jeudi 27 février 2014

Bukavu, la ville aux éboulements mortels

La politique de logement, l’urbanisation et la protection du sol sont des problèmes qui se posent différemment au Burundi, au Rwanda, en République Démocratique du Congo ou ailleurs dans la sous-région des grands-lacs africains. Pourtant les réalités démographiques et géo-physiques sont presque similaires. Ailleurs dans la sous-région, ces questions font partie intégrante de la problématique à laquelle les politiques nationales globales cherchent à apporter une réponse urgente et efficace. Au Congo-Kinshasa par contre, on prend son temps… Pourtant, les réalités sociales nous rattrapent. Quelle est la politique publique de Kinshasa en matière de logement, d’urbanisme et d’habitat?

Pour mémoire, les pluies du 18 au 19 janvier 2014 et celles des jours suivants ont causé d’importantes pertes en vies humaines dans la ville de Bukavu (RD Congo). 21 morts enregistrés suite aux éboulements qui ont emporté des familles presque entières. Cette scène macabre se répète quasiment chaque année à la période de pluie. Quand celle-ci commence, les bukaviens, dans certains endroits de la ville se préparent à toute éventualité. On ne sait jamais à qui sera le prochain tour. Pourtant il existe en province un arrêté du gouverneur (numéro 11/006/GP/SK du 20 janvier 2011) portant assainissement des agglomérations urbaines et rurales dans la province du Sud-Kivu. Ce texte indique nommément des sites déclarés impropres à la construction. Malheureusement comme d’autres textes de loi, celui-ci reste lettre morte.

A sa construction en 1959 par les belges, la ville de Bukavu fut créée pour une population de 45.000 habitants au maximum, mais suite aux guerres, à l’insécurité, aux conditions de vie pénible dans les villages, elle héberge aujourd’hui près d’un million de personnes (soit 824.974 habitants selon le Ministère de la Santé en 2013) confinées sur un relief à risque, alors que la région est devenue très tectonique depuis 2003, date du dernier séisme de grande magnitude.

La ville de Bukavu est érigée sur les hauteurs surplombant le lac Kivu ainsi que la rivière Ruzizi qui la limitent avec le Rwanda; géographiquement elle longe un relief montagneux avec une saison de pluie de six mois maximum. Ses différentes collines sont surchargées par des constructions de tous ordres. Tous les arbres qui faisaient la beauté de la ville et qui la protégeaient contre les érosions furent tous abattus par les réfugiés rwandais fuyant le génocide de 1994. Cette destruction de l’écosystème de la ville a donné cours aux érosions et aux éboulements les plus spectaculaires et meurtriers. Dans les quartiers de trois communes, la menace d’éboulements est réelle, par-ci par-là on voit des affaissements de la terre et des maisons fissurées. Selon les spécialistes il y aurait quelques 78.750 ménages qu’il faudrait urgemment délocaliser aujourd’hui.


Cette urbanisation trop rapide et trop importante pose d’énormes problèmes. Tout cela fait qu’au Sud-Kivu en général, le logement est devenu non seulement un facteur de précarité et de pauvreté mais aussi un problème de masse lié à plusieurs autres paramètres tels l’absence de l’autorité de l’Etat et d’une politique nationale ad hoc efficace. La culture a aussi joué un rôle de pesanteur indirecte. Par exemple, la culture du Bushi (1) veut que pour être respecté dans la société un homme doit avoir un chez soi (avoir un " mutudu", ficus qui est un arbre symbolique par rapport à la propriété terrière). Mais cette culture est exigeante quant à la qualité de l’habitat. Cela a eu comme conséquence que chacun cherche à avoir un petit chez soi dans la ville même quand c’est impropre à la construction malheureusement.

L’absence de l’autorité de l’Etat congolais a pour conséquence que le secteur de bail relève de la jungle. A Bukavu, le loyer coûte trop cher, plus qu’ailleurs dans le pays. Ceci est en partie aussi lié à la présence de plusieurs ONG humanitaires et des expatriés dans la province qui apportent beaucoup de dollars sur le marché des loyers et autres. Les choses vont s’empirer avec la décision de la Monusco de transférer à l’Est toute sa logistique ainsi que son quartier général… Il y a une forte dollarisation de la vie au Sud-Kivu. L’Etat congolais ne protège pas les locataires. Ceux-ci sont souvent victimes des humeurs des bailleurs qui, du jour au lendemain et sans raison valable, double ou triple le coût du loyer. Le locataire est alors sommé de se soumettre de peur de se voir déguerpir dans des conditions indignes. Ces tracasseries des bailleurs font que l’on préfère avoir une petite parcelle à soi, même insatisfaisante sur le plan de la qualité et de la sécurité. Pourtant il existe des textes de loi régissant le bail et très récemment un édit a été voté par l’Assemblée provinciale du Sud-Kivu pour la même cause mais toujours l’application desdits textes pose problème.

