale.

Le climat politique reste très tendu, des arrestations arbitraires, les prisonniers politiques non libérés, l’astreinte aux libertés fondamentales, l’insécurité s’accroit. Au niveau politico administratif il y a surpolitisation des institutions et des services publics de l’Etat, un chambardement dans l’administration militaire du pays, un nouveau dispositif avec des officiers dont certains sont de repris de justice et d’autres avec un passé très chargé par des violations des droits de l’homme. Tout cela suscite de réelles inquiétudes?

Comme si de rien n’était…
Les partis politiques se mobilisent froidement

Et, comme si de rien n’était, les ambitieux du pouvoir se mobilisent plus que jamais sans s’en convaincre et dans une incertitude qu’ils ont du mal à cacher. Qu’il s’agisse de ceux qui sont au pouvoir ou de ceux qui y aspirent: personne n’assure ni ne rassure. Certains ont-ils peur de leur lendemain politique (être réélu) avec un peuple qui, à tout prix, veut sanctionner le régime pour n’avoir pas donné satisfaction à ses desiderata? D’autres ont-ils peur de se dépenser pour des élections d’office douteuses, non démocratiques et non transparentes?

L’imposition de la machine à voter par la CENI pose de grosses questions. Des voix fusent de partout (à l’interne et à l’externe du pays) pour la refuser. Mais hélas, la CENI fait la sourde oreille et annonce sans rire que sans cette machine à voter que d’aucuns qualifient de « machine à voler », il n’y aura pas d’élection le 23 décembre. Ceci explique en partie la raison de toutes les critiques acerbes qu’essuie cette institution d’appui à la démocratie. Autant cette machine à voter présenterait des avantages selon la commission électorale indépendante, autant elle risque d’être à la base des contestations post-électorales virulentes si son utilisation ne requiert pas le consensus voulu par les parties prenantes avant le temps. Faut-il des élections pour des élections ou des élections qui stabilisent le pays après décembre 2018 ?

Entre-temps, les jours avancent et le calendrier électoral va de plus en plus à rebours.

Le dépôt des candidatures: les ambitions se bousculent

Les candidats potentiels à la députation provinciale et nationale voire présidentielle s’organisent et construisent lentement encore des mensonges à vendre au peuple pour se faire élire. Beaucoup d’eux (elles), mêmes les plus problématiques, les moins solidaires et les moins humanitaires du quartier deviennent sages, sociaux(ales), entreprenant(e)s, solidaires, généreux(ses), attentifs(ves), etc. Des gens qu’on a plus revu depuis belle lurette manifestent encore leur présence et leur solidarité dans les quartiers… à bon mentir qui vient de loin dit-on.

Pour cinq cent sièges à l’Assemblée nationale, 15.515 candidatures à la députation nationale ont été reçues dont 56 déclarées non conformes, 102 rejetées pour différentes raisons évidentes. Donc 15.202 candidatures déclarées recevables et 283 irrecevables pour des raisons d’irrégularité soit formelle ou juridique. Pour la présidentielle, sur 25 candidatures reçues, 19 ont été déclarées recevables et 6 non recevables dont l’ancien vice-président et sénateur Jean-Pierre Bemba, les anciens premiers ministres Antoine Gizenga et Adolphe Muzito, tous deux du même parti politique le parti lumumbiste unifié (PALU), Samy Badibanga; Moka Paul et Yves Mounga. Plusieurs raisons ont été avancées par la CENI pour expliquer l’irrecevabilité de ces candidatures: défaut de nationalité d’origine, défaut de paiement de caution de 100.000 dollars américains non remboursables et 1.000 dollars aussi non remboursable pour les candidats députés, défaut de qualité pour agir (signature non conforme sur les fiches et les autres), condamnation par un jugement, conflit d’intérêt avec son parti politique ou défaut de qualité de la personne qui a signé sur les actes de procédure.

Le retour de la démagogie...


« Il faut craindre les grecs même quand ils donnent des cadeaux.»


Depuis 2006, l’expérience électorale et la subculture politique qu’elle suscite rappelle bien l’expérience de Pavlov et son chien. À chaque approche des élections, plusieurs personnes candidates deviennent de plus en plus généreuses qu’elles ne l’ont jamais été dans leur vie et dans leurs communautés respectives. Elles se rappellent par exemple que telle structure sanitaire a besoin de ceci ou de cela, que telle avenue ou tel autre quartier a besoin d’une servitude, des escaliers ou de ponts par ici ou des tôles pour telles écoles par-là, des ambulances, des livres, de l’éclairage public… et même à manger!
Pourtant la période légale pour la campagne électorale n’a pas encore commencé.
Depuis le dépôt des candidatures à la députation provinciale, nationale et présidentielle, des projets de réhabilitation de certaines bretelles de routes et autres infrastructures affluent progressivement sans que les bénéficiaires en aient cette fois exprimé une demande expresse, avec des mentions « Don de x à… ». Des candidats qui promettent monts et merveilles, ciel et terre, on en voit partout maintenant mais réellement sans projet de société sérieux. Des mots et rien que des mots mielleux. Des futurs candidats qui font des promesses au-delà de ce que la loi leur définit comme rôles. Bref, la politique du mensonge…

Cette générosité instantanée, saisonnière et intéressée et éphémère qui ne durera que trop peu de temps et n’a pour autre objectif que l’achat des consciences du peuple pour se faire élire. Aussitôt la campagne électorale terminée tout s’estompera : pour ceux qui sont parvenus à se faire élire ce sera le temps de récupérer leurs dépenses électorales et pour ceux qui auront échoué, ils déchanteront; tout cela constitue les bases des conflits interpersonnels, intra-groupes post-électoraux parfois virulent qu’il faut gérer.

« Affamez-les pour mieux les soumettre! »


L’un des plus grands défis de la démocratie congolaise c’est celui d’amener les électeurs à se défaire de cette pratique de votes achetés.

On sait que l’une des stratégies du régime en place a été d’affamer le peuple pour mieux le soumettre. Comment faire pour qu’au cas où il y aurait effectivement élections, les citoyens se passent de ces cadeaux empoisonnés et élisent sur base d’un certain criterium des programmes et des personnes intègres?

Comment faire pour quitter le snobisme électoral aveugle dans lequel les politiciens ont placé les gens lors des scrutins de 2006 et 2011.

