lundi 25 septembre 2017

Sud-Kivu : 4e gouverneur en 11 ans. Démocratie, dictature parlementaire ou enjeux multiples ?

Le 26 août dernier, les députés provinciaux du Sud-Kivu ont élu un 4e gouverneur de l’histoire de la démocratie dans la province depuis 2006. Selon la constitution, le pays fonctionne sous une forme unitaire fortement décentralisée qui veut que chaque province dispose d’institutions démocratiques telles une assemblée et un gouvernement provincial à la tête duquel un gouverneur et vice-gouverneur élus par ces députés.

Mieux ou pire que dans les autres provinces du pays, les députés provinciaux du Sud-Kivu ont bâti le record d’avoir fait partir successivement trois gouverneurs durant leur législature pour des motifs parfois discutables et divergents. D’abord Célestin Cibalonza qui n’a gouverné que 12 mois (soit du 24 février 2007 au 09 février 2008) au motif qu’il avait fait son gouvernement sans tenir compte des recommandations des députés provinciaux, suite qu’il ne communiquait pas assez avec eux, etc.

Ensuite, Louis Léonce Muderhwa, 24 mois (soit du 21 mars 2008 au 15 avril 2010) au motif qu’il était hautain et dédaignant à l’égard des députés, et qu’il bousculait certains intérêts occultes…
Enfin, très récemment le tout puissant Marcellin Cishambo Ruhoya, conseillé de l’ombre du Raïs, qui a, contre toute attente, gouverné la province pendant sept ans malgré l’épée de Damoclès suspendue sur son règne par les multiples menaces de motions initiées contre lui par les députés, et qu’il a toutes déjouées. Il a donc géré le Sud-Kivu du 22 juillet 2010 au 26 août 2017 date à laquelle son successeur a été élu. Cishambo est donc parti du Sud-Kivu de la manière dont il s’attendait le moins : cette fois c’est une pétition initiée par la population du Sud-Kivu qui aura eu raison de lui. On lui reprochait la mauvaise gestion, les absences multiples et prolongées de la province (il était le plus souvent à Kinshasa, logé dans un hôtel de luxe, aux frais de la province), aucun projet de développement, le non payement des salaires de ses agents près d’une année durant (la goutte qui a fait déborder le vase…)

Tout cela a paru aux yeux de certains observateurs comme une déstabilisation voire une menace au développement de la province d’autant que chaque gouverneur au Sud-Kivu doit toujours être sur ses gardes car à tout moment il pourrait quitter le pouvoir sur base d’un petit désamour avec les élus du peuple.

Les députés ont donc voté au deuxième tour monsieur Claude Nyamugabo comme 4e gouverneur du Sud-Kivu depuis 2006, mais plus d’un se demande si cette fois il sera le dernier de ce règne constitutionnellement très contesté de Kabila et pour quels résultats auprès du peuple?

Le contexte de l’élection de ce gouverneur mérite un tour d’analyse afin de bien saisir les enjeux autour en ce moment où le divorce politique entre le régime et la population est signé.

La situation géostratégique de la province

Le Sud-Kivu est une province géographiquement et sociologiquement stratégique pour le pouvoir de Kinshasa surtout par rapport aux dynamiques géostratégiques dans la sous-région des grands lacs africains. Une province de la résistance et des revendications citoyennes. C’est aussi une plaque tournante des enjeux régionaux. Autant la stabilité du pouvoir de Kinshasa dépend très fortement de cette province si on s’en tient à l’histoire de grandes rébellions dans le pays depuis l’indépendance, autant les pays voisins tiennent au Sud-Kivu pour assurer leur sécurité politique et leur stabilité économique. C’est dire si le choix d’un gouverneur au Sud-Kivu ne saurait être uniquement dicté par les dynamiques internes des forces politiques ou par les exigences de la démocratie, mais aussi et peut-être surtout par des dynamiques externes des forces politico-économiques des pays voisins à l’est de la république.

