Du cadre du film portant sur la mise en scène du Tribunal sur le Congo.
A Bukavu (ville martyre de l’est de la RD Congo), depuis le vendredi 29 mai 2015, sous l’initiative de Milo Rau de l’International Institute of Political Murder/IIPM, se déroule dans l’amphithéâtre du Collège Alfajiri, « Le Tribunal sur le Congo". Ce Procès, dont les décisions et jugements ne sont nullement contraignants tant au pénal qu’au civil, s’est concrétisé devant une assistance multiforme assoiffée de vérité et de justice pour tant de crimes oubliés en RD Congo. Ce scénario de haute qualité, monté à la lumière de la tradition du Tribunal sur le Vietnam fondé par Jean-Paul Sartre mais aussi à l’exemple du récent Tribunal Russel sur la Palestine, aura minutieusement simulé la réalité dans toutes ses facettes, à telle enseigne qu’on ne pouvait un seul instant réaliser être devant un quelconque tribunal fictif.
L’équipe des réalisateurs de ce film, composée d’avocats, de journalistes spécialisés dans les questions de la guerre au Congo, d’experts en droit pénal à La Haye, de responsables d’organisations humanitaires, d’un directeur de Centre de droit constitutionnel et humanitaire, de militants et défenseurs de droits humains, de journalistes et écrivains, de psychologues et sociologues de renom…, aura avec beaucoup de pertinence agencé la réflexion à partir des données réelles tirées d’enquêtes de terrain et des auditions d’une soixantaine de témoins et experts de tout bord à Bukavu et alentours jusqu’à la publication de son jugement le lundi 1er juin 2015, à Bukavu…
La mise en scène du Tribunal sur le Congo? Quels contours et pour quel dénouement?
La cour du tribunal sur le Congo ainsi instituée a documenté les crimes et délits à partir de trois cas de figure pour alimenter et conduire les audiences de trois jours continus. Pour ses organisateurs, se pencher sur trois exemples jugés largement représentatifs en vue de susciter l’intérêt et l’attention, permettait d’évoquer nombre de ces crimes longtemps restés oubliés.Voici brièvement décrits les trois crimes évoqués :
- Primo, le cas de la mine de Bisie à Walikale dans le Nord-Kivu où le MPC Manning exploite la cassitérite sous un contrat d’exploitation délivré par les autorités congolaises, et cela dans les conditions défavorables pour les populations riveraines à l’exploitation industrielle faite par la multinationale MPC…
- Secundo, le cas du site de Twangiza où Banro détient la licence d’exploitation depuis 2003 et où l’exploitation suivie de la délocalisation des populations s’est faite de manière inacceptable. Il y eut également l’intoxication des rivières au cyanure ainsi que l’utilisation de la main d’œuvre importée contrairement à l’attente des communautés locales riveraines enclines au chômage…
- Et enfin, tertio, le cas du massacre de Mutarule de juin 2014 où 35 personnes ont été lâchement abattues dans une église protestante en pleine prière. L’histoire d’une simple querelle autour du vol du bétail/vaches au cœur d’une polémique sanguinaire se trouverait être l’iceberg qui cache de graves conflits séculaires interethniques portant sur la gestion du pouvoir coutumier et foncier…
Pour les initiateurs de cette démarche ô combien sensible, il appert que la réhabilitation de la population du Congo dans ses droits, à partir de la gestion adéquate de l’exploitation de ses ressources minières ainsi que l’éradication de l’insécurité permanente encourues ces deux décennies dénote purement du droit à la justice dans l’ensemble. C’est ce qui sera prouvé tout au long des séances du tribunal au regard des impressionnantes révélations apportées par les différentes allocutions des experts et des témoins auditionnés pendant trois jours!
Concernant la forme et le fond des audiences du tribunal sur le Congo!
