mercredi 3 décembre 2014

Le viol des femmes et enfants dans l'Est de la RD Congo, une arme de destruction massive

Analyse par Capsa Grands Lacs du Plaidoyer du Dr Denis Mukwege auprès de l’Union Européenne.

A la suite de cet article en guise d'introduction, nous vous invitons à lire l’intégralité du discours prononcé par le Dr Denis Mukwege devant le parlement Européen, à l’occasion de la remise du prix Sakharov qu’il a reçu.

Aux moments les plus chauds de la Guerre d’agression contre la RD Congo, perpétrée par le triangle de la mort constitué du Rwanda, de l'Ouganda et du Burundi dans une moindre mesure, d’aucuns pouvaient affirmer que le viol n’était que dégât collatéral observable dans toutes les guerres que l’humanité a connues.

De là à ne pas reconnaître qu’il fut réellement une arme de guerre dans le cas de la RD Congo, c’est un pas qui sera franchi par d’aucuns pendant longtemps… de la même manière qu’il a également été refusé de parler de génocide perpétré en RD Congo par le même triangle.

Il aura fallu du temps, de nombreux témoignages, dont celui, très fort, du Dr Denis Mukwege pour changer le regard que porte l’opinion publique sur ces crimes contre l’humanité.

Au regard de ses conséquence extrêmes, le viol est objectivement classable dans le registre des armes lourdes de destruction massive qui méritent de rejoindre les typologies classiques des armes chimiques, biologiques et pourquoi pas de l’arme atomique elle-même…

En effet, le mode opératoire du viol tel qu’il a été appliqué (constaté) de manière systématique et indistinctement sur l’ensemble des populations de tous âges dans l’Est de la RD Congo et cela sans la moindre intention d’assouvir un quelconque besoin physiologique des violeurs, permet d’affirmer qu’il y eu planification, avec des résultats attendus à court, moyen et long terme par les initiateurs.
L’installation d’un climat de terreur (des villages entiers se sont vidés…), la perte de toute échelle de valeurs par une communauté, la montée en puissance des violences conjugales, l’abandon des femmes, la fuite des hommes ont détruit la cohésion des communautés jusqu’à en disloquer certaines.

Nombre de victimes, extrêmement choquées physiquement et/ou psychologiquement, se sont suicidées. D’autres ont littéralement craqué ont fui et disparu de la circulation. Les plus solides ont simplement rabroué leurs épouses parce que, témoignent-ils en tant que témoin oculaire du déroulement de l’acte sexuel de viol sur leurs épouses, ces dernières avaient effectué des mouvements oscillatoires, signes de la prise de goût à l’opération avec le violeur. Il faut rappeler que la plupart du temps, les violeurs imposaient aux papas et aux garçons d’assister à la scène du viol !

A long terme, nous aurons une société totalement désarticulée, composée de nombreuses personnes contaminées par des infections sexuellement transmissibles dont le VIH, de cohortes d’enfants issus de viols, d’indésirables apatrides qui à long terme constitueront une catégorie de marginalisés qui pourraient se muer en kamikazes…
La balkanisation du Congo longtemps convoitée, sera ainsi rendue plus facile à atteindre…

Cependant, en fustigeant le viol comme arme de guerre, le Dr Denis Mukwege a su toucher et émouvoir l’humanité entière jusque là restée largement indifférente.

En lisant attentivement le discours du Dr Denis Mukwege en annexe, on comprend qu’avec une réelle volonté politique, ce plaidoyer de haut niveau peut ouvrir des pistes plus réalistes de reconstruction de la RD Congo. Si on laisse enfin ce pays tranquille, et dans la paix, il dispose de ressources matérielles, humaines suffisants pour relever les défis tant sociaux, économiques, environnementaux, techniques que politiques et construire un développement suffisant et profitable à toute sa population. Il est essentiel en effet, qu’au-delà de la simple émotion face à l’horreur des crimes, les responsables de la communauté internationale et les opinions publiques prennent conscience des véritables causes de ces crimes, ne les réduisent pas à des sauvageries individuelles, ni même ne se contentent de pointer du doigt quelques états voisins. La convoitise sur les richesses du Congo, la prédation généralisée n’est pas, loin s’en faut, que le seul apanage de criminels locaux ou africains… Il ne faudrait pas que l’Europe se contente de se donner simplement bonne conscience en donnant un prix prestigieux au Dr Mukwege et en versant une larme en écoutant ses paroles. La diplomatie de l’Europe est elle aussi fonction de ses intérêts économiques et trop souvent, l’aide au développement qu’elle fournit à la RDC cache mal la priorité qu’elle accorde aux intérêts de ses grandes entreprises.

Ce gynécologue congolais, le Dr Denis Mukwege, est plus qu’un médecin. C’est aussi un véritable militant défenseur des droits humains, qui a su concilier son délicat métier de médecin avec un combat pour la dignité humaine. On n’est jamais prophète chez-soi dit-on, mais, l’écho de son action inlassable a eu un vibrant retentissement dans le monde entier au point d’être pressenti prix Nobel de la Paix. Le dernier prix Sakharov décerné est le énième de par le monde.

Pourtant, dans son propre pays, pas un geste de sa reconnaissance ne lui a encore été décerné, ni par les autorités, ni même par les différents mouvements sociaux organisés pourtant témoins de son engagement.

Pourtant, par ce prix d’excellence offert par le Parlement Européen pour honorer le combat de tout un peuple sans défense, le Dr Denis Mukwege est donc devenu une icône.

Espérons que de nombreuses autres voix se joindront à la sienne, au pays et ailleurs, pour donner plus de force à ce combat. Et que, face à l’urgence et à la dimension du drame, les Congolais, les gens du Sud-Kivu en particulier, sauront faire taire leurs divergences et se coaliser pour rendre enfin ces crimes inconcevables et impossibles.

Le Dr Denis Mukwege a d’ailleurs terminé son allocution au Parlement Européen sur ces mots :
«Ensemble, décideurs politiques, acteurs de la société civile et citoyens, hommes et femmes, nous devons fixer une ligne rouge contre l’utilisation du viol comme arme de guerre, et construire un avenir meilleur pour offrir à nos enfants et à nos petits-enfants un cadre propice à leur épanouissement, et permettre à tous ceux qui ont trop souffert d’envisager le futur dans une liberté plus grande.»

Discours du Dr Denis Mukwege à l’occasion de la remise du Prix Sakharov lors de la session plénière du Parlement européen à Strasbourg le 26 novembre 2014

Monsieur le Président du Parlement Européen,
Mesdames et Messieurs les Représentants des peuples de l’Union Européenne,
Distingués invités,

C’est avec beaucoup d’humilité et un grand espoir que je reçois aujourd’hui le prestigieux Prix Sakharov pour la liberté de l’esprit.

Cette année, vous avez commémoré le centième anniversaire de la première guerre mondiale. L’Europe pensait que c’était la dernière et que la civilisation allait triompher. Non hélas, 30 ans plus tard, la folie humaine était de nouveau au rendez-vous.

Depuis, vous avez fait le choix de la paix et de vivre ensemble, dans une société orientée vers la liberté et la prospérité.

Dans un contexte sécuritaire de plus en plus instable, où les foyers de crise se multiplient, notamment dans le voisinage direct de l’Union Européenne (UE), je tiens avant tout à remercier les élus des peuples européens pour mettre en lumière les tragédies humaines que vivent les femmes victimes de viols et de violences sexuelles à l’Est de la République Démocratique du Congo (RDC).

Dans un monde d’inversion des valeurs où la violence se banalise en prenant des formes toujours plus abominables, refuser la violence, c’est être dissident.

En attirant l’attention du monde sur la nécessité de protéger les femmes en période de conflits armés, vous avez refusé l’indifférence face à l’une des plus grandes catastrophes humanitaires des temps modernes.

Vous avez réaffirmé que la résolution des conflits dans les Grands Lacs et la promotion des droits de l’homme et de la démocratie sont et restent des priorités de la politique étrangère de l’UE.

Par ce prix, vous avez décidé d’accroître la visibilité du combat mené par les femmes congolaises depuis plus de 15 ans et de reconnaître leur souffrance mais aussi leur dignité et le courage qu’elles incarnent.

Monsieur le Président,

La région où je vis est l’une des plus riches de la planète; pourtant l’écrasante majorité de ses habitants vivent dans une extrême pauvreté liée à l’insécurité et à la mauvaise gouvernance.

Le corps des femmes est devenu un véritable champ de bataille, et le viol est utilisé comme une arme de guerre.

Les conséquences sont multiples et impactent sur l’ensemble de la société: la cellule familiale est désagrégée, le tissu social détruit, les populations réduites en esclavage ou acculées à l’exil dans une économie largement militarisée, où la loi des seigneurs de guerre continue à s’imposer en l’absence d’un état de droit. Nous sommes donc face à une stratégie de guerre redoutablement efficace.

L’autorité de l’Etat congolais et ses institutions restent fragiles, et ne sont pas encore en mesure ni de protéger la population, ni de satisfaire à ses besoins de base.

Monsieur le Président,

Rares sont les jours où l’actualité de ma région ne révèle pas un nouveau drame humain.

La semaine dernière, plus de 50 personnes ont été massacrées à la machette dans le territoire de Béni au Nord-Kivu: les femmes enceintes sont éventrées et les bébés mutilés. Dans l’espace d’un mois et demi, 200 personnes ont été sauvagement tuées.

Comme tout être humain, je voudrais tant ne plus évoquer ces crimes odieux dont mes semblables sont victimes.

Mais comment me taire quand, depuis plus de quinze ans, nous voyons ce que même un œil de chirurgien ne peut pas s’habituer à voir?

Comment me taire quand nous savons que ces crimes contre l’humanité sont planifiés avec un mobile bassement économique?

Comment me taire quand ces mêmes raisons économiques ont conduit à l’usage du viol comme une stratégie de guerre?

Chaque femme violée, je l’identifie à ma femme; chaque mère violée à ma mère et chaque enfant violé à mes enfants.

Comment pouvons-nous nous taire?

Quel est cet être humain doué de conscience qui se tairait quand on lui emmène un bébé de six mois dont le vagin a été détruit soit par la pénétration brutale, soit par des objets contondants, soit par des produits chimiques?

Déjà un seul cas de viol est grave et nécessite une action de tous. Dans mon pays, il y a des centaines de milliers de femmes violées et d’autres milliers d’enfants nés du viol, en plus des millions d’êtres humains morts suite aux conflits.

Dans le reste du monde, chacun se soulèverait d’indignation; dans la société congolaise en perte de repères, les atrocités de masse passent dans l’actualité comme de simples faits divers, signes désolants d’une société traumatisée par trop de violence, d’une absence de responsabilité politique et d’une négation de notre humanité commune.

Monsieur le Président,

Nous avons pris trop de temps et d’énergie à réparer les conséquences de la violence. Il est temps de s’occuper des causes. Des milliers de témoignages de victimes montrent que le peuple congolais a soif de justice, de paix et aspire au changement.

Il y a urgence à agir. Les solutions existent et exigent une réelle volonté politique.

Nous sommes à un moment critique: l’Accord-Cadre pour la Paix, la Sécurité et la Coopération, signé à Addis Abeba en 2013, ne peut rester une simple feuille de papier. En tant que partenaire historique et premier contributeur de l’aide, nous appelons l’Union Européenne et ses Etats membres à revitaliser la mise en œuvre de cet «Accord de l’Espoir» et d’utiliser tous les leviers, économiques et financiers mais aussi politiques et diplomatiques, pour contribuer une fois pour toute à la résolution des conflits dans les Grands Lacs.

En RDC, la consolidation de l’Etat et le rétablissement de la sécurité à l’Est constituent la priorité des priorités. La réforme du secteur de la sécurité est l’une des plus importantes réformes institutionnelles et est au cœur des efforts de mise en œuvre de la responsabilité primaire de l’Etat congolais de protéger les civils.

La justice doit également être placée au cœur du processus de paix et la lutte contre l’impunité des crimes les plus graves, y compris les crimes de violence sexuelle, doit être renforcée.

Il n’y aura pas de paix ni de développement économique et social sans respect des droits de l’homme. Sans réparation pour les survivantes de viol et les victimes. Sans assainissement de la fonction publique incluant un vetting des forces de sécurité. Sans mécanismes d’établissement de la vérité pour promouvoir la réconciliation.

Monsieur le Président,

Les droits de l’homme constituent non seulement une des valeurs fondamentales de l’UE mais aussi l’un des objectifs qui inspire ses relations extérieures, avec la promotion de la paix et du développement et le renforcement de la démocratie et de l’état de droit.

Et à notre humble estime, il s’agit de la réelle plus-value de l’Union par rapport à d’autres partenaires internationaux; mais la realpolitik illustre bien souvent que les intérêts géostratégiques et économiques priment sur le respect et la protection des droits de l’homme.

Le projet de règlement européen de la Commission pour un approvisionnement responsable en minerais, qui doit être examiné devant votre Assemblée, devrait intégrer une dimension contraignante et viser aussi bien les produits finis ici en Occident que les matières premières à l’état brut en Afrique.

Nous exprimons ici le souhait que chacun veille à assurer davantage de cohérence entre les politiques économiques et le respect des droits de l’homme, et à placer la dignité humaine au centre des préoccupations économiques et financières.

Notre pays est plein de potentiel et, avec un commerce plus responsable et transparent, le Congo a la capacité d’un développement endogène , grâce à ses ressources naturelles, mais avant tout ses ressources humaines, qui ne peuvent aujourd’hui être exploitées pour le bénéfice de tous dans un contexte de «ni paix, ni guerre».

Monsieur le Président,

Ce prix n’aura de signification pour les femmes victimes de violences sexuelles que si vous nous accompagnez sur le chemin de la paix, de la justice et de la démocratie.

Nous le dédions à toutes les survivantes de violences sexuelles, en RDC et dans le monde entier. Nous sommes convaincus que le changement viendra par ces femmes courageuses, déterminées et dignes qui sont notre source d’inspiration au quotidien.