La configuration politique de l’Assemblée provinciale du Sud-Kivu

Depuis le début de la législature en 2006, l’assemblée provinciale du Sud-Kivu est politiquement monolithe. Sur les trente-six députés y siégeant, un seul vient d’un parti politique de l’opposition. Cela étant, il n’est pas possible qu’un candidat gouverneur de l’opposition puisse gagner les élections dans cette configuration totalement acquise à la majorité présidentielle.

En cas d’élection ou d’un quelconque enjeu politico-stratégique, les élus du peuple reçoivent toujours un mot d’ordre (consigne) de la haute hiérarchie de leur famille politique. Mais en dépit de cela, ces derniers ont déjà fait partir trois gouverneurs de cette même famille. Est-ce pour la cause du peuple ? Pas si certain que cela…

Certains citoyens vont jusqu’à stigmatiser et caricaturer cette démarche des honorables de "déshonorable", caractérisée par des motions "alimentaires" en lieu et place des motions légales. C’est-à-dire qu’en effet, au terme de la constitution, lorsqu’un gouverneur n’est pas à la hauteur de sa tâche, les députés ont la latitude d’initier une motion pour le faire partir. Mais au regard des enjeux observés depuis 2006 autour de toutes les motions initiées jusque-là au Sud-Kivu, on a eu impression que c’est plutôt une démarche lucrative de la part des députés. Lorsqu’ils veulent avoir de l’argent facile, ils inquiètent le gouverneur ainsi que leur hiérarchie en initiant une motion sachant d’avance qu’elle ne peut pas aboutir. L’important est de se faire corrompre avant d’abandonner la fameuse procédure.

Les enjeux de l’élection de la liste PPRD au Sud-Kivu

La CENI nationale avait de façon inattendue annoncé l’organisation de l’élection des gouverneurs dans onze provinces sur les 26 que compte la RD Congo. Finalement, pour des raisons hautement politiques, elle n’aura organisé le vote que dans 9 provinces au lieu des 11 initialement prévues.

Peu avant le deuxième tour au Sud-Kivu, sur trois provinces où la majorité présidentielle avait aligné des candidats gouverneurs, deux avaient échoué en faveur des candidats indépendants, ce qui fut un coup de tonnerre, un message clair, et sans aucun doute une mise en garde envers la majorité présidentielle qui s’est rendue compte qu’elle ne maîtrisait plus la situation et que finalement, la discipline du parti à laquelle les députés sont obligés de se soumettre, semblait bien aléatoire et bien peu effective... Mais, ces députés nationaux et provinciaux ont-ils la volonté ou sont-ils à même de s’émanciper de cette fameuse "discipline du parti" pour sauver les quatre-vingt millions de congolais qui courbent l’échine devant un pouvoir qui se radicalise dans la volonté de se cramponner au pouvoir au-delà de la constitution? La question reste posée…

Au Sud-Kivu, sur les 34 députés provinciaux présents et votant (tous étant de la majorité présidentielle), douze avaient, contre toute attente, créé un tremblement au sein de la famille présidentielle en jetant leur choix sur la candidature d’un opposant, monsieur Elie Zihindula, professeur en mathématiques à l’institut Supérieur Pédagogique de Bukavu (ISP) alors que 16 s’étaient prononcé en faveur du candidat du régime, monsieur Claude Nyamugabo; considérant qu’aucun des sept candidats en lice n’avaient eu la majorité de voix au premier tour, c’est-à-dire dix-sept voix plus une, un deuxième tour a été envisagé. Ce fut une surprise désagréable voire une menace réelle pour la majorité présidentielle qui espérait faire passer son candidat au premier tour. Les supputations sont allées dans tous les sens, les uns pensant à une mascarade conçue par les députés pour échapper à la colère du peuple ou pour hausser les enchères et se faire corrompre doublement (premier et deuxième tour) ; d’autres stigmatisant justement le ras-le-bol des députés de ne pas avoir le choix libre en recevant chaque fois des injonctions d’en-haut au lieu de le laisser seul devant leur conscience ; d’autres encore fustigeant un calcul politique bien ficelé de la majorité au pouvoir…

