(Sic Etienne Bisimwa, in ‘Maison de l’Espérance’ MDE, œuvre posthume)
Il était une fois un Etienne Bisimwa Ganywa
Cinquième enfant
d’une famille de huit, Etienne Bisimwa Ganywamulume est né à Bukavu (RD Congo) le 5 mars 1958 dans une modeste famille chrétienne catholique. Il a quitté notre monde, à Bukavu, ce mercredi
27 janvier 2021, laissant derrière lui un parcours riche de connaissances, un parcours
des plus instructifs et utile tant pour les communautés locales, que pour la
nation et les générations futures.
Sa courte vie de
couple en quasi ermitage l’a poussé à consacrer le meilleur de son temps au
travail en tant qu’accompagnateur des dynamiques communautaires dans leur recherche
d’un bien-être durable…
Ses prérequis scientifiques et spirituels exceptionnels,
soutenus par une éloquence limpide, l’ont prédisposé à remplir les ‘top-missions’
d’un bon prédicateur, formateur, éducateur, animateur pour la transformation;
ceci aux termes des prestations de haute qualité rendues tant dans les organisations locales, nationales qu’internationales et de coopération
technique.
Pour donner le
sens ultime à son existence, il sut corroborer ses convictions de développement
avec les écritures saintes et spécifiquement la Bible dont il ne pouvait se
passer pour rapprocher les aspects critiques de développement et du relèvement
communautaire en illustrant combien l’amour en est la clef.
Impassible, plein d’empathie, toujours positif. Par sa
disponibilité sans réserve à servir et à être au plus utile, Etienne Bisimwa a
reflété l’espérance qui lui faisait estimer ceux avec qui il a cheminé, en
l’occurrence ceux de la société civile, du gouvernement et singulièrement les
paysans qu’il consacre dans son ouvrage comme la petite marge de liberté qui
nous reste quand tous les sept bataillons rangés en ordre de bataille pour le
développement ont échoué (1). Certes, on ne parle pas en mal des morts, dit-on.
Cependant à la mort d’Etienne Bisimwa, il vient de se révéler que la valeur d’une
vie, ne peut pas s’apprécier en ne prenant en compte que les seules réalisations
spectaculaires offertes au grand public de son vivant. Elle est précieusement cotée
au travers des témoignages collectés et des perceptions correctes ou non, faites
de lui par ses interlocuteurs et/ou ses différents auditoires. Pareille clef
d’appréciation a posteriori s’observe également dans le processus de la
béatification des saints dans l’église catholique. En fait, un bon nombre d’éléments
révélateurs ont été spontanément déclamés sitôt que la nouvelle du décès
inattendu d’Etienne parvenait aux différentes personnes, groupes, couches
sociales et communautés qui l’ont connu.
Que d’émotions et d’expressions n’ont-elles pas été glanées à chaud, du genre: « Etienne ?
C’est le meilleur de nous qui vient de partir », « Etienne, le
malheur de t’avoir perdu ne doit pas
nous faire oublier le bonheur de t’avoir connu; tu vis dans nos cœurs »
« Etienne, tu n’es plus cloîtré là où tu étais mais tu es désormais
partout où nous sommes » « La communauté vient de perdre l’homme le
plus engagé dans la construction d’une nouvelle vision de développement de
notre pays », « Le travail qu’il a commencé demande des ouvriers
convaincus comme lui » etc… Les réflexions partagées en conférence ainsi que ses
opinions publiées, de même que ses derniers écrits posthumes, du reste inédits
et retrouvés sur le chevet d’Etienne confirment sa foi inébranlable pour l’avènement
de ce Congo de demain plus juste où chacun, conscient de ses responsabilités et
de ses capacités devient maître du destin commun. Chaque minute qui passe,
l’ombre de ses préceptes plane sur les allées que nous fréquentons. Bien plus,
sa silhouette se dessine constamment à travers tous ses enseignements. En effet
au cours d’une des formations qu’il facilitait de main de maître, il surprit
son auditoire quand il dit qu’il ne mourait guère car poursuivit-il
« L’homme est avant tout un esprit, un esprit appelé à vivre une
expérience humaine. » Mathématicien de formation de l’Université Nationale
du Zaïre (IPN/Kinshasa), subitement, dans les années 1990, Etienne négocie un nouvel ancrage
vers les Sciences de l’éducation et du développement, au bout duquel lui fut octroyé un Diplôme
d’Etudes approfondies en éducation et stratégie de développement de
l’Université René Descartes Paris V à La Sorbonne axé sur les « Défis posés par les cultures
africaines au développement ; construction d’une vision commune à tous les
acteurs du secteur public, privé
et de la société civile », comme une reconnaissance des nouveaux atouts acquis pour mieux servir.