Seule la fin justifiera les moyens. Tout cela ne sera évalué qualitativement qu’après les élections en décembre, si jamais elles se tiennent et que ses résultats reflètent le changement d’acteurs et de politique auquel aspire le peuple: mais rien n’est sûr. Le processus électoral en cours reste avec beaucoup d’embûches qu’il peut toujours basculer. D’ailleurs, une frange de la population et de certains acteurs ne cessent de réclamer une transition sans Kabila. Auront-ils raison sur le temps ? C’est ce que nous attendons de voir…

mardi 31 juillet 2018

Un impératif pour la RDC: la conscientisation!


Il est de ces moments où, à la croisée des chemins, tout homme ou toute institution doit s’arrêter pour un temps de bilan, une évaluation, une introspection. Surtout entre l’âge d’or et le jubilé de diamant, il est impératif de faire un bilan sans complaisance, car, pour le cas de l’homme, la plus grande partie de sa vie est derrière lui, on va vers le crépuscule et l’atterrissage doit se faire en douceur… On ne dira pas la même chose pour une institution. A 50 ans on célèbre, mais à 60 ans on fait un bilan en vue de réorienter, on pose la question de la pertinence des outils utilisés...

Si, en 2010, nous avions célébré avec faste le cinquantenaire de l’indépendance, il s’impose à nous de faire passer le pays par une introspection (la 58e fête de l’indépendance… et, depuis 48 heures avant ce 30 juin 2018, nous étions sans électricité!) la plus critique qui soit. 
Il est plus qu’urgent de travailler sur notre conscience comme pays et comme citoyen de ce pays. Il est plus que temps de passer des sens à la conscience, de quitter la dispensation de la sensibilisation et rentrer dans celle de la conscientisation…

Pourquoi cette  conscientisation est-elle impérative? A quoi répond-t-elle?

Voici selon nous quelques éléments du rationnel qui nous poussent sur ce chemin de changement. Les besoins en conscientisation concernent largement au-delà des communautés? C’est l’ensemble de nos institutions, TOUTES les institutions de la RDC qui souffrent chroniquement des carences en conscientisation. Et cela rejaillit sur toute la marche du pays. Dans les lignes qui suivent, nous vous en exposons quelques éléments.

1. Les limites de la sensibilisation
Nous croyons que la sensibilisation n’a pas répondu aux attentes des populations et moins encore, elle n’a pas été l’antidote nécessaire et suffisant pour une plus grande compréhension de l’action et surtout du rationnel de l’action… La sensibilisation a placé et laissé le citoyen dans un activisme non situé dans un cadre orienté ou dans une vision du devenir de la communauté… Cet activisme a dès lors été converti en une stratégie individuelle de survie,  aveugle sur tout ce qui relève du bien ou de l’intérêt commun… La sensibilisation peut avoir répondu à l’une ou l’autre question du pourquoi l’action… Mais était-ce la question fondamentale? La question du fond sur laquelle peut se construire un code? Nous pouvons confirmer que les questions auxquelles la sensibilisation a répondu sont restées au niveau des symptômes et ne sont pas allées au cœur, à la base même des problèmes… 
C’est comme un militaire qui tire dans tous les sens et croit qu’il se défend et qu’il pourra gagner la guerre. Non, il ne pourra pas… Et, même si les tirs sont orientés, ils doivent contribuer stratégiquement à la démolition du centre névralgique du camp de l’adversaire.
L’action comme les cartouches ont besoin de cadre et de direction et elle doit concourir à la résolution d’un problème de base…  

2. Renforcement des capacités comme stratégie de survie personnelle
Pendant ces 30 dernières années, la sensibilisation était souvent couplée au renforcement des capacités. Mais la question de renforcement des capacités est venue comme une mode non pas axée sur les besoins méthodologiques de transformation des communautés. Il a été et il reste un créneau pour des groupes d’intellectuels consultant en sciences sociales qui papillonnent autour du tandem Gouvernement et organismes internationaux.
Les plannings stratégiques et d’autres concepts comme le GAR, Monitoring et Evaluation  et bien d’autres avaient été utilisés sans une mise en place des fondations qui sont la vision et le plan de base, le cadre. Et, si la vision et le plan de base ne sont pas au rendez-vous, toute méthodologie est vouée à des résultats extrêmement limités.
C’est le cas aujourd’hui de ces concepts, ici, en RD Congo.

3. Refus de renforcement des capacités
Même si les outils de ces nouveaux concepts qui meublent souvent le renforcement des capacités sont utilisés ici et là, il y a cependant un vrai refus de renforcement des capacités. Par exemple, pendant plus de 7 ans, on a amorcé la réforme des Finances Publiques. Le but était de basculer du budget des moyens au budget programme. Pendant plus de 7 ans, les agents directeurs et responsables des syndicats avaient fait tous les pays en mission pour organiser une tonne d’ateliers en vue et en préparation de ce basculement… Tant de modules de formation furent commandés pour préparer ce basculement… Mais les mêmes personnes qui avaient fait ou conduit cette préparation - avec des fonds des bailleurs - au niveau du Ministère des finances, ont ensuite demandé un moratoire de plus de 5 ans… Et, le  parlement, qui ne comprend pas grand-chose à ce qu’il vote, vient de voter pour ce moratoire pour une période de 6 ans. Il faudra encore attendre 6 ans pour le budget programme alors que le CMRAP [1] avaient déjà fait plus de 7 ans des travaux de préparation? Aujourd’hui, les budgets des ministères  fonctionnent sur les besoins et ceux-ci sont déclinés dans les mêmes rubriques depuis plus de 40 ans pour les effets qui vont en s’empirant … En effet, ce sont les Ministères du Budget et des Finances qui décident qui aura quoi! Et, ces deux Ministères ont la «quintessence» de juger des besoins, de l’urgence et de l’importance des demandes formulées par les autres ministères. C’est ainsi que l’on trouve des Ministères avec 10 ou 20% de décaissement et d’autres qui sont largement en dépassement de l’ordre de 200 ou 400% de décaissement… Il est connu que les Ministères des finances, du budget, de la primature et la Présidence de la République sont toujours en dépassement…

Dans le même ordre d’idée, dans ce pays, quasiment tout ce qui avait été fait comme expérience pilote est resté pilote. Regardons l’expérience de Mampu [2]où des hommes ont créé des forêts d’acacias sur des espaces de plus de 8000 ha pour amorcer ce que l’on appelle la braise écologique… Cette expérience est noble mais elle n’a jamais été répliquée ailleurs.

