mardi 19 décembre 2017

RDC: Fin d'un règne et/ou radicalisation d'un système

Quitter le pouvoir avant que le pouvoir ne vous quitte!


A l’aube des indépendances des années 60 en Afrique, la colonisation a théoriquement pris fin dans nombre d’Etats parmi lesquels la RD Congo, le 30 juin 1960. Pourtant, on se rend de plus en plus compte que la colonisation n’aura changé que son nom, ses formes et ses tenanciers. Car les masses laborieuses qui, au lendemain de l’indépendance, se réjouissaient de leur affranchissement du colonisateur, ont aujourd’hui déchanté. Si les modes opératoires diffèrent quelque peu, ils s’avoisinent, et cette nouvelle forme de colonisation engendre des désastres plus considérables encore. Et que dire, quand elle est entretenue (certes à des degrés divers de complicité) par les propres dirigeants souvent élus démocratiquement.

A n’en point douter, une nouvelle bourgeoisie africaine, têtant au mamelon droit du capitalisme sauvage, et s’en faisant le larbin, s’est rapidement substituée au colon blanc, au trafiquant d’hommes, au conquérant, au maître d’apartheid social…

A force de souffrances et de misère, les populations qui chaque jour, ne cessent de tremper leurs lèvres aux amertumes de la vie, qui survivent tant bien que mal sur une brindille tout au long des ans, rêvent de retour en arrière. On a ainsi eu l’occasion de rencontrer des septuagénaires nostalgiques qui rêvent positivement de la colonisation belge, jusqu’à en faire l’apologie, en rappelant un certain bien-être social vécu, aujourd’hui disparu… Dans la même veine, on croise régulièrement une bonne frange de congolais, zaïrois de l’époque, qui délirent, en qualifiant de bien meilleur le règne du Maréchal Mobutu, pourtant chassé pour avoir entretenu une des plus farouches dictatures de l’époque contemporaine.

Ça et là, de par le monde, d’autres règnes emblématiques ont marqué leur temps. Leurs dirigeants, partis, sont par la suite revenus aux affaires. C’est par exemple les règnes des Ayatollah Khomeini en Iran aux années 70 (1), ou de Benazir Bhutto au Pakistan des années 80 (2)Mais plus proche, dans la sous-région, le président José Eduardo dos Santos de l’Angola et Denis Sassou Nguesso du Congo Brazza, arrivés tous deux aux affaires en 1979 (avec une éclipse de cinq ans dans l'opposition pour Sassou Nguesso, entre 1992 et 1997).
Ce disant, peut-on rassurer le jeune président RD Congolais qu’une fois parti du pouvoir, il n’est pas impossible d'y revenir prendre les commandes du pays, pour avoir marqué positivement son temps ?                                                                                                     Certains lui recommandent même de se trouver un dauphin, du genre "Medvedev (3) à la congolaise", qui accepterait de s'effacer au bout d’un quinquennat…
Si un président en fonction sait qu’il peut quitter pour revenir aux affaires plus tard, les raisons de bien travailler sont au rendez-vous. Et il pourrait cesser de se cramponner à tout prix.


Quelques stigmates d’un règne aux allures de gangstérisme politique


Mais hélas, chez nous, conquérir le pouvoir et le garder le plus longtemps possible (4) semble la règle. Il est difficile de croire que ce n’est pas pour des dividendes très personnels.

Et quand on est malgré soi, contraint de remettre le tablier, on nourrit encore le rêve de se faire représenter aux élections par un dauphin membre de la famille (en l’occurrence une épouse, un frère et/ou un enfant). La peur de perdre les avantages accumulés est la plus forte et l’emporte sur toute autre considération. Et les moyens financiers pour manœuvrer ainsi ne font pas défaut.

Certes quelques exceptions (5) ne manquent pas, mais elles sont tellement rares…
Pour la RD Congo, d’aucuns pensent que c’est vraiment par un hasard de l’histoire qu’en 2001, après l’assassinat à domicile du chef de l’Etat Laurent Désiré Kabila, sans élection, dans une prétendue démocratie,  un fils succède automatiquement à son père pour conduire une transition de cinq ans. Dans pareilles circonstances, la sagesse veut que celui qui conduit la transition vers de nouvelles élections ne puisse plus se représenter… Ce ne fut pas le cas, et par la suite, on aura même voté par référendum (en 2005) une constitution qui fixe à deux au plus le nombre de mandats successifs pour le chef de l’état. Pour les besoins de sa reconduction après la transition, les conditions d’éligibilité présidentielle en rapport avec son bas âge, son niveau d’études, son incompatibilité notoire d’avec le statut/fonctions militaires… furent exceptionnellement revues pour lui permettre d’accéder au quinquennat 2006-2011. Et encore en 2011, à l’issue d’élections contestées en raison de fraudes et d’irrégularités flagrantes, un troisième quinquennat fut tout de même accordé à Joseph Kabila. Au terme de ce deuxième et dernier mandat, qui a constitutionnellement pris fin le 19 décembre 2016, ses appétits de pouvoir et de ne plus le lâcher se sont précisés.
Après 16 ans de pouvoir discontinu, les espoirs d’une alternance démocratique en douceur en vue de doter le pays de nouveaux dirigeants étaient permis. Mais, plutôt que de concentrer les efforts et les finances publiques dans la préparation de cet exercice citoyen, le pouvoir s’est employé activement à multiplier artifice sur artifice pour reporter l’échéance. Ce qui trahit sans doute le manque de volonté politique pour organiser les élections réclamées. Pour concrétiser cet espoir d’alternance, de nombreux citoyens se sont mobilisés, et plusieurs y ont même perdu la vie, au cours de manifestations pacifiques réprimées de plus en plus durement. Fort de ces constats, on peut présager que le manque de fonds, l’insécurité dans le pays, le temps bref imparti pour élaborer les lois essentielles ne sont plus des arguments crédibles mais des prétextes montés de toute pièce pour éloigner, l’alternance démocratique. La « négomanie » (les interminables dialogues) est un de ces nombreux artifices qui aura permis de battre en brèche l’opposition et la société civile. Les miettes offertes que constituent les quelques postes ministériels dont la primature auront eu raison de gros poissons de l’Opposition radicale.

La désapprobation de la population est forte, mais n’est pas prise en compte par les dirigeants. Le pouvoir applique une répression excessive sur les citoyens dans l’exercice de leurs libertés de manifestation, pourtant gage de toute démocratie. Les manifestants sont violemment réprimés par la police et les services de renseignement. Les opposants et militants des mouvements citoyens sont traqués, bastonnés, emprisonnés et parfois contraints à la clandestinité.

Ce gangstérisme politique est sans état d’âme. Il ne répond à aucune considération d’ordre éthique de dignité ou d’honneur. Dans son entretien du 30 mars 2014, Christophe Boisbouvier raconte que la première fois que Joseph Kabila l'a reçu au Palais, il lui a dit : "Mon grand-père a été assassiné, mon père aussi, et je pense que mon destin (6) est relativement précaire".

Des rafles sans merci sur les richesses


Il n’est nul besoin de s’attarder sur les rapports d’agences internationales comme « Transparency International », « Panama Papers », « Paradise Papers » qui estiment les avoirs des dirigeants pendant ce règne de Joseph Kabila. Le vécu quotidien misérable de la quasi-totalité des congolais contraste d’avec les fortunes amassées par ces dirigeants en fonction. Déjà l’an dernier, lors de la rentrée parlementaire du Sénat, son Président Kengo wa Dondo a évoqué le paradoxe qu’à l’heure actuelle : "la RD Congo vit dans une insolente richesse face à une insoutenable misère." Cela est encore d’actualité et la situation s’empire chaque jour.

En une moitié de temps de règne de Mobutu, les familles de l’actuel chef de l’Etat et de ses alliés auraient amassé plus du triple de la fortune de Mobutu. Cela n’a été possible que par la conjugaison de la corruption avec la prédation à grande échelle, le trafic des richesses naturelles, la discrimination (politique, tribale et ethnique) dans l’accès à l’emploi, les détournements des deniers publics, le montage d’entreprises fictives pour blanchiment, l’exonération du fisc pour les dirigeants et les leurs qui font du commerce, le mercenariat dans l’action publique etc…
C’est pratiquement cela qui constitue la valeur dominante de la politique de ces trois derniers quinquennats. Ce système a pris toute son ampleur cette dernière décennie et s’est implanté à divers échelons du pouvoir pour constituer un vaste réseau mafieux avec des ramifications du local à l’international. C’est tantôt au travers les opérations « retour », tantôt le « sehemu yangu(7)», le « se retrouver »…
Ce système s’est maintenant cristallisé. Le gros de l’argent du pays se trouve entre les mains des politiciens qui l’utilisent couramment pour acheter les consciences des opposants, dédoubler les partis politiques de l’opposition, entretenir ça et là des milices, prostituer les acteurs de la société civile... Ainsi, pour désintéresser le candidat challenger au nouveau gouverneur du Sud-Kivu en remplacement de Marcelin Cishambo, des centaines de milliers de dollars lui auraient été versés ainsi qu’aux députés appelés à voter. Il se dit même qu’à défaut d’accepter ces dollars, l’alternative serait trois balles dans le crâne et des obsèques officielles honorables...

Les postes d’embauches dans l’administration publique, les entreprises étatiques, par-=étatiques et les cabinets ministériels sont tous monnayés ou bradés pour un engagement politique affiché en faveur du Président J.Kabila. C’est ainsi qu’à tous les niveaux, l’opposition ne parle plus d’une seule voix ou est carrément devenue aphone. Les exploitants privés et les professions libérales sont également réduits au silence jusqu’à la capitulation. Leurs conditions de fonctionnement sont bridées par des lois liberticides(8). Même certains enseignants de l’université se sont vus retirés des charges horaires à partir du seul moment où ils sont soupçonnés d’opinions contraires. Le projet de recomposition de la cour constitutionnelle de 9 à 5 membres, visant juste à écarter les quatre juges qui se sont réservés de cautionner le maintien du président après l’accord de la Saint Sylvestre, est déjà déposé au Parlement national.
Rien ne semble plus les arrêter…

Jusque-là, ce système a bien payé ses tenanciers, mais pour combien de temps encore?

Pour les politiciens toutes tendances confondues, le temps de « Ôte-toi de là que je m’y mette » semble avoir cédé place à « Mettons-nous ensemble et mangeons ensemble. » C’est ce qui justifie qu’au départ du Premier Ministre Matata, deux autres lui ont succédé en moins d’une année et un 3e, en remplacement de Bruno Tshibala, serait envisagé pour passer le cap du 31 décembre 2017.

Cet esprit marchand n’a pas laissé indemnes les gestionnaires de la chose publique qui, de ce fait ont oublié de placer de côté la monnaie nécessaire pour organiser les élections dans le pays. Tout l’argent du contribuable a pris la destination des poches individuelles, à telle enseigne qu’il faudra recourir à l’aide internationale pour régler près de 600 millions de $ pour les opérations électorales en RD Congo. Comment croire alors que la non-tenue d’élections dans le délai soit due à l’insécurité ou au manque de moyens? Ceux qui se proposent de donner l’argent pour les élections ignorent-ils tout cela?