La disposition de la salle d’audience ainsi que les procédures organisationnelles arrangées pour cette fin, au modèle anglo-saxon où l’on trouve un jury de 7 jurés placés en diagonale-gauche de la cour et en diagonale-droit du comparant avec une cour composée de véritables chevronnés de droit et de surcroît de quelques avocats et personnalités de La Haye, a permis d’entrer plus en profondeur dans les allégations des comparants (les experts, les témoins, les renseignants…)Dans son déroulement, les autorités locales congolaises dont, en tête, le gouverneur et certains de ses ministres provinciaux et un représentant du ministre national de communication ont comparu devant ce tribunal et cela, face aux milliers de citoyens. Ces comparants ont présenté à tour de rôle leurs versions des faits et leurs moyens de défense en rapport avec ces trois thématiques et surtout, les raisons qui auraient poussé à leur inaction en tant qu’autorités, dont la mission première et constitutionnelle est bel et bien la sécurisation et la protection des citoyens. Malgré l’invitation insistante de la cour à beaucoup plus de sérénité (ne pas huer, ni chahuter) quand ces représentants du pouvoir tentaient de se justifier ils étaient continuellement boudés par les participants.
Collette Braeckman, membre du jury occasionnel, (on connaît sa maîtrise et son analyse exacte de la question congolaise) fait part de son inquiétude sur le sort des congolais une fois ces ressources épuisées. Seules la bravoure et la résistance des congolais auront permis de tout braver et, du reste, quelques exemples de patriotisme et de solidarité collective cités peuvent le témoigner comme l’or n’appartient plus à l’espoir congolais…
Lors de ces audiences, la voix de l’opposition par la bouche de Vital Kamere président de l’UNC a aussi été entendue. Son verbe et sa maîtrise de nombre de ces questions lui ont servi d’opportunité en or pour une campagne électorale prématurée, au moment où il venait d’accompagner la présentation des listes de leurs candidats députés provinciaux au Bureau provincial de la CENI.
Quoiqu’invité, Banro Mining ne s’est pas présenté. Ce qui n’a pas empêché les experts et autres témoins de charger sérieusement la multinationale canadienne. Et au réalisateur d’interjeter que « si les concernés industriels n’avaient pas fait la chaise-vide, on aurait pu changer leur approche de travail ».
Le long chemin de ce tribunal de Bukavu se poursuivra à Berlin et le film qui le couronnera pourra sortir en automne 2016 a-t-on appris des initiateurs. Les conclusions qui ont surgi à l’étape de Bukavu ont été d’une telle force qu’elles ne pourront laisser longtemps le monde et l’humanité entière indifférents.
Rien de surprenant quand, dans son mot de fin, le gouverneur de la Province du Sud-Kivu, Marcelin Chishambo affirmera que pareil exercice n’aurait pu être permis si leur gouvernement n’était pas démocratique… Ainsi, pour toute l’assistance, quoique le tribunal sur le Congo ait été une simulation, les faits au cœur des plaidoiries et des auditions étaient pourtant vrais dans leur entièreté. C’est sans nul doute une véritable préfiguration du véritable Tribunal international pour la RD Congo.
Quel verdict et, finalement quelles retombées?
Ci-dessous le jugement tel que magistralement prononcé au niveau de l’Hôtel Résidence de Bukavu au cours d’une grande conférence de presse où se sont présentés la notabilité de Bukavu et des institutions nationales et internationales.Après une année de recherche et trois jours d’audiences publiques, le jury du tribunal sur le Congo répond de manière suivante aux questions centrales présentées publiquement par le chef d’enquête lors de la session d’ouverture du 29 mai 2015 :
- Les conflits interethniques et les attaques des différents groupes armés à l’est de la RD Congo sont-ils devenus incontrôlables à un degré tel que le gouvernement et l’armée congolaise qui sont en train de se remettre des 20 ans de conflits dans le pays échouent régulièrement en essayant de rétablir l’ordre?Non, à la majorité. Nous jugeons que les conflits interethniques sont contrôlables pour autant qu’il y ait volonté politique et pouvoir responsable.
- Le Gouvernement de la RDC, ainsi que l’armée congolaise sont-ils des acteurs dans les attaques systématiques contre la population locale, en maintenant intentionnellement le désordre et l’insécurité dans la région, soit par la passivité soit en collaborant avec les groupes armés?Oui, à la majorité. Nous jugeons que certains éléments de l’armé et les responsables politiques de la RDC sont des acteurs dans les attaques systématiques contre la population locale, mais certainement pas les seuls. Le gouvernement de la RDC par ses carences ou sa passivité a une part de responsabilité dans le désordre et l’insécurité.