Aussi dans le cadre dans lequel nous-mêmes étions engagés, pendant plus de trois ans, nous avions revitalisé une infime [3] partie de l’administration du développement rural dans 4 provinces, 5 territoires et 4 secteurs  en montrant l’articulation entre le pouvoir central à Kinshasa, la province, le territoire et le Secteur ou Chefferie… Nous avions équipé ces différentes administrations des locaux et des outils de travail, nous avions rajeuni des cadres à tous les niveaux, nous avions formés ces mêmes cadres à tous les niveaux et nous avions remis en marche le système de communication entre les différents niveaux de l’administration… Nous avions en quelques sorte devancé la réforme et avions refusé d’appeler les gens des fonctionnaires et nous avions créé le concept de Servicom [4].

4. Refus de la souveraineté
La souveraineté ne se trouve pas  ou ne s’exprime pas  à partir des réactions épidermiques contre ceci ou contre cela… Ce n’est pas dans les réactions conflictuelles que se décline la souveraineté. Elle se dit dans ce que vous voulez devenir comme peuple! La Révolution de la modernité… C’est ce que nous voulons devenir? Qui peut nous expliquer ceci? Au départ, tout était orienté par ce fameux contrat chinois… Pour 9 milliards et ensuite 6 milliards… Planifier  ou construire sur l’argent d’autrui…Portant, chez nous,un adage simple dit que "Liboke ya moninga basombelaka yango kwanga te" soit, "Tu ne peux pas commencer à planifier avec l’argent d’autrui!".

D’autres disent qu’en 2030 la RDC sera pays émergent! Mais qu’est-ce qu’un pays émergent? Il faut faire un "buruyeke [5]" sur ce concept pour savoir combien de congolais savent ce que signifie émergent! Concept exogène qui ne peut mobiliser nos populations, qui contentent les institutions étrangères et bat de l’aile déjà au niveau international… Je ne me sens ni galvanisé ni mobilisé par ce concept qui est bien limité car sa vision nous place dans une perspective de rattrapage, illusoire, sinon néfaste pour nos populations…

Notre souveraineté est l’expression de ce que nous voulons devenir! Que voulons-nous devenir? Déclinons ce que nous voulons devenir… C’est seulement après cela que chaque ministère peut bien avancer ce qu’il veut apporter comme à l’édifice, dans sa spécialité, et des actions qui soutiennent cet apport! C’est dans ce sens que toutes les institutions en République doivent dire ce qu’elles comptent apporter… A tous les niveaux: provincial, territorial, secteurs et chefferies et au niveau national… Et le budget devient une somme articulée de toutes ces actions…
C’est ainsi que le budget devient le lieu de l’expression de ce que nous voulons devenir… Si nous ne voulons pas grandir, nous aurons un budget de 3 milliards… Nous dirons au monde entier que nous voulons rester nains! Le pays aujourd’hui est un nain de 58 ans!

5. Refus de sa richesse
On a tendance à croire que la première richesse de ce pays c’est le cuivre, le coltan et d’autres minerais: les mines… Ce cuivre, il profite à combien de congolais? Un nombre infime! Le cobalt avait rapporté en 2017, moins de 300 millions de dollars américains… Ceci rapporte une moyenne de 3 dollars américains par congolais... C’est bien pauvre ! Soit 0,25 dollars américains par congolais par mois… 
Faisons un calcul simple. Nous comptons plus de 85 millions de congolais aujourd’hui… Supposons que 60% de cette population  - qui est bien jeune - a l’âge de travailler, ce qui fait 51 millions. Supposons que  le taux de chômage est de 90% soit 45.900.000 personnes, avec une moyenne de 8 heures de travail par jour… Ca fait que la RD Congo perd aujourd'hui 367.200.000 heures de travail chaque jour. C'est-à-dire que, pendant 25 jours ouvrables mensuels, 9.180.000.000 heures de travail sont perdues. Et sur 11 mois de travail, 100.980.000.000 heures de travail perdues par an. Si l’Etat avait 10 centimes sur chaque heure de travail il pourrait donc rassembler 10.098.000.000 dollars américains aujourd’hui.

Si on considère l’ensemble de la population active, l'Etat pourrait rassembler 11.107.800.000 dollars + la TVA pour 2 dollars par jour, pour lesquels le manque à gagner est de 9.928.000.000 dollars américains.

Les deux rubriques taxe horaire et TVA font à elles seules un total de 21.035.800.000 dollars américains, actuellement perdus chaque année par une mauvaise vision de la richesse et par un défaut d'organisation.
La richesse de ce pays est avant tout le citoyen congolais. Mais l’Etat ignore son citoyen, il ne sait pas où est le citoyen et ne sait pas ce qu'il fait. L'Etat est tout simplement un ignorant de sa propre richesse… Qui peut construire une économie sans le citoyen?
Il nous semble important que l’Etat et toutes ses institutions intègrent la conscientisation de manière impérative pour le bien de sa population. Il n’y aura pas de construction sans un retour vers notre conscience au travers de la pédagogie de la conscientisation. Le besoin est réel dans toutes les institutions de la République.

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[1] Abréviation du CMRAP ou Cellule de Mise en œuvre du Rajeunissement des Agents de l’Administration Publique.

[2] Mampu est sur la route de Kikwit. Une des premières expériences de l’agroforesterie en RD Congo.
[3] Nous disons infime partie car nous avions travaillé dans 4 provinces sur 11 à l’époque, 5 territoires sur 145 et 4 secteurs sur 737. Cette expérience avait effectivement été pilote.
[4] Servicom c’est le condensé de Serviteur de la Communauté. Peut-être à l’époque du MPR quand nous avions comme devise Servir et non se servir, le concept allait passer !!!
[5] Jeu à la télévision congolaise avec des questions troubles où toutes les réponses proposées sont fausses…

vendredi 29 juin 2018

Le démon de la balkanisation dans les deux Kivu… A qui ça profite?

Depuis plusieurs années, soit de 1996 jusqu’à nos jours, la République Démocratique du Congo est sous menace d’une balkanisation comparable à celle qu’a connue le Soudan. Ce projet a été porté par le rassemblement congolais pour la démocratie (RCD/Goma) de Azarias Ruberwa, rébellion soutenue par le Rwanda qui nourrit des ambitions à peine voilées d’annexer l’ancien Kivu.