Le résultat à court terme : l’espoir encore brisé


Le peuple congolais ne cesse de lutter, de pleurer/gémir mais aussi de prier le Bon Dieu sans répit. Sorti d’une dure période coloniale, "ce peuple n’a donc goûté que pour un très bref moment de son rêve de dignité et de justice" (9).
La lutte pacifique et non violente pour les droits au travers de l’action de la Société Civile et de certains partis de l’opposition s’est érodée par un système installé de corruption ambiante, ponctuée de menaces de mort en cas de résistance. En l’absence d’un leadership pour canaliser les luttes sociales, la population se trouve dépourvue, craquelée, inefficace.
Pourtant, écoutant toute la rhétorique(10) mielleuse développée l’an passé par le camp présidentiel, sur les vertus des différents dialogues pour décanter les différends, les congolais épris de paix, voulaient encore y faire foi. Jusqu’à ce moment où le respect des engagements contractés n’a pu être observé par le camp demandeur.
Aujourd’hui, devant ce rapport de force inégal, les congolais ne peuvent plus compter sur la bonne foi de quelques honnêtes gens qu’ils soient de l’opposition, de la majorité présidentielle ou de la communauté internationale pour leur venir en aide. La lecture de trois récents événements de ce dernier trimestre leur ont coupé le souffle. C’est, dans l’ordre, l’attitude ambiguë de la communauté internationale face à l’enquête sur l’assassinat de deux experts des Nations Unies dans le Kasaï, le vote de 139 pays sur 142 en faveur du gouvernement RD Congolais pour piloter la commission des droits de l’homme des Nations Unies et, tout récemment le message de Nikki Haley, l’envoyée spéciale des Etats-Unis qui, après une mission au pays, s’est prononcée pour les élections plutôt en 2018, sans exiger quelconque garantie. Même s’il était irréaliste de croire en des élections cette fin d’année 2017, cela ressemble étrangement à un blanc-seing pour le régime… A entendre la récupération médiatique, signe du triomphalisme pour le camp du chef, le peuple congolais a bien compris que l’Occident venait de donner encore au président l’occasion de passer tranquillement le cap de décembre 2017. Du reste en réagissant à la déclaration de Nikki Haley, sur les ondes de RFI captée à Bukavu il y a plus d’un mois, de New York, Jason Stearm, Directeur d’un Centre de recherche déclarera qu’en bloc, pour les chancelleries occidentales, Joseph Kabila pourrait quitter en 2018 ou plus tard. Au meilleur des cas il leur serait même favorable qu’il organise des élections pourvu qu’il fasse passer un des siens et cela ne gênerait en rien la communauté internationale.

Au Zimbabwe, Mugabe (11) a fini par comprendre que c’était fini pour lui et il s’est retiré sans bain de sang, le peuple Burkinabe a proprement réglé sa question, les gambiens ont tenu bon jusqu’à pousser Yahya Jammeh à recouvrer les bons sentiments et laisser la Gambie continuer sa vie… Rien de tout cela ne se profile pour la RDC. Certes, ces peuples ont travaillé pour leur affranchissement mais la communauté internationale n’a pas hésité à s’impliquer.

L’alternative: succomber pour de bon ou « dresser nos fronts longtemps courbés» (12)


Les choses pourraient pourtant changer à une vitesse insoupçonnable, car il suffit d’une prise de conscience collective et d’un patriotisme à la dimension d’un grain de sénevé. La RD Congo regorge d’importants atouts susceptibles d’assurer le bien-être social de ses 80 millions d’habitants. Point n’est donc besoin que des congolais défilent par centaines des milliers sur la route de la migration vers l’occident en laissant derrière eux un si beau pays convoité par tous, en commençant par les voisins directs pour ne pas citer ceux qui affluent de l’orient et de l’occident.
Pendant que des camps de réfugiés en Tanzanie, en Ouganda sont bondés de centaines des milliers de Congolais, d’autres milliers de Rwandais, Ougandais et Burundais se précipitent officiellement et/ou officieusement à arracher par tous les voies et moyens, fut-ce au bout du canon, leur place au Congo. C’est dans cette perspective qu’on les voit nombreux se faire enrôler comme congolais afin que demain ils fassent prévaloir leur droit au chapitre. Le pouvoir laisse faire… On saura plus tard si des visées électoralistes n’y sont pas pour quelque chose. 
L’article 64 de la constitution de la RD Congo autorise le peuple de se prendre en charge dans les situations comme celles que traversent présentement le pays. Mais cela n’est possible qu’avec une prise de conscience collective. A voir l’allure que prend l’évolution politique du pays, les ingrédients pour une révolte populaire sauvage sont réunis. C’est dans un contexte similaire qu’en 1996, en très peu de temps, l’AFDL de Laurent Désiré Kabila avait réussi à défenestrer le Léopard du Zaïre! Attention! Avec autant de frustrations accumulées, le peuple reste imprévisible et peut toujours surprendre. L’offre d’appui tant à l’intérieur qu’à l’extérieur pour relancer une révolution dont le bras armé inévitable sera encore et toujours les forces locales d’autodéfense ne manquera pas. C’est du déjà vécu. Rien que l’usage disproportionné de la force pour brimer les libertés suscite déjà la recomposition des forces mai mai à l’intérieur des territoires.
Si l’on ne prend garde, la sortie de cette impasse risque encore une fois de se faire à coups de balles. Dans les indiscrétions au sommet de l’Etat, il se dit que les dirigeants qui ont acquis ce pouvoir par les armes ne pourront à leur tour le céder que par les armes. Mais si on connaît comment la guerre commence, on ne sait jamais comment elle se termine.
Bref, que le règne de Joseph Kabila cède la place à des élections (que du reste son camp pourrait remporter par la fraude) ou par le canon, le peuple congolais est invité à rester circonspect. Car mort ou vivant, Joseph Kabila risque de diriger encore pendant longtemps la RD Congo. En effet, la corruption installée en système, l’immense fortune subtilisée, la présence des personnages-liges du système à la croisée des intérêts régionaux économiques, politiques et géostratégiques seront plus difficile à éradiquer et leurs effets néfastes perdureront longtemps, sans un changement radical de cap. Le plus dur sera de trouver les oiseaux rares ayant résisté au système malgré les épreuves, et leur donner les moyens de mettre à l’heure les horloges de la vie du congolais. Ce sera d’autant plus ardu que les réseaux mafieux au sein de la communauté internationale veilleront à ne pas laisser s’échapper les avantages octroyés par ce système. Ce n’est pas se tromper que de penser que c’est la raison du double langage de la communauté internationale sur la RD Congo devant tant d’évidences criantes.

Bouclons cette réflexion par le journal chinois qui a écrit récemment: « Si vous voulez tuer un pays, injectez y la corruption et revenez-y 20 ans après vous trouverez que ce pays n’existe plus » (20 novembre 2017).

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(1) Parti en exil depuis 1963, les fidèles de l’ayatollah contraignent le Chah d’Iran à son tour à l’exil, et peu après en janvier 1979, Khomeini revient triomphalement à Téhéran. Cfr Microsoft Encarta 2009.
(2) Premier Ministre du Pakistan au mois de décembre 1988, devenant ainsi à 35 ans la première femme à accéder à cette fonction dans un État musulman. Après onze années de dictature militaire, elle incarne la démocratie et jouit d’une excellente image au Pakistan comme à l’étranger. Mais, accusée d’«incompétence et de corruption», elle est destituée dès le mois d’août 1990. Cfr ibidem 
(3) Christophe Boisbouvier : «Si Kabila partait en 2016: qui gouvernera le Congo ? », mars 2014
(4) Sic dixit Machiavel.
(5) Le rarissime président uruguayen Pepe Mudjika est un cas extrême.
(6) Une question de karma susceptible de justifier quelque peu le gangstérisme...
(7) Sehemu yangu veut dire ‘ma part’ pour les contrats que le chef de l’Etat signe avec les partenaires. Sans cette enveloppe sous-table aucun projet ne peut être autorisé à commencer même s’il est humanitaire et sans but lucratif.
(8) Voir la nomenclature des taxes imposées aux entreprises privées, et le projet de loi sur les asbl programmé pour adoption… 
(9) Lire le Communiqué de presse « Une nuit avec le Congo RD qui pleure, lutte et espère » Réseau Paix pour le Congo, en collaboration avec le Diocèse de Bologne et les Centres missionnaires diocésains d'Émilie-Romagne les Congolais de la diaspora et de nombreux amis et amies du Congo Octobre 2017.
(10) Ce dialogue vanté comme voie royale pour trouver des solutions aux problèmes s’est avéré être un marché des dupes.
(11) Pour le Zimbabwe, rien ne rassure que sa sortie résolve le problème zimbabwéen qui est très profond. Un peu atténué mais c’est le même système des compagnons de la révolution et du ZANU PF qui criait à l’opposition que le chien aboie et la caravane passe.

(12) Extrait du « Debout congolais », hymne national de la RD Congo composé par un père jésuite juste après l’Indépendance du pays. Il reste d’actualité.

mardi 5 décembre 2017

Le Nord-Kivu, capitale diplomatique de la RDC?

Kitchanga une zone qui interroge et qui fait peur…

La ville de Goma serait-elle devenue la nouvelle Djouba, (capitale du récent pays coupé du Soudan, le Sud Soudan) pour la République démocratique du Congo? Depuis l’invasion rwando-ougandaise en 1996, sous l’étiquette de l’Alliance des Forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL) de Laurent-Désiré Kabila, Kisase Ngandu, Déogratias Bugera et Masasu Nindaga, les rumeurs nourries font état de la volonté internationale de balkaniser ce pays de Lumumba, l’unitariste. Le secret est-il caché dans le territoire de Masisi, dans une zone bien connue des milieux diplomatiques et des groupes rebelles? En effet, une zone attire, interroge et fait peur: Kitchanga!


De plus en plus les congolais s’habituent, sans s’interroger, à une nouvelle forme de navette diplomatique. Chaque fois que le pays reçoit une visite diplomatique de marque, il n’est plus question de rester dans la seule capitale politique du pays. Désormais, l’hôte doit, après avoir rencontré les officiels à Kinshasa, se rendre directement à Goma dans l’Est du pays, particulièrement à Kitchanga dans le territoire de Masisi, pour visiter et compatir avec les déplacés qui s’y trouvent dans les camps. Quoi de plus normal si on s’en tient à l’esprit de solidarité et de la compassion internationale?
Mais…

Kitchanga, un mystère diplomatique!

Depuis quelques années, la localité de Kitchanga au Nord-Kivu connait un ballet diplomatique sans pareil. De grandes personnalités internationales s’y rendent, officiellement pour des motifs humanitaires. Mais on ne peut faire sans s’interroger, et cela laisse place à beaucoup de supputations et de curiosités non satisfaites pour les observateurs avertis.
Pour rappel, Kitchanga a déjà reçu successivement
> en août 2008, l’ancien président nigérian Olusegun Obasanjo (facilitateur de l’ONU dans le processus de paix à l’Est de la RDC) se rendait dans la zone, précisément à Kangerero, pour y rencontrer le chef rebelle Laurent Nkunda;
> en août 2009, la secrétaire d’état américaine, Hillary Clinton, avec comme point prioritaire de sa mission, le besoin de protection des civils;
> en février 2016, Ban Ki-Moon alors secrétaire général de l’ONU;
> en février 2016, l’ambassadeur du Vatican en RDC, monseigneur Luis Mariano Montemayor;
> en septembre 2016, ce fut le tour de la princesse de Monaco en compagnie de l’ambassadeur du Brésil en RDC
> et très récemment, en octobre 2017, c’était le tour de l’ambassadrice des USA à l’ONU, Nikky Haley, qui a réservé son premier déplacement sur le terrain à Kitchanga pour visiter le camps de déplacés.