Le plan urbanistique n’existe quasiment plus et s’il existe il n’a jamais été actualisé, on construit vaille que vaille, sans règles élémentaires d’urbanisme. On construit sur des égouts, sur les tuyaux de la régie des eaux, sans canalisation des eaux de toitures, sans savoir où jeter les immondices, qu’on jette alors dans les égouts ou sur la route. Pire, on construit sans savoir comment on accédera chez soi. Les servitudes publiques ont disparu dans beaucoup de coins de la ville et font objet de plusieurs contentieux en justice puisque régulièrement empiétées par des tierces constructions.

En outre, la région est tellement tectonique qu’elle exige un certain nombre de précaution dans la construction, ce sur quoi on ne tire jamais attention…

Tout cela cause des éboulements et érosions qui emportent des vies humaines et font d’autres dégâts matériels dans la ville de Bukavu.

Le rôle de l’Etat est de protéger la vie de ses citoyens. Pour cela, il organise un ensemble de services spécialisés pour concourir au bien-être de la communauté. Le rôle de l’administration publique se résume alors dans l’assurance de l’ordre public. Au Congo-Kinshasa, les agents de l’ordre sont devenus en fait des agents du désordre public par leur façon de faire.

La constitution du pays, à son article 48, garantit le droit à un logement décent, le droit d’accès à l’eau potable et à l’énergie électrique. Mais ce que vivent les citoyens congolais est très loin de rencontrer l’esprit de cet article. La même constitution, à l’article 53, ajoute que toute personne a droit à un environnement sain et propice à son épanouissement intégral et que l’Etat veille à la protection de l’environnement et à la santé des populations.

En parcourant la constitution et les autres instruments juridiques de la RDC et en les confrontant à la vie concrète des citoyens, on constate que ces textes ne sont qu’un chapelet d’intentions exprimées mais dont l’application se trouve inapplicable suite à l’effondrement de l’Etat congolais, du manque de volonté politique des acteurs en présence, de l’obsolescence et la surpolitisation de l’administration publique.

Pour construire au Sud-Kivu, il y a tant de préalables à remplir. Ne construit pas qui veut dans la ville à Bukavu. Autant de services publics se bousculent et se ruent dans la vente des parcelles, dans l’octroi de l’autorisation de bâtir : Service de cadastrage, Service foncier, Environnement, Urbanisme et habitat, Direction générale des impôts, Direction Générale des Recettes Administratives et Domaniales (DGRAD), Mairie, (etc.) pour chacun des services on doit payer des taxes aux montants n’allant pas en deçà de 200 dollars indiscutable et souvent sans motivation claire. La traçabilité et la restitution des taxes par l’Etat aux citoyens sous une autre forme n’existent pas au Congo.

Il est inconcevable que les services techniques de l’Etat puissent aliéner des titres de propriétés et des autorisations de bâtir sur des sites déclarés impropres à la construction. On ne protège pas sa population comme cela. Gouverner c’est prévoir et c’est prévenir.

Même si les responsabilités paraissent partagées à différents niveaux, l’Etat reste principalement le premier responsable de la mort des citoyens due aux éboulements. Chaque Etat a le monopole de la contrainte légitime et devrait l’exercer pour que les gens ne construisent pas n’importe où.

En se promenant dans les quartiers de la ville, on voit les maisons perchées et d’autres sur des sites vraiment dangereux. Il ne faut même pas être connaisseur de la question pour constater que plusieurs habitations présentent des dangers considérables.

Ailleurs dans la sous-région, les éboulements existent mais n’ont pas les mêmes conséquences qu’en RD Congo puisque un certain nombre de mesures administratives et préventives ont été prises et suivies à l’œil par les pouvoirs en place. Par exemple les mesures urbanistiques et de protection du sol font partie de la politique globale de l’Etat. Il faut remarquer que le relief de la ville de Bukavu ressemble fort bien à celui du Rwanda et du Burundi.

La gravité des menaces que ces risques d’éboulements représentent pour la population devrait conduire l’Etat congolais à identifier rapidement les lotissements possibles et permettre ainsi une délocalisation urgente de toutes ces populations vivant sur des sites à hauts risques. Il faudra arriver à moyen terme à l’extension de la ville de Bukavu. Parallèlement il faut procéder à la refonte de cette ville où les servitudes publiques n’existent plus. Mais la démarche la plus complexe et la plus utile sera de lutter en amont contre la spéculation foncière qui sévit dans toute la province du Sud-Kivu et d’assainir les administrations publiques compétentes. L’Etat doit sanctionner les agents administratifs dont la responsabilité est engagée dans la vente des parcelles impropres à la construction. Tout cela doit se faire selon les règles de l’art et dans une logique d’une politique nationale de logement et de la réforme de l’administration congolaise. Une politique publique sur la protection du sol devrait être adoptée et appliquée.

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1) Le Bushi c’est l’espace géographique qu’occupent les Bashis, une des ethnies numériquement et sociologiquement importante au Sud-Kivu. Le mashi c’est leur langue.