samedi 25 mai 2013

Des échauffourées à Bukavu vendredi matin

1. Des faits


Le quartier Nguba (Est de la ville de Bukavu), limitrophe du Rwanda, s'est réveillé ce matin sous les signes réels d'une insécurité. Des jeunes banyamulenges avaient décidé de barricader la route principale qui mène vers la frontière Ruzizi Ier depuis 4 h du matin. Cette barricade était située aux environs du Collège Alfajiri.

Les raisons de leurs actions sont diverses et divergent selon ce qui en est dit dans les différents camps. A première vue, ces jeunes banyamulenges ont voulu manifester leur mécontentement. Dans la soirée du jeudi 23 mai 2013, il y aurait eu des disputes violentes entre un groupe de jeunes congolais et de banyamulenges dans le quartier derrière le marché de Nguba. Du côté banyamulenge, on explique que tout serait parti des injures proférées gratuitement par les congolais les qualifiant de M23 alors qu'ils discutaient paisiblement de certaines questions privées. Pour l'autre partie (congolaise), tout aurait commencé dans un débit de boissons lorsque quelques jeunes banyamulenges sont entrés et ont pris la bouteille de quelqu'un qu'ils ont cru déjà ivre. Lorsque celui-ci pose des questions, il reçoit des crachats au visage, ce qu'il n'a pu supporter. La bagarre commence et blesse 2 filles et 3 garçons banyamulenges qui ont été internés par la suite au dispensaire BIOSADEC à Nguba.

Pour se venger, les jeunes banyamulenges, vivant en groupe de plus de dix personnes ça et là dans toute la ville dans ce qu'ils appellent "foyers des étudiants", n'ont pas trouvé mieux que d'aller faire de l'incivisme sur la route empêchant à toute la population, non concernée par ce conflit privé, de vaquer paisiblement à ses activités. Les enfants n'ont pas pu rejoindre leurs salles de classe. Tous les parents qui conduisaient leurs enfants à l'école se sont vus refuser de dépasser le collège. Cela leur a paru injuste et inacceptable et certains motards ont voulu exiger d'ouvrir le passage. A ce moment-là, certains motards amenant des écoliers ont essuyés des jets de pierres et en ont été blessés. Cela a alors ravivé la colère de tous les autres taxis motards, généralement solidaires dans toutes les circonstances. Une rapide et forte mobilisation s'en est suivie. La violence a pris de l'ampleur et la nouvelle amplifiée et déformée a circulé dans toute la ville. Les analyses sont allées dans tous les sens : les unes parlant de l'entrée du M23 et du Rwanda, les autres fustigeant les malheureux événements d'avril-mai 2004 avec Laurent Nkundabatware et Jules Mutebusi, qui avait mis Bukavu à sac. Bref, une vraie psychose dans la ville et tout était paralysé.

Les jets des pierres entre les deux parties avaient tellement pris d’ampleur que la situation de violence a dégénéré. Les dégâts ont été très importants: des casses, des blessés dans les deux camps, des destructions injustifiées, des pillages et des vols d'objets de valeur et d'argent... Dans la foulée, l'église méthodiste de Muhumba située non loin du rond point Ki Muti, à côté de l'Hôtel Plamedi, a été saccagée et brûlée en partie, tous les instruments qui y étaient ont été détruits sur la route. Il en est de même de l'église Cepac/Shalom de Nguba sur l’avenue du lac dont le mobilier et instrument musical ont été détruits sauf le synthétiseur sauvé de justesse par une femme. Sur la route principale du collège, l'enclos du complexe scolaire Le Progrès à été détruit en partie, etc. Les blessés se comptent par dizaines dans les deux camps, certains sont dans des formations médicales, d'autres blessés chez eux. Jusque là, il n'y a pas eu de mort ni de cas très graves contrairement à ce qu'on a entendu deci delà dans la ville. Il faut rappeler que ces deux églises sont essentiellement banyamulenges.

2. Analyse à chaud


Depuis 20 ans, les situations d'insécurité perdurent et se ressemblent au Kivu. Tout est du déjà vu, déjà entendu et déjà vécu. Chaque fait est toujours une expression tacite d'un groupe, quel qu'il soit. On peut dire sans risque de se tromper que rien ne se fait sans cause ni sans arrière pensée politique dans ce type de manifestation. Faut-il penser à une stratégie délibérée? Comment expliquer qu'un conflit privé entre quelques jeunes du quartier peut conduire à de tels débordements sans penser à une manipulation et une  instrumentalisation orchestrée ?

En tout cas à voir le flou qui entoure (dans les deux camps) les faits déclencheurs de la situation depuis la veille jusqu’au lendemain encore, il y a lieu de croire à une sorte de guet-apens politique. Le ferment agitateur de ces échauffourées n'est ni convainquant ni explicite. D’ailleurs, on se rappellera qu'il y a quelques jours déjà, il y avait des indices d'insécurité à Muhumba. Pourtant ce quartier est le plus sécurisé de la ville de par la présence de la Monusco et de la plupart des expatriés.