Mais quel est le mystère de cette localité dont les zones qui l’entourent sont les plus densément peuplées de la province du Nord-Kivu, (150 habitants/km2), dans un territoire à vocation agro-pastorale habité essentiellement par des rwandophones majoritairement hutus, ainsi que, minoritairement, des Nyangas et des Nandes? L’existence des camps des déplacés est-ce une raison réelle, suffisante et nécessaire? Que peut réellement expliquer qu’on fasse de ces collines vertes de Masisi un sanctuaire diplomatique d’une telle ampleur?
Quel intérêt peut-il pousser certaines chancelleries occidentales (comme les USA, la Grande Bretagne…) à ouvrir des bureaux de représentation diplomatique à Goma?

Kitchanga, un sésame qui fait peur…

L’histoire de cette localité pourrait rappeler aux congolais le récit d’Ali Baba et des quarante voleurs! Kitchanga est un nom de triste mémoire, particulièrement pour l’Est de la RD Congo de 2004 à 2011…
L’officier déchu de l’armée congolaise, Laurent Nkundabatware, qui a mis le Nord et le Sud-Kivu à feu et à sang, avait choisi cette localité comme siège de sa rébellion, le Conseil National pour la Défense du Peuple (CNDP). Etait-ce un hasard? Vaincu, le CNDP se transforma en un autre mouvement rebelle issu des accords non respectés du 23 mars entre le gouvernement et ce dernier, le M23 avec comme tête d’affiche un autre officier rwandophone Bosco Ntaganda, surnommé le Terminator. Lui aussi commença sa rébellion à Kitchanga avant de l’abandonner et de fuir au Rwanda pour enfin être arrêté par la Cour pénale internationale (CPI). Mais bien avant, le RCD/Goma de monsieur Azarias Ruberwa soutenu militairement, politiquement et diplomatiquement par le Rwanda de Kagame et l’Uganda de Museveni avait voulu faire de cette localité une ville. Pour quelle fin?
Bref, cette localité est restée longtemps un carrefour des activités des groupes armés, d’abord QG du CNDP ensuite bastion du M23.

Etre devenue une plaque tournante d’enjeux politico-diplomatiques, humanitaires, après avoir été une citadelle des rebelles peut légitimement poser question et faire peser quelques soupçons sur Kitchanga comme temple d’une menace contre l’unité de la République.
En effet, même si le territoire de Masisi est surnommé « la petite suisse » de par sa magnifique et fertile région d'alpage, son relief et ses collines verdoyantes où l’on peut faire paître le bétail en toute tranquillité, son climat doux, des paysages et vues magnifiques qui portent à des kilomètres, et pourrait développer de prospères activités touristiques, d’autres facteurs sont en jeu. Des minerais, essentiels pour la haute technologie moderne (la cassitérite, le coltan, la tourmaline, l’amétile…), ainsi que les plantations industrielles de théier, de caféier et du quinquina, ou encore, dans le parc national de Virunga (juste à côté) où on a découvert du pétrole et que voudrait exploiter une multinationale britannique « SOKO », expliquent sans aucun doute la convoitise dont fait l’objet cette zone. (On se souviendra des batailles menées et provisoirement gagnées, pour préserver le parc des Virunga, ainsi que les espèces rares qui y vivent). Mais de récents développements font craindre que ceux qui veulent à tous prix exploiter le pétrole n’ont pas vraiment renoncé!

Ces ballets diplomatiques nous font craindre que toutes ces potentialités, qui devraient, si la RDC avait des dirigeants patriotes, bénéficier aux citoyens congolais, nous échappent encore pour le plus grand bénéfice de multinationales et de puissances étrangères.
Si les congolais tiennent à l’unité de leur pays, ils doivent cesser d’être distraits, et chercher inlassablement à comprendre les faits qui se passent dans leur pays, et ce qu’ils peuvent nous faire gagner ou perdre.
Certes, poser la question n’est pas y répondre de façon certaine. Mais se la poser à temps épargnera peut-être à Goma d’être la nouvelle Djouba…

mercredi 22 novembre 2017

La floraison des mouvements citoyens en RD Congo: rêve ou début d’une révolution populaire…

L’avènement des mouvements sociaux en Afrique subsaharienne prend son impulsion des récents printemps arabes en Afrique du nord lorsque, sporadiquement, des jeunes décidèrent de se débarrasser, par la rue, des dictatures qui leur ont volé la jouissance de leurs droits de citoyens dans leur propre pays.
Tout commença par la Tunisie de Ben Ali en passant par l’Egypte de Hosni Moubarak, le Sénégal d’Abdoulaye Wade et tout fraîchement le Burkina Faso de Blaise Compaore qui, après 27 ans de règne, voulait encore manipuler la constitution pour se maintenir au pouvoir. Ce mouvement de contestation populaire le prit au dépourvu et c’est de justesse qu’il se sauva de la colère du peuple pour s’exiler en Côte d’ivoire…



Peut-on croire qu’après la révolution populaire au pays de Thomas Sankara, ce sera le tour du pays de Lumumba? Si les burkinabés ont donné un sens au combat de leur héros national Thomas Sankara, par ce soulèvement populaire, est-il aussi certain qu’il puisse en être de même pour les compatriotes de Lumumba?

En République démocratique du Congo, la population courbe l’échine devant le régime de Joseph Kabila depuis 16 ans. Les citoyens n’ont plus la moindre prise sur l’Etat et la démocratie se meurt chaque jour davantage. La situation socio-politique du pays est désastreuse, la misère a atteint le seuil de l’invivable et de l’inacceptable. Malgré tout, le président Kabila veut se maintenir au pouvoir en dépit de la fin de son deuxième et dernier mandat constitutionnel le 19 décembre 2016. Son régime multiplie des astuces depuis déjà 2015 pour ne pas organiser les élections que la Constitution impose. Face à cette situation, on a assisté depuis plus de deux ans à la naissance timide des mouvements de contestation et de dénonciation de jeunes citoyens particulièrement au Nord-Kivu avec « la LUCHA (Lutte pour le changement) », « Le Réveil des Indignés au Sud-Kivu » et « Filimbi à Kinshasa »…Malgré les arrestations, intimidations et autres sévices, ces jeunes manifestent pour revendiquer le respect de la constitution, la tenue des élections pour qu’il y ait alternance politique à la tête du pays.


La multiplication spectaculaire des mouvements sociaux…



Peu avant et après la tenue des deux récents dialogues politiques (celui de la cité de l’Union africaine dirigé par Edem Kodjo et celui du centre interdiocésain piloté par la CENCO) nous avons assisté à une floraison foisonnante de mouvements citoyens. Depuis le début de l’année 2017, on les compte par dizaines. Mais cette « pullulation » est-elle le fruit d’une prise de conscience collective susceptible de conduire à une révolution populaire? Ou n’est-ce que l’ombre d’un rêve congolais de refaire les printemps burkinabé et sénégalais avec les mouvements tels « Balaie citoyen » et « Y’en a marre ... »?
Dans tous les cas, en RD Congo, cette multiplication prend les allures du multipartisme après le discours du plus-que-craint dictateur Mobutu le 24 avril 1990. Aujourd’hui le pays compte près de six-cent (567 vrais et faux) partis politiques qui ne font pas avancer la démocratie, bien au contraire. Ce multipartisme débridé est devenu une réelle menace pour le processus de démocratisation. Il brille d’abord par le manque de culture politique véritable, d’idéologie claire et d’idéaux politiques solides et constants dans le chef des opérateurs politiques. C’est dire que multipartisme ne rime pas forcément avec démocratie. L’éclosion de tous ces mouvements citoyens risque aussi de revêtir une ambigüité qui pourrait écorner leur essence et par ricochet la lutte dont ils se réclament. Autrement
dit, ils risquent d’arborer les mêmes faiblesses que les partis politiques congolais (toutes tendances confondues), et devenir ainsi un grain de pierre (scandalum) dans la chaussure de la démocratie congolaise.

« Sans la lutte vous n’obtiendrez rien. Ni aujourd’hui ni demain » disait Lumumba.
Le moins qu’on puisse dire, c’est que rien ne garantit que ces mouvements naissent dans le souci d’un combat pour le changement. Certains d’ailleurs relèvent purement et simplement de la machination politique du régime en place. Pour fragiliser les partis politiques de l’opposition ainsi que les mouvements citoyens engagés pour l’alternance dans le pays, Kinshasa a choisi de les dédoubler et/ou de créer des tendances en leur sein pour les affaiblir, par l’achat de la conscience et la corruption. La stratégie de diviser pour mieux régner - des intimidations allant jusqu’à tirer à bout portant sur les manifestants non violents - est bien mise en marche pour fragiliser les mouvements citoyens.


Un combat aux multiples défis intra et extrinsèques



Par ailleurs, le déficit d’une véritable conscience du pourquoi de la résistance et la faiblesse de la réflexion sur les stratégies à mettre en œuvre, pose de sérieuses questions. La question des appuis et des alliances constitue aussi un vrai défi: comment ne pas être seulement derrière des hommes politiques déçus par leurs propres partis, ou recevoir sans compromissions des appuis financiers de puissances étrangères dont les positions politiques sur la RD Congo est ambiguë et les intérêts économiques contradictoires avec ceux du peuple congolais.

La misère, la pauvreté ainsi que l’ignorance de ses droits par la masse laborieuse congolaise en est un autre et peut être le plus contrariant pour toute idée de révolution. On ne peut pas faire une révolution populaire avec un peuple qui survit au taux du jour, qui ne sait ni ne comprend clairement vers quoi il doit agir. Ventre creux n’a point d’oreilles, dit-on.

L’âme par excellence de la résistance, c’est la conscience et l’idéologie… Une action sans ces armes ne sera qu’un feu de paille, sans risque d’un danger majeur pour le pouvoir en place, d’autant que Kinshasa est très éloignée des provinces qui constituent les foyers durs de cette résistance.
Les dirigeants desdits mouvements doivent s’armer d’une idéologie de résistance et d’une conscience claire, solide et éclairée. Cela leur épargnerait d’initier des actions à même d’user de la patience du peuple devant un régime Kabila prêt à tout, et de le décourager par des actions inefficaces et sans lendemain. L’idéologie crée la conviction et la conviction chasse la peur.

Les particularités géopolitiques, socioculturelles du Congo exigent des meneurs de ces mouvements qu’ils puissent mener un combat victorieux contre la dictature sans massacre massif. Eviter le sensationnel et arriver à initier et proposer au peuple des actions efficaces qui désintègrent réellement le régime en place au moindre coût en termes de souffrances et vies humaines. Même s’il est clair que toute lutte a un prix. Il serait bien entendu aussi illusoire de vouloir combattre une dictature sans ce prix, y compris en vies humaines, comme le disait Gene Sharp dans son livre « De la dictature à la démocratie».

Pour arriver aux résultats attendus, les mouvements citoyens doivent devenir des espaces et instruments par excellence de la conscientisation populaire pour un changement radical et participatif de la gestion du pays et non pas de simples incitateurs des actions désaxées de la base. Toute action proposée requiert une adhésion d’une grande partie de la population et d’au moins la moitié des 26 provinces du pays. La révolution populaire ne se décrète pas ; il y a toujours un travail de préparation invisible préalablement réalisé par une équipe unie, forte, engagée, coordonnée et aux individualités
parfois discrètes. Les dirigeants éclairés doivent être capables d’ « entendre l’herbe pousser » (1), de faire preuve de patience, le temps qu’il faudra, et d’audace le moment venu.