Pour rappel, on se souviendra qu’en 1996, lors de l’avènement de l’AFDL avec Mzee Laurent Désiré Kabila, l’ancien président rwandais, le pasteur Bizimungu avait demandé clairement à la Communauté internationale de placer les frontières rwandaises à 150 km à l’intérieur du Zaïre de l’époque. Ces ambitions ont rencontré une résistance farouche de la population kivutienne fortement attachée à l’unité du pays.

Devant l’échec de créer un autre pays avec la partie du territoire national (plus de la moitié) occupée pendant plus de cinq ans, et ce grâce au nationalisme très poussé des congolais, cette rébellion pro rwandaise du RCD/Goma avait tenté une autre subdivision territoriale à l’intérieur de la province du Sud-Kivu voulant créer un territoire quasi mono ethnique de Minembwe pour les banyamulenge (congolais tutsi d’expression rwandaise). Toute la population s’était levée pour dire non. Ce fut un échec cuisant de ce mouvement jusqu’à ce que, lors du dialogue inter-congolais de Sun City, on décida la réunification, la pacification du pays et beaucoup d’autres accords politiques. Le territoire de Minembwe, de Bunyakiri, la commune urbano-rurale de Kasha dans la ville de Bukavu, la ville de Kitchanga dans le Masisi au Nord-Kivu avaient perdu cette possible perspective…Pourtant, leurs défenseurs n’ont jamais dit leur dernier mot.

La réunification du pays à travers la transition que nous avons connue, avec un président et quatre vice-présidents issus des différents antagonistes, l’organisation des élections de 2006 et de 2011, la mise en place des institutions démocratiques dans tout le pays avaient semblé l’emporter sur ces velléités scissionnistes du pays. Pourtant, le démon de la balkanisation hante toujours certains esprits. Certains signes ne trompent pas…
(Voir également notre article de décembre 2017 sur ce blog "Le Nord-Kivu, capitale diplomatique de la RDC")

Le débat sur les scissions des provinces du Nord et du Sud-Kivu a été relancé il y a quelques semaines. Au Nord-Kivu, un groupe de personnes, peut-être nostalgiques, de la communauté rwandophone, a initié une pétition pour demander la scission de leur province en deux : le grand nord qui serait essentiellement « nandephone » (pour la tribu Nande) et le grand Sud qui prendrait la ville de Goma et serait essentiellement rwandophone. Il faut se rappeler qu’il y a deux ans un grand notable du Nord-Kivu de la même communauté, dignitaire du RCD/Goma (Mr. Serufuli Ngayabaseka, alors ministre national de l’agriculture) avait déjà lancé le débat, et dans sa proposition, le grand sud s’étendait jusqu’au territoire de Kalehe au Sud-Kivu. Quelques semaines plus tard, un autre ancien dignitaire du même mouvement rebelle RCD/Goma et ancien ministre provincial de l’enseignement primaire et secondaire au Sud-Kivu, monsieur Ladislas Muganza Wa Kandwa, a aussi lancé le débat de la scission du Sud-Kivu en deux provincettes : le Kivu central qui prendrait les quatre territoires occupés par la tribu bashi et havu à savoir Walungu, Kabare, Idjwi et Kalehe et la province d’Elila qui prendrait les territoires d’Uvira, Fizi, Mwenga et Shabunda. Ce débat est tombé comme un plomb dans la société; des supputations et des questionnements ont fusé de toutes parts. Pourquoi pareil débat à ce moment précis où le peuple n’attend que les élections? A qui cela profite-t-il? Pourquoi ce débat est il lancé par les anciens ténors de la rébellion pro rwandais? Est-ce un signe qu’ils n’ont jamais désarmé face à l’idée de créer une république de l’Est, que certains pensent être "l’empire Hima", une sorte d’Israël au cœur de l’Afrique centrale où les Tutsi seraient les maîtres absolus? Pourquoi est-ce seulement en ce moment où l’ancien patron de cette rébellion devenue parti politique, monsieur Azarias Ruberwa est ministre national de la décentralisation que ces appétences ressurgissent? Y a-t-il un lien ou est-ce une simple coïncidence?

La Constitution de la République reconnaît 26 provinces. S’il faut en augmenter d’autres selon les humeurs politiques des gens, cela veut dire qu’il faudra la revoir…Si cela était, on devrait se demander à quels besoins de la population répondraient ces nouvelles divisions ? Le problème congolais est d’abord un problème d’hommes. Avec le même type d’hommes politiques qu’aujourd’hui, même dans les petits Balkans ou provincettes, rien ne changera. Les défenseurs de la scission du Sud-Kivu avancent qu’il y a en province une dynastie privilégiée qui dirige toujours alors qu’elle a démontré son incapacité à construire le développement de la province. Oui et non ! Au Sud-Kivu, en dehors de l’héritage colonial, aucun des huit territoires n’est plus développé que d’autres ni n’a retenu plus d’attention sur le plan développement. Certes, certains territoires ont parfois eu quelques avantages venant des initiatives privées d’ONG et autres partenaires internationaux à cause de leur situation géographique qui les rend plus accessibles à certaines actions humanitaires. Mais cela n’a rien à voir avec une quelconque action de l’Etat.

Par ailleurs, il est à noter que la majorité des gouverneurs qui ont dirigé la province depuis un certain nombre d’années vient essentiellement des ethnies Iega et Shis. Ces deux tribus sont les mieux représentées au niveau de Kinshasa mais leurs territoires n’ont aucun souvenir de cela. La misère et le sous-développement sont au comble.

Toute la population congolaise souffre du même problème : la mauvaise gestion de la respublica et l’égoïsme des politiciens alors que presque toutes les communautés du Sud-Kivu sont représentées dans la haute sphère du pays…

De telles aventures de la scission de la province auront des conséquences beaucoup plus fâcheuses sur le plan sociologique que politique. Ces provincettes seraient calquées sur des modèles tribaux, une appartenant aux Bashi et une autre au peuple Iéga, Bembe pour ce qui est du Sud-Kivu et une aux Nandés et l’autre aux rwandophones pour ce qui est du Nord-Kivu.