Ainsi,
après avoir écrit son ouvrage-clef « Par où commencer », un véritable
diagnostic sans appel de la
situation de son pays la RD Congo, Etienne Bisimwa ne s’arrêtera pas à mi-chemin car,
fort des liens d’amitié, de complicité positive qu’il venait de tisser avec CRESA
asbl (une petite organisation locale de laquelle il était membre jusqu’à son
décès), ils se
retrouvèrent « autour d’une vision commune, d’indignation contre l’injustice et
porteurs d’une même détermination à changer les choses(2) ».
Ensemble, ils ont théorisé une nouvelle approche de la conscientisation pour
l’Afrique à travers l’ouvrage « La pédagogie de la conscientisation »
jusqu’à chuter sur le montage du premier outil didactique « Guide pratique
du formateur » susceptible d’aider les animateurs et les formateurs à susciter
un éveil de conscience collective utile pour la RD Congo, la région des Grands
Lacs et l’Afrique, qui n’arrivent toujours pas à décoller ni à s’approprier leur
développement. Cette Afrique toujours attentiste pour laquelle ses problèmes continuent
à se discuter loin d’elle, sans elle, et le plus souvent par des solutions inappropriées
à l’emporte-pièce. A travers Malcom X, Samir Amin, Julius Nyerere, Thomas
Sankara et bien d’autres panafricanistes et altermondialistes, Etienne Bisimwa ne
manquait pas d’exemples pour inciter à plus de participation de la communauté et
pour refuser de jouer le jeu des autres et, à commencer un nouveau jeu avec des
nouvelles règles autoportées. Changer de paradigme était le maître-mot
d’Etienne Bisimwa avec son équipe… Des
dizaines d’ateliers en format retraite formative co-organisés durant deux
décennies entre 2000 et 2020 avec la participation enthousiaste des acteurs
sociaux ont dans un 1er temps permis à Etienne aux côtés d’ADEN (4) et
plus tard avec CRESA (5) asbl de diffuser, de transmettre à travers la région des Grands Lacs africains et
en RD Congo les fondamentaux de cette pédagogie pour l’Afrique. La foi
d’Etienne en cette pédagogie de la conscientisation lui a fait caresser le rêve
de l’enraciner dans toute la RD Congo en commençant par trois provinces pilotes
Bukavu (Sud-Kivu), la ville province de Kinshasa et Lubumbashi pour le Haut Katanga.