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(1) K. Marx

lundi 9 octobre 2017

La complaisance dans l’espace de gouvernance de la RDC

L’Etat congolais va inexorablement vers une situation de cessation de payement. Les caisses de l’Etat sont vides. Les grèves se multiplient. Les enseignants, les infirmiers, les fonctionnaires, les personnels d’universités et bien d’autres sont en cessation de travail… Mêmes certains agents de l’Etat du Ministère du budget, chargés d’assurer l’organisation de la paie, sont en grève parce qu’ils n’ont pas touché leurs primes permanentes. Les parlementaires provinciaux vont faire au minimum 6 mois sans que leurs salaires soient payés. La rétrocession (40% des recettes de l’Etat doivent être rétrocédée aux Provinces) n’est plus rétrocédée… Il est difficile de dire où passent les maigres recettes de l’Etat. Il y a quelques 9 mois, le dollar américain s’échangeait à 920 francs congolais (Fc). Aujourd’hui, il se stabilise temporairement à 1570 Fc. C’est dire, en d’autres termes, que ceux qui gagnaient 75000 Fc (fonctionnaires et autres) ont perdu plus de 32 dollars sur leur salaire. Ce qui valait auparavant quelques 80 dollars n’en représente plus que 48 ! Ce qui fait 40% de perte alors que tous les produits de première nécessité ont augmenté de plus de 50%, comme le pain dont la quantité a aussi diminué… Complaisance? Incompétence? Complicité? Ou tout simplement dérèglement total? En tout cas plus rien ne va!

Pour le constater, il suffit tout simplement de se placer sur une jonction du boulevard du 30 Juin avec les autres routes secondaires… Le feu de signalisation n’a pas de sens: on en viendrait à croire que la police ou l’autorité de circulation routière avaient émis des permis de conduire avec une mention spéciale: « autorisation de brûler les feux de signalisation »… La police routière vit de cette dérégulation, car ici tel chauffeur lui donne 200 Fc, celui-ci 500 Fc, etc. Les policiers qui travaillent dans la brigade routière sont souvent en bonne santé. Gros avec des joues bien arrondies! La route est en effet leur « bilanga », leur champ. Le matin, ils vont au champ. Il est aussi à constater que leur nombre est de plus en plus important et que les méthodes changent. Ils n’hésitent plus à sauter au travers de la vitre de la portière pour prendre la clé de contact du chauffeur de taxi. De plus en plus, ce sont eux qui conduisent pour amener le chauffeur et son véhicule au « bureau de police ». Alors très souvent, quand les chauffeurs taxi arrivent dans une station terminus, ils vous demandent de payer à l’intérieur du taxi, alors que les vitres sont montées et que les portières sont bloquées. Un véritable jeu de chien et chat ! Très souvent la population regarde les policiers agir en véritables gangsters sans broncher. Elle fait sans doute payer aux chauffeurs leur manque de courtoisie. Car, c’est 1 pour 1000 chauffeurs de taxi de Kinshasa qui te dira merci quand tu lui donnes l’argent pour la course. C’est une profession de plus en plus arrogante, typique, qui traduit bien les désordres vécus, dans tout le pays, du dedans au dehors, dans l’attente de quelqu’un qui pourra remettre de l’ordre. Cette police qui devrait assurer la sécurité des chauffeurs, crée en réalité l’insécurité de ces derniers. Mais comment pourrait-il en être autrement dans une ville où l’infrastructure routière, capable de voir évoluer 5000 à 10.000 véhicules, doit en absorber plus de 2.000.000… Rien qui suit l’évolution de la démographie.

Début septembre 2017, à Kintambo, on a pu voir un cortège de policiers avec de gros engins, des mitraillettes montées sur des engins mobiles, avec un policier qui tourne la mitraillette dans tous les sens, des lance-eau et d’autres camions de transport des troupes… La vitesse de ce cortège de ces engins de mort était bien lente ! A Assanef, 7 km plus loin, sur l’avenue de 24 Novembre, le même cortège… C’était clairement une démonstration de force, un peu comme un avertissement. Un processus pour installer ou inoculer une peur au sein de la population. On étalait le matériel anti-émeute, sans émeute… juste pour montrer ses muscles.
Par ailleurs c’était une démonstration de force sans grande conviction des acteurs, face à une population indifférente. Les policiers sont de plus en plus des adeptes de « l’éloge de la fuite ». C’est la population qui se fait justice aujourd’hui dans la majorité de communes de la ville de Kinshasa et dans le pays en général. Dans ma commune, à 20 minutes à pieds de la République de la Gombe, Gondwana calme, la population avait attrapé un brigand communément appelé « Kuluna », connu et recherché. Il portait un beau et bon nom: Jésus. La population a décidé de le brûler vif car il avait commis beaucoup de torts. Il a été brûlé vif et la police qui était pourtant à proximité est venue seulement 3 heures plus tard pour dire « vous avez fait un bon travail »… La criminalité est à son niveau le plus élevé de tout temps. Et la police est la plupart du temps absente, quand ce ne sont pas les policiers eux-mêmes qui posent des actes répréhensibles.

Ce n’est pas seulement à Kinshasa que se vit ce très bas niveau de l’ordre, mais encore, et plus dramatiquement, à l’Est, de manière plus « structurelle »… Aujourd’hui encore, on compte plus de 70 groupes armés présents dans les zones minières des deux Kivu, l’ancienne province de l’Orientale et le nord de l’ancienne province du Katanga. Rappelons que l’actuel président avait été élu en 2006 dans les 2 Kivu sur la question de la paix, avec un score très élevé. Mais la Pax-Kabila n’est jamais arrivée. La sanction a suivi en 2011 et elle pend toujours. La confiance n’y est plus. L’apparition des Filimbi, des Lucha et autres Indignés en témoigne clairement.

Dans le Kasaï, nous avons suivi avec intérêt les histoires de Kamwanasapu, où il était très difficile de démêler le vrai du faux. Les têtes des policiers tombaient-elles? Pourquoi fuyaient-ils? Pourquoi ce mouvement de rébellion a-t-il pu durer sans être maîtrisé ni par la police ni par l’armée? Quelle est son origine? D’aucuns sont convaincus qu’il s’agissait là seulement d’une stratégie pour créer des troubles et justifier le report des élections au niveau national. Quelle est vraiment la réalité? Tant de questions sans réponse jusqu’à maintenant. Reste que tout cela révèle un malaise profond de gouvernance et démontre que notre armée n’est pas équipée pour faire face à de telles éventualités tant internes qu’externes.

Le retour sur le devant de la scène de William Yakutumba le démontre bien. L’opacité de l’information n’aide pas, mais il est cependant clair que sans la présence et l’intervention des forces de la MONUSCO nos forces armées n’auraient sans doute pas combattu. La situation de notre armée aujourd’hui a beaucoup de similitudes avec celle d’un Mobutu finissant. La clochardisation des hommes de troupes reste une réalité quotidienne pour la très grande majorité… Les jeunes recrues ne vont pas vraiment combattre. Quelles convictions ont-elles? Quelles sont les raisons qui les ont poussés dans l’armée? Rare sont ceux qui sont motivés par la « beauté » de la guerre qui leur est offerte comme première expérience militaire… Et ceux qui ne sont pas partisans de « l’éloge de la fuite » deviennent tout simplement de la chair à canon. Le même imbroglio que l’on retrouve à Kinshasa, où les agents de l’ordre n’assurent plus l’ordre est perceptible dans tout le pays…
Cette question de l’ordre (ou du désordre) se pose avec une forte acuité et atteint un niveau inimaginable dans notre pays en « paix ». S’il est vrai est que, par rapport à tous les pays qui nous entourent, non seulement nous sommes un géant, tant par l’étendue du territoire que par les richesses qu’il contient, par le nombre d’habitants (plus de 80 millions d’habitants), nous devrions aussi l’être comme foyer de production par excellence ! Mais, tel n’est pas le cas. Le phénomène Lufu par lequel l’industrie locale fait face à une sérieuse menace venant de l’Angola qui pourrait emporter son maigre et faible tissu industriel, compromettre la souveraineté alimentaire… En effet, les produits en provenance de l’Angola, connus sous le nom de « Biloko ya Lufu », déferlent sur Kinshasa. Le Kongo Central et l’ex Bandundu sont maintenant présents partout dans les 17 provinces frontalières avec un autre pays. Tout processus de production congolaise est étouffé… Les taxes pleuvent sur toute initiative d’un national et la noie jusqu’à ce que mort s’ensuive. Alors, les 17 provinces frontalières de notre pays deviennent tout simplement des points d’entrées des marchandises que tous les pays voisins déversent sur la RD Congo. On s’étonne alors que la carte de la sécurité alimentaire de la RDC varie entre crise et famine! Il est clair que le non ordre ne donne pas au paysan ni le temps, ni la quiétude nécessaires pour la production des denrées alimentaires…
Du pain béni pour les les professionnels des urgences, les humanitaires et les autres comme la Banque Mondiale, PAM et leurs cohortes d’experts, qui » volent » au secours des populations…  Leurs apports ne dureront qu’un temps et les conséquences du non-ordre continueront à se faire sentir longtemps. Les « piluliers » – ceux qui font passer la pilule – pourront poursuivre leur business. Nos populations le savent et sont de moins en moins dupes.

Dans cette situation persistante de « non-ordre », l’équipe qui dirige l’Etat congolais est incapable de défendre le citoyen, de le protéger. Les 15 années du pouvoir actuel n’ont pas donné ni la sécurité ni la paix au pays. Le « non-ordre » aura été permanent, entretenu et peut-être voulu.
La complaisance qui règne dans toutes les affaires de l’Etat est immense. Un fait illustre le niveau qu’elle peut atteindre: le président tchadien avait déclaré que, de gré ou de force, le Tchad allait prendre l’eau de la rivière Oubangi ! La RDC n’a jamais bronché…  Ni le Ministre des affaires étrangères, ni le Ministère de la Coopération internationale, ni aucun Premier Ministre, ni le Président de la République. Ce message a été relayé par les autres présidents des pays autour du Tchad mais la RDC est restée muette. Silence de complaisance, de complicité ou incompétence?

Complaisance et dérèglement encore dans le secteur de la justice. Amener un Monsieur Lambda à la justice est chose risquée. L’utilisation des procédures a atteint des niveaux invraisemblables. Deux parties payeront et payeront encore tout au long des procédures et à la fin il n’y aura pas de justice. Tout est procédure. On passe de procédure en procédure et chaque fois c’est comme si on recommençait tout à nouveau. Et au bout du compte, les 2 parties auront payé et payé encore, sans que justice ne soit vraiment rendue. Le plus fort financièrement a les meilleurs atouts pour l’emporter. Cependant, même les faibles financent les avocats, les magistrats et autres personnels de la justice.
Les séjours en prison eux-mêmes sont soumis à la loi de l’argent. Si tu détournes un peu d’argent et que tu te retrouves en prison, tu y passeras à coup sûr un très mauvais séjour car les faiseurs de loi de la prison te traiteront d’idiot pour avoir volé peu d’argent et tu ne seras pas capable de leur donner leur part! Mais si tu as détourné des millions, tu seras un héros car tu pourras partager… Et, ton séjour en prison sera doux et assisté!

Cette complaisance annihile l’intelligence du système. Un exemple: dans le livre de Paul Baril, un gendarme français, « Parole d’honneur », il affirme que le leadership du Rwanda a tiré plus de 3 milliard de dollars américains des exploitations illicites des minerais par des groupes armés dans les deux Kivu, et ce sur une période de 2 ans… Il donne même le nom de la personne de service qui faisait la navette entre les mines illicites des Kivu et Kigali, pour y déposer de grandes quantités de minerais. Il fait état de la mésentente entre cet agent et le président rwandais et il signale de plus où se trouve aujourd’hui ce monsieur de service… Sans la complaisance au sommet de la justice dans notre pays, et alors que nous sommes dans une situation de cessation de payement, un pays «souverain» ne devrait-il pas ne fut-ce qu’ouvrir une information judiciaire et remonter cette filière? Pour quelles obscures raisons ne le fait-on pas? Où vont les richesses du pays?