- La communauté internationale et les troupes de la Monusco stationnées à l’est de la RD Congo contribuent-elles à la stabilisation politique et à la sécurité dans cette région en renforçant un gouvernement et une armée encore faible mais sur le chemin de se remettre? Oui, à la majorité. Nous jugeons que la Communauté internationale par l’intermédiaire de la Monusco contribue à la stabilisation politique et à la sécurité dans la région mais pas de manière significative. Si la volonté politique était présente, elle pourrait certainement faire plus, mieux et plus vite. Trop souvent elle se rend coupable de non-assistance à la population en danger.
- La Communauté internationale et les troupes de la Monusco se rendent-elles coupables de complicité en collaborant et en renforçant en termes de force militaire et de logistique une armée et un gouvernement qui ne travaillent pas en faveur des citoyens congolais et ne respectent pas leurs droits humains? Non, à la majorité. Nous jugeons que la Communauté internationale ne se rend pas coupable de complicité directe. En effet, au nom de la Communauté internationale, la Monusco qui accompagne le gouvernement se contente d’appliquer le mandat qui lui est donné par le Conseil de sécurité. Cet appui ne représente pas une complicité mais nous soulignons le fait que la mise en œuvre du mandat suscite de très sérieuses réserves.
- L’exploitation industrielle de minerais assoie-t-elle enfin une base pour la paix et la démocratie dans la région, en construisant une infrastructure adéquate, en créant des emplois et en favorisant des branches avoisinantes de l’économie locale? Non, à la majorité. Nous jugeons qu’à ce stade aucune exploitation industrielle des minerais ne s’est accompagnée d’un investissement dans une infrastructure adéquate, dans la création d’emplois ou dans l’appui aux communautés locales. Si les sociétés minières le faisaient, elles pourraient contribuer à la paix et à la démocratie dans la région. Nous ajoutons que la question de l’exploitation artisanale doit être résolue pour arriver à une coexistence pacifique entre les exploitants miniers artisanaux et les sociétés minières.
- Les entreprises multinationales exploitant industriellement des minerais dans la région, ont-elles profité de l’instabilité politique pendant 20 ans de guerre pour recevoir des concessions minières à des conditions profitables et s’accaparer des ressources naturelles du Congo de l’est? Sont-elles dans ce cas coupables de pillage du peuple congolais? Oui, à la majorité. Nous jugeons qu’elles ont profité de l’instabilité politique et de la faiblesse des institutions congolaises pour obtenir des concessions minières dans des conditions désavantageuses pour les populations congolaises. Elles ont ainsi contribué au pillage des ressources minières de la RD Congo.
Quelle valeur juridique réserver à un tel jugement issu d’un tribunal symbolique?
D’emblée, quoiqu’utilisant des avocats assermentés, des jurés de renom dans toute leur qualité et quoiqu’interpellant des personnalités sous leurs véritables titres et qualités reconnus, la question de fond est de savoir quelle valeur juridique a un tribunal sans compétence attitrée, qui ne clarifie pas qui sont la victime, le plaignant, qui ne prescrit ni condamnation ni dédommagements…?Analyse faite, loin d’une simple publicité, à partir des faits épluchés, ce tribunal sur le Congo présage déjà le véritable tribunal pénal sur la RD Congo afin de reconstituer formellement la vérité et rendre justice pour des faits qui ont choqués l’humanité entière.
Apparemment, il n’est plus que question du moment propice quand on sait que les responsables des violations massives de ces droits imprescriptibles sont encore en position de force dans le pays et que ce moment présent est crucial pour un pouvoir en quête d’une nouvelle légitimité au travers des prochaines élections en vue.
Les trois cas de figure développés au cours de ce tribunal ne résorbent pas l’ensemble des violations car plusieurs rapports dont le maping très documenté des Nations-Unies, les rapports de Human Rights Watch, Global Witness, les mémos de la société civile ainsi que des organisations des droits de l’homme et des confessions religieuses n’ont pas réussi jusque là, à eux seuls, à provoquer le tribunal international pour les crimes commis en RD Congo.