Le Nord et le Sud-Kivu ont été dans le temps les grands défenseurs de l’unité du pays; ils ont payé cher leur résistance contre la balkanisation du pays. Aujourd’hui que la démarche semble venir de l’intérieur même de la nation, trouvera-t-elle encore des obstacles et des oppositions suffisantes à sa réalisation ? Elle pourrait peut-être prendre encore un peu du temps mais… Pourtant, c’est l’évidence même que ce ne serait jamais une panacée aux problèmes de gouvernance et de développement que connaissent les deux provinces ni le pays. Le Sud-Soudan en est un exemple patent, la Libye de même...

jeudi 28 juin 2018

Trois publications pour accompagner le développement de la RD Congo

Alfajiri Kivu vous propose de découvrir 3 publications qui viennent de paraître aux éditions Weyrich.














Par où commencer?

Une autre vision du développement pour la République Démocratique du Congo.
Comme pays, nous avions rangé différents bataillons sur le champ de bataille du développement. Et les uns comme les autres ont failli… La question de fond avait été celle de considérer le pays tout entier comme unité de développement sans un plan de développement qui met au centre le Congolais. Le présent ouvrage propose un autre paradigme de développement en définissant une nouvelle unité de développement en mettant en avant tous les outils et les éléments de planification basée sur le diagnostic, l’inventaire et la proximité… Il est question de construire une nouvelle conscientisation qui fait du développement une vision commune entre tous les acteurs locaux et de mettre fin aux bricolages ambiants.
Weyrich Edition -16,50 €

La pédagogie de la conscientisation

Une pédagogie pour l'Afrique.
La conscientisation populaire constitue un impératif incontournable. Car la question sociale est d’abord culturelle et politique. Il importe dès lors que les premiers concernés prennent conscience, expriment leur représentation de leurs réalités, leurs aspirations profondes, leur vision du bien commun et de l’avenir, et des moyens à mettre en œuvre pour l’atteindre. Il est impératif de mettre au point une approche pédagogique populaire, en rupture avec les conceptions dominantes de l’éducation. « Former pour transformer », c’est bien là l’enjeu.
Weyrich Edition -16,50 €

Former pour transformer

Le guide pratique du formateur.
La pédagogie des opprimés postule la prise en compte radicale de tout homme – de tous les hommes et toutes les femmes – comme sujet de leur histoire. Cet ouvrage constitue le «guide pratique de l’animateur». C’est là notre ambition première : fournir aux leaders et animateurs des communautés de base les outils concrets pour pratiquer la pédagogie de la conscientisation, le « Former pour transformer» sur le terrain.
Weyrich Edition - 25,00 €


Quelques mots sur les auteurs de ces 3 publications

Ancien coordonnateur panafricain du MIEC, Étienne Bisimwa Ganywa a également été membre du Conseil pontifical pour les laïcs, coordonnateur du Réseau africain d’éducation au développement et a aidé à mettre en place la CONAPAC. Aujourd’hui, il collabore à Texaf Bilembo en tant que guide environnemental et il travaille pour le développement d’une plus grande conscientisation, afin de faire émerger une autre vision du développement basée sur le Congolais. Il collabore avec le WWF dans l’élaboration des plans locaux de développement des territoires dont il est un des experts nationaux.

Emmanuel Rugarabura est licencié en Planification Régionale. Avec Aden (African Développement and Education Network), il a initié dans le Sud-Kivu l’approche participative « Former pour transformer» basée sur la philosophie et la pédagogie de Paulo Freire. Acteur engagé de la Société Civile du Sud-Kivu dont il fut le Président de 2002 à 2007. A ce titre, il organise la Société Civile en vue de faire la guerre à la guerre par des méthodes pacifiques et plus tard la participation de la population au processus des premières élections de 2006. En 2007-2008, il fut Ministre Provincial de l’Intérieur, Décentralisation et  Affaires coutumières. Depuis, il a accompagné la participation active de la Société Civile au processus des réformes du secteur de la sécurité. Depuis 2011, il est le Président du Centre d’Analyses Politiques et Stratégiques pour l’Action-Grands-Lacs.

Luc Dusoulier fut militant et ancien dirigeant du Mouvement Ouvrier Chrétien belge dont il fut le Secrétaire général de 1989 à 1999. De 2000 à 2010, Directeur de la Mutualité chrétienne Hainaut Picardie en Belgique. Militant actif de la solidarité internationale, il préside la section tournaisienne de l’association belgo-palestinienne de 1988 à 2010. En 2010, il quitte ses fonctions à la Mutualité chrétienne pour se rendre à Bukavu (RDC) et y travailler au service du BDOM jusqu’en mai 2013. Il appuie maintenant la mise en place de la politique de Protection Sociale et le développement des Mutuelles de santé en RD Congo, à partir de Kinshasa.

Comment se procurer l'un ou l'autre de ces ouvrages?

  • Pour les commandes limitées, vous pouvez passer votre commande en librairie ou directement chez l'éditeur: Weyrich Édition, Route de la Maladrie 5, Longlier • 6840 Neufchâteau (Belgique) - Tél. +32 (0) 61 27 94 30 - www.weyrich-edition.be
  • Pour toute commande d’au moins 5 exemplaires d'un même titre, une réduction de 35% est accordée ainsi que les éventuels frais d’envoi. Pour ceci, contactez alfajirikivu@gmail.com

vendredi 25 mai 2018

La commercialisation de l’éducation: atteinte aux droits des enfants!

Détruire un pays au travers de son système éducatif…


Tout état responsable et moderne s’occupe sérieusement de l’éducation de ses jeunes. L’éducation est même un des indices de développement humain. Depuis plus de deux décennies, le système éducatif congolais va de mal en pis. Devant l’incapacité à prendre en charge le secteur de l’éducation, à l’époque de feu président Mobutu, une longue grève des enseignants fut déclarée en 1991 et l’année scolaire fut déclarée blanche. Pour sauver les enfants, disait-on à l’époque, il fut introduit une initiative de suppléer momentanément la prise en charge des enseignants en attendant que l’Etat s’organise, en invitant les parents à payer « une prime d’encouragement » aux enseignants (valeur minime d’un savon au moins). Tant que c’était provisoire, les parents n’y virent aucun mal.
Mais que n’aura-t-on pas vu, vécu et entendu 25 ans après ? Un véritable cauchemar, une catastrophe.