Déjà à sa mort, sont mis en route quatre noyaux et des carrefours de réflexion
FPT d’une centaine de têtes pensantes au total, appelées à porter en avant cet
esprit inspiré par le pédagogue Brésilien Paolo Freire autour de la pédagogie
des opprimés dans les favelas du Brésil. Dans cette approche, l’analyse et la
compréhension commune des concepts dont celui de la participation de la communauté et celui de la pauvreté circonscrite à partir de quatre piliers de cette dernière que
sont la vulnérabilité, la marginalisation, les faiblesses physiques, et la
position de sans-voix. C’est au compte de cette foi dans cette pédagogie de la
conscientisation, au travers des formations (FPT) qu’au cours du tout dernier
atelier de formation qu’il aura accompagné à Kinshasa au Centre Nganda, il déclara
qu’on pourrait léguer aujourd’hui en testament à toutes ses cohortes
d’apprenants en disant que : «les angoisses de nos populations sont les angoisses de ceux qui ont
fait le FPT», «les espérances de notre peuple sont celles des gens qui ont fait
le FPT», «la misère qui prend nos peuples est de la responsabilité de ceux qui
ont fait le FPT…» Dommage
que la mort ait surpris Etienne en janvier 2021, quand on envisageait de regrouper
pour la 1ère fois tous les formés de tous les temps et des trois
provinces dans l’une des provinces-pilotes pour discuter et jeter les bases
d’un plan national de l’approche de conscientisation qui renforcera les aspects
de la sensibilisation qui a montré ses limites. Cependant, un sentiment de
l’inachevé qui tourmentait Etienne était moins sa thèse de doctorat en anthropologie, ethnologie et éducation sous la direction du Professeur Than Le Khol
portant sur les proverbes et l'éducation chez les Bashi laissée sur sa table, que
le FPT qu’il prévoyait accompagner en vue d’augmenter la participation de la
communauté aux Mutuelles de santé du Sud-Kivu au 1er février 2021
(son décès est intervenu trois jours plus tôt). Comme de fil en aiguille, la résultante de la pensée de
ce personnage à travers ses formations s’amarre bien dans un courant
philosophique ou idéologique qu’on pourrait classer sans hésitation dans la
prospective stratégique. Ce qui se conforte naturellement dans la poursuite
d’une démarche de la profondeur et de la recherche inlassable des causes-racines
des problèmes en vue de trouver des réponses adéquates aux défis qui se posent
aux communautés dans l’éclosion de la prise de conscience pour laquelle Etienne
n’offrait aucun sursis(7). En
outre, partant de la recherche de la relation de causes à effet dans tout le
processus formatif d’ateliers FPT qu’il a dû accompagner, Etienne met
constamment les acteurs dans une spirale de « réflexion-action,
action-réflexion…» ainsi de suite, et encore de procéder à l’usage de la méthode
de « mais pourquoi jusqu’à sept fois » de Warner, la méthode du code
et du décodage avant de procéder à la planification proprement dite de l’action.
Et il n’a cessé d’inviter à réfléchir constamment sur le sens et la portée de
nos actions dans notre fastidieux travail d’associations,… Ce sont autant
d’éléments de cette dialectique pour amener à dépasser le phénotypique et/ou le superficiel, le
saupoudrage… C’est ainsi qu’à travers les formations et les conférences il n’a pas
hésité à qualifier différentes interventions d’ONG, des différents
gouvernements… d’actions de survie, de bricolage, de la gouvernance par
complaisance, d’actions
de services sécuritaires limitées juste à un niveau homéopathique après tant
d’année d’indépendance du pays… Nous
réitérons que la prospective est avant tout une démarche
intellectuelle visant à anticiper au mieux les évolutions de notre société. Son
but est avant tout d'éclairer les choix du présent, ce que nous faisons
aujourd'hui et dont les répercussions sont visibles à moyen ou à long terme. C’est
elle qui fait qu’on repère qu’au cours des enseignements d’Etienne, dans les
carrefours, on ait percé largement les concepts de la durabilité et du bien
ultime, de la planification et de l’évaluation participative une fois la vision formulée. Etienne est revenu par exemple sur: « Quelle
politique agricole, quelle politique minière, quelle politique sanitaire, quelle
politique de développement rural(8) devons-nous envisager d’ici à l’horizon de 10 à 20 ans ?» et de poursuivre que « la
RD Congo ayant dépassé le cap des 100 millions d’habitants (cf. rapports
d’OCHA), quelle est la demande de l’éducation
aujourd’hui dans notre pays et quelle sera cette demande d’ici 25 ans et, quelle est l’offre de l’éducation dans notre
pays?». A ce niveau, Etienne s’appuyait sur la Bible(9) dans ‘Habaquq 2, 1-4 où Yahvé demande d’écrire la vision.