 Nous dédions également ce prix à tous les défenseurs des droits de l’homme qui militent jour après jour, souvent dans des conditions difficiles et loin des projecteurs, pour favoriser une culture de paix, aider les victimes à réclamer leurs droits et à rendre leurs institutions plus redevables.

Nous tenons enfin à saluer ici le professionnalisme et le dévouement de tout le personnel de Panzi ainsi que tous nos partenaires qui ont aidé pour réaliser notre travail, et je pense particulièrement à l’agence humanitaire ECHO qui nous soutient depuis 10 ans. Sans vous, nous ne serions pas ici aujourd’hui.

Ensemble, décideurs politiques, acteurs de la société civile et citoyens, hommes et femmes, nous devons fixer une ligne rouge contre l’utilisation du viol comme arme de guerre, et construire un avenir meilleur pour offrir à nos enfants et à nos petits-enfants un cadre propice à leur épanouissement, et permettre à tous ceux qui ont trop souffert d’envisager le futur dans une liberté plus grande. 

Monsieur le Président, chers Euro-députés,

Permettez- moi de conclure en m’adressant de votre honorable hémicycle aux citoyens de mon pays :

Chers compatriotes,

Notre nation, la République Démocratique du Congo, nous appartient.

Ses ressources naturelles et humaines, ses institutions, son destin, relèvent tous de notre responsabilité.

C’est à nous, le peuple congolais, de façonner nos lois, notre justice et notre gouvernement, pour servir nos intérêts à tous, et pas seulement ceux de certains.

Le Prix Sakharov que nous recevons du Parlement Européen est le vôtre, et il est le symbole de la liberté de pensée. Un droit qui nous a été retiré. Un droit auquel, suite à la terreur et l’oppression, nous semblons parfois avoir renoncé.

Ce droit nous est acquis; et les peuples européens, à travers leurs représentants, nous tendent aujourd’hui la main pour le recouvrer. Ils veulent nous appuyer dans notre lutte pour la liberté, la paix, la justice et le progrès.

Aujourd’hui, tout haut, et devant le monde entier, l’Europe nous exprime sa solidarité.

Elle veut marcher avec nous dans notre quête pour la restauration d’une vie Congolaise digne.
Unissons- nous et marchons avec elle, afin qu’une fois pour toutes, la paix et la justice soient restaurées au Congo et que nous puissions aspirer à un futur meilleur.

Notre pays est malade mais, ensemble, avec nos amis de par le monde, nous pouvons et nous allons le soigner.

Je vous remercie.

Dr Denis Mukwege Strasbourg, 26 novembre 2014

dimanche 23 novembre 2014

Shabunda: territoire paradisiaque aux contrastes troublants!

Shabunda est l’un des huit territoires que compte la province du Sud-Kivu. Il est le plus grand, avec une superficie de 25.116 km2, situé plus à l’ouest de la province, dans la forêt équatoriale (à 350 km de Bukavu à vol d’oiseau), il reste le territoire le plus enclavé, avec une population fortement paupérisée et un foyer par excellence de groupes armés étrangers (FDLR) et locaux. Cependant il regorge de plusieurs potentialités agricoles, minières et forestières. Un contraste ineffable eu égard aux conditions de vie socio-économiques actuelles de la population. 
Au lieu d’être une aubaine de croissance socio-économique, ces potentialités menacent sérieusement l’existence de la population…

Le territoire de Shabunda est resté longtemps loin des projecteurs vu son enclavement et surtout l’insécurité qui y règne. Comme partout ailleurs, le manque de persistance des élus du peuple n’a pas permis d’améliorer le quotidien de la population.
Pour se rendre à Shabunda à partir de Bukavu, il faut prendre un avion car d’une part les routes sont totalement détruites à cause du manque d’entretien, et d'autre part l’insécurité y est entretenue par des bandes et groupes armés nationaux et étrangers. L’autorité de l’Etat n’y est aucunement perceptible. L’avion reste donc la seule voie de liaison. Malheureusement, au prix de 550$ à payer pour relier les 350 km (le même prix que pour relier Bukavu à Dubaï en aller-retour, coût de visa migratoire inclus) ce n'est pas à la portée d’un citoyen congolais ordinaire.
Cette situation, datant déjà de plusieurs décennies, fait de Shabunda un territoire qui évolue en vase clos, loin de toutes caméras...

Les gisements d’or que regorge ce territoire, au lieu d’être une opportunité de développement, constituent plutôt la raison de la paupérisation exponentielle et inacceptable de la population.
La vie à Shabunda coûte cher: on a l’impression de vivre dans une société sans état régulateur.
Depuis des années déjà, les gens exploitent de manière artisanale l’or à Shabunda et beaucoup d'hommes richissimes de Bukavu et d’ailleurs y ont tiré leurs fortunes. Mais depuis novembre 2013, on a introduit un nouveau système d’exploitation (semi-industriel) de l’or dans la rivière Ulindi, affluent du fleuve Congo: l'exploitation par des dragues. L’avènement des dragues a plus ou moins révolutionné l'exploitation de l’or mais à l’heure actuelle, il représente plus de mal que de bien sur la vie de la collectivité.

Sur le plan sécuritaire, Shabunda est une zone rouge. La présence de groupes armés qui se battent fréquemment met en danger la sécurité des citoyens et de leurs biens. La plupart de ces groupes, si pas tous, se battent pour le contrôle des carrés miniers. Quelques unités de l’armée congolaise sont là mais dans des conditions difficiles et inhumaines de travail. Les membres de la police nationale sont quant à eux insuffisants et non formés, incapables de manier l’arme et vivent dans des conditions pitoyables.
La plupart sont incapables de qualifier des faits et des infractions puisque la grande majorité d'entre-eux provient de groupes armés mayi-mayi venus de la brousse. Ils ont été mêlés à la police nationale, sans aucune formation préalable. Dans ces conditions, la protection des civils est un réel rêve.
Mais actuellement, le nouveau commandant de district de la Police Nationale est un vétéran instruit et très expérimenté qui pourrait relever certains défis si on lui en donnait l’occasion et les moyens de sa politique... A suivre...
L’insuffisance du nombre de policiers fait que l’armée intervient très souvent en lieu et place de la police avec toutes les tracasseries militaires que cela suppose.
Cette situation de la police et de l’armée remet en cause toute la réforme du secteur de sécurité lancée depuis une décennie par le gouvernement congolais et dans laquelle la Communauté Internationale a injecté des moyens faramineux. Cette réforme a privilégié les infrastructures au détriment de la véritable formation des hommes, des policiers. C’est là que réside son inanité et peut-être son échec.

Mais en dépit de tout cela, la MONUSCO a qualifié et retenu Shabunda centre comme « ilôt de stabilité », c’est-à-dire une zone jadis occupée par des groupes armés mais actuellement abandonnée par ces derniers et où il faut restaurer progressivement l’autorité de l’Etat.

Sur le plan sanitaire, Shabunda est une zone où la gratuité des soins a été et est encore pratiquée par MSF Espagne. Cette gratuité s’expliquerait par le degré de vulnérabilité des populations toujours en mouvement à cause des affrontements réguliers entre les groupes armés pour contrôler les sites miniers et la paupérisation avancée de la population. Cette gratuité est totale mais, on peut s’en douter, l’hôpital général de référence de Shabunda centre reflète cependant une vétusté et une dégradation avancée, sans entretien ni soins aux alentours. Certes, ceci n’est pas spécifique à cet hôpital mais il y a lieu de se demander pourquoi les porteurs du système de la gratuité des soins ne songent pas à réhabiliter cette infrastructure (comme cela a été constaté dans le package de gratuité offert dans certaines structures sanitaires ne fût-ce que pour les Hôpitaux Généraux de Référence)?
Lorsqu’on évoque la gratuité des soins comme un cadeau empoisonné offert à la population, certains acteurs de la société civile locale n’hésitent pas à réagir en disant qu’ils sont en situation de guerre permanente et de pauvreté sublime. C’est pourquoi la gratuité des soins leur est très importante. On pourrait leur concéder cela tant que ceux qui leur apportent cette gratuité des soins de santé ne sont pas partis pour raison de fin de projet... La gratuité des soins n'est toutefois jamais définitive et ne constitue pas un système en lui-même...
Par ailleurs, on note que depuis l’arrivée des dragues dans la rivière Ulindi, le taux de prévalence du sida est allé jusqu’à 27% à en croire des sources hospitalières sur place. Effectivement, on constate que la prostitution prend de l’ampleur. Et Shabunda centre devient un carrefour où les prostituées venant de Kisangani (province orientale), de la province du Maniema, du Sud et du Nord-Kivu, et d’ailleurs se rencontrent. Les dragueurs reviennent une fois la semaine dans la petite ville avec des milliers de dollars qu’ils dépensent facilement et sans réserve dans le sexe et la bière. Les mœurs se dévergondent et deviennent de plus en plus légères.

Sur le plan des infrastructures, il n’y a pas de route. C’est à peine s’il y a quelques bâtiments neufs. L’habitation est très rudimentaire, primitive (en chaume). Les routes sont en très mauvais état, quasi impraticables. La piste d’aviation que nous qualifierons de fortune n’est pas en reste. Elle risque à tout moment de causer un crash au décollage ou à l'atterrissage. Le dernier crash en date a eu lieu il y a quelques semaines. Un appareil d’une agence privée de commerce  a failli aux abords de la piste.
Cet aérodrome est pourtant capital pour l’économie du territoire. C’est par là que toutes les marchandises et produits nécessaires rentrent dans le territoire et c’est par là aussi qu’on évacue presque chaque jour vers Bukavu et Goma une bonne partie des minerais exploités. Quoi de plus normal alors que de mettre en état utile cet outil de développement territorial? Malheureusement cela semble être le cadet des soucis de ceux qui en ont l’obligation.
Rappelons que, comme dans les autres aéroports du pays, au décollage, chaque passager doit payer à l’agence territoriale de la régie des voies aériennes (RVA) une taxe intitulée « Go pass » qui coûte 37$ américains. Mais personne ne sait exactement à quoi sert cet argent. Il en est de même de l’argent perçu pour le "péage route" que les gens appellent maintenant ironiquement "pillage route".

Sur le plan économique, ce territoire possède un sous-sol extrêmement riche en or (rivière Ulindi, Lugulu et dans presque toutes les collines), en cassitérite (à Lulingu et Nzovu), wolfram et coltan (axe Baliga), diamant (axe Kasese),… On note aussi l’existence de la chaux blanche dans l’axe Makese-Tchombi pour ne citer que cela. On soupçonne même du pétrole dans la rivière Makese...
Du côté des sites protégés, Shabunda héberge deux sous-stations du Parc national de Kahuzi Biega (sous-stations de Nzovu et de Lulingu) avec une importante partie de la forêt équatoriale.
Le territoire regorge de nombreux cours d’eaux avec des chutes incommensurables susceptibles de favoriser les constructions de barrages hydroélectriques pour électrifier cette zone… Mais hélas...

Toutes ces potentialités ne servent pourtant ni au développement ni au bien-être de la Province du Sud-Kivu et moins encore dudit territoire… Si nous prenons le seul exemple de l’exploitation de l’or par les dragues, il y a lieu de s’indigner et de se révolter. D’après certaines sources bien informées, les dragues mobilisent chaque jour des milliers de dollars.
A titre illustratif, certains acteurs de la société civile locale estiment et renseignent que mis à part les "dragues robot" appartenant aux chinois dont aucun congolais ne s’approche et dont on ne sait pas contrôler ni apprécier la production par jour, une "drague suceur" (fabriquée localement) produit un minimum de 100 grammes d’or toutes les trois heures de travail. Chaque plongeur fait trois heures sous l’eau et après il doit remonter à la surface pour se faire remplacer. Tout calcul fait, 100 grammes rapporte 5.000$. Soit un total de 40.000$ pour un jour (24h) de drague. Or il semble qu’il y ait plus de 80 dragues répertoriées sur la rivière Ulindi, selon un responsable étatique qui a requis l’anonymat. Ce qui représente 3.200.000$ par jour pour toutes ces dragues!! Comparer ce chiffre à l’image du territoire qui le produit est tout simplement révoltant.
A titre d’information: pour faire enregistrer sa drague, on paye une taxe à la Province de 2.000$ à la Direction Provinciale de Mobilisation de Recettes (DPMR). Chaque année, la drague paye également 3.500$ à la DGRAD. En plus de ceci, le propriétaire de la drague doit payer à chaque production 5% au machiniste, 35% à son équipage de plongeurs, 10% de la parcelle riveraine, 11% à SAESCAM et lui-même garderait 34% pour la maintenance, la ration alimentaire et les médicaments pour son personnel ainsi que l’achat du carburant… (Il se peut qu’à Lulingu, un % soit également alloué aux Raia Motomboki, groupe armé maï maï de la région).

Par ailleurs, suite à l’insécurité installée dans ses forêts et l’exploitation minière intensifiée, les populations ont globalement abandonné les cultures industrielles et vivrières comme le riz, le palmier à huile, l’arachide, le manioc, qui faisaient de ce lieu un véritable grenier… Et les exploitants miniers étrangers ayant fait irruption ne s’occupent pas du désenclavement routier pour permettre la fluidité d’échanges ordinaires.