A l’époque de Mobutu, la Gécamines a extrait jusqu’à 550 milles tonnes de cuivre. A l’époque, on sentait le pays vibrer car cette manne du cuivre allait dans tous les systèmes de distributio et de solidarité. Aujourd’hui, la production du cuivre a dépassé le million de tonnes, mais pourtant, la pauvreté s’accroît et l’Etat est en cessation de payement!

Comme disent certains compatriotes dans la pénibilité du transport en commun dans la ville de Kinshasa: « Letat akufa na mboka oyo : L’Etat est mort dans ce pays ».
Pourtant, avant de rentrer dans sa logique de spirale infernale qui entraîne inexorablement l’équipe du pouvoir vers la sortie, l’Etat avait tenté un certain nombre d’actions!
La plus importante est celle qui a marqué la 2e moitié de la décennie 2000 et que l’on avait appelé le contrat Sino-Congolais. Au départ, 9 milliards de dollars. C’est sur ces bases qu’on a lancé la politique de 5 chantiers, sur le slogan « la Révolution de la modernité ».
A l’époque, les autres créanciers de la RDC avaient tant réagi que le montant de cet engagement fut réduit à 6 milliards et que la garantie de la RDC fut supprimée. Le FMI et la Banque Mondiale furent le fer de lance de cette réaction, dénonçant sa très grande opacité (ces termes finaux n’ont jamais été dévoilés au public…). Le pays n’aurait pourtant rien à perdre à lever le voile sur ce contrat… Cette opacité n’est bonne ni pour la Chine ni pour la RDC. Elle laisse au contraire à penser qu’il y a effectivement des clauses embarrassantes qu’il vaut mieux occulter.
Ce contrat était basé sur un échange entre « les mines et les infrastructures ». Ce sont « les amis en besoin » qui se sont rencontrés. 10 ans après, la Chine s’est servie en minerais, mais de l’autre côté, on est en droit de se demander où sont ces fameuses infrastructures tant attendues. Les besoins de l’un n’ont pas résolu les questions fondamentales de la RDC. Dans la version 2007 de ce contrat, la dominante porte sur les mines et les infrastructures. Quelles sont les quantités des minerais que la Chine a déjà prises au titre de ce contrat? A combien de dollars américains ces quantités sont-elles évaluées? Que reste-t-il de ce contrat? Quelles sont les infrastructures que la Chine a construites au titre de ce contrat? Quels ont été les garde-fous pour que ce contrat ne soit pas le lieu de la corruption en RDC et en Chine?

Il est donc très difficile de dire aujourd’hui que le contrat sino-congolais a bien aidé le pays. On peine à croire au « gagnant-gagnant ». C’est sans doute comme tous ces produits que la Chine déverse sur le continent avec l’aide de commerçants africains: des produits pour leur temps, court, à usage unique…! Ces produits sont achetés à des prix «imbattables» vers le bas et vendu à des prix tout autant «imbattabl », mais vers le haut. Il est donc urgent de se poser la question de l’intérêt pour la RDC de la coopération chinoise, d’en évaluer les résultats, les forces et les faiblesses du point de vue de la RD Congo.

Car en définitive, ce ne sont ni les chinois, ni les belges, ni les américains ni les « marsiens » qui viendront développer la RDC. Nous devons nous organiser par nous-mêmes! La révolution de la modernité construite sur les fonds chinois, dans un environnement de double corruption, ne pouvait pas produire des résultats satisfaisant les exigences de notre développement. La révolution de la modernité n’a pas révolutionné grand-chose… parce que la RDC ne se développera pas avec les valeurs produites ailleurs.
Nous devons produire nos valeurs. Alors, comment coopérer? Remettons en avant une idée de Malcom X qui disait que nous devions mettre en place un nouveau jeu adulte qui défend nos intérêts et qui reconnaît aussi ceux des autres. Et, ceux qui viennent chez-nous doivent jouer le jeu avec les règles que nous aurons mises en place. Comment le faire? Quelles en sont les exigences? Ceci est possible si seulement nous avons une vision de notre propre devenir et si nous mettons en place les outils pour que ce devenir soit effectif. C’est dans ce processus que nous devrions situer la place de celui qui vient de loin et qui veut collaborer à notre devenir. Pendant 50 ans nous avons coopéré de la même façon! Il est temps de nous arrêter et de remodeler notre coopération pour enfin coopérer autrement, au-delà des sentiments. « Les amis dans le besoin » n’est pas une vision de coopération ! Tout compte fait, c’est un autre mensonge. Il nous faut mettre sur pieds une coopération adulte et non complaisante. Ceci est possible et nous avons des pistes pour cela!

Concluons simplement en disant que la fin de la complaisance pourra sonner quand l’Etat reconnaîtra sa première valeur qu’est le Congolais. Quand l’Etat se décidera de savoir:
> Qui est congolais?
> Que fait le congolais?
> Et Où est le congolais?
C’est seulement sur base de ceci que l’Etat pourra lever sa construction « sur, avec et pour » le congolais dans une perspective réelle de développement, fondée sur une vision qui galvanise à tous les niveaux, vivante au raz du citoyen. Il faut alors conscientiser et éduquer l’actuelle classe politique et bien former ceux qui demain feront la politique: les jeunes.

lundi 25 septembre 2017

Sud-Kivu : 4e gouverneur en 11 ans. Démocratie, dictature parlementaire ou enjeux multiples ?

Le 26 août dernier, les députés provinciaux du Sud-Kivu ont élu un 4e gouverneur de l’histoire de la démocratie dans la province depuis 2006. Selon la constitution, le pays fonctionne sous une forme unitaire fortement décentralisée qui veut que chaque province dispose d’institutions démocratiques telles une assemblée et un gouvernement provincial à la tête duquel un gouverneur et vice-gouverneur élus par ces députés.

Mieux ou pire que dans les autres provinces du pays, les députés provinciaux du Sud-Kivu ont bâti le record d’avoir fait partir successivement trois gouverneurs durant leur législature pour des motifs parfois discutables et divergents. D’abord Célestin Cibalonza qui n’a gouverné que 12 mois (soit du 24 février 2007 au 09 février 2008) au motif qu’il avait fait son gouvernement sans tenir compte des recommandations des députés provinciaux, suite qu’il ne communiquait pas assez avec eux, etc.

Ensuite, Louis Léonce Muderhwa, 24 mois (soit du 21 mars 2008 au 15 avril 2010) au motif qu’il était hautain et dédaignant à l’égard des députés, et qu’il bousculait certains intérêts occultes…
Enfin, très récemment le tout puissant Marcellin Cishambo Ruhoya, conseillé de l’ombre du Raïs, qui a, contre toute attente, gouverné la province pendant sept ans malgré l’épée de Damoclès suspendue sur son règne par les multiples menaces de motions initiées contre lui par les députés, et qu’il a toutes déjouées. Il a donc géré le Sud-Kivu du 22 juillet 2010 au 26 août 2017 date à laquelle son successeur a été élu. Cishambo est donc parti du Sud-Kivu de la manière dont il s’attendait le moins : cette fois c’est une pétition initiée par la population du Sud-Kivu qui aura eu raison de lui. On lui reprochait la mauvaise gestion, les absences multiples et prolongées de la province (il était le plus souvent à Kinshasa, logé dans un hôtel de luxe, aux frais de la province), aucun projet de développement, le non payement des salaires de ses agents près d’une année durant (la goutte qui a fait déborder le vase…)

Tout cela a paru aux yeux de certains observateurs comme une déstabilisation voire une menace au développement de la province d’autant que chaque gouverneur au Sud-Kivu doit toujours être sur ses gardes car à tout moment il pourrait quitter le pouvoir sur base d’un petit désamour avec les élus du peuple.

Les députés ont donc voté au deuxième tour monsieur Claude Nyamugabo comme 4e gouverneur du Sud-Kivu depuis 2006, mais plus d’un se demande si cette fois il sera le dernier de ce règne constitutionnellement très contesté de Kabila et pour quels résultats auprès du peuple?

Le contexte de l’élection de ce gouverneur mérite un tour d’analyse afin de bien saisir les enjeux autour en ce moment où le divorce politique entre le régime et la population est signé.

La situation géostratégique de la province

Le Sud-Kivu est une province géographiquement et sociologiquement stratégique pour le pouvoir de Kinshasa surtout par rapport aux dynamiques géostratégiques dans la sous-région des grands lacs africains. Une province de la résistance et des revendications citoyennes. C’est aussi une plaque tournante des enjeux régionaux. Autant la stabilité du pouvoir de Kinshasa dépend très fortement de cette province si on s’en tient à l’histoire de grandes rébellions dans le pays depuis l’indépendance, autant les pays voisins tiennent au Sud-Kivu pour assurer leur sécurité politique et leur stabilité économique. C’est dire si le choix d’un gouverneur au Sud-Kivu ne saurait être uniquement dicté par les dynamiques internes des forces politiques ou par les exigences de la démocratie, mais aussi et peut-être surtout par des dynamiques externes des forces politico-économiques des pays voisins à l’est de la république.

La configuration politique de l’Assemblée provinciale du Sud-Kivu

Depuis le début de la législature en 2006, l’assemblée provinciale du Sud-Kivu est politiquement monolithe. Sur les trente-six députés y siégeant, un seul vient d’un parti politique de l’opposition. Cela étant, il n’est pas possible qu’un candidat gouverneur de l’opposition puisse gagner les élections dans cette configuration totalement acquise à la majorité présidentielle.

En cas d’élection ou d’un quelconque enjeu politico-stratégique, les élus du peuple reçoivent toujours un mot d’ordre (consigne) de la haute hiérarchie de leur famille politique. Mais en dépit de cela, ces derniers ont déjà fait partir trois gouverneurs de cette même famille. Est-ce pour la cause du peuple ? Pas si certain que cela…

Certains citoyens vont jusqu’à stigmatiser et caricaturer cette démarche des honorables de "déshonorable", caractérisée par des motions "alimentaires" en lieu et place des motions légales. C’est-à-dire qu’en effet, au terme de la constitution, lorsqu’un gouverneur n’est pas à la hauteur de sa tâche, les députés ont la latitude d’initier une motion pour le faire partir. Mais au regard des enjeux observés depuis 2006 autour de toutes les motions initiées jusque-là au Sud-Kivu, on a eu impression que c’est plutôt une démarche lucrative de la part des députés. Lorsqu’ils veulent avoir de l’argent facile, ils inquiètent le gouverneur ainsi que leur hiérarchie en initiant une motion sachant d’avance qu’elle ne peut pas aboutir. L’important est de se faire corrompre avant d’abandonner la fameuse procédure.

Les enjeux de l’élection de la liste PPRD au Sud-Kivu

La CENI nationale avait de façon inattendue annoncé l’organisation de l’élection des gouverneurs dans onze provinces sur les 26 que compte la RD Congo. Finalement, pour des raisons hautement politiques, elle n’aura organisé le vote que dans 9 provinces au lieu des 11 initialement prévues.