Aujourd’hui, le monde entier parle du terrorisme ici, des armes de destruction massive là-bas (Syrie) mais on oublie que les jeunes congolais meurent massivement à petit feu d’une autre mort, la mort intellectuelle due à la marchandisation de l’éducation. Et personne n’en parle. Pourtant, ne dit-on pas: « Si vous voulez détruire une nation, il faut tuer son système éducatif» ?

Ce que vivent aujourd’hui les enfants congolais en matière d’accès équitable à l’éducation et ce que vivent les parents par rapport à la scolarisation de leurs enfants est un véritable cauchemar. Cette question de la « prime » payée aux enseignants est devenue une véritable épine aux pieds de parents, un crime, que personne ne veut enlever ni stopper, sauf les familles victimes qui n’en peuvent plus. Depuis plusieurs années la misère du peuple n’a fait que croître jusqu’à ébranler les droits fondamentaux, toutes générations confondues (santé, éducation, dignité humaine, environnement sain, etc.). Aucune médication politique forte n’a été administrée à ce problème social.

Des frais scolaires: coûts directs et coûts d’opportunités


Lorsqu’on jette un regard sur les différents textes légaux qui fixent les frais scolaires (arrêtés ministériels au niveau national, arrêtés du gouverneur en province) depuis cinq ans, on constate malheureusement que tout est fait pour faire saigner et ponctionner les parents. A chaque nouvelle année scolaire, un arrêté du gouverneur introduit non seulement une nouvelle charge dans le lot des frais scolaires légaux mais aussi augmente exponentiellement sa valeur en argent. Ainsi, par exemple, le minerval est passé subitement de cent francs à mille francs congolais, la prime d’assurance doublée (passent de cent à deux cent), les frais de participation au test national de fin d’études primaires (TENAFEP) de trois mille francs à douze dollars, les frais de participation aux examens d’Etat de six dollars à quarante dollars, etc.

Par ailleurs, d’autres nouvelles charges ont été introduites: les frais de fonctionnement des bureaux des gestionnaires d’écoles, les frais de promotion de l’éducation (FOPED), les frais d’intervention ponctuels très variants avec un taux de croissance qui va jusqu’à 900%, des frais de mise en valeur de la parcelle de l’inspection provinciale de l’enseignement primaire et secondaire (EPSP) payé par élève, les frais de prise en charge des assises scolaires dont la valeur est très fluctuante selon les nombres de classes de chaque école. Tous ces frais dit légaux soulèvent un questionnement sur leur destination finale et leur utilisation, puisque rien ne s’améliore dans le secteur éducatif, bien au contraire. Tout indique qu’ils soient destinés à autre chose qu’à améliorer substantiellement le système éducatif qui en aurait pourtant bien besoin… Mais il y a plus. Car si on en restait à ces frais là, c'eut été peut-être supportable. Mais s’y ajoute la fameuse prime aux enseignants (que d’aucuns appellent triple crime) qui s’est multipliée par scissiparité en plusieurs autres frais illégaux imposés aux parents et qui ont transformé les milieux éducatifs (écoles) à des boutiques commerciales de l’éducation, réservées aux plus offrants et nantis de la société. La « prime » est devenue un véritable moyen de survie pour tous les gestionnaires des écoles, toutes tendances confondues (églises catholique, protestante, confessions religieuses et autres privés, …) au point qu’ils ne veulent plus entendre parler de sa suppression définitive. L’école est devenue un véritable business payant avec comme conséquence, la prolifération des écoles qui ne remplissent les normes. « Nous avons besoin de l’effectif et non de la discipline et des échecs » entend-t-on dire certains gestionnaires des écoles.

L’arrogance, l’égoïsme, le mercantilisme, la malhonnêteté ont chassé toutes les valeurs qui entouraient l’éducation : l’amour du prochain, la solidarité, le patriotisme dans les milieux scolaires. Bref, les principes psychopédagogiques requis dans les milieux éducatifs se sont envolés. L’enfant n’est plus au centre de l’éducation: s’il n’est pas capable de payer la prime exigée par l’école et dans le temps, il ne compte plus. L’école est devenue une véritable jungle, un « no man’s land ». On a beau dire, critiquer, interpeller, menacer de grève, rien ne change!

Des frais illégaux avec appréciation monétaire très variée et galopante


Les gestionnaires des écoles ont la facilité de créer chaque année une nouvelle nomenclature de frais. Mais de manière générale les parents payent pour chaque élève selon les écoles: la prime des enseignants (répartie en quatre catégories 1-25$, 26-50$ , 51-100$ et plus de 100$ par trimestre), les frais d’études (avant et après les cours), les frais d’informatique ou achat d’ordinateurs même quand l’école n’a aucun ordinateur, les frais d’achat de logo (écusson à coller sur la poche de la chemise ou de la blouse blanche), les frais de réhabilitation de la cour de l’école, les frais de confirmation d’inscription, les frais d’accompagnement des dossiers à l’inspection, les frais de réparation mobiliers, immobiliers, de laboratoire, de bibliothèque, d'infirmerie (même quand il n’y en a pas et c’est le cas le plus souvent), les frais d’achat obligatoire de l’uniforme, des ketch, des journaux de classe, de cahier de communication et autres fournitures scolaires, les frais destinés aux représentants légaux surtout pour les écoles protestantes, les frais de sorties (balades avec les élèves), la prime de vacances (juillet et août), les frais de pré-tests, les frais d’accueil des chef de centre d’examens d’Etat, les frais de relais inter chefs d’établissements scolaires, les frais des photos, de constructions, de section, d’achat des chaises, les frais de fête, les frais de rame de papier, les frais de macaron et autres imprimés, les frais des papiers hygiéniques, les frais de prière (prendre en charge le prêtre ou le pasteur qui vient faire la messe ou le culte à l’école) , les frais de matériels didactiques, les frais de tombola ou loterie, les frais de la fondation Winnie Mandela, etc...

Aperçu sur la situation socio-économique en RDC: cas du Sud-Kivu


Selon le PNUD (1), la RDC se classe encore parmi les pays les plus pauvres du monde six fois inférieur à la moyenne africaine. Cette situation a eu des incidences graves sur l’éducation. Selon le Document de Stratégie de Croissance et de Réduction de la Pauvreté (DSCRP) publié en 2006, la proportion de personnes en dessous du seuil de pauvreté en 2005 était estimée à 69,2 % au niveau national. Elle était plus forte en milieu rural (71,7 %).