Mais alors, comment l’exploitation minière peut-elle contribuer à la pacification et la sécurisation de Shabunda au lieu de demeurer un danger perpétuant l'insécurité ? C’est ici que le rôle des élus du peuple de Shabunda est aussi remis en cause à entendre les critiques populaires…

Qui est propriétaire des dragues ?
On se trouve ici face à un pillage systématique et systématisé des richesses du pays organisé à un certain niveau au grand mépris des lois et des intérêts de la République et de la population. Pour monter une drague, il faut un capital de 100.000$ pour se lancer (tous les frais connexes y compris). A ce stade il est clair qu’il n’est pas donné à n’importe quel congolais d’avoir cet outil, encore moins pour un enfant de Shabunda. Dans ces exploitations de l’or par dragues, on rencontre à Shabunda des hommes d’affaires chinois qui ont deux dragues robot (il y en a deux actuellement et la troisième est en montage), des français, des tanzaniens, des indiens et quelques congolais mieux placés dans la sphère politique du pays tel certaines autorités politico-administrative provinciales et nationales. L’on raconte que beaucoup de ces étrangers impliqués dans l’exploitation de l’or ne sont pas en ordre avec la loi congolaise. Cette loi précise que l’exploitation artisanale est réservée aux seuls congolais. La réalité est tout à fait contraire à cette prescription légale.

Somme toute, la redistribution équitable des richesses s’impose avec acuité en République démocratique du Congo, pour espérer lutter contre la pauvreté à grande échelle qui ruine les populations congolaises en général et en l'occurrence ici de Shabunda.

En outre l’Etat congolais, en dépit des multiples sollicitations des multinationales et autres businessmen qui veulent exploiter les minerais au Congo, doit absolument protéger ses citoyens qui vivent grâce à l’exploitation artisanale de ces minerais. Ceci dit, la loi doit également être rigoureuse par rapport aux étrangers qui outrepassent les lois du pays pour développer une exploitation artisanale de l’or. Tous ces étrangers devraient se mettre en ordre avec l’Etat pour qu’enfin ce dernier sache exactement qui fait quoi, où et comment dans le secteur minier. Sinon l’Etat congolais est lui-même complice des pillages de ses ressources naturelles. Il est inacceptable que des territoires congolais produisent des milliers de dollars par l’exploitation minière et qu’ils restent par ailleurs les plus pauvres, sous-développés et enclavés puisque l’Etat n’impose aucune politique de développement endogène à aucun des exploitants!

mardi 23 septembre 2014

RDC, lorsque l’éducation est commercialisée…

Plusieurs observateurs admettent que la qualité de l’enseignement au Congo est en baisse, et ce, tant au niveau primaire, secondaire qu’au niveau universitaire. Cette situation n’est pas un phénomène récent et n’est pas étonnante vu les politiques publiques qui ont mené ce pays depuis 54 ans. Cet état des lieux actuel de l’enseignement est l’aboutissement d’un plan prémédité et bien ficelé au fil des années pour détruire le système éducatif congolais. Rappelons que déjà la colonisation belge n’avait pas vraiment promu l’instruction contrairement à la puissance coloniale anglaise.

Platon (428-348 av. JC) disait: "L’Etat ne souffrira pas si les cordonniers ne connaissent pas leur métier, les athéniens seulement seront mal chaussés. Si les éducateurs accomplissent mal leurs devoirs, alors ils forment des générations d’ignorants et de vicieux qui amènent à la ruine de la patrie". Ceci s’applique aujourd’hui à la RD Congo, vu la gestion du pays dans tous les secteurs de la vie nationale. Actuellement on a vraiment l’impression de vivre cette maxime: "Science sans conscience n’est que ruine de l’âme" comme l’a si bien dit Jean Rabelais.

Depuis les années 1970 jusqu’aujourd’hui, beaucoup de grands professeurs d’université participent à la gouvernance de la République mais les résultats sont tels que le pays occupe toujours les dernières places dans les classements internationaux. Le cadre macro-économique du pays a été fortement perturbé d’abord par des politiques iniques des différents régimes, ensuite par des guerres continues qui ont déstabilisé l'ensemble du pays. Ainsi, l'offre des services éducatifs en a souffert et par conséquent le financement privé est devenu significatif depuis les années 1990. Durant les deux dernières décennies, il est devenu la source principale de financement à tous les niveaux d'enseignement.

A l’analyse des différents budgets exécutés dans le pays depuis la deuxième république, il ressort le constat que la rubrique enseignement n’a jamais dépassé 5% du budget national alors que les dotations présidentielles sont toujours 4 à 6 fois supérieures. L’affectation d’un si maigre budget à l’éducation (alors que l’histoire du développement des nations prouve que le facteur clé qui leur a permis de connaître l’apogée sur le plan socio-économique est l’ampleur du budget dans le domaine de l’éducation de la jeunesse) est une mort douce administrée à ce secteur. Un penseur disait que le plus grand drame d’un peuple c’est d’avoir des dirigeants médiocres. La théorie de l’expansion de la médiocrité explique comment les médiocres ne promeuvent pas l’excellence par peur de se faire effacer. C’est pourquoi ils se font entourer par d’autres médiocres.

Face à l’incapacité du régime Mobutu de satisfaire aux revendications des enseignants, l’année scolaire 1990-1991 fut déclarée blanche. L’église catholique proposa le système de prime comme alternative à la question du paiement des enseignants. Les parents commencèrent à s’occuper des salaires des enseignants. Cette solution, fût-elle provisoire, est devenue une épine dans les pieds des parents. Vingt-trois ans plus tard, ce système de prime, au lieu de s’éteindre, s’amplifie et a tendance à prendre une forme légale. La libéralisation du système éducatif congolais a été et reste fatale pour l’avenir du pays. On assiste à une grande profusion d’écoles du secteur privé. Tout le monde est devenu promoteur d’une école, d’une université même sans en remplir le minimum de critères. Les écoles sont devenues des boutiques commerciales. Les écoles privées foisonnent partout dans les villes comme des points de vente de cacahuètes, sans infrastructure ni respect des normes exigées.
Désormais on achète l’éducation. Les enfants dont les parents sont incapables de la leur payer restent à la maison, déscolarisés. Le programme d’éducation nationale reste un simple document de référence. Conséquence : il y a régression de la qualité de l’enseignement.

Ce qui intéresse abondamment les gestionnaires des écoles aujourd’hui c’est l’effectif d’élèves qui implique une rentabilité financière. Désormais l’homme n’est plus au centre de l’enseignement congolais mais l’argent. Le clientélisme est devenu le mode opératoire dans les milieux scolaires puisque les "élèves-clients" sont toujours gardés dans les effectifs malgré leurs résultats à la fin de l’évaluation. C’est pourquoi les grandes écoles de renom ayant formé la grande partie de l’élite du pays ont fait faillite. Rares sont les élèves voire les parents qui acceptent encore de se soumettre à la rigueur et à la discipline de ces écoles. Un enseignant d’histoire disait récemment à Bukavu que le fait de mettre l’éducation à genoux est une façon d’abrutir les congolais. Quel genre de société construit-on pour demain ?

Selon l’inspecteur de l’enseignement primaire, secondaire et professionnel, monsieur Prosper Lituli Gay, la baisse de la qualité de l’enseignement au Congo relève de la déliquescence de la société congolaise en général. Puisque, explique-t-il, dans la situation de crise sociopolitique durable qu’a connue le pays, il est difficile d’avoir un système éducatif performant. A cela pensons-nous il faut ajouter la carence en infrastructures scolaires, la non-motivation des enseignants et le manque de matériel didactique, l’inadaptation du programme national d’enseignement au contexte technologique mondial.

Outre les grandes écoles construites sous l’époque coloniale et quelques rarissimes construites par des ONG et agences des Nations Unies, l’Etat congolais n’a pas beaucoup investi dans les infrastructures scolaires. Pourtant l’enseignement fait partie de cinq chantiers (projet de société) lancés par le Président de la République lors des élections de 2006. Il était dit que près de 1000 écoles devraient être construites dans chaque province. La République Démocratique du Congo compte onze provinces avec plus de 140 territoires. Le bilan est trop faible: difficile de trouver plus de 10 écoles construites dans chaque province dans ce programme national.

Par ailleurs, alors que d’autres pays africains allouent à l’enseignement des crédits allant à 15% du budget national, au Congo les crédits alloués au secteur de l’éducation sont trop insignifiants par rapport à la croissance exponentielle du nombre des élèves que connaît le pays. 1% du budget national est une goutte d’eau dans un sol désertique. Mais les réclames politiques font savoir que la bancarisation est venue résoudre le problème de paye des agents de la fonction publique. Loin s’en faut. Ce système a certes résolu un peu l’irrégularité de paie des salaires mais sans l’améliorer. Les enseignants touchent ce qu’on appelle le "SIDA", le Salaire Insignifiant Difficilement Acquis. La bancarisation a résolu à moitié ce "SIDA". Il reste qu’il est insignifiant.

Beaucoup d’enseignants le sont devenus sans avoir suivi de cours soutenus par du matériel didactique. Eux-mêmes enseignent sans support didactique. Comment l’apprenant pourra-t-il alors prétendre comprendre les cours et lier la théorie à la pratique? Cette situation est encore plus ressentie en milieu rural où l’école se vide petit à petit de ses enseignants à cause des disparités tous azimuts qui existent entre la ville et les campagnes.

Le système de prime : une annihilation de l’éducation...


La prime constitue en effet, une euthanasie imposée à l’enseignement pour mettre fin à son existence. Depuis 20 ans, le taux élevé de déperdition scolaire s’est accru. Alors qu’ailleurs l’école s’est démocratisée, disait l’inspecteur Prosper, au Congo l’instruction est devenue un luxe réservé à une bourgeoisie. Que d'enfants jetés dans la rue par ce système de prime en dépit du fait qu’aux termes de la Constitution toute personne a droit à l’éducation scolaire et que les parents ont le droit de choisir le mode d’éducation à donner à leurs enfants (Article 43).
Les pouvoirs publics ont l’obligation de protéger la jeunesse contre toute atteinte à sa santé, à son éducation et à son développement intégral (Article 42).
L’enseignement primaire est obligatoire et gratuit dans les établissements publics. Aucun Congolais ne peut, en matière d’éducation (…), faire l’objet d’une mesure discriminatoire, qu’elle résulte de la loi ou d’un acte de l’exécutif, en raison de sa religion, de son origine familiale, de sa condition sociale, de sa résidence, de ses opinions ou de ses convictions politiques, de son appartenance à une race, à une ethnie, à une tribu, à une minorité culturelle ou linguistique (Article 13).

La discrimination liée à ce système de prise en charge de l’enseignement par les parents à travers la prime est fatale aux enfants. Ses conséquences sont importantes sur la société. Une famille la moins nombreuse au Congo compte huit personnes mis à part les responsabilités dans la famille élargie. Il est difficile pour les parents chômeurs et/ou sans salaire décent de payer la prime pour six enfants et subvenir à d’autres besoins vitaux (soins de santé, nourriture, logement,...). Conséquence, on adopte alors une scolarisation sélective dans la famille et souvent les filles sont les plus pénalisées.

Au niveau des établissements scolaires, beaucoup de gestionnaires se réservent de ne pas faire échouer les élèves de peur de les voir aller ailleurs ce qui baisserait l’effectif. Rares sont encore les écoles où l’application et la conduite des élèves préoccupent le corps enseignant. L’on se garde de punir un élève à cause de conduite, de le soumettre à un critère objectif de délibération. Voilà à quoi ressemble aujourd’hui la vie dans les écoles congolaises.

L’enseignement en République Démocratique du Congo exige de profondes réformes de fond et de forme. Le contenant et le contenu doivent être revisités sans complaisance pour enfin espérer former des générations de citoyens utiles à eux-mêmes, à la société, à la nation et au monde. Et pour combattre le régime de la prime payée aux enseignants et aux autres maux qui rongent ce secteur noble de la vie nationale, l’Etat congolais doit impérativement améliorer le salaire des enseignants et de tous les agents de la fonction publique, appliquer la gratuité à l’éducation garantie par la Constitution, accélérer et déployer la bancarisation jusqu’au fond du territoire national et adapter le programme national d’enseignement.

En outre, les enseignants devraient cesser de peser sur le dos des parents. Ils doivent refuser de continuer à manger simultanément sur deux plats: le maigre salaire de l’Etat et la prime des parents. En revendiquant leur dû auprès du gouvernement congolais, ils doivent simultanément dire non au régime de la prime. A ce moment-là, ils auront l’appui et la solidarité des parents dans ce combat de revendication. Les églises elles aussi devraient se pencher du côté des pauvres (la population) et non du côté des commerçants de l’éducation. C’est elle qui, pour sauver l’éducation, en des temps très difficiles avait pris l’initiative de la prime. C’est elle qui, aujourd’hui, devrait avoir une parole prophétique pour y mettre fin.

vendredi 15 août 2014

Les églises au Congo, un opium du peuple!

La configuration actuelle des églises ainsi que celle de leurs animateurs locaux n’offrent aucune chance à une quelconque libération du peuple congolais. Beaucoup de pasteurs sont devenus des collabos indéfectibles du pouvoir et des bourreaux du peuple. Que ce soit du côté des catholiques comme chez les protestants et autres. Le message de libération, d’amour du prochain apporté par Jésus-Christ et les autres croyances se trouve de plus en plus aliéné par des antis valeurs, qui gangrènent et caractérisent les églises et leurs hommes. Avec ces Eglises, aucune révolution n’est possible au Congo sauf si elles se ravisaient. Les comportements des pasteurs désorientent et déçoivent tellement le peuple qu’il se sent délaissé voire trahi par certains de ses bergers. Beaucoup de congolais attendent finalement des miracles célestes pour être libérés de la situation socio-politique critique qu’ils vivent.

D’après Cleas Nlemvo, hormis les partis politiques congolais, les églises de réveil présentent aussi un fort taux de pénétration en RDC. Leur nombre ne cesse de s’accroître, jour après jour. Vu leur prolifération, il paraît évident que ces groupuscules religieux deviennent une affaire lucrative dans laquelle les autoproclamés hommes de Dieu se remplissent les poches de toutes les manières possibles. Beaucoup d’églises sont pleines d’opportunistes en quête d’argent quelles que soient leurs origines. Les politiciens passent par elles pour se faire une base électorale en faisant des dons aux différents chefs spirituels (grosses sommes d’argent, voiture VIP, parcelle ou maison,…). Et là où il y a des résistances, ils opposent et divisent les acteurs religieux entre-eux. Ainsi on voit des prêtres qui, au nom des intérêts politiques privés, n’obéissent plus à leurs évêques malgré leur vœu d’obéissance; des pasteurs qui se disputent entre-eux et qui n’émettent pas un même point de vue sur certaines questions sociopolitiques, etc. Beaucoup de prêtres, voire des évêques, n’ont plus toute l’estime sociale ni même la sacralité qu’on leur reconnaissait il y a seulement quelques années.