Peu avant le deuxième tour au Sud-Kivu, sur trois provinces où la majorité présidentielle avait aligné des candidats gouverneurs, deux avaient échoué en faveur des candidats indépendants, ce qui fut un coup de tonnerre, un message clair, et sans aucun doute une mise en garde envers la majorité présidentielle qui s’est rendue compte qu’elle ne maîtrisait plus la situation et que finalement, la discipline du parti à laquelle les députés sont obligés de se soumettre, semblait bien aléatoire et bien peu effective... Mais, ces députés nationaux et provinciaux ont-ils la volonté ou sont-ils à même de s’émanciper de cette fameuse "discipline du parti" pour sauver les quatre-vingt millions de congolais qui courbent l’échine devant un pouvoir qui se radicalise dans la volonté de se cramponner au pouvoir au-delà de la constitution? La question reste posée…

Au Sud-Kivu, sur les 34 députés provinciaux présents et votant (tous étant de la majorité présidentielle), douze avaient, contre toute attente, créé un tremblement au sein de la famille présidentielle en jetant leur choix sur la candidature d’un opposant, monsieur Elie Zihindula, professeur en mathématiques à l’institut Supérieur Pédagogique de Bukavu (ISP) alors que 16 s’étaient prononcé en faveur du candidat du régime, monsieur Claude Nyamugabo; considérant qu’aucun des sept candidats en lice n’avaient eu la majorité de voix au premier tour, c’est-à-dire dix-sept voix plus une, un deuxième tour a été envisagé. Ce fut une surprise désagréable voire une menace réelle pour la majorité présidentielle qui espérait faire passer son candidat au premier tour. Les supputations sont allées dans tous les sens, les uns pensant à une mascarade conçue par les députés pour échapper à la colère du peuple ou pour hausser les enchères et se faire corrompre doublement (premier et deuxième tour) ; d’autres stigmatisant justement le ras-le-bol des députés de ne pas avoir le choix libre en recevant chaque fois des injonctions d’en-haut au lieu de le laisser seul devant leur conscience ; d’autres encore fustigeant un calcul politique bien ficelé de la majorité au pouvoir…

Ainsi, au terme de l’article 170 de la loi électorale, le deuxième tour a été projeté au mardi 29 août 2017, soit trois jours après le premier tour, "(…) Si la majorité absolue n'est pas atteinte au premier tour, il est procédé dans les trois jours à un second tour de scrutin. Seuls peuvent se présenter au second tour les deux listes arrivées en tête du premier tour compte tenu des retraits ou des désistements éventuels. En cas d'égalité de voix, la liste dont le candidat Gouverneur est le plus âgé l'emporte."

Quelle n’aura pas été la surprise à la veille du deuxième tour, quand monsieur Elie Zihindula candidat gouverneur issu de l’opposition, ne se présenta pas à l’hémicycle pour battre campagne. Pas si surprenant de constater qu’après que tous les faucons de la majorité présidentielle originaire du Sud-Kivu soient arrivés en province (le ministre Bahati Lukwebo, le ministre Jean-Marie Bulambo, Solide Chanikire, etc.), ce candidat qui électrisait déjà les souhaits du peuple de ne plus voir un gouverneur parachuté, imposé de Kinshasa à la tête de la province, ait déposé sa lettre de désistement en faveur du candidat du raïs. A quel prix ? Les commentaires sont allés dans tous les sens : certaines évoquant sans preuve des intimidations et menaces que ce candidat aurait subi de la part du régime qui ne voulait pour rien au monde, perdre le contrôle du Sud-Kivu. D’autres ont évoqué le fait que ce professeur de math se serait fait corrompre…Vrai ou faux, il s’est quand même passé quelque chose de douteux. Le plus probable est la corruption à grande échelle, et du candidat et des électeurs (députés provinciaux) par le régime de Kinshasa, mobilisé en moyens et en stratégies pour la cause.
Ce désistement a donc laissé le boulevard ouvert au candidat de la majorité élu avec 31 voix contre une du candidat désistant, deux bulletins nuls, sur 34 votants.

Un vote aussi encadré, surveillé et orienté comme celui-là est-t-il vraiment démocratique au sens vrai du terme ou s’agit-il d’un deal politique camouflé derrière de pseudo élections, dès lors qu’il n’a pas respecté le principe de la liberté ?

Le lundi 28 juillet dans sa déclaration politique de désistement le candidat malheureux, le professeur Elie Zihindula a dit : "nous dénonçons également l’intimidation dont certains députés ont été victimes dans le but d’orienter leurs suffrages en notre défaveur. En l’état actuel des choses, a-t-il poursuivi, il est de mon devoir d’informer ce peuple qui a soif du changement que cela ne sera pas possible avec la composition actuelle de l’assemblée provinciale…"

Tout compte fait, il y a lieu de croire que la candidature de monsieur Elie Zihindula était une candidature opportuniste sans ambition politique à long terme. Il y a des gens qui aiment entrer dans l’histoire en reculant et il est difficile de construire une espérance avec eux.
Par ailleurs, que peut encore attendre la population d’un autre gouverneur imposé de Kinshasa ? Réussira-t-il là où ses aînés ont lamentablement échoué? Quatre gouverneurs de la même famille politique en onze ans sans aucun résultat de développement. Tous sont venus faire de la cueillette d’argent sans se soucier du bien-être de la population acculée par l’insécurité, le manque d’infrastructures sociales de base, la pauvreté criante, le marasme économique,…

Aujourd’hui, les choses sont telles que même si on descendait un ange du ciel dans le régime Kabila, il ne ferait rien. Bien au contraire, il en sortirait transformé à l’image de tous les autres caciques connus du régime qui se déploient inlassablement pour piller, voler les biens publics, s’enrichir en paupérisant exagérément la population congolaise.

mardi 14 mars 2017

La parité homme-femme, vœu pieux en RD Congo!

Les promesses aux femmes et le pouvoir aux hommes…


Le mois de mars est un mois consacré à la promotion des droits de la femme à travers le monde. Ce mois suscite beaucoup de jubilations mais peu de questionnement. Questionnement sur les succès et les ratés dans le combat pour les questions du genre et de la parité. Souvent, le faste du 8 mars s’est réduit dans certains coins du globe, en RD Congo par exemple, au phénoménal. Pourtant, les questions du genre et de la parité homme-femme dans ce pays sont encore une pilule amère à avaler dans la vie nationale en dépit des nouvelles lois ainsi que les différents discours politiques prononcés çà et là par les différents acteurs socio-politiques. Les avancées sont réelles, si on compare à la situation d’il y a trente ans, mais elles sont maigres. Faut-il en rester là ?

La Constitution congolaise, en son article 14, souligne que la femme congolaise a droit à une représentativité équitable au sein des institutions nationales, provinciales et locales, que l’Etat garantit la mise en œuvre de la parité homme-femme dans lesdites institutions. Tandis que la loi n°15/013 du premier août 2015 portant modalités d’application des droits de la femme et de la parité à son article 4 stipule que l’homme et la femme jouissent de façon égale de tous les droits politiques, que la femme est représentée d’une manière équitable dans toutes les fonctions nominatives et électives au sein des institutions nationales, provinciales et locales, en cela y compris les institutions d’appui à la démocratie, le conseil économique et social ainsi que les établissements publics et para-étatiques à tous les niveaux. A cette liste, il faut ajouter la résolution 1325 des Nations Unies ainsi que d’autres traités et accords internationaux sur les droits des femmes ratifiés et signés par l’Etat congolais. Tout cela paraît bien beau pour être vrai. Les femmes sont toujours à la traîne dans les postes de prise de décision, avec une faible représentation non conforme au prescrit des lois de la république.

Pour s’en rendre compte, passons en revue la représentation (1) de la femme dans les différents gouvernements qui se sont succédé les dix dernières années du règne Joseph Kabila :
  1. Le gouvernement Antoine Gizenga 1, du 5 février 2007 au 25 novembre 2007, soit 293 jours avec six ministres d’Etat dont 0 femme; 34 ministres dont 4 femmes et 20 vice-ministres dont 5 femmes qui fait un total de 9 femmes soit 15% de femmes;
  2. Le gouvernement Antoine Gizenga 2, du 25 novembre 2007 au 7 octobre 2008, soit 320 jours avec six ministres d’Etat dont aucune femme; 34 ministres dont 4 femmes et 20 vice-ministres dont 5 femmes, ce qui donne un total de 9 femmes soit 15%;
  3. Le gouvernement Adolphe Muzito 1, du 26 octobre 2008 au 19 février 2010, soit une année et 116 jours avec 3 vice premiers ministres dont zéro femme; 37 ministres dont 3 femmes et 13 vice-ministres dont une femme. Au total 4 femmes, soit 7,5%;
  4. Le gouvernement Adolphe Muzito 2 ,du 19 février 2010 au 11 septembre 2011, soit une année et 204 jours avec 3 vices ministres dont zéro femme, 33 ministres dont 4 femmes et 7 vices-ministres dont une femme, ce qui donne un total de 5 femmes soit 11,6%;
  5. Le gouvernement Adolphe Muzito 3, du 11 septembre 2011 au 6 mars 2012, soit 117 jours avec 2 vice ministres dont zéro femme, 32 ministres dont 3 femmes et 10 vices-ministres dont 2 femmes qui fait un total de 5 femmes soit 11,4%;
  6. Le gouvernement Augustin Matata Ponyo 1, du 6 mars 2012 au 7 décembre 2014, soit deux ans et 276 jours avec 2 vices premiers ministre dont zéro femme, 26 ministres dont 3 femmes et 8 vices-ministres dont 2 femmes qui font un total de 5 femmes soit 13,9%;
  7. Le gouvernement Augustin Matata Ponyo 2 du 7 février 2014 au 16 décembre 2016, soit deux ans et neuf jours avec trois vice premiers ministres dont zéro femme; deux ministres d’Etat dont aucune femme; 33 ministres dont trois femmes et dix vice-ministres dont trois femmes également qui fait un total de 6 femmes soit 12,5%. Et de ces six femmes, une d’elle n’avait occupé son poste que neuf mois et dix-huit jours soit du 7 décembre au 25 septembre 2015 avant qu’elle ne soit contrainte à la démission.
  8. Le gouvernement Samy Badibanga du 20 décembre 2016 jusqu’au moment où nous écrivons cet article, avec trois vice ministres dont aucune femme, 7 ministres d’Etat dont zéro femme, 34 ministres dont 5 femmes et 23 vices-ministres dont 2 femmes seulement, ce qui donne un total de 7 femmes soit 10,4% de représentation.
Il ressort de ce tableau qu’aucun gouvernement durant les deux mandats constitutionnels de Joseph Kabila n’a respecté le pourcentage légal reconnu par la Constitution de la République qui parle de 30% de femmes dans les institutions et la loi sur la parité qui veut que les femmes soient à 50% dans les institutions.

Quelles en sont les causes ?

Certaines raisons expliqueraient cette insuffisance manifeste de la participation de la femme à la gestion de la chose publique:


Le manque de volonté politique des hommes

Cette situation s’explique donc fondamentalement par le manque de volonté politique de la part des hommes au pouvoir qui, non seulement n’ont pas la culture du respect des textes légaux et de la parole donnée, mais aussi se cachent derrière la tradition africaine qui n’a pas donné assez de rôle visible à la femme. Son rôle aussi important dans la société est toujours resté discret. Pourtant, "Autre temps, autre mœurs" dit-on. Il faut ajouter l’égoïsme masculin qui fait croire que la politique est un domaine réservé. Dans les partis politiques par exemples, les femmes n’occupent quasiment pas de postes à responsabilité qui les mettent au-devant de la scène politique pour la visibilité et ainsi les prédisposaient à être ciblées en cas de nomination politique.

La mauvaise perception de l’approche genre et parité homme-femme par les femmes elles-mêmes

Il faut admettre que du côté des femmes congolaises, l’approche genre et parité a été mal comprise et confondue par certaines à l’égalité de sexe, voire à une sorte de revanche contre l’homme en essayant aussi de le dominer. Ce genre d’attitude et de comportement a fait que ces notions ont été jusqu’aujourd’hui mal accueillies par la société puisque certaines femmes sont allées jusqu’à compromettre leur vie sociale dans leurs foyers pour la plupart. En Afrique, on ne s’appartient pas, on appartient à la communauté, or le mariage est une grande valeur de la communauté qui doit être protégée au-delà de tout. Ainsi le mauvais écho que cela a donné, c’est qu’une femme politique est une femme impossible, divorcée, dominatrice. Conséquence, les femmes ne se soutiennent ni ne se supportent entre-elles pour arracher ce que les hommes leur ont ravi. Cela est plus visible pour la femme rurale que pour la femme urbaine. La guerre froide entre la modernité et la tradition domine encore le combat pour la promotion de la femme.