Ainsi, au terme de l’article 170 de la loi électorale, le deuxième tour a été projeté au mardi 29 août 2017, soit trois jours après le premier tour, "(…) Si la majorité absolue n'est pas atteinte au premier tour, il est procédé dans les trois jours à un second tour de scrutin. Seuls peuvent se présenter au second tour les deux listes arrivées en tête du premier tour compte tenu des retraits ou des désistements éventuels. En cas d'égalité de voix, la liste dont le candidat Gouverneur est le plus âgé l'emporte."

Quelle n’aura pas été la surprise à la veille du deuxième tour, quand monsieur Elie Zihindula candidat gouverneur issu de l’opposition, ne se présenta pas à l’hémicycle pour battre campagne. Pas si surprenant de constater qu’après que tous les faucons de la majorité présidentielle originaire du Sud-Kivu soient arrivés en province (le ministre Bahati Lukwebo, le ministre Jean-Marie Bulambo, Solide Chanikire, etc.), ce candidat qui électrisait déjà les souhaits du peuple de ne plus voir un gouverneur parachuté, imposé de Kinshasa à la tête de la province, ait déposé sa lettre de désistement en faveur du candidat du raïs. A quel prix ? Les commentaires sont allés dans tous les sens : certaines évoquant sans preuve des intimidations et menaces que ce candidat aurait subi de la part du régime qui ne voulait pour rien au monde, perdre le contrôle du Sud-Kivu. D’autres ont évoqué le fait que ce professeur de math se serait fait corrompre…Vrai ou faux, il s’est quand même passé quelque chose de douteux. Le plus probable est la corruption à grande échelle, et du candidat et des électeurs (députés provinciaux) par le régime de Kinshasa, mobilisé en moyens et en stratégies pour la cause.
Ce désistement a donc laissé le boulevard ouvert au candidat de la majorité élu avec 31 voix contre une du candidat désistant, deux bulletins nuls, sur 34 votants.

Un vote aussi encadré, surveillé et orienté comme celui-là est-t-il vraiment démocratique au sens vrai du terme ou s’agit-il d’un deal politique camouflé derrière de pseudo élections, dès lors qu’il n’a pas respecté le principe de la liberté ?

Le lundi 28 juillet dans sa déclaration politique de désistement le candidat malheureux, le professeur Elie Zihindula a dit : "nous dénonçons également l’intimidation dont certains députés ont été victimes dans le but d’orienter leurs suffrages en notre défaveur. En l’état actuel des choses, a-t-il poursuivi, il est de mon devoir d’informer ce peuple qui a soif du changement que cela ne sera pas possible avec la composition actuelle de l’assemblée provinciale…"

Tout compte fait, il y a lieu de croire que la candidature de monsieur Elie Zihindula était une candidature opportuniste sans ambition politique à long terme. Il y a des gens qui aiment entrer dans l’histoire en reculant et il est difficile de construire une espérance avec eux.
Par ailleurs, que peut encore attendre la population d’un autre gouverneur imposé de Kinshasa ? Réussira-t-il là où ses aînés ont lamentablement échoué? Quatre gouverneurs de la même famille politique en onze ans sans aucun résultat de développement. Tous sont venus faire de la cueillette d’argent sans se soucier du bien-être de la population acculée par l’insécurité, le manque d’infrastructures sociales de base, la pauvreté criante, le marasme économique,…

Aujourd’hui, les choses sont telles que même si on descendait un ange du ciel dans le régime Kabila, il ne ferait rien. Bien au contraire, il en sortirait transformé à l’image de tous les autres caciques connus du régime qui se déploient inlassablement pour piller, voler les biens publics, s’enrichir en paupérisant exagérément la population congolaise.