Selon les statistiques de la division de la justice, jusqu’au 10 mai 2014, le Sud-Kivu comptait à lui seul 577 églises répertoriées, toutes tendances confondues (catholique, protestantes, églises de réveil et musulmans). Les églises de réveil foisonnent à l’instar des ONG, des associations sans but lucratif mais sont en réalité des associations à but lucratif.

La force des églises est que chaque citoyen congolais prie quelque part et est prêt à mettre en pratique les recommandations de son pasteur. Ceci est un atout qu’elles devraient exploiter pour aider le peuple de Dieu à travailler aux fins de se libérer des liens sociaux, politiques et « mystiques » au lieu de s’adonner seulement à la prière magique, salvatrice.

Les églises comme les écoles font partie de ce que le sociologue français Louis Althusser appelle les appareils idéologiques de l’Etat. Ces derniers, contrairement aux appareils répressifs d’Etat qui utilisent la contrainte, utilisent la persuasion pour assurer la légitimité de l’idéologie dominante. Ils ont pour fonction justement de produire et de diffuser l’idéologie de la domination.

Les Eglises congolaises actuelles, sous réserve d’une mince exception, jouent bien aujourd’hui ce qu’Antonio Gramsci a appelé la fonction intégrative de l’idéologie. Selon lui dans chaque système politique, il y a toujours une situation d’hégémonie à un moment donné de telle sorte que toute action contraire ou toute idée sont taxées de subversives. Cette hégémonie est souvent produite, assurée et diffusée par des intellectuels liés au pouvoir, les intellectuels organiques. C’est la domination des intellectuels. Et très souvent les classes ouvrières, celles des dominés, se joignent à ces intellectuels empêchant ainsi toute révolution de se faire. L’auteur continue et soutient que le lieu de rassemblement et de production de réseaux d’amitiés et de croyance qui empêche les dominés de percevoir leur situation de dominé, c’est l’église.

A l’Est de la RD Congo, certains chefs rebelles étaient eux-mêmes pasteurs, évangélistes ou fervents pratiquant ou croyant des églises protestantes. C’est le cas de Laurent Nkundabatware du CNDP, Jean-Marie Runiga du M23, Azarias Ruberwa du RCD/Goma,… La capacité de mobilisation reconnue aux pasteurs des églises est devenue très mitigée et discutable.

La situation de nos églises vue, vécue et analysée de très près est telle qu’elles sont tombées dans le guet-apens du capitalisme sauvage; devenues trop lucratives, du moins beaucoup de leurs animateurs, elles n’ont plus le message de libération et de liberté apporté par Jésus il y a 2000 ans. Beaucoup d’entre elles se sont laissé soudoyer par le pouvoir, elles ont reçu et reçoivent encore des biens et argent des politiciens... Il y en a qui ont un salaire mensuel dit-on. Les exemples sont légions. Bref, beaucoup d’elles sont devenues des lieux par excellence du lucre, des antivaleurs : corruption, mensonge, détournement, clientélisme, tribalisme qui a détruit l’universalisme reconnu à l’Eglise. Avec une interprétation alambiquée de la Bible.

Néanmoins, même si les choses semblent être les mêmes un peu partout, il sied de remarquer toutefois que l’église catholique demeure encore hiérarchisée et organisée en dépit de quelques dérapages regrettables de certains prêtres, certains évêques et beaucoup de fidèles. Elle manque de plus en plus d’autorité sur ses prêtres et fidèles. Les évêques catholiques restent unis sur la doctrine et l’enseignement de l’Evangile: unis, ils le sont à travers la conférence épiscopale des évêques du Congo « CENCO » mais cette unité semble être fragile surtout lorsqu’il s’agit des questions politiques nationales. Il n’y a pas souvent unanimité sur certaines prises de position politiques, pourtant il est clair selon Saint-Augustin, que la cité terrestre prépare à la cité de Dieu.

Les églises dites de réveil sont une création de la CIA américaine pour, non seulement fragiliser et contrecarrer l’église catholique, mais aussi pour distraire les populations afin qu’elles n’aient pas le temps de penser profondément à leur situation socio-politique mais qu’elles s’en remettent à la prière et à Dieu. C’est aussi une injection des germes de la pauvreté et du sous-développement dans la société puisqu’en s’adonnant trop à l’église, beaucoup oublient de travailler et pensent vivre l’évangile qui dit que les oiseaux du ciel ne cultivent ni ne moissonnent mais le Dieu du ciel leur donne toujours à manger.

Dans tout cela, le dommage pour l’église catholique qui perd progressivement sa puissance de conviction et de persuasion à cause de plusieurs raisons, pour vouloir arrêter le départ de ses fidèles vers ces églises de réveil, commence à les imiter lentement dans leur façon de faire, ce qui perd encore son authenticité. On doit plutôt réformer et élever la morale de l’église catholique pour qu’elle espère gagner encore la confiance de ses fidèles et les fidéliser davantage.

Pourtant si les printemps arabes ont réussi dans l’Afrique du Nord, c’est aussi grâce à l’implication et au soutien des leaders religieux aux mouvements des populations qui voulaient se libérer des régimes dictatoriaux.

Il va falloir que les églises congolaises s’inspirent bien de la théologie de libération qui a permis au peuple sud-américain de prendre conscience de sa situation et de briser les chaînes qui le liaient. Il faut changer le théisme avilissant par un théisme libérateur.

mercredi 25 juin 2014

Plaine de la Ruzizi, encore et encore… Entre l’inéluctable et l’impondérable

Dans la nuit du 6 au 7 juin 2014, dans la plaine de la Ruzizi, et plus spécialement dans le village de Mutarule, des scènes macabres se sont encore déroulées. Une trentaine de personnes, femmes et enfants, ont été lâchement massacrées à quelques mètres d’une position des militaires FARDC. Des femmes enceintes et des bébés de moins d’un an ont été éventrés, d’autres égorgés ou tués par balles. On se souviendra qu’il y a pratiquement un an (mai 2013) un autre massacre contre des civils innocents avait été commis. Huit personnes avaient alors été tuées, cela sans compter toutes les personnes massacrées de manière isolée dans cette plaine. Et comme d’habitude, une enquête avait été ouverte et jusqu’aujourd’hui, elle est toujours en cours. Alors qu’elle n’a pas abouti, un autre massacre beaucoup plus important en termes de victimes vient d’être commis contre une seule communauté. La communauté de Bafuliru, une de plus importante dans cette partie de la province. Selon le modus operandi, cet ignoble crime devrait être qualifié de génocide.

Il y a un an que notre centre d’analyse politique et des stratégies pour l’action (CAPSA-GL aisbl) publiait sur ce blog un article sur la situation de la plaine de la Ruzizi ("Sud Kivu, dans la plaine de la Ruzizi, le pire est possible!" en date du 2 mai 2013). L’article dénonçait une situation qui était déjà au bord de l’explosion au regard des indices et faits qu’on notait dans cette plaine. Un certain nombre d’éléments permettait à l’analyse de prédire ce qui vient de se passer en ce mois de juin et qui, malheureusement, risque de n’être que le début ou la suite d’un cycle de violences si l’administration congolaise n’agit pas vite et bien. A la publication de l’article, un certain commentaire très subjectif et plutôt partisan niait le fond de l’article. Mais comme la vérité est têtue, les faits macabres de ce mois de juin sont sans commentaire.

Aujourd’hui, aucune analyse sérieuse ne peut ni ne doit séparer les faits qui se vivent à l’Est de la RDC en général et dans la plaine de Ruzizi en particulier du contexte régional créé par le régime de Kagame. Lorsqu’on parle de la xénophobie, de la haine ethnique, il faut reconnaître que tout cela n’existait pas dans la région avant la guerre de 1994 au Rwanda et l’avènement du régime de Kagame. Tout cela n’est que stratagème et création propre des politiques extrémistes pour dédouaner leur pouvoir au niveau international. En dépit de toutes les peines que le régime extrémiste de Kigali a fait subir aux Congolais, ces derniers ont refusé de tomber dans le guet-apens du génocide tendu régulièrement par ces extrémistes aujourd’hui parsemés partout dans les grands-lacs.

Beaucoup d’actes ignobles ont été commis et le sont encore contre les populations civiles congolaises pour justement réveiller et attiser avec beaucoup d’acuité la xénophobie, la haine contre les tutsis mais hélas… La culture de la mort étant une importation des pays voisins, les Congolais sont restés égaux à eux-mêmes.

Au cœur du problème dans la plaine se trouve la question de la soi-disant et incompréhensible « chefferie de Barundi au Congo » (lire l'article précédent sur ce blog). Il y a aussi la manipulation des identités d’une partie de la population qui veut s’inscrire dans la logique ô combien rentable du Rwanda: la victimisation, la minorité ethnique, la xénophobie.

La passivité et le silence du gouvernement congolais frise une complicité manifeste. Lorsque la population interprète les réactions du gouvernement, elle ne s’empêche plus d’avancer la thèse de la complicité avérée du gouvernement national. En se basant sur le passé récent, on se souvient qu’au 28 mai 2013 il y a eu des émeutes dans la ville de Bukavu (vers le quartier Nguba) entre des jeunes ivres qui s’étaient bagarrés dans un bistrot. Et tout à coup, l’affaire fut politiquement récupérée et devint une question de communautés. Il y avait eu des dégâts et des blessés. A ce moment-là, une forte délégation du gouvernement national était venue à Bukavu avec une grande mobilisation humanitaire. Aujourd’hui, devant le massacre de Mutarule, on ne sent pas la même mobilisation et condamnation. Pourquoi deux poids deux mesures? Un mal est un mal partout et pour tout le monde et tout le temps. On doit le combattre de la même manière toujours. La complicité?

L’irresponsabilité politique et militaire


Pour justifier le massacre du 6 juin 2014 à Mutarule, certaines autorités ont avancé que ce sont les voleurs des vaches qui ont été tués. L’opinion se demande alors si des enfants de moins d’un mois et des mamans enceintes étaient aussi des voleurs de vaches? Une grande partie des victimes était en prière dans une église protestante de la CEPAC à la veille de la Pentecôte. Eux aussi étaient-ils des voleurs des vaches?

Qui a donné l’ordre aux militaires FARDC de ne pas intervenir alors qu’ils n’étaient pas loin de là? Tout ce qu’on sait à l’heure actuelle est que les soi-disant vaches volées appartiendraient à un grand officier de l’armée congolaise en poste dans la province du Sud Kivu. Aurait-il alors intimé l’ordre aux militaires de ne pas intervenir? Une enquête indépendante ainsi que la justice devront le prouver. Combien de vaches valent une personne pour qu’on tue lâchement 37 personnes, femmes et enfants inclus?

Nos hypothèses


D’après l’expérience dans la plaine, ceux qui volent les vaches sont les bergers entre-eux ou des hommes en armes. Mais chaque éleveur ou berger sait toujours reconnaître ses bêtes quelles que soient les circonstances. On ne peut pas chercher les vaches perdues ou volées dans une église ni dans un centre de santé ni même dans des familles. Ces vaches ne vivent pas dans des maisons.

Ce massacre mis dans le contexte politique actuel du pays peut s’interpréter comme une terreur magnifiquement orchestrée pour empêcher à la population de revendiquer ses droits dans les étapes politiques prochaines qui s’annoncent violentes.

Le pays se trouve dans un virage qui conduit vers la révision constitutionnelle. Le pouvoir en place sait qu’une telle démarche est une provocation pure et simple qui n’aura jamais l’adhésion populaire mais qui, par contre, va révolter la population. Comment alors l’en empêcher? Il faut créer la terreur pour faire peur à la population et étouffer ainsi toute idée de révolution… Mais attention aucune arme au monde ne peut empêcher un peuple décidé à mourir. Une autre hypothèse inscrit ce massacre dans le schéma traditionnel de créer un tutsi land à l’Est de la RDC. Ce processus passe par la stratégie des colonies de peuplement organisées à l’issue des tueries collectives obligeant ainsi des populations autochtones à fuir leurs milieux de vie. Une fois qu’ils auront fui, des nouveaux occupants viendront s’installer. S’il y a résistance des autochtones à ne pas quitter et à se défendre l’on crie à la xénophobie, à la haine contre la minorité.

Il est pourtant inéluctable que toutes les communautés vivent ensemble dans la plaine de la Ruzizi mais pour combien de temps encore le massacre des civils innocents restera-t-il impuni? On ne conçoit plus le pouvoir sans le sang dans les Grands Lacs. Faudra-t-il tuer des personnes chaque fois que les vaches disparaîtront dans cette partie du pays?

mercredi 11 juin 2014

Les conflits fonciers, une menace dans les Grands Lacs africains

Dans les Grands Lacs africains, la question foncière se pose avec acuité. La façon dont elle se règle est largement injuste. Elle n’est pas durable et pourrait déboucher sur de sérieux conflits violents dans un avenir plus ou moins proche. L’histoire coloniale, les rivalités ethniques exacerbées expliquent beaucoup de choses. Pourtant, on ne peut se résoudre à y trouver les seuls éléments d’explication.
La redistribution des terres se réalise en réalité suivant une logique d’appropriation capitaliste, au profit d’abord des grands groupes miniers multinationaux, ensuite dans la logique d’une restructuration capitaliste de l’agriculture et enfin dans la logique de l’accumulation de richesses par une nouvelle bourgeoisie locale.