La vulgarité de la politique

La société congolaise est convaincue qu’éduquer une femme c’est éduquer toute la nation. Or, de plus en plus, la politique est prise dans son sens le plus vulgaire comme une activité sale, dégradante, renvoyant à des calculs stériles et dangereux pour la société, de bavardage interminable et des ambitions démesurées ou effrénées. Un domaine qui exige que la femme abandonne sa famille la nuit comme le jour et parfois pour de longs moments pour aller répondre à ses obligations politiques. Cette vision entortillée des choses porte préjudice au combat pour l’égalité de chance entre homme et femme congolais.


On n’oublie pas la pauvreté économique de la femme qui fait d’elle le maillon faible de la communauté et la place dans une situation de dépendance vis-à-vis des hommes politiques qui ont l’argent, sale ou pas, et qui l’utilisent pour manipuler intentionnellement la femme par trafic d’influence ou achat des consciences jusqu’au point où celle-ci oublie momentanément la discrimination dont elle est victime depuis des années.

Voilà pourquoi, cette parité, tant chantée au Congo, reste un rêve. Les femmes ne reçoivent que des promesses mais lorsqu’il s’agit du partage des responsabilités politiques, toutes les manœuvres sont activées pour que le pouvoir reste une chasse gardée des hommes.

Le travail d’éducation et de sensibilisation des masses devra commencer dans nos familles respectives et remonter dans tous les appareils idéologiques de l’Etat tels l’école, les universités, les églises pour qu’on arrive un jour à l’effectivité intégrée de la parité homme-femme dans la société congolaise… Mais qui a intérêt que cela soit ainsi fait?

Un proverbe africain dit que tant que les animaux n’auront pas leurs propres historiens, les exploits de chasse racontés par les chasseurs ne seront jamais corrects. Les femmes et les hommes acquis à la cause de la femme doivent se battre éperdument pour que la parité homme-femme devienne une réalité à tous les niveaux de la gouvernance du pays. Le combat pour l’effectivité de cette parité est loin d’être gagné en République démocratique du Congo.

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(1) Déclaration de la composante femme de la société civile du Sud-Kivu sur la participation de la femme congolaise à la gestion de la chose publique en RD Congo rendue publique le 25 janvier 2017.

lundi 6 mars 2017

La démocratie congolaise dans l'incertitude...

Entre le « J’y suis et j’y reste » et le « Ôte-toi de là que je m’y mette »...


Depuis que feu le maréchal Mobutu, dans un discours très émotionnel du 24 avril 1990, libéralisa le multipartisme, d’aucuns se demandent aujourd’hui quels sont, 27 ans plus tard, les vrais gages de la démocratie en République démocratique du Congo? La constitution, les dialogues, l’organisation des élections, les droits de l’homme, la gouvernance participative, la redistribution des ressources, la justice distributive, punitive et équitable?


L’envol de la démocratie au Congo est toujours tiré par le bas par les politiciens congolais qui ne jurent qu’au seul nom de leurs intérêts et ambitions personnelles.

Pour rappel, après 1990, vint la conférence nationale souveraine (CNS) ce grand concert politique, qui prit 18 mois de discussions sans fin, entre politiciens dont beaucoup se battaient pour des positionnement politiques alors que tous avaient directement ou indirectement géré le pays avec Mobutu. Ce sont toujours les mêmes qui se battent encore aujourd’hui depuis Laurent–Désiré Kabila jusqu’à Joseph Kabila, pour continuer à piller le pays tout en créant des situations chaotiques. Tous des pêcheurs en eau trouble. Bref, nous aurons vécu trois bonnes décennies de confusion politique générale et généralisée dont le pays ne s’est jamais libéré à en croire l’actualité aujourd’hui.

Toutes ces périodes d’acharnements entre politiciens ont la plupart du temps été gérées par des compromis politiques (accords) souvent équivoques, et précaires sur le fond, la forme et encore plus dans l’application toujours au détriment de la constitution. Cela serait-il devenu une seconde nature de la politique congolaise?

La CNS a conduit à une transition politique avec des institutions telle que le Haut Conseil de la République - Parlement de Transition (HCR-PT) dirigée par Monseigneur Monsengo Pasinya Laurent alors archevêque de Kisangani. Ensuite, ce fut les guerres de libération (AFDL) et de rectification (RCD) qui donnèrent lieu à une autre transition de près de 4 ans convenue au dialogue inter congolais tenu à Sun City en Afrique de 2001 à 2003 avec un régime spécial de 1+4 soit un Président de la République et quatre vices-présidents, matérialisé dans tous les services publics de l’Etat. Cette transition déboucha sur l’organisation de l’élection référendaire de la constitution du pays et des premières élections libres en 2006 et 2011. Mais l’organisation du référendum constitutionnel et des élections n’a jamais été une garantie de stabilité politique, du bien-être de la population et de consolidation démocratique. On est toujours dans l’éternel retour… Nous avons aussi vu et vécu les accords issus des concertations nationales en 2014 qui ont produit près de sept-cent recommandations et qui, malheureusement, ont accouché d’une souris, puis le dialogue de la cité de l’OUA avec l’accord du 18 octobre 2016, ensuite le dialogue du centre interdiocésain sous la médiation de la conférence épiscopale du Congo (CENCO) qui continue à défrayer indéfiniment les chroniques. Ce dialogue aux accords qui vont marier l’opposition et la majorité dans un seul gouvernement d’union nationale et qui crée en outre, une autre institution d’appui à la démocratie, le comité national de suivi des accords qui devait être dirigé par le sphinx Etienne Tshisekedi que la mort a rappelé le mercredi 1er février 2017 à Bruxelles. Tout cela sans que la vie des citoyens congolais ait connu un moindre signal d’amélioration. La mort d’Etienne Tshisekedi va changer la donne au niveau des accords déjà signé et même dans le paysage politique congolais.

Les dialogues sans fin… pour quelle raison ?

Aristote et Platon entendaient par politique, l’art de faire du bien ou l’art de pacifier la société en lui évitant les guerres et les divisions. Les princes de l’Eglise catholique congolaise s’y déploient en organisant un deuxième dialogue plus inclusif au centre interdiocésain de Kinshasa qui a débouché sur un accord dit de la « Saint Sylvestre » entre les différents acteurs politiques congolais… Mais visiblement et délibérément cet accord trottine pour son application. Les plus véreux lui crée des contours et guet-apens invraisemblables dans ce qu’ils appellent « arrangements particuliers ». L’on se rappellera qu’il y a eu précédemment, en octobre 2016, un autre dialogue très contesté sous l’égide du togolais Edem Kodjo (envoyé de l’Union africaine) entre la majorité présidentielle et une frange de l’opposition politique.

Les bons offices de la CENCO pour le dénouement de la crise politique…

Après avoir claqué la porte du premier dialogue à la cité de l’Union africaine pour raison de non inclusivité et face à la persistance de la crise, les évêques catholiques ont décidé d’offrir leurs bons offices pour sauver la nation de l’hécatombe annoncée au 19 décembre 2016 dernier, date de la fin du deuxième et dernier mandat constitutionnel de Joseph Kabila. Il sied de remarquer que si le dialogue de la cité de l’Union africaine a eu un soubassement juridique qui le convoquait, c’est-à-dire un décret présidentiel signé à cet effet, celui des évêques n’a aucun soubassement juridique qui l’organise et le convoque, est-ce là sa première faiblesse ?

Les évêques catholiques ont-ils été piégés dans leur bonne foi par les politiciens qui, pour des raisons individualistes, multiplient des diatribes de mauvaise foi dans le dénouement de la crise politique actuelle ? En effet, les politiciens congolais souffrent d’un égoïsme « pathologique » que même les prélats catholiques, malgré toute la puissance spirituelle qu’on leur reconnaît, n’ont pu les en délivrer… Ces politiciens ne voient que leurs intérêts privés au détriment de ceux de la nation entière. Devant les micros, ils s’affichent comme des grands patriotes nationalistes pendant qu’en réalité, ils sont surtout patriotards par opportunisme…

James Freeman Clarke disait que "la différence entre l’homme politique et l’homme d’Etat est que le premier pense à la prochaine élection tandis que le second pense à la prochaine génération." Au Congo il n’y a rien de tout cela. Nous sommes en face d’hommes qui ne veulent pas penser à la prochaine élection et encore moins à la prochaine génération. En analysant de plus près les agissements des uns et des autres, on ne peut conclure que les politiciens congolais – majorité comme opposition - veulent vraiment aller aux élections pour une alternance civilisée et démocratique. Aucun d’eux ne pense aux générations futures. Ils ne voient que leurs propres intérêts, ce qui dénature le Congo comme République. C’est cette volonté de ne vouloir voir que leur propre moi qui fait que les dialogues politiques, au lieu d’apporter diligemment solution aux questions qui se posent à la société, tirent à longueur afin qu’ils amassent assez de per diem.

Et même quand l’accord aura été signé avec ses annexes (arrangements particuliers), rien n’assure son application et son respect effectifs pour plusieurs raisons: d’abord, beaucoup de politiciens n’ont pas de ligne politique ou idéologique qu’ils défendent, la seule chose qui compte, c’est comment chacun d’eux se retrouve dans le gouvernement... Ce que François Bayart appelle la politique par le bas. Ensuite, ils n’ont aucune constance politique. Ce manque de conviction politique est un réel défi qui discrédite les politiciens congolais au point d’émettre souvent des réserves sur les actes qu’ils posent voire les accords qu’ils signent. Ils peuvent dire et se dédire, ils peuvent signer et renier leur signature le lendemain, au gré de leurs intérêts immédiats. Ceci renforce le citoyen lambda qui pense que la politique est une activité sale, dégradante renvoyant à des calculs stériles et dangereux pour la société, à des bavardages interminables et des ambitions démesurées ou effrénées.

Eu égard à ce qui précède, comment les évêques catholiques s’y prendront-ils pour faire appliquer et respecter l’accord issu de leurs bons offices? Rien n’est sûr, devant les acteurs qui se battent bec et ongles pour le « J’y suis et j’y reste » et le « Ôte-toi de là que je m’y mette » avec une population engagée pour la tenue des élections libres, transparentes et démocratiques dans un délai d’une année seulement. Le risque de voir les évêques revenir dans leurs diocèses respectifs avec un accord non appliqué est prévisible: seront-ils alors prêts à activer leur « Plan B au cas où…» qu’ils essayent de brandir sans en dévoiler la quintessence? Wait and see! Sinon l’image de l’église catholique n’en sortira pas indemne…

Et la population dans tout cela…

L’usure de la souffrance, de la misère, de la pauvreté, des discours démagogiques et de la guerre à répétition a certainement lassé la population qui ne sait plus à quel saint se vouer.

Si pour ceux qui se battent pour le « J’y suis et j’y reste », il faut se passer de la Constitution votée au référendum et constituant ainsi un contrat social entre le pouvoir et la population ou, à la limite, changer les règles de jeu démocratique contenues dans cette constitution en faveur de ceux qui veulent absolument s’accrocher au pouvoir; pour les partisans du « Ôte –toi de là que je m’y mette », c’est le moment pour eux aussi de prendre les rênes du pouvoir après l’avoir loupé à l’issue des élections de 2011, tout avoir, tout contrôler ou rien.