Le taux de pauvreté au Sud-Kivu était de 84,7%: presque six habitants sur sept (2) vivent en dessous du seuil de pauvreté avec des indices de la profondeur et de la sévérité de la pauvreté élevés.

En 2012, une enquête du ministère de l’enseignement primaire et secondaire avait démontré que plus de la moitié des ménages congolais avait un revenu de moins de 50 USD par mois et un ménage sur cinq avait un revenu mensuel compris entre 50 et 100 USD. En milieu rural, 70,4 % des ménages avaient moins de 50 USD. Cela étant, le risque d’abandon scolaire est plus important en milieu rural qu’en milieu urbain.

Plusieurs travaux ont démontré qu’il y a une relation positive entre le niveau de vie du ménage et la scolarisation des enfants en Afrique subsaharienne. Autrement dit, plus le ménage est aisé, moins les enfants seront en dehors de l’école. Mais alors combien des ménages sont aisés aujourd’hui au Congo et au Sud-Kivu ?

La gratuité de l’enseignement, un véritable mythe!


La constitution de la République à son article 43 consacre la gratuité de l’enseignement: « toute personne a droit à l’éducation scolaire. Il y est pourvu par l’enseignement national… L’enseignement primaire est obligatoire et gratuit dans les établissements publics. »

La réalité est toute autre: l’éducation se paye chère et visiblement les enfants sont plus perdants non seulement du point de vue de la qualité de l’enseignement qu’on leur donne mais aussi du fait de la prime, l’accès à l’éducation est devenu sélectif et réservé aux familles nanties. Accéder à l’école c’est un problème, s’y maintenir et faire un cursus normal jusqu’au bout c’est un autre, voire le plus difficile.

Le taux de déperdition scolaire est élevé chaque année principalement à cause de l’exorbitance de tous les frais à payer par élève. Pourtant, chaque année il y a des campagnes « tous les enfants à l’école » des agences des nations unies et autres ONG pour sensibiliser les parents à amener les enfants à l’école. Pourquoi ne fait-on des campagnes pour les maintenir à l’école jusqu’au bout ?


La commercialisation de l’éducation et ses conséquences sur la société


Plus de 73% des frais (légaux et illégaux) de scolarité sont pris en charge par les parents alors que leur situation économique ne s’est guère améliorée. Les complicités sont nombreuses et de toutes parts (l’Etat, les religieux et les religieuses, les pasteurs, les imams, …)
Plusieurs comités des parents et syndicats d’enseignants ne jouent plus leurs rôles, sont devenus complices d’autant que dans la clé de répartition de tous ces frais, ils y ont chacun un pourcentage (5%) pour le fonctionnement de leurs bureaux. Les parents en ont le vertige et ne savent plus à quel saint se vouer. Certains d’entre eux, face à leur incapacité d’assumer les charges scolaires, ont développé des maladies cardio-vasculaires, psychosomatiques. Car pour les Congolais, la scolarisation des enfants reste une des premières priorités, avant même la santé.

L’abandon scolaire (précoce) fait subir aux individus et à la société entière d’importants coûts. Il contribue à l’analphabétisme répandu, au chômage voire au crime dans certaines sociétés, à l’insécurité tous azimuts, à la fracture sociale. Car il se crée un fossé entre une partie des enfants socialement intégrée à l’école avec une autre constituée des enfants économiquement et socialement exclus de l’école, victimes ou déshérités. Ainsi cette commercialisation de l’éducation devient chaque jour davantage un mécanisme de répétition ou de perpétuation des inégalités sociales, un mécanisme de reproduction des hiérarchies sociales. Les enfants de pauvres auront toujours de très faibles chances d’accéder à l’école et ou de faire un cursus normal. Ce qui enfreint à l’égalité de chances d’accéder à l’éducation et autres droits des enfants.

Pierre Bourdieu (3) a, par sa théorie de la reproduction sociale, démontré comment la position sociale des parents constitue un héritage pour les enfants. Ainsi, certains enfants héritent de bonnes positions sociales, ils les appellent « les héritiers » tandis que d'autres au contraire sont les déshérités. Cette situation est entretenue par l’inégale répartition du capital économique et social entre différentes classes sociales. En augmentant chaque année des frais scolaires éloignés de la réalité économique de la population, on prolonge la reproduction des classes dominantes et des classes dominées.

Que coûte à l’Etat congolais l’application des prescrits de tous les textes internationaux et nationaux qu’il a ratifié et signé en matière de la protection des droits des enfants ? La jeunesse c’est l’avenir d’une nation: en lui assurant une bonne éducation, on assure les arrières de la nation. Il n’y a pas de formule miracle pour surmonter les inégalités dans l’éducation. Il faut que les politiques stabilisent les frais scolaires conformément au revenu des ménages, qu’ils renforcent et stabilisent le pouvoir d’achat des congolais, suppriment définitivement la fameuse prime. Il faut un engagement politique soutenu en faveur de la justice sociale, de l’égalité des chances et des droits fondamentaux des enfants au Congo-Kinshasa.

Où va la République Démocratique du Congo ?

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(1) PNUD, Profil résumé. Pauvreté et conditions de vie de ménages au Sud-Kivu, mars 2009
(2) An Ansoms et Wim Marivoet, Profil socio-économique du Sud-Kivu et futures pistes de recherche, étude publiée à Anvers en mai 2010
(3) Pierre BOURDIEU et Passeron, Les Héritiers, paru en 1964


lundi 5 février 2018

Les élections sous conditions en RD Congo... Qui, pour y croire?

En novembre 2017, après le passage à Kinshasa de la diplomate américaine auprès de l’ONU Nikki Haley, la commission électorale nationale indépendante (CENI) a publié un calendrier électoral, sous une pression internationale sans pareille. La femme d’Etat américaine avait lâché que : « les USA ne financeront pas les élections qui iront au-delà de 2018 ». Quelques jours seulement après cette déclaration, le calendrier est sorti, alors que pendant toute l’année, le peuple réclamait en vain à corps et à cris sa publication conformément aux accords politiques signés sous l’égide de la conférence épiscopale du Congo, « CENCO », lesquels prévoyaient les élections au 31 décembre 2017.

En effet, les évènements se suivent et ne se contredisent pas et comme disait Machiavel: « celui qui ne perçoit pas les maux quand ils naissent n’est vraiment pas sage ».