Les problèmes fonciers dans la région des Grands Lacs africains ne trouvent pas beaucoup d’échos dans les informations sur la région, pourtant la menace qu’ils font peser sur la paix est imminente et assez élevée…

Dans la suite des conflits interethniques au Rwanda et au Burundi, des rébellions successives ainsi que la croissance des groupes armés en République Démocratique du Congo, la question foncière constitue un danger à prendre au sérieux dans ces pays où les plaies des génocides n’ont pas encore été totalement pansées. Certes, au Burundi et au Rwanda, ce problème est sous-jacent aux divers conflits interethniques qui sévissent dans ces pays mais il mérite urgemment une attention particulière. Mieux qu’au Burundi et beaucoup mieux qu’au Congo-Kinshasa, on pourrait dire que le Rwanda a pris au sérieux la mesure de cette menace, mais tout reste éphémère et hypothétique si les mesures et les stratégies prises pour juguler ces conflits s’inscrivent dans la logique de la justice du vainqueur.

La question de la terre est un problème réel dans la région. Seulement elle se pose différemment selon le contexte socioculturel et politique de chaque pays. C’est pourquoi, tout en restant aussi querelleuse partout, elle est différemment perçue. Au Rwanda, on semble l’avoir maîtrisée mais au Burundi elle est très vive malgré les efforts fournis et en RD Congo elle prend de plus en plus d’ ampleur dans les zones rurales et les zones d’exploitation minière ainsi que les aires protégées, etc.

Le paradoxe est qu’il y a de plus en plus de paysans sans terre et de plus en plus de terres non occupées mais déjà attribuées. Depuis les années 60, la sous-région a connu des crises qui ont conduit à des mouvements en dehors ou à l’intérieur des pays. La situation s’est exacerbée les 20 dernières années avec l’assassinat du premier président élu démocratiquement au Burundi, Melchior Ndadaye (1993), le génocide rwandais (1994) et les guerres successives au Congo allant de 1996 à nos jours. Tous ces sinistres événements ont obligés les citoyens à fuir en abandonnant leurs biens meubles et immeubles. Mais longtemps après, quand ils retournent ou sont rapatriés, comment récupérer leurs terres déjà confisquées par ceux qui sont restés (résidents) ? Comment départager des personnes qui se disent tous propriétaires d’une terre surtout lorsqu'au fond des revendications se trouve cachée la question « indicible » de tutsi et de hutu ?

Rwanda

En 1937, l’administration coloniale à la recherche d’une main d’œuvre pour le Congo belge, organisa une migration des Rwandais vers le Congo. Ces gens furent installés dans les zones vides, d’autres dans des zones appartenant à certains clans, familles. En 1957-59, sous Kayibanda, les Tutsis quittèrent le pays. Ils abandonnèrent leurs biens et restèrent 35 ans en dehors du Rwanda. En 1994, le FPR prit le pouvoir et ces Tutsis rentrèrent au Rwanda les uns cherchant à récupérer leurs biens, d’autres ne sachant plus identifier leurs terres, occupèrent de bonne ou mauvaise foi les terres des Hutus ayant fui en 1994. Quelques années plus tard (1999), les Hutus commencèrent à rentrer, eux aussi devaient récupérer leurs terres et maisons occupées par les nouveaux vainqueurs du FPR. Les problèmes se posèrent alors avec acuité mais le gouvernement adopta une série de stratégies pour résoudre tant soit peu le problème : partage de la parcelle entre le résidant et le rapatrié lorsque les deux la revendiquent, restitution totale de la maison, institutionnalisation et constitutionnalisation des comités de médiateurs locaux dans les conflits fonciers appelé les « Abunzi » ayant pour rôle de fournir un cadre de conciliation obligatoire préalable à la saisine des Juridictions classiques; ainsi 30.768 Abunzi ont été élus. Ces structures sont sous la coordination du ministère de la justice. Elles ont fait leurs preuves car plus ou moins 80% des cas sont résolus par les Abunzi, dixit les autorités. Le problème c’est que le gouvernement rwandais tombe dans l’autosatisfaction et n’est plus en mesure d’établir le degré d’appropriation et de satisfaction de la population sur le traitement de conflit. Lorsque quelqu’un qui se reconnait vrai propriétaire de la parcelle est obligé de la partager avec un autre, le fait-il de bon cœur ou pour éviter de pépin dans un pays où il n’y a pas de liberté d’expression, où il y a une ethnie qui se considère comme la victime et l’autre considérée comme le bourreau ?

Au Burundi, 

l’alerte est au rouge. Comme au Rwanda, les conflits fonciers sont liés à l’histoire socio-politique du pays. Tout a commencé avec le pouvoir militaire du Général Michel Michombero qui a renversé la monarchie en 1966. Sous son règne le climat politique et ethnique fut malsain. Des rivalités politiques pour l’accès au pouvoir s’intensifièrent et furent malheureusement exploités sous forme ethnique, régionale et tribale. Le 29 avril 1972 des attaques attribuées successivement aux groupes monarchistes pour libérer le Roi Ntare V, aux groupes mulelistes ainsi qu’ « abarundi b’ibipfamutima » connu sous le nom « d’Abamenja ». Ces groupes furent signalés dans le sud du pays et nombreuses victimes tutsies ciblées dans ces attaques y laissèrent la vie.
De mai 1972 à 1973, il y eut une répression généralisée et violente de cette révolte sur tout le pays causant des centaines de milliers de morts et le départ d’autres centaines de milliers de Hutus (selon plusieurs observateurs); réattribution de nombreuses terres délaissées à de nouveaux occupants principalement tutsis. Désormais chaque régime au pouvoir gérait la question à sa façon : Michel Michombero, Jean-Baptiste Bagaza, Pierre Buyoya. En avril 1994 (le 29), à la suite de l’assassinat de Melchior Ndadaye, premier président démocratiquement élu, il y eut un soulèvement et massacres ciblés causant la mort d’environ 100.000 Tutsis suivis de représailles massives de l’armée (essentiellement tutsie) causant la mort de plusieurs dizaines de milliers de Hutus ; cela occasionna encore de nouveaux déplacements de populations suivis d’occupations foncières spontanées sur des terres délaissées. Au cours des négociations d’Arusha, un accord fut signé prévoyant notamment la création d’une Commission Nationale de Réhabilitation des Sinistrés (CNRS) chargée de régler les contentieux fonciers liés aux violences depuis l’indépendance et la mise en place des fonds d’indemnisation.
La réalité est qu’après la fuite des Hutus en 1973 et en 1993, le pouvoir tutsi a octroyé des titres de propriété à une grande partie de Tutsis riches de la ville qui se sont appropriés beaucoup de terres dans les villages ainsi qu’à d’autres qu’on appelle aujourd’hui les résidents. Avec l’avènement de Pierre Nkurunziza au pouvoir en 2005, les Hutus ont commencé à rentrer au pays. Dès lors, les conflits fonciers deviennent de plus en plus ouverts et susceptibles de tourner à la vengeance et au règlement de compte interethnique. Pour essayer de régler les contentieux fonciers, le régime en place a institué une Commission Nationale dite des Terres et autres Biens (CNTB) qui privilégie d’abord le partage entre rapatriés, propriétaire des terres et l’occupant. Ce partage engendre de l’insatisfaction dans le chef des uns qui le jugent injuste et inéquitable. Il faut savoir que depuis sa création en 2006 jusqu’au 30 mars 2014, la CNTB a enregistré sur toute l’étendue du territoire national 39.002 contentieux fonciers dont - d’après elle - 15.579 réglés à l’amiable et 11.711 en suspens. Pourtant, rien n’est sûr. Les conflits sont très visibles principalement dans la province de Bururi en commune de Rumonge (Sud du pays). Rien n’exclut que surgissent un jour des violences liées à cette question foncière puisque cette commission n’a pas la confiance de toutes les parties. Pour des raisons subjectives, les résidents (essentiellement tutsis) font confiance aux juridictions classiques tandis que les rapatriés font confiance à la commission nationale des terres et autres biens.

En RD Congo, 

le tableau est autre. Les conflits fonciers ne sont pas nécessairement liés à l’histoire tragique du pays mais d’abord lié à ces migrations coloniales qui ont occupé des terres des autochtones, ce qui explique le conflit de 1947, 1965 dans le Nord-Kivu. En 1994, les réfugiés hutus rwandais sont arrivés fuyant le génocide et se sont installés avec armes dans des champs de citoyens congolais, les empêchant de jouir de leur propriété.
Ensuite, les différentes rébellions et les groupes armés ont créé un mouvement des déplacements internes de la population estimée à 2.000.000 jusqu’aujourd’hui. Dans certains territoires comme Fizi, la population a fui vers la Tanzanie, certains sont revenus mais leurs terres ont été spoliées par des plus forts.
Par ailleurs, d’autres conflits fonciers récurrents au Congo sont liés à l’exploitation minière par des entreprises (Maining) étrangères avec lesquelles le gouvernement congolais signe des contrats léonins et auxquelles il octroie des zones d’exploitation sans tenir compte de la population vivant sur cet espace. C’est le cas de l’entreprise canadienne Banro qui chasse depuis son arrivée des populations de leurs terres ancestrales (cas d’un endroit dit Mukungwe dans le sud-est du Sud-Kivu).
Aussi il y a la question des aires protégées. Les textes de lois qui créent ces aires ne tiennent pas compte de la population riveraine dans leur délimitation. On les dépossède inhumainement de leurs terres au profit de ces espaces. C’est le cas des pygmées vivant aux environs du parc national Kahuzi-Biega qui errent aujourd'hui et sont condamnés à disparaître. La loi foncière est en croisement avec la loi minière et la loi environnementale, ce qui crée une cacophonie dans la gestion de la terre en RDC, particulièrement à l’Est.
Ensuite, dans le processus de décentralisation, le découpage territorial ne tient pas compte de la réalité socioculturelle et économique des terres paysannes. La création des nouvelles villes et cités va exacerber le conflit foncier en République Démocratique du Congo.
La loi foncière dit que le sol et le sous-sol appartiennent à l’Etat. Au nom de ce principe, les préposés de l’Etat congolais ont abusé par une distribution désordonnée des titres de propriétés. Les terres rurales sont les plus vulnérables puisqu'elles ne sont pas toutes sécurisées par des titres fonciers écrits. Elles se passent de père en fils. C’est pourquoi les riches et les politiciens s’accaparent injustement aujourd'hui des champs de paysans en brandissant de faux titres de propriété reçus en ville. Les endroits et espaces les plus fertiles ont été rachetés ou ravis par eux. Ces espaces restent en jachère alors que la population tout autour a besoin de là où cultiver.

Beaucoup de problèmes se ressemblent dans les 3 pays: 

conflit de délimitation parcellaire, conflit de transhumance entre éleveurs et agriculteurs, conflit d’héritage et de succession, conflits liés aux mouvements internes et externes des populations, conflits entre les grands concessionnaires et les petits exploitants, conflits entre rapatriés et résidents et la démographie galopante crée la rareté de la terre. En effet ce dernier aspect du conflit lié à la démographie est une réalité commune pour les 3 pays. Partout la population croît rapidement et cela crée un besoin en espace, cependant au Rwanda et au Burundi il y a une mauvaise perception selon laquelle le Congo serait vide. C’est faux parce que tous les espaces apparemment vides au Congo, ont déjà leurs propriétaires. C’est cette perception qui explique aujourd'hui pourquoi autant de rwandais se font passer pour des réfugiés congolais d’expression rwandaise mais qui, en réalité ne savent rien du Congo, ils confondent le nord pour le sud, un village à un autre, etc.

Les gouvernements de la région doivent prendre cette question foncière au sérieux, il en va de la paix et de la lutte contre la famine. Gouverner c’est prévoir et prévenir. Des politiques publiques foncières fondées sur des réformes en profondeurs et axées sur une bonne redistribution équitable de la terre seraient une solution durable.

Traiter la question sous l’angle ethnique pour des fins politiques est une erreur stratégique. On ne doit pas déshabiller Saint-Paul pour habiller Saint-Pierre. Il faut la justice, l’indemnisation et le règlement à l’amiable. La justice des vainqueurs est une solution trop risquée pour l’avenir. Il faut des solutions nationales efficaces pour une paix régionale. Chasser le naturel, il revient au galop. Quoi qu’il en soit et qu’il en coûte, la gestion de la terre est une condition sine qua non pour la paix dans la sous-région.

jeudi 15 mai 2014

RDC: la révision constitutionnelle. Un pas de danse, un pas dans l’enfer!

La valeur symbolique et la place de la Constitution dans la hiérarchie des normes donnent une acuité particulière à la question de sa protection. Dans tous les pays civilisés, sa suprématie tient aux défenses dont on a voulu l’entourer. Comment protéger la Constitution des entreprises des ambitieux et des habiles que l’importance des enjeux du pouvoir politique ne manque pas de susciter? Et des erreurs des incompétences?

Les calculs actuels de la majorité présidentielle Congolaise de vouloir réviser ou mieux de changer la Constitution ressemble à un jeu d’enfants. C’est en fait le jeu au bord du lac. L’intelligence et la beauté de ce jeu réside dans la capacité de celui qui le conduit à éliminer les uns et les autres en les renvoyant -par leur inadvertance aux consignes- dans le lac ou au bord quand il ne le faut pas, jusqu’à avoir un gagnant qui sait exactement agir avec attention en fonction des manipulations de la formule "dans le lac, au bord". Ça fait la danse mais aussi l’enfer.

Au moment où tous les congolais veulent rester au bord du lac pour protéger le processus démocratique chèrement acquis, la majorité présidentielle veut absolument jeter tout le monde dans le lac à travers la concoction d’une révision constitutionnelle qui défraie la chronique aujourd’hui en République Démocratique du Congo. Pour le régime Kabila c’est un pas de danse qu’il faut faire pour continuer à jouir des prestiges du pouvoir mais pour le peuple c’est l’enfer. Comme qui dit que qui a bu boira !

Une révision anticonstitutionnelle ?