Faudra-t-il attendre un siècle comme ça l’a été pour reconnaître le génocide arménien ou bien sommes-nous déjà à quelques pas pour voir surgir le dossier de massacres de Makobola, Kasika, Kaniola, Burhinyi, Kavumu, Bunyakiri, Tingitingi, Beni 1,2 et 3?
Néanmoins, le tribunal a tout au moins permis la détermination des responsabilités des délits et de leur degré. Ce qui a ouvert le débat sur l’autorité de l’Etat avec le dysfonctionnement de ses mécanismes internes d’intervention, les rôles et missions des Nations Unies, des multinationales etc.
Ce tribunal aussi fictif soit-il, fait déjà partie d’un existant dans l’arsenal des dossiers en vue de poursuivre le plaidoyer et le lobbying à partir de la publicité. En effet, si les voisins rwandais ont su vendre le génocide, en tirer d’immenses dividendes jusqu’à pousser le monde de clamer bien haut et fort « Plus jamais ça », c’est certainement suite à des activités du genre dont le film "Hôtel Rwanda" qui a fait le tour du monde en toutes langues et dans toutes les chancelleries…
Lecture du Centre d’Analyse Politique ‘CAPSA-GL’ en guise de conclusion
Tout est mis à découvert. Il sied maintenant plus que jamais de tout mettre en œuvre pour les précautions d’usage ainsi que les stratégies de la société civile et des partenaires sociaux pour investir dans la protection des témoins, des experts, des renseignants et dans la sécurisation des preuves pour qu’une fois le tribunal déclenché, les sources ne soient d’avance détruites à dessein. La société civile devra travailler durement pour en faire une préoccupation dans l’avènement d’un tribunal international pénal sur la RD Congo. Toutefois, les actions devraient se centrer sur trois piliers directement concernés :- Par rapport aux multinationales engagées dans l’exploitation des ressources minières à l’est de la RD Congo: la révision de la loi minière, la revisitation de tous les contrats miniers qui en ont découlés et l’observance des traités et conventions internationales ratifiées en matière de traçabilité dans les circuits d’approvisionnement des industries extractives seraient indispensables...
- Par rapport à la Monusco et le système des Nations Unies devant tant de fausses attentes et faux espoirs pour les populations en détresse: ce tribunal, fût-ce symbolique, devrait amener à un exercice d’auto-évaluation, à la revisitation des mandats successifs et à l’ordonnancement des différentes interventions en matière de protection des civils.
- Par rapport aux répondants du gouvernement, ce fut l’aveu d’impuissance face aux défis sociopolitiques et sécuritaires auxquels ils sont confrontés et qui les ont empêché de jouer convenablement leur rôle pour s’acquitter de leurs responsabilités vis-à-vis des gouvernés. Ce qui en appelle du coup à la re-visitation des textes et autres conventions… Face à cette impuissance en matière de sécurité, l’insécurité a été identifiée être à la fois l’incapacité des FARDC, de la PNC, des Services de sécurité nationaux et par ricochet des Nations Unies à protéger les populations. Le dysfonctionnement de l’appareil de l’Etat y est pour une grande part.
Devant tant d’aveux, comme une expression de ras-le-bol, on a d’abord compris que les congolais étaient la solution à leurs problèmes car en effet il est ressorti que la Communauté internationale accompagne les états forts dans leur force et les états faibles dans leur faiblesse…
A suivre son déroulement, devant révélations et dénonciations extrêmement accablantes pour le gouvernement, pour les multinationales et pour les Nations Unies, ce tribunal de Bukavu aura été une tentative de quête de la vérité et de la justice avec comme réelle dividende l’appropriation de ce processus judiciaire qui devra se poursuivre.
Au terme de cette étape avant celle de Berlin, pour CAPSA-GL, il y a lieu de dire que l’écriture du procès du Tribunal pénal international a bel et bien commencé à Bukavu avec la participation de la communauté victime.