Enfin être prospectif, c’est se poser la question, en
toute responsabilité, de l’avenir de son entité, du pays, du monde… La
prospective est un travail sur la conscience qui fait appel à des techniques
cognitives. Bien plus qu’une exploration de notre environnement, (cf. 1ère
partie du guide FPT), l’analyse de nos méthodes de travail, la compréhension
des concepts; c’est une
transformation du sujet, le plus souvent collectif (communauté, entreprise,
association, entité: village-commune-territoires-province, organisation
internationale…) qui est en jeu. Au-delà même de l’application d’une méthode
d’investigation (enquête d’écoute dans le FPT), c’est un changement radical de
perception qui est à l’œuvre. En soi Etienne ne s’est jamais fait identifier
personnellement comme faisant partie de ce courant dit prospectiviste et ne l’a
encore moins, jamais clamé un seul instant mais, cela ressort en filigrane tout
au long de la méthodologie de ces FPT qu’ensemble nous avons accompagné. Eh
oui, tous ceux qui ont eu à vivre ces moments d’initiation à la
conscientisation ont été émerveillés par la cohérence de la méthodologie, la
subtilité des notions, et la perspicacité apaisée avec lesquelles toutes les
questions d’ordre communautaires et sociales devant aider à un relèvement ont
été conduites en profondeur. Du coup, il est question de
construire une nouvelle conscientisation qui fait du développement une vision
commune entre tous les acteurs locaux et de mettre fin à tous les bricolages
ambiants. Adieu Etienne, Bonjour le FPT ! ------------------------------------------------------------ La silhouette
d’un personnage qui sillonne les allées de l’espérance
Le FPT, outil par excellence d’Etienne pour l’initiation à la démarche de conscientisation…
La
passion d’Etienne pour le FPT, un véritable élan de la prospective stratégique
En définitive, d’Etienne
au FPT, du FPT à la Prospective stratégique, il n’y a qu’un pas!
(1) Etienne Bisimwa Ganywa : Par où commencer, une autre vision de développement pour la RD Congo, Ed. Weyrich Africa 2018
(2) Expression formulée par son collègue Luc Dusoulier à la nouvelle de la mort d’Etienne Bisimwa
(3) T4T ou FPT; Training for Transformation en français Former Pour Transformer
(4) ADEN : African Development and Education Network traduit de l’anglais, Réseau Africain d’Education au Développement.
(5) CRESA, Carrefour de Réflexion Santé, une asbl de droit congolais créée en 2010 et qui tire du FPT sa devise : Réflexion sans action est verbiage et Actions sans réflexion est de l’Agitation.
(6) Il sera une fois... la prospective stratégique Luc de Brabandère, Anne Mikolajczak Dans L'Expansion Management Review 2008/1 (N° 128), pages 32 à 43
(7) « Un impératif pour la RDC: la conscientisation! » réflexion parue sur notre blog en 2018
(8) Un protocole de partenariat technique et institutionnel entre l’Institut Supérieur de Développement Rural (ISDR/Bukavu) était signé et un colloque national sur le développement rural était en cours de préparation.
(9) Habaquq 2. 1-4 Bible de Jérusalem, Nouvelle Edition 1975. « Je vais me tenir à mon poste de garde, je vais rester debout sur mon rempart ; je guetterai pour voir ce qu’il me dira, ce qu’il va répondre à ma doléance. Alors Yahvé me répondit et dit : écris la vision, grave-la sur les tablettes pour qu’on la lise facilement car c’est une vision qui n’est que pour son temps ; elle aspire à terme sans décevoir, si elle tarde, attends-la : elle viendra sûrement sans faillir… »