Non, la Constitution elle-même prévoit sa propre révision et il faut bien le reconnaître. Son article 218 dispose que : "l’initiative de la révision constitutionnelle appartient concurremment au Président de la République; au Gouvernement après délibération en Conseil des ministres; à chacune des Chambres du Parlement à l’initiative de la moitié de ses membres; à une fraction du peuple congolais, en l’occurrence 100.000 personnes, s’exprimant par une pétition adressée à l’une des deux Chambres. Chacune de ces initiatives est soumise à l’Assemblée nationale et au Sénat qui décident, à la majorité absolue de chaque Chambre, du bien-fondé du projet, de la proposition ou de la pétition de révision. La révision n’est définitive que si le projet, la proposition ou la pétition est approuvée par référendum. Toutefois, ajoute l’article, le projet, la proposition ou la pétition n’est pas soumis au référendum lorsque l’Assemblée nationale et le Sénat réunis en Congrès l’approuvent à la majorité des trois cinquième des membres les composant."

Seulement, ce qui fait tiquer c’est l’intention des acteurs et le moment choisi. A 24 mois de la fin du 2e mandat constitutionnel du président Kabila. Au Congo, une fois devient toujours coutume et dans la maison d’un pendu il ne faut jamais y montrer la corde. De 1960 jusqu'à 2011, date de la dernière révision, notre pays a connu, près de dix textes constitutionnels. On peut citer: la loi fondamentale du 19 mai 1960, la Constitution du 1er août 1964 dite Constitution de Luluabourg, la Constitution du 24 juin 1967 dite Constitution révolutionnaire révisée en juillet 1990, l’Acte constitutionnel de la Transition du 9 avril 1994, le Projet de Constitution de la 3e République élaboré par la Conférence Nationale Souveraine, le Décret-Loi constitutionnel n°003 du 27 mai 1997, la Constitution de la Transition du 9 avril 2003, la Constitution de la 3e République de 2006 révisée en février 2011.

Tous ces changements n’ont fait que défaire la démocratie, jusqu’à maintenir le pays dans un sous-développement criant sur tous les plans de la vie nationale. Le pays a connu une des plus longues dictatures du continent africain avec feu le Maréchal Mobutu. Curieusement, le schéma Mobutu semble être emprunté par le régime actuel. Seulement c’est anachronique et très hasardeux voire risqué pour le pays et ceux qui veulent mener vers ce pas-là. Six millions de morts injustes c’est assez pour ne pas l’oublier. Le pays est toujours sous menace des groupes armés et forces négatives. Une goutte d’eau de trop peut faire déborder la colère et la patience des congolais et conduire ainsi à un chaos fatal dont on ne se relèvera plus. La question est, à qui cela peut-il bien profiter? Aux partisans de la partition? A ceux qui vivent des désordres et de la faiblesse de l’Etat congolais? A ceux qui pillent systématiquement les ressources naturelles du pays et financent alors les rébellions?

En février 2011, le régime en place avait initié de manière cavalière une révision constitutionnelle qui a affecté sensiblement la marche vers la démocratie en réduisant désormais l’élection présidentielle en un seul tour et en assujettissant l’indépendance de la magistrature. Désormais les parquets dépendent du Ministère de la Justice. Ceci laisse entrevoir le problème de la manipulation de la Cour Constitutionnelle lors des élections présidentielles. Avec en toile d’illustration le cas de la Côte d’Ivoire avec Laurent Bagbo et Alassane Ouatara, la position de la cour constitutionnelle après élections.

Bien que la révision soit légale et une nécessité, pour le bien de la démocratie et de la paix au niveau national et même sous régional, elle n’est pas la bienvenue dans cet objectif de pérennisation au pouvoir. Les circonstances actuelles ne sont pas favorables à une révision constitutionnelle tant que le peuple ne fait pas confiance à la classe politique congolaise: non républicaine, corrompue et illégitime en partie.

Par ailleurs, pour qu’il y ait stabilité dans la région, les présidents actuels doivent accepter de quitter le pouvoir (Burundi, Ouganda, Rwanda, RDC, Congo-Brazza, Angola, etc.). Les députés burundais ont
fait preuves d’une grande maturité politique et d’un grand républicanisme en rejetant la révision constitutionnelle proposée par le régime de Bujumbura. Les autres députés ailleurs, seront-ils à même s’affranchir devant la corruption, l’achat des consciences et les intimidations des pouvoirs en place?

Une révision pourquoi faire ?

Dans les pays civilisés, la Constitution se présente comme une œuvre durable destinée à braver le temps. Ainsi sa protection est toujours la règle et sa révision une exception. Donc la décision de réviser, d’abroger une Constitution est un événement exceptionnel. Mais il faut admettre que la Constitution ne résiste pas indéfiniment à l’évolution de la société nous dit Philippe Ardant. Toute révision doit être poussée par la volonté de faire avancer la démocratie sans l’offusquer et de l’adapter objectivement au contexte. En Afrique, la logique est plutôt paradoxale, les révisions constitutionnelles imposent un recul dans le processus démocratique en installant des régimes autocratiques qui étouffent le principe de l’alternance au pouvoir et de la circulation des élites.

En RD Congo, ça sera un recul de 30 ans si la démarche de la majorité présidentielle aboutissait. Réviser la constitution en ses modes de scrutins signifie commencer la 4e république. Ce qui donne à Joseph Kabila la possibilité de remettre le compteur à zéro et briguer encore deux voire trois nouveaux mandats.

Une stratégie dans une autre ?

Les choses se suivent et se ressemblent. Il y a quelque peu, Evariste Boshab, un cacique du pouvoir publiait un livre intitulé "De la révision constitutionnelle ou de l’inanition de la nation congolaise". Avec cette publication, en tant que secrétaire du parti présidentiel, il jetait le pavé dans la marre et annonçait les couleurs. La messe noire du 20 mars 2014 dans la ferme présidentielle de Kingakati n’a pas retiré de la circulation la pétition pour un changement (différent de la révision) de la Constitution initiée par Claude Mashala de la majorité présidentielle.

En logique, il existe une règle selon laquelle en niant une chose on l’affirme. La politique congolaise s’adapte bien à la règle. Nier publiquement une chose en l’affirmant dans les actes? Napoléon ne disait-il pas que le mensonge n’est un mal que quand il nuit, c’est une vertu quand il rend service? Lorsque Lambert Mende, porte-parole du gouvernement congolais et Aubin Minaku, président de l’Assemblée national et secrétaire de la majorité présidentielle affirment que Kabila respectera la Constitution et ne briguera pas un 3e mandat, sont-ils en train de mentir, de le trahir ou c’est une simple fuite en avant? A notre sens, non. Sauf que pour mieux comprendre, il faut les mettre en lien avec la démarche de leur camarade, Claude Mashala qui a conçu un artifice, une renardière pour le changement de la Constitution. Ainsi, à en croire les discours officiels de Mende et Minaku, le président Joseph Kabila n’aurait pas voulu briguer un 3e mandat mais c’est le peuple qui le lui a demandé à travers la pétition de Mashala. C’est du déjà-vu. Moise Katumbi, gouverneur du Katanga face aux pépins qu’il avait eus avec sa famille politique, le PPRD, annonçait qu’il ne voulait plus être gouverneur mais entre-temps il envoyait des gens manifester en réclamant qu’ils ne voulaient que de lui comme gouverneur.

Le gouvernement de cohésion nationale ou mieux de collision nationale, le noyautage de l’opposition politique, la volonté d’organiser les élections au mode de scrutin indirect sont des traquenards qu’utilise le régime Kabila pour se pérenniser au pouvoir.

Qui sait ? Peut-être les ingrédients pour le printemps congolais seront bientôt réunis. La société civile ainsi que toutes les forces vives, l’Eglise catholique et les autres confessions religieuses doivent être à l’avant garde pour dire non à un éventuel coup d’Etat constitutionnel. Un pas de danse, un pas dans l’enfer, trop de mouvements il faut tirer attention.

Quoi qu’il en soit, bien que cela paraisse comme un vœu pieux, la phrase de Barack Obama devrait être un principe fondamental pour l’envol de la démocratie en Afrique. "L’Afrique n’a pas besoin des hommes forts mais des institutions fortes". Jusqu’à quand les Constitutions africaines resteront-elles encore des œuvres de circonstances et des instruments de liquidation de la démocratie au lieu d’être des véritables piliers de construction de la république ?

samedi 26 avril 2014

Le génocide rwandais tel que vécu à l’Est de la RDC : 20 ans après.

Le lundi 7 avril 2014, Kigali a commémoré les 20 ans du triste génocide rwandais déclenché juste après la destruction en vol le 6 avril 1994 de l’avion qui transportait les présidents Juvénal Habyarimana et Cyprien Ntagyamira du Burundi. L’histoire estime qu’à l’issue de ce massacre collectif, des milliers d’innocents furent lâchement tués, soit 800.000 à 1.000.000 de victimes, toutes ethnies confondues mais l’une moins que l’autre.

L’assassinat au Burundi du premier président hutu démocratiquement élu, Melchior Ndadaye en 1993 ainsi que le génocide rwandais en 1994, constituent de sinistres événements qui marqueront encore longtemps le contexte socio-politique de la sous-région des grands-lacs africains. L’ombre desdits événements malheureux plane toujours comme l’épée de Damoclès sur la région. Si certaines des populations des trois pays ont directement, tristement et avec acuité vécu ces situations, d’autres non-concernées ont pourtant subi et continuent à endurer interminablement les conséquences directes et lointaines de ces génocides. Les populations congolaises de l’Est ainsi que les jeunes générations rwandaises et burundaises nées après le génocide paient au prix fort de leur vie et de leur avenir les conséquences de la manipulation politicienne des identités.

En 1994, au Zaïre il y avait une effervescence politique liée au multipartisme politique annoncé par le feu maréchal Mobutu dans son discours historique du 24 avril 1990. Il y avait également une effervescence également liée aux agitations et à l’ambiance de la conférence nationale souveraine (CNS) à l’issue de laquelle plusieurs décisions avaient été prises parmi lesquelles la transition politique avec un gouvernement d’union nationale. Dans le Burundi et le Rwanda voisins, le sang coulait à flot et des milliers de gens fuyaient leurs pays d’origine pour l’Est du Zaïre (Nord et Sud-Kivu). Tiraillé par les enjeux politiques internes du moment, le gouvernement de Kengo Wa Dondo, actuel président du sénat, n’avait pas été en mesure de veiller avec vigilance sur ce qui se passait à l’Est du pays. Ainsi, ils ont laissé entrer de manière incontrôlée des hommes, des armes et des munitions sur le territoire national. Dans un premier temps, ces réfugiés s’installèrent vaille que vaille partout dans les villes de Bukavu et de Goma et dans les périphéries pas très loin des frontières de leurs pays d’origine. C’est là que commença le calvaire que traversent les populations de l’Est de la RDC depuis 20 ans.

Les enchaînements du génocide rwandais au Sud-Kivu

A l’annonce de la mort d’Habyarimana, le génocide fut déclenché dans la nuit du 6 au 7 avril et prenait une ampleur irréversible au fur et à mesure que le Front Patriotique Rwandais (FPR) conduit par Freud Rwigema et Paul Kagame avançait vers Kigali. L’afflux des réfugiés devenait immaîtrisable, débordant les services migratoires zaïrois de l’époque. Tout devint incontenable. La ville de Bukavu fut d’un coup dénaturée : tous ses arbres abattus en cascade, l’environnement ravagé et détruit, toute la ville devint puante car transformée en poubelle et latrines publiques. D’une hospitalité légendaire, la population locale dut supporter jusqu’à ce que le pouvoir en place et les humanitaires organisèrent des camps dans les territoires de Kabare, Kalehe, Walungu ainsi que dans le Nord-Kivu à Mugunga principalement. Depuis lors, la ville de Bukavu n’a jamais recouvré sa beauté d’antan : elle est restée dénudée, pâle, déboisée, déflorée, etc.

Sur le plan économique

Le tissu économique fut déstabilisé voire détruit. Le coût de la vie était devenu élevé, l’offre était largement inférieure à la demande d’autant que la production locale fut débordée et incapable de suivre. Beaucoup de ces réfugiés avaient pillés leur pays et en arrivant ils ont tout mis sur le marché à moindre prix. Conséquence: beaucoup de commerçants congolais ont alors fait faillite.

Par ailleurs, la famine s’est abattue sur la province puisqu’on ne produisait plus suffisamment pour tout le monde. La population locale était devenue nécessiteuse d’assistance humanitaire. D’aucuns pensent que la présence des humanitaires injectait une masse considérable de devises en circulation. Certes, mais le coût de vie ayant explosé, ces devises dévaluaient aussi. Le malheur des uns fait le bonheur des autres. Si quelques rarissimes personnes ont émergé économiquement à partir de cette situation, rares furent les commerçants tombés en faillite qui ont pu se relever.

Sur le plan environnemental

Le milieu était devenu malsain et exposé à des épidémies. L’écosystème a été lamentablement détruit.

Sur le plan développement

L’afflux massif des réfugiés rwandais et burundais à l’Est a accru le taux de prévalence des maladies sexuellement transmissible et du VIH/Sida. La prostitution étant devenue un moyen de vivre pour nombre de réfugiés, cela fut une occasion de propagation de ces maladies. Cela a justifié la présence très remarquée des humanitaires intervenants dans divers secteurs. Ces humanitaires ont étendu leurs actions à la population autochtone. Ceci a fini par créer de l’attentisme dans le chef de la population locale en abandonnant l’esprit d’auto-prise en charge communautaire. On observe une tendance à l’ONGisation de la vie communautaire espérant indéfiniment des financements et/ou des assistances en vivres et non vivres par les humanitaires. L’esprit de la gratuité est devenu un frein réel au développement communautaire dans le Kivu.