Dans les deux cas de figure, l’organisation des élections reste le cadet des soucis tant que chacune des parties aura trouvé son compte pendant que le maître-mot de la population - théoriquement souveraine primaire - reste « Ne touchez pas à ma Constitution, nous voulons des élections le plus vite possible ». Devant cette volonté populaire de vouloir les élections, les politiciens, toute tendance confondue, font semblant et pourtant… personne ne prend à corps ni ne défend les aspirations et les intérêts du peuple. Du coup, comme toujours la population risque d’être la perdante prise pour le dindon de la farce.

En tout et pour tout, la situation de la population est laissée pour compte et renvoyée au second plan. Reste à elle, en tant que souveraine primaire, de décider de son sort face aux politiciens qui ne veulent rien lâcher…

dimanche 8 janvier 2017

Pourparlers politiques en RD Congo: Volte-face

48 heures après la signature d’un accord sous la médiation des évêques catholiques.
Un espoir brisé à l’aube de 2017 en RD Congo.


A Bukavu, dans l’Est de la RD Congo, la première messe de ce 1er janvier 2017 est traditionnellement lue par l’archevêque métropolitain (Mgr Maroj) qui, ce jour, au cours de son homélie, en a profité pour informer les fidèles catholiques de l’aboutissement plus ou moins heureux des négociations politiques chapeautées par la CENCO à Kinshasa. Il a rassuré son auditoire: les choses étaient sur de bons rails malgré quelques velléités des politiciens qui tirent chacun de leur côté pour arracher un maximum de concessions à l’autre parti... Alors que la déclaration de la Conférence épiscopale des évêques, optimiste, estime, elle, que le compromis politique dégagé règle une grande partie de préoccupations. Vingt-quatre heures après cette homélie, la majorité présidentielle vient de se rebiffer. C’est carrément un revirement, mieux dire, un retour à la case départ.
Dans un article précédent, CAPSA-GL avait déjà publié une analyse de ces convocations quasi-rituelles de longs "dialogues", "états généraux", "conférences", "séminaires", "ateliers" et autres "consultations" qui n’en finissent pas. Ce dernier épisode nous donne encore raison, hélas…

Alors qu’à ce stade(1), un nouveau compromis pour la gestion consensuelle de la RD Congo, "Opposition et majorité", venait d’être ratifié sous les auspices des évêques catholiques (compromis qui aura quelque peu atténué voire désamorcé les vives tensions dans le pays), c’est maintenant au tour du camp de la majorité présidentielle de le rejeter après moins de 48 heures de vie. Ce dernier compromis, pourtant fruit d’âpres négociations et de concessions tant de niveau national qu’international, avait le mérite d’avoir rapproché un plus grand nombre de protagonistes...
Mais à son tour, la majorité présidentielle dénonce sa non-inclusivité, et ses aspects anticonstitutionnel, sous l’argument qu’il a verrouillé la route à une éventuelle modification de la constitution et à la tenue d’un quelconque référendum pendant la transition… (La majorité présidentielle s’appuie sur l’article 5 de la Constitution qui dit que le peuple s’exprime soit par l’élection soit par voie référendaire).

C’est après avoir signé ledit accord que les signataires de la majorité présidentielle viennent proclamer dans les médias que la CENCO a outrepassé son mandat en se rendant souveraine et qu’elle n’avait pris en compte que les revendications du rassemblement de l’opposition.
Malgré cela, la médiation reste confiante. Elle signe et affirme qu’il ne reste plus que de petites retouches portant sur des modalités de mise en œuvre et que les pourparlers se poursuivront jusqu’au balisage de la totalité des préoccupations. Entre autres questions de cet agenda post-signature, on retrouve notamment la constitution d’un autre gouvernement en remplacement de celui de Samy Badibanga qui n’aura que moins d’un mois ou la constitution de l’équipe de suivi de la mise en application de l’Accord signé…

Quelle est la prochaine étape?

Pour les analystes de la crise congolaise, les évêques et certains autres optimistes se seraient trop vite frotté les mains, alors que manifestement, rien n’est gagné. D’une part, l’accord du centre interdiocésain vient restreindre certaines prérogatives du Président Joseph Kabila (chose qu’il n’entend manifestement pas un seul instant d’une bonne oreille) pendant cette année de la transition et vient, de plus, placer l’organisation des élections au centre des préoccupations (les mêmes élections qu’il a, à dessein, bloquées, moyennant de multiples faux fuyants).

Apparemment, la majorité présidentielle se trouve à bout de toute patience. Sa volonté de se maintenir est de plus en plus manifeste. Ou ça passe ou ça casse!!! C’est pourquoi des vraies mesures de décrispation politique tant exigées ne font toujours pas partie des préoccupations des dirigeants actuellement en fonction. Ainsi par exemple, les prisonniers politiques et d’opinions ne sont relâchés qu’au compte goutte. Et le Président qui, logiquement ne devrait plus se représenter, n’a toujours pas proposé un dauphin de son camp comme cela est d’usage en politique moderne. Par contre, à longueur de journée, dans les médias comme dans la communauté, c’est l’exhibition à dessein des (faux) indicateurs de l’amélioration du bien-être de la population, sans que cela ne se constate dans le quotidien du congolais

Loin donc de tout élan de décrispation politique, on assiste chaque jour à son contraire. L’annulation récente de l’immunité parlementaire du député Kyungu W, en vue d’accélérer sa poursuite en justice pour outrage au chef de l’état, ne pourra que susciter de nouveaux remous quand toute la vérité sera portée à la connaissance des congolais qui chuchotent tout bas ce que cet élu du Katanga exacerbé par le système Joseph Kabila a osé crier tout haut.

A quoi aura servi un deuxième dialogue si les résolutions subissent pareil sort ?

La publication des résolutions du Dialogue facilité par la CENCO à la veille du nouvel an a suscité beaucoup d’optimisme au sein de toute la communauté nationale. Mais au regard des derniers développements et de la volte-face du camp présidentiel, les espoirs pour une alternance pacifique et apaisée semblent s’envoler. Pareil durcissement abusera certainement de la patience des médiateurs, et surtout de la population qui avait encore placé un brin de confiance dans la démarche des évêques. De tous temps, les évêques catholiques ont joué un rôle déterminant dans ce grand pays à plus de 70% catholique. Mais avaient-ils bien pesé le risque en se lançant dans cette démarche pleine d’embûches face à un pouvoir déterminé à se maintenir contre vents et marrées?
Boutros Boutros Ghali n’a-t-il pas dit que lorsqu’une médiation a réussi, le médiateur disparaît mais quand elle échoue le médiateur est pris pour un bouc émissaire? Déjà certaines langues taxent ces derniers de complice ou de corrompus car leur entrée dans la danse a donné du répit à un pouvoir qui était pris en étau et au pied du mur face à des dates butoirs pour son dégagement forcé par la masse désabusée à la burkinabé. L’église catholique aura eu le mérite et le courage de tout tenter et de prendre ces risques pour tenter d’éviter de nouvelles violences destructrices et sans lendemain.

Deux Dialogues consécutifs en 3 mois: un artifice du pouvoir qui a payé gros.

D’aucuns avaient déjà prédit que ces dialogues n’avaient comme seul but de faire passer du temps, mieux d’endormir le peuple. Le Dialogue de la cité de l’OUA, placé à dessein à quelques mois de la fin du mandat présidentiel, a permis de créer de l’espoir et atténuer la menace sur le pouvoir au 19 septembre 2016. Celui de la CENCO aura lui permis au pouvoir de passer le 19 décembre - date de la fin théorique du mandat de Joseph Kabila - sans la moindre pression de la population. Et comme pour flouer les évêques, initiateurs du second dialogue (dit du Centre interdiocésain de Kinshasa), le chef de l’état nommera un Premier ministre à près d’une heure de la fin officielle de son mandat alors que le poste du Premier ministre de cette transition faisait partie des enjeux mis sur la table des négociations par l’opposition qui n’avait pas pris part au 1er dialogue. La distraction, ce sera aussi le social brandi avec emphase dans le programme du gouvernement, en vue de faire miroiter à la population un début de solutions face aux précarités des conditions de vie pour cette année 2017 électorale, pour laquelle pourtant, comble de l’ironie, le budget s’est réduit de moitié…

Encore combien de temps pour pareille stratégie de rouleau compresseur?

Difficile de prédire, pour l’instant, combien de temps cette stratégie pourra porter. La RD Congo étant un pays non seulement d’extrêmes paradoxes mais aussi des surprises atypiques. Néanmoins, analyse faite, malgré la longue patience des congolais, le pouvoir ne donne aucune impression d’en démordre. Dans son machiavélisme, il se trouve conforté d’avoir entraîné tout le monde sur un terrain où lui seul tient les commandes et contrôle les règles du jeu. Il peut convoquer des dialogues à volonté mais ne signe aucune des résolutions, comme si il n’était aucunement astreint de les respecter. Le pouvoir se trouve aussi renforcé par l’impressionnante machine répressive mise en place, avec la peur comme effet dissuasif envers la population et les mouvements des indignés… Le pouvoir médiatise habilement la mort des manifestants qualifiés d’avance d’ennemis de la paix.

Le chef peut-il être taxé d’être prisonnier de son propre camp comme ça l’a été dans certaines situations? Ou, au contraire, pour protéger les avantages acquis par sa famille biologique et politique(2), l’actuel système compte-t-il désormais sur leur indéfectible soutien pour maintenir son hégémonie au seul argument que sa chute serait aussi la leur. On est à un stade de jusqu’auboutisme.

L’urgence d’un Plan B s’impose

Pour éviter les 4 scénarios du pire (3), tels que glanés dans notre article précédent, et devant l’épuisement de toutes les voies pacifiques par le dialogue, dont la dernière en date avec les bons offices de la CENCO, et comme le doute n’est plus permis sur la mauvaise foi des acteurs politiques; un éventuel plan B devrait indubitablement savoir qu’on est en face d’un Joseph Kabila qui sait désormais que :

  • l’opposition nationale et la société civile officielle sont désagrégées et ne constituent plus une menace pour son système, bien au contraire ils courent derrière lui pour accéder aux miettes.
  • la communauté internationale a montré son impuissance face à la situation qui perdure au Burundi, en rapport avec le risque de réveiller un nouveau génocide. Par prudence, il est certain que personne ne pourra s’engager contre lui au Congo.
  • Obama et Hollande qui lui avaient ouvertement retiré la confiance sont en fin de mandat et donc ne constituent plus de menace pour lui.
  • Malgré l’hécatombe et la destruction systématique du pays, cinq ans durant, Bashar Alassad est resté jusqu’aujourd’hui le seul président de la Syrie.
  • Sassou Ngwesso, Ali Bongo et récemment Yaha Jameh de la Gambie sont restés à la tête de leurs états respectifs contre la volonté de leurs populations et d’insistantes menaces de la communauté internationale.

Les politiciens, la société civile, la CENCO, la communauté internationale restent perplexes devant la situation qui prévaut en RD Congo. Plusieurs ingrédients clairsemés dans le firmament politique de la RD Congo viennent d’estomper tous les espoirs fondés sur 2017.
Les discours et autres intentions de bonne volonté ne rassurent plus personne...


Le 5.01.2017
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(1) Ce nouveau compromis survient pour parfaire celui de la Cité de l’OUA, en octobre dernier, estimé inclusif par la majorité présidentielle et de non inclusif par l’opposition et la communauté internationale.
(2) Entendu, famille politique et biologique mais aussi tout son lobby lié aux pays voisins…
(3) RD Congo: l’issue d’un Dialogue à la croisée de l’absurde et/ou de l’impasse.