Doit-on penser au M23 ? Rien n'est moins sûr mais seule la suite pourra nous en convaincre ou nous détromper prochainement. Il est quasi certain que la xénophobie et la haine ethnique seront une fois de plus commercialisées par les leaders et extrémistes tutsis/banyamulenges pour justifier toute éventuelle réaction militaire et/ou politique.

Une situation comme celle-ci doit nécessairement profiter politiquement. Le gouvernement provincial de Marcellin Chishambo doit être remanié après le départ de trois de ses ministres par des motions des députés provinciaux. Mais bien avant, un autre ministre, Sadoc Biganza, ministre provincial de l'agriculture (banyamulenge) parti à Kinshasa pour d'autres fonctions n'a jamais été remplacé. Des voix s'élèvent chez les banyamulenges pour qu'ils soient représentés au sein du gouvernement provincial remanié prochainement. Les pros RCD/Goma, les pro-CNDP, les pros FRF ainsi que les pros Masunzu, commandant de la 10e région militaire, etc.

A l’heure où, au Nord-Kivu également, la tension monte et le M23 joue de nouveau la carte des actions armées, à l’approche de l’arrivée de la brigade d’intervention de la Monusco, il y a lieu de se poser toutes les questions et d’être vigilant.

On se souviendra qu’en novembre 2012, la prise de Goma devait se faire en même temps que l’attaque de Bukavu. Pour de nombreuses raisons, cette dernière n’a pu se réaliser. Cet échec aura pesé beaucoup dans la défaite du M23 et son retrait de Goma quelques semaines plus tard.

jeudi 2 mai 2013

Sud Kivu, dans la plaine de la Ruzizi, le pire est possible!

Les tensions inter-communautaires qui gangrènent la plaine de la Ruzizi depuis des années se font de plus en plus vives et prennent des allures encore inattendues mais prévisibles dans le contexte global de l'Est de la République Démocratique du Congo. Il n'est pas exclu qu'en ce temps du feuilleton M23 au Nord Kivu, les politiciens de ce mouvement cherchent des ramifications au Sud Kivu à travers ce conflit.

Les tireurs des ficelles identitaires et minoritaires s'agitent et se repositionnent au détriment de la paix et la stabilité dans cette partie de la Province, poumon agricole du Sud Kivu. Sociologiquement, la plaine est un mélange de populations d’origines différentes. On y retrouve presque toutes les tribus même si certaines sont numériquement et sociologiquement majoritaires. On y trouve les bafuliros, les baviras, les barundis, les bashis, les baregas, les babembes, les bangalas, etc.

Tous ces peuples vivent en harmonie sauf dans une entité coutumière (la chefferie) où les tensions sont vives entre les bafuliros qui sont les plus nombreux et les occupants historiques et les barundis qui gèrent. Ces deux communautés vivent depuis longtemps (en 1961, 1964, 1974 et en 2012-13) de vives tensions qui ont souvent conduit à mort d'hommes.

Loin d'être un conflit inter ethnique comme d'aucuns le pensent et le voudraient, il s'agit plutôt d'un conflit de pouvoir. Politiquement, on parle d'un conflit entre les barundis et les bafuliros. Vu de loin, on pourrait penser à un conflit extra-frontières entre les congolais (bafuliros) et les barundis du Burundi. Loin s'en faut.

Une première question se pose : existe-t-il des barundis au Congo ? Oui et non. Oui, dans la mesure où il existe une communauté des réfugiés burundais, reconnu en tant que telle, venue en 1972 et jouissant justement du statut de réfugié. Ceux-ci ne sont pas impliqués directement dans le conflit.
Et non, car logiquement, en dehors des réfugiés, on ne peut ni ne devrait parler des burundais congolais. Sauf dans le cas de la manipulation politicienne : on entend parler aujourd'hui de banyarwandas congolais selon l'actuelle expression du Président Kaguta Museveni de l'Ouganda. Les banyarwandas sont des habitants du Rwanda et les barundis les habitants du Burundi, il n'y a pas de confusion à faire à ce propos.

Certes, à l'issue de la colonisation, de la conférence de Berlin, des émigrations dans la région et des guerres fratricides qui ont marqué l'histoire du Rwanda comme celle du Burundi, beaucoup de burundais et de rwandais se sont retrouvés et installés du côté congolais. Mais s'ils ont acquis alors la nationalité par naturalisation ou par le principe du jus soli, pourquoi s'identifient-ils encore et toujours comme des burundais ou des rwandais ? Logiquement parlant, en dehors des réfugiés susdits, il n'existe donc pas des burundais au Congo mais il existerait des congolais d'origine burundaise, comme il existe des français d'origine algérienne. Ceux-ci ne s'appellent plus algériens malgré leur origine mais des français à part entière et sont fiers de l'être.