Sur le plan socio sécuritaire

La présence des réfugiés a forcément tenté de semer la culture de la haine tribale ainsi que les replis identitaires. Heureusement, cela a du mal à s’ancrer effectivement dans les sociétés congolaises. La haine ethnique n’est pas vraiment congolaise vu la diversité ethnique qui caractérise le pays. Le vocable de la «minorité» qui n’existait pas avant dans les sociétés congolaises de l’Est s’est installé et a pris de l’importance alors qu’à part les pygmées aucune ethnie ne peut se prévaloir de constituer vraiment la minorité sociologique ou numérique au Congo. Cette expression est venue des pays voisins où, justement, il y a une majorité et une minorité entre hutu et tutsi. Tous ceux qui se considèrent comme minorité prennent tous les autres congolais comme une seule ethnie. C’est une grande erreur d’appréciation pour des intérêts cachés.

A l’entrée des hutus rwandais, tous les tutsis qui vivaient au Zaïre et que beaucoup de citoyens zaïrois prenaient sans ambage comme des compatriotes, rentraient nuitamment au Rwanda sans dire au revoir aux voisins. Beaucoup d’eux sont revenus cette fois en 1996 avec l’Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération du Congo (AFDL) pour réclamer une nationalité collective.

Le pire de l’héritage, c’est la culture de la mort facile, les viols et violences sexuelles installés dans le grand Kivu. L’arrivée massive des éléments de l’ancienne armée rwandaise au Zaïre avec leur arsenal militaire a proliféré les armes légères et petits calibres (ALPC). Ceci a eu entre autres grandes conséquences, la formation des bandits armés, des groupes rebelles qui sévissent à l’Est du Congo depuis 20 ans. Depuis 1994, la RDC compte plus de 6.000.000 de morts. Cette culture de tuer facilement venue du Rwanda et du Burundi fait progressivement ancrage dans la société congolaise. En tout cas sous la deuxième république, il était rarissime de tuer à bout portant ou d’attaquer avec armes les habitations des gens. Les voleurs armés existaient, certes, mais leurs modes opératoires étaient si différents et souvent ils étaient identifiables. Aujourd’hui, on les appelle « des non autrement identifiables ».Tous ceux qui dévalisent les gens la nuit avec armes, viennent en parlant kinyarwanda qu’ils soient vrais rwandais ou pas.

Comme dans toute société, les violences sexuelles existaient au Zaïre aussi mais avec une faible intensité. Les fréquences et l’intensité avec lesquelles ces violences sexuelles s’abattent sur la société congolaise est une résultante lointaine du génocide rwandais. C’est devenu une arme de guerre de destruction massive et d’humiliation à grande échelle des communautés entières.

Sur le plan politique

La présence des réfugiés rwandais hutus au Congo constitue depuis 19 ans un prétexte pour Kigali d’attaquer le Congo. C’est devenu un cheval de Troie pour d’autres fins d’infiltration et tripatouillage de l’armée et services de sécurité congolais, de pillage des ressources naturelles, d’hégémonie tutsie et de balkanisation du grand Congo. Pour Kigali, l’existence des camps de réfugiés hutus à moins de 150 km des frontières étaient une menace dont il fallait se débarrasser. Il faut noter, en passant, que depuis l’entrée des rebelles de l’Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération du Congo (AFDL) avec Laurent-Désiré Kabila en 1996, les réfugiés hutus dans leur fuite ainsi que les militaires FPR incorporés dans l’AFDL ont pillés et détruits systématiquement les infrastructures économiques, sanitaires, scolaires. Ils ont même profané les richesses culturelles locales telles les résidences du mwami (chefs coutumiers), les églises, les statuts et monuments historiques, etc.

Même dispersés et très affaiblis dans la forêt congolaise au-delà de 200 km, les hutus rwandais constituent toujours un alibi pour Paul Kagame d’envahir la RDC. Pourtant, ils ne constituent pas un danger pour le Rwanda autant qu’ils en constituent pour le Kivu. C’est pourquoi il a créé et soutenu plusieurs mouvements rebelles formés essentiellement par des Tutsis avec quelques étiquettes congolais. Le Rassemblement Congolais pour la Démocratie (RCD/Goma), le CNDP de Laurent Nkundabatware et Jules Mutebusi, le M23 de Bosco Ntaganda et de Makenga, etc.

Le génocide devenu un fonds de commerce pour Kigali, a permis aux Tutsis de la sous-région d’adopter une attitude de victimisation vis-à-vis des autres populations voisines jusqu’à vouloir les asservir, à ne pas respecter les principes fondamentaux qui régissent les sociétés et les règles de jeux démocratiques. Les armes sont devenues leur seul moyen de porter leurs revendications. Malheureusement, la communauté internationale est tombée dans le piège du génocide rwandais tel que voulu par Kagame. Elle est devenue incapable de condamner farouchement le régime de Kigali pour ses crimes dans la région. Chaque fois qu’elle a osé, Kagame a sorti la carte de la responsabilité de la communauté internationale dans le génocide rwandais… et la suite on la connaît.

Il faut le confesser, si les Tutsis ont été massacrés au Rwanda par les Hutus en 1994, autant ces derniers l’ont aussi été au Congo par les militaires tutsis depuis 1996 jusqu’aujourd’hui et autant les congolais ont été tués par le FPR et l’armée ougandaise. Alors y a-t-il génocide et génocide ? Les Nations Unies ont sorti un rapport Mapping ainsi que beaucoup d’autres rapports d'experts pour étayer toutes ces accusations mais aucune mesure de justice n’a été entreprise.

Voilà comment depuis 20 ans, les congolais de l’Est en particulier et la RDC en général continuent à subir les effets lointains et néfastes du génocide rwandais. Personne ne sait jusque quand ? La communauté internationale, garant de la paix dans le monde, souffle le chaud et le froid avec une politique de deux poids deux mesures. Pour consoler Kigali du génocide, elle ferme délibérément les yeux sur ses crimes odieux à l’Est de la RD Congo. Mais c’est encore possible de stabiliser la sous-région en imposant le dialogue inter-rwandais, de favoriser la réconciliation entre les nations de la région dans le strict respect de la justice et du principe de l’alternance politique.

lundi 17 mars 2014

La mort de Mamadou Ndala, simple bavure ou acte planifié?

Le 2 janvier dernier, le colonel Mamadou Ndala, officier des FARDC, était tué dans l’explosion de son véhicule, non loin de Beni dans le Nord-Kivu. Cet officier avait conduit les troupes congolaises vers le succès total dans le combat mené contre la rébellion du M23. Certains auront dans un premier temps tenté de faire croire à l’implication du groupe armé sévissant en RDC, l’ADF-Nalu. Il semble pourtant beaucoup plus probable que le colonel fut attiré dans un traquenard monté par ceux qui n’avaient pas digéré la défaite de leurs poulains du M23. Il aurait ainsi payé le prix fort pour la victoire magistrale qu’il a donnée à la RD Congo.

1. Qui est ce Mamadou Ndala Moustapha?

Malgré ses trois noms à connotation ouest-africaine, Mamadou Ndala Moustapha est un digne fils de la RD Congo né en 1979 dans la ville de Watsa, en Province Orientale dans le nord-est de la RD Congo. Il n’a pas un cursus scolaire ou académique particulier. Il a intégré l’armée congolaise très jeune, en 1997, à l’époque où l’Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération de la RD Congo (AFDL) faisait sa fulgurante montée sur Kinshasa afin de mettre fin à la longue dictature du Maréchal Mobutu. Néanmoins, Mamadou fait partie de ces soldats mobiles qui ont récemment été formés par les instructeurs belges, angolais, américains, voire chinois pour les doter de capacités opérationnelles à se déployer rapidement sur les zones de combats à haut risque.
Colonel des Forces Armées de la République Démocratique du Congo (FARDC), Mamadou s’est vu confier plusieurs missions périlleuses dont la traque de Yakutumba à partir du Nord Katanga (axe Kalemie-Kabimba) dans les années 2011 d’où il s’était tiré vivant de justesse après que plusieurs de ses soldats y aient perdu la vie.
Il s’est plutôt révélé le personnage providentiel, l’oiseau rare pour la RD Congo dans l’épatante victoire en novembre 2013 des FARDC sur la coalition rwando-ougandaise; celle-là même qui, un an plus tôt, en novembre 2012 avait infligé une des plus grandes défaites aux FARDC avec d’innombrables dégâts humains et matériels sur les populations de Goma.
Sans minimiser les différentes contributions, dont particulièrement les missions de reconnaissance et d’identification des cibles ennemies facilitées par la Monusco en novembre 2013, les mérites et les talents de ce vaillant commando se sont vite révélés, à la grande surprise des coalisés et de tous les grands officiers qui l’ont précédé (1) dans cette tragédie de l’est de la RD Congo. Pour ce qui le différencie en tant que commandant, son secret aura visiblement été de n’avoir pas aligné aux fronts tous les sujets rwandais incrustés dans les FARDC au fil des négociations (2) antérieures truquées, d’avoir ravi les GSM aux militaires sur le champ de bataille afin de contrôler et coordonner sans interférence la communication militaire, d’avoir organisé convenablement le relèvement des militaires en des temps relativement courts afin de les renforcer et éviter ainsi de les exposer à la corruption légendaire (comme par le passé)…

La mort du Colonel Mamadou Ndala, ce 2 janvier 2014 à Matembo, une localité du territoire de Beni située dans le nord de la province du Nord-Kivu, est ainsi une perte énorme pour la RD Congo alors que son expertise pour pacifier l’est de la RD Congo en proie à une trentaine (3) de milices et groupes armés nationaux et étrangers était encore requise.


2. Infamie ou crime de lèse-majesté pour les coalisés et leurs complices nationaux!

Nombre de médias publics, communautaires et privés, brassent en cet instant une masse critique d’informations en rapport avec la mort tragique du Colonel Mamadou Ndala. Chacun oriente selon son angle de tir la lecture et l’analyse de la disparition de celui-là même que les congolais dans l’unanimité ont surnommé le libérateur de la province du Nord-Kivu. A la lecture des quelques analyses parcourues, la victoire sur le M23 n’a été rien d’autre qu’une victoire de l’armée congolaise sur l’armée rwandaise. Elle avait été pendant des décennies humiliée et soumise au dictat de cette dernière. Voilà l’infamie pour les coalisés et leurs complices nationaux et étrangers!

Néanmoins, il a été développé dans des analyses antérieures que les vrais détenteurs de la victoire sur le M23 sont sans nul doute multiples à la croisée des efforts conjugués à fois du gouvernement de la RD Congo, des FARDC, de la Monusco, de la Communauté internationale et de la population. CAPSA GL pointait du doigt chaque fois de manière plus particulière l’acteur-clef de chacune de ces composantes qui avait investi le meilleur de lui-même pour l’effectivité de la victoire. Mais comme de plus en plus se dessinait la part déterminante de ce jeune colonel trentenaire des FARDC dans l’écrabouillement de la coalition, la majorité de témoignages recueillis à ce jour sur le terrain et dans la littérature parcourue accréditent indubitablement la thèse de l’assassinat et sa corrélation directe avec la défaite militaire infligée au M23 et à ses alliés. Suite à l’assassinat du Colonel Mamadou Ndala, des mouvements populaires de grande envergure se sont organisés spontanément dans tout le pays pour désapprouver le forfait. C’est dire si nous avions raison d’identifier et de confirmer plus que jamais que c’est la population qui fut à la fois la véritable détentrice et bénéficiaire de la victoire sur le M23. C’est enfin le moment d’établir qu’au-delà de la population, c’est avec le concours des FARDC et particulièrement grâce au génie militaire et au doigté du Colonel Mamadou Ndala que le M23 a pu être pulvérisé.


3. Le rendez-vous de la mort : les lois du karma pour le héros Mamadou Ndala?

La mort subite du Colonel Mamadou Ndala, ce 2 janvier 2014, vient de l’inscrire sur le panthéon des héros de la RD Congo au même titre que les martyrs de l’indépendance (4 janvier 1961), Patrice Emery Lumumba et ses collègues Mpolo et Okito, Laurent Désiré Kabila (17 janvier 2001)… D’aucuns seraient tentés de dire à tous égards que le mois de janvier porterait le karma pour les héros de la RD Congo dès la première heure de l’indépendance en 1960.
Sa mort serait ainsi simplement offerte en cadeau à la nation pour galvaniser et raviver l’engagement pour la lutte et lui mériter une bonne fois pour toute, d’être affiché au panthéon de la république.
Le succès de Mamadou Ndala ne lui a certainement pas créé que des amis à l’interne comme à l’externe. Pour le commun de mortels, il vient d’en payer le prix fort.
Mais beaucoup pensent surtout à un acte planifié : son appel à Beni serait l’autel du sacrifice.
Voici l’esquisse d’éventuelles raisons récoltées çà et là juste après sa tragique mort:

  • La jalousie intra ou inter corps armés. On a ainsi entendu s’exclamer les soldats fidèles à Mamadou Ndala devant leurs frères d’armes de régiment basé sur le lieu de l’assassinat, « ils sont jaloux de notre succès dans le Rutshuru pour mettre fin aux jours de notre commandant d’opérations ! ».
  • Sans en préciser les commanditaires ni la filière exacte, certaines publications décryptées dans la presse locale feraient allusion à un versement d’une rançon de 300.000 USD qui aurait été versée pour motiver certains soldats à exécuter le plan macabre.
  • Les réseaux mafieux dotés de filières de ramifications en Ouganda, au Rwanda mais aussi des répondants en RD Congo (4) qui opèrent (5) à l'est de la RD Congo tirent un grand profit de la pérennisation de la guerre du M23. Pour ceux-là, Mamadou Ndala aura gravement menacé leurs intérêts. Bref, tous ceux qui trouvaient en sa personne un véritable obstacle à la réalisation de leur business ne pouvaient que se réjouir de sa disparition!
  • Quelques états voisins qui entretiennent depuis des décennies des visées de balkanisation de l’est de la RD Congo pour leurs intérêts géostratégiques et économiques et qui y ont investi un trafic considérable de la violence en vue d’une soumission totale des communautés locales et de les réduire au silence…
  • Pourquoi ne pas pointer également quelques ONGs internationales, humanitaires, voire du système des Nations Unies, qui verraient aussi dans la pacification de l’est de la RD Congo une fin de leur raison d’être en RD Congo…

4. Juste des manifestations populaires pour revendiquer!

La journée "Vile morte" décrétée le lundi 6 janvier par les syndicats et la société civile dans l'est du pays a été une réussite totale en terme d’expression d’une revendication pacifique de la population face à l’assassinat du Colonel Mamadou Ndala.