En janvier 2015, le pouvoir Kabila voulut passer en force en conditionnant les élections prévues à la fin de son deuxième et dernier mandat constitutionnel, soit le 19 décembre 2016, à un recensement de la population qui devait durer minimum trois ans. Le peuple s’y était farouchement opposé. Des manifestations pacifiques durement réprimées ont obligé à trouver de nouvelles stratégies. On aura alors le dialogue de la cité de l’UA sous la conduite du togolais Edem Kodjo, le dialogue du centre interdiocésain avec la CENCO, les différents discours politiques des hommes au pouvoir, la non application délibérée des accords de la Saint-Sylvestre avec ses arrangements dits particuliers, la mauvaise foi manifeste dans la nomination des acteurs de la commission nationale de suivi des accords (CNSA)… Tout cela suscite évidemment un doute permanent et logique sur la volonté réelle du pouvoir de Kinshasa d’organiser des élections démocratiques, libres et transparentes, et ce, en dépit du calendrier électoral publié par la CENI.

Un calendrier électoral piégé par des « contraintes »


D’abord, faut-il rappeler que ce calendrier est déjà le troisième proposé. Les deux précédents n’ayant jamais été appliqués faute d’un consensus politique requis pour ce faire. L’actuel le sera-t-il au regard du contexte ? Ne porte-t-il pas déjà à son sein des germes de sa non-exécution ? Le non-respect effectif et de bonne foi des arrangements particuliers additionnels à l’accord politique du 31 décembre 2016 par les parties prenantes, n’est-ce pas là un obstacle majeur ? Comme le clame l’opposition politique, il faut crédibiliser le processus; il n’y a pas moyen d’aller aux élections dans un climat de méfiance totale entre les parties concernées. Autant d’éléments intrinsèques à ce calendrier font de lui la visée de toutes les analyses et des citoyens qui le boudent ou l’accueillent, à tort ou à raison, avec réserves et suspicions. Le moins que l’on puisse dire est que les conditions politiques actuelles ne sont pas rassurantes: les répressions et les atteintes aux libertés fondamentales, la promulgation d’une loi électorale aux allures de défi politique, l’arrogance du régime…

Par ailleurs, depuis sa publication, ce calendrier est assorti de quatre types des contraintes qui, selon la CENI, conditionnent son exécution effective: les contraintes légales, les contraintes financières pour l’organisation des scrutins, les contraintes logistiques et les contraintes politiques, sécuritaires. Ainsi, dix-sept contraintes réparties dans ces quatre types ont été publiées en annexe du calendrier par la CENI. Aux yeux du citoyen lambda, considérant le manque manifeste de volonté politique, ces contraintes risquent d’être le prétexte fondamental ou le cheval de Troie pour justifier la non-tenue des élections… Procès d’intention ou dissection prospective?

Les élections ne se préparent pas en un jour ni en un an mais durant toute la mandature; c’est dès le premier jour du début de son mandat qu’un gouvernement responsable prépare les élections prochaines. Et donc, en principe, c’est depuis 2011 que le pouvoir actuel est sensé les préparer, à travers ses différents budgets annuels. Mais, paradoxalement, depuis lors, le gouvernement crie à qui veut l’entendre qu’il n’a pas d’argent pour organiser les élections et multiplie des alibis politiques pour conserver illégitimement le pouvoir au-delà des prescrits constitutionnels. Entre-temps les hiérarques du pouvoir et leurs dépendants s’enrichissent cyniquement au détriment de la population dont la misère s’accentue chaque jour davantage.

Les contraintes ou pièges électoraux ?


Est-il un seul pays au monde qui a organisé les élections sans aucune contrainte, technique ou financière? Qu’est-ce qu'une contrainte au regard d’une volonté politique de faire? Ces contraintes ne constituent-elles pas en filigrane une sorte d’hyperplasie étatique qui risque d’asphyxier la tenue des élections, voire la CENI elle-même si jamais les échéances prévues ne sont pas tenues! Gouverner c’est prévoir; prévoir c’est prévenir!

Le pouvoir de Kinshasa a la majorité parlementaire requise dans les deux chambres de représentants; ainsi en dehors d’une stratégie politique, rien ne justifierait la non-adoption (dans le temps) des lois et autres mécanismes exigés pour l’organisation des élections. Il en est de même pour les contraintes financières et sécuritaires. La mobilisation des recettes est effective au pays, elle est caractérisée par des tracasseries financières (multiplicité des services), la surtaxation (double imposition, …) jusqu’à étouffer les initiatives locales. Toutes ces taxes n’ont pas de contreparties réelles et visibles. Alors où va cet argent pour que l’Etat puisse manquer de quoi organiser les élections? C’est sans parler des pillages et privatisation systématiques des ressources nationales par les hommes du régime…

En ce qui concerne le défi sécuritaire, il est curieux d’avoir des services à même de réprimer farouchement les manifestations pacifiques de la population, mais incapable d’endiguer l’insécurité sur le territoire national. A qui profite donc l’insécurité qui sévit sur l’étendue du pays particulièrement à l’Est? Nos articles précédents sur le blog peuvent y répondre. La vraie contrainte, c’est la privatisation des prestations des services publics (Armée, Police, Renseignement, Administration…) au profit d’un individu ou d’un clan politique.
Pourtant, le meilleur moyen de durer au pouvoir est d’avoir le peuple avec soi, tous les autres moyens sont des palliatifs, dit-on.

Malgré les contraintes évoquées, les élections présidentielles sont projetées au 23 décembre 2018, une date importante mais qui pourrait elle aussi passer à la trappe, comme celles du 19 décembre 2016 ou du 31 décembre 2017, très attendues par les congolais mais qui sont restées sans suites (fin effective du dernier mandat de Kabila et application de la constitution d'élection présidentielle selon la volonté de l’accord de la CENCO). « Celui qui vit d’espoir meurt de faim », dit-on. Cette date du 23 décembre 2018 sera-t-elle la vraie, la meilleure qu’attendent tous les congolais, la dernière du feuilleton ? Machiavel dit que « les hommes sont simples et obéissent si bien aux nécessités présentes, que celui qui trompe trouvera toujours quelqu’un qui se laissera tromper. Mais qu’il faut savoir que la nature des peuples est changeante, qu’il est facile de les persuader d’une chose mais difficile de les maintenir en cette persuasion ».