Nous devons rappeler ici que le point chaud du conflit est situé surtout dans la cité de Lubérizi, une des cités de la collectivité chefferie de la plaine de la Ruzizi. Située à 75km de Bukavu, sa population actuelle est estimée à 19000 habitants composés de plusieurs communautés dont les bashis, les banyindus, les baregas, les babembes, les barundis et les bafulirus qui sont majoritaires du point de vue numérique. De toutes ces communautés, seules les bafulirus et les barundis sont en conflit ouvert depuis des années.

En effet, les bafulirus qui se disent autochtones s'insurgent contre les barundis qui, dénoncent-ils, ont exercé un pouvoir illégal dans ce qu'ils considèrent comme leur contrée. Ainsi ils n'ont jamais cessé de réclamer la fin du règne barundi sur cette entité administrative puisqu'ils considèrent que ceux-là sont des immigrés qui se sont établis dans la région comme des transfuges politiques.
Faux, rétorquent les barundis qui soutiennent être au Congo à l'issue de la conférence de Berlin qui a séparé beaucoup de peuples avec le découpage territorial de l'Afrique, et que par conséquent ils sont des ayant droit autant que les autres populations congolaises.

De part et d'autre, la manipulation des vérités historiques à laquelle on assiste dans cette affaire, n'est rien qu'une récupération politicienne dans un environnement régional où les identités sont devenues des instruments d'accès et de maintien au pouvoir. Depuis le génocide rwandais du 6 avril 1994 de triste mémoire et la transplantation de ses conséquences au Congo avec les guerres cycliques qu'il y a engendrés : l'ethnicité, la victimisation, l'auto marginalisation, la xénophobie, etc. sont devenues des éléments tactiques et la sève sans laquelle apparemment il n'y aurait aucune politique possible en Afrique centrale.

Le deuxième semestre 2012 et ce début 2013 ont vu la flamme du conflit reprendre de l'ampleur jusqu'à conduire à des morts d'hommes (civils et policiers), des activités agricoles et la circulation routière sur la nationale 5 ont été paralysées des semaines durant le mois d'avril 2012. Même s'il y a un calme apparent, la situation est très précaire et les deux parties se regardent en chiens de faïence. Leurs positions sont radicales et tranchées.

La goutte qui a fait déborder le vase fut le lâche assassinat non revendiqué du Mwami Ndabagoye II le 27 août 2012 à 20h chez lui alors qu'il se préparait à être réhabilité et intronisé comme chef de la chefferie dite de barundis après plusieurs années d'absence obligée. Mais, qui a tué ce chef coutumier (mwami) et pourquoi ? En dehors de toutes supputations et déductions , il est difficile de le savoir car les enquêtes judiciaires sont en cours et n'ont pas encore abouti.

En dépit des déboires que cette situation de conflit entre bafulirus et barundis engendra les années d'avant, en 1928 l'administration coloniale créa la chefferie des barundis et cette entité fut dirigée par un certain Ndabagoye. Cette érection de la chefferie barundi rentrait dans la volonté coloniale d'affaiblir les pouvoirs des chefs autochtones Fuliru et Vira en les personnes de Makunika, Muluta et Mukongabwe réputés réfractaires aux ordres coloniaux.

Ceci fut donc une des erreurs coloniales puisque, depuis lors, les autres populations autochtones ont commencé à contester cette chefferie jusqu'aujourd'hui. En 1964, Antoine Marandura lança une tentative de reprise de la collectivité entre la main des barundis. Ceci favorisa alors la présence de forces mulelistes dans le territoire d'Uvira avant de s'étendre dans l'autre partie de la province du Sud Kivu.

Dès lors, on est passé de conflit en conflit selon qu'on changeait le dirigeant à la tête de cette circonscription. Aujourd'hui encore l'environnement d'insécurité de l'Est avec l'avènement du M23 et la ferme volonté du pouvoir en place de remettre le pouvoir aux barundis sont en train de chauffer les esprits.

Fort de l'histoire, le gouvernement devrait avant toute initiative et par des méthodes démocratiques, creuser le fond de la question pour prévenir le pire.

De temps à autre, il y a des tueries ciblées, des affrontements, des scènes de violence et tout cela se passe loin des caméras. Personne ne semble s'en préoccuper plus sérieusement. Certaines ONG essaient par des méthodes et des approches propres de limiter les dégâts, mais la solution pérenne ne viendra que du gouvernement. S'il est difficile d'imposer une gestion collégiale et participative de la chefferie en faveur de toutes les communautés, le gouvernement devra alors accepter d'ériger l'entité en secteur comme le demande une partie de la communauté. Ainsi les populations auront désormais à élire leurs dirigeants au lieu d'imposer des dirigeants non acceptés par tous. C'est le prix à payer pour ramener définitivement la paix dans la plaine de la Ruzizi et permettre aux jeunes engagés de manière virulente dans ce conflit, de s'adonner désormais aux activités champêtres et agricoles.