Cette journée vient encore une fois de plus de montrer qu’il ne faudrait pas se laisser aveugler par la victoire du 5 novembre dernier surtout qu’en RD Congo c’est quand les situations semblent s’améliorer et que les espoirs sont ravivés que surviennent souvent des situations inattendues et catastrophiques. Ainsi par exemple, avec l’indépendance de la RD Congo au 30 juin 1960, les Congolais avaient fêté la fin de la colonisation belge mais la fête n’a pas fait long feu car en peu de temps, Lumumba, l’artisan de cette indépendance, était assassiné et le pays tombait dans un chaos indescriptible. Des rébellions apparurent à plusieurs endroits du pays: la plus virulente étant la rébellion muleliste qui embrasa le pays entier depuis 1964. C’est alors que Mobutu prendra le pouvoir pour redresser les choses, mais hélas ce ne fut pas le cas car c’est finalement lui qui pendant trois décennies de règne sans partage enfoncera davantage le pays dans le gouffre avec une des plus longues dictatures de l’Humanité. C’est ce qui justifia trente ans plus tard, en 1996, l’accueil chaleureux donné à l’AFDL par nos populations assoiffées de paix et de bonne gouvernance pour avoir chassé Mobutu.
Mais à quel prix? Plusieurs accords toujours gardés secrets, dont celui de Lemera portant sur la gestion de l’espace Est-RD Congolais par les étrangers, mineront profondément cette "libération". La forte intrusion des étrangers, et en particulier des rwandais, dans la gestion directe de la res-publica effaça tout l’élan de la reconstruction et de la consolidation de la souveraineté de la RD Congo tant rêvée et noya les espoirs de tout un peuple… L’infiltration de l’armée et des services de renseignements par les étrangers (en particulier des rwandais), la porosité entretenue des frontières du pays compliquèrent davantage les équations. C’est une véritable gangrène jusqu’à ce jour. Avec de telles prémisses, la mise sur pieds des cadres légaux, dont la constitution de 2006 révisée en 2011, les élections libres et démocratiques, les institutions et l’administration publique, ne purent en aucun cas asseoir un état digne de ce nom.

Nous en subissons toujours les conséquences: 18 ans d’instabilité sociale permanente et d’insécurité sans nom pour la majorité des congolais au bénéfice d’une oligarchie hybride qui profite de cette misère généralisée en vue de s’enrichir et surexploiter à leur guise toutes les richesses (6) et potentialités du pays. En revanche, c’est l’oppression et la criminalité qui pousseront à l’exil politique et économique une bonne partie de l’élite désespérée, et à la reddition pure et simple les masses laborieuses (7) effarées qui ne savent plus à quel saint se vouer. Ce sera pourtant aussi pour quelques nationalistes l’occasion de développer de manière désespérée quelques mécanismes de survie dans un effort désespéré de prouver qu’au-delà de tout cela, une autre RD Congo est possible, cellle où fils et filles de ce grand et beau pays vivraient dans la paix, dans un pays uni et fort…
La journée "Vile morte" organisée et réussie ce lundi 6 janvier 2014 dans la province du Sud-Kivu est l’une des grandes manifestations visibles, à l’instar du grand mouvement qui a embrasé toute la RD Congo en 2004 afin de désapprouver la capture de la ville de Bukavu par le général félon Laurent Nkunda, précurseur du M23. C’est un signe qui ne trompe pas pour un peuple meurtri et qui entend mener avec constance une lutte pour son affranchissement face aux grands rendez-vous manqués de l’histoire. C’est un indice fort de l’unité de combat de tout un peuple contre ceux qui sont appelés à conduire sa destinée. Pour preuve, le mot d’ordre donné pour la ville morte de ce jour par les forces vives de la Nation a été contrecarré par les autorités politico-administratives mais la population n’a pas cédé! Cette cessation d’activités et de mobilité généralisées revêt un caractère très éloquent quand on sait que plus de 95% de cette population vit sous le seuil de la misère dite "au taux du jour" et doit inévitablement, pour survivre, se mouvoir au jour le jour pour avoir de quoi mettre sous la dent! Tout ce sacrifice parce que cette population voyait dans l’action du Colonel Mamadou Nadala la renaissance d’une RD Congo humiliée.

Dans son dernier article de 2013, le Centre d’Analyse Politique et Stratégique pour l’Action Grands Lacs africains (CAPSA-GL) a développé une réflexion sur la question suivante "À qui reviendrait la victoire contre le M23" et a, à contrario, poussé une analyse sur ce qui ferait que le M23 ait pu perdre cette guerre alors qu’il bénéficiait bien de plusieurs atouts, et non des moindres ! La non-adhésion de la population à leur cause fut identifiée comme la cause majeure de la défaite du M23.

Au demeurant, l’opération "Ville morte" prise comme moyen d’expression et de revendication des droits sociaux depuis l’époque de l’agression jusqu’à ce jour, est régulièrement contrecarrée et réprimée par la police. Celle-ci est régulièrement utilisée pour réprimer violemment les manifestations publiques, bien que la constitution ait consacré la liberté de manifestation. "Ville morte" reste certes un moyen efficace de revendication et d’expression, mais il est insuffisant. "Les chiens aboient et la caravane passe…" Pour des résultats plus tangibles et plus durables, les populations doivent développer des preuves à collecter sur le champ avant qu’on ne les ait effacées, afin de permettre aux organisations de la société civile de s’ériger en partie civile.


5. L’accréditation de la thèse de l’assassinat en appelle aux enquêtes?

Sans enquête crédible, il sera difficile d’identifier les véritables coupables de la mort de Mamadou Ndala et de rétablir toute la vérité.
En se référant aux dernières enquêtes portant sur l’assassinat de Floribert Chebehya, président de l’asbl congolaise "Voix des Sans Voix", le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme avait stigmatisé ce qu’il a en son temps qualifié de crash de droits de l’homme en RD Congo. Malgré les efforts insistants des organisations de défense des droits de l’homme ainsi que des familles de victimes pour revendiquer la vérité et que justice soit faite, rien n’a jamais bougé. Y aurait-il certaines complicités tant à l’interne qu’à l’externe? On peut se poser la question quand on observe que certains officiels convoqués refusent de se présenter. La lenteur avec laquelle les dossiers sont instruits et les procès initiés pour chercher la vérité en dit long sur la volonté réelle de faire émerger la vérité. Le pouvoir judiciaire n’agit pas en toute indépendance dans la RD Congo et est souvent contraint à procéder à des remises interminables jusqu’à l’essoufflement voire l’usure des témoins et victimes et à l’effacement des preuves. C’est la même situation vécue dans la région des Grands-lacs africains pour le procès de Pascal Kabungulu qui depuis une décennie n’aura toujours pas eu de dénouement.
S’il se déclenche une investigation pour déterminer les responsabilités de l’assassinat de Mamadou Ndala et brimer le crime, quelles garanties auront nous qu’elle aboutisse?

Du reste, les analystes de tout bord et les communautés locales ne cessent à se demander sur base de quelles évidences (et sans enquête préalable) le gouvernement de la République s’est précipité à confirmer dans les médias que la mort de Mamadou Ndala était le fruit d’une attaque des rebelles ougandais identifiés comme membres de l’Alliance des forces démocratiques pour la libération de l’Ouganda (ADF-Nalu), alors que la zone de crime était contrôlée et sécurisée par les FARDC (quoique chapeauté par des commandants issus du RCD-CNDP d’antan) ?

A entendre les congolais s’exprimer dans les taxis et lieux publics, cette allégation ne convainc ni les habitants et encore moins les collègues d’armes du défunt Mamadou Ndala. Cela ne présage rien de bon. Cette affaire risque-t-elle aussi de s’évaporer dans une cacophonie politico-judiciaire? Ceci augure au contraire déjà un signal de nature à étouffer l’enquête et à obstruer les potentielles pistes plus probantes. En réalité, il y a probablement lieu de privilégier la thèse d’une planification et la piste porterait sur les éléments "rwandophones" intégrés dans l’armée comme exécutants. Mais seules des enquêtes crédibles appuyées par des experts nationaux et internationaux pourraient donner plus de lumière.


6. L’élévation au rang d’honneur!

L’organisation des funérailles luxueuses et l’élévation précipitée à des titres d’honneur posthume des héros nationaux servent parfois (raison d’Etat oblige…) à édulcorer les crimes politiques. On se débarrasse ainsi à bon compte de personnages dérangeants ou qui ont piétiné les intérêts du pouvoir ou fait ombrage à leur leadership.
En confirmant le fait que la zone de l’assaut fatal sur le véhicule de Mamadou Ndala était sous contrôle des FARDC et qu’en routine militaire la zone ait été préalablement prospectée avant le mouvement du commandant des opérations, la version selon laquelle la mort de colonel Mamadou Ndala serait le fruit d’une embuscade des ADF/ Nalu, tombe caduque.
Reste à se poser la question suivante : à qui profite le crime?


7. Que dire de plus?

L’épopée M23 maintenant partie en fumée, grâce à la bravoure de Mamadou Ndala, il ne faudrait pas faire l’erreur de croire que la question de sécurité dans l'est de la RD Congo soit résolue. Ce qui s’est d’ailleurs passé dans la nuit de Noël 2013 à Beni, dans le Nord-Kivu, est déjà de mauvais augure pour le pays. Après la perte de Goma des mains du M23 et alliés, quelques centaines de soldats identifiés M23 se sont réfugiés en Ouganda en attendant leur rapatriement-intégration dans les FARDC au terme des accords de Nairobi. Loin d’une bavure, le guet-apens dans lequel fut entraîné Mamadou Ndala se confirme. Ceci en appelle à une éternelle remise en question de l’aboutissement de tous ces processus qui se terminent par l’amnistie, l’intégration des criminels dans une armée appelée à se reformer afin de garantir la sécurité de ses habitants et l’intégrité de ses frontières. Dommage, aucune enquête de sécurité n’est envisagée avant toutes ces opérations d’intégration…

Pour plusieurs, avec l’assassinat de Mamadou Ndala, l’espoir d’une paix durable suscité par la victoire sur le M23 et ses alliés, n’aura été que de courte durée. La disparition inopinée du Colonel Mamadou Ndala, le principal artisan de la reconquête du Nord-Kivu, coloré Général à titre posthume lors de son ensevelissement à Kinshasa, s’annonce être le mauvais présage d’une contre-attaque difficile à maîtriser, tant les FARDC sans son vaillant commandant devront faire face à un M23 requinqué et régénéré par ses alliés rwandais et ougandais. Le dernier rapport des Nations Unies vient de prouver que le Rwanda continue à l'appuyer malgré tout. Le peuple congolais n’a pas le droit de se lasser un seul instant dans la poursuite de son combat!

Enfin, au cœur des assassinats des différents héros du pays, la trahison interne appuyée par de mains noires externes a toujours été au rendez-vous pour réaliser des crimes parfaits sur ceux-là qui se sont démarqués dans la lutte pour la justice, la liberté et la paix pour tous. Pour la RD Congo, il en fut ainsi pour l’assassinat de Lumumba, de Laurent Désiré Kabila, des officiers FARDC tués à l’aéroport de Kavumu/Bukavu sous le Commandement du Colonel Chapulu Mpalanga du triste RCD en 1998 et, tout récemment, l’assassinat du Colonel Mamadou Ndala…

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(1) Tango Fort a géré ces opérations mais il s’est avéré qu’il vendait même armes et munitions aux groupes armés qu’il était censé combattre. Le Colonel Delphin Kahimbi a quant à lui semblé caresser du sens de poils ceux qu’il combattait… 
(2) Opérations dites successivement « Intégration » suite aux négociations RCD avec le gouvernement de Kinshasa (2002), « brassage et/ou mixage » avec le CNDP (2009), et bientôt encore « intégration »avec le M23 selon les termes des accords de Nairobi…
(3) Cfr Notre article publié le 14 novembre 2013 sur les détenteurs de la victoire des FARDC sur le M23…
(4) Ne seraient nullement innocentés de la liste des probables personnes dont l’action de Mamadou Ndala aurait entravé le business et qu’on trouverait dans les rangs des politiciens, commerçants, militaires et policiers… 
(5) "Penser seulement qu’en 12 mois d’occupation du Nord-Kivu, le M23 s’est révélé être au cœur d’enjeux stratégiques majeurs. La découverte de plus de 20 tonnes d’armes et minutions présentées à la télévision après la chute du M23 dans une région pourtant sous embargo de l’ONU et les révélations sur le profit faramineux tiré du trafic d’or, qui transitait par l’Ouganda (500 millions de dollars en 12 mois indiquent que trop de monde avaient investi dans ce mouvement et que le colonel Ndala devenait un obstacle majeur)" dixit Boniface Musavuli dans Congo Direct.
(6) Plusieurs contrats miniers, forestiers, de reconstructions d’infrastructures de base en reflètent bien la cruauté sans pitié pour les communautés locales. Peut-on un seul instant s’imaginer les dégagements des populations de leur terre-mère au profit des multinationales, l’exonération de 50 ans pour toutes les importations et exportations de Banro devant l’asphyxie et par des impositions et taxations faites pour les entrepreneurs locaux et même pour quelques services venus en appui à l’état en matière des produits comme les antituberculeux… 
(7) Voir les soumissions extrême des villageois qui n’ont pas pu faire l’exode rurale et qui se soumettent à tout sans plus réfléchir tant qu’ils peuvent encore garder sauve leur vie.