jeudi 7 février 2013

La société civile du Sud Kivu : aperçu sur la résistance populaire. Un élan brisé.

Il est difficile de faire un état des lieux sur la société civile sans se référer aux différentes mutations et turbulences qui ont marqué l’histoire socio-politique de la RD Congo. Cela étant, on constate non sans regret que la trajectoire de la société civile congolaise en général et du Sud Kivu plus particulièrement va descendante. Cette situation qui n’est pas une fatalité, ni un hasard de l’histoire, ressemble à un plan plutôt bien pensé et échelonné dans le temps par toutes les forces prédatrices noires internes comme externes de la république.

La trajectoire de la société civile du Sud Kivu, peut se subdiviser en 4 périodes interdépendantes avec chaque fois une période transitoire particulière.

De 1980 à 1993: une société civile militante


Le Sud Kivu constitue non seulement le berceau du mouvement associatif organisé de la société civile congolaise mais en plus, il en est au moins le précurseur acharné de son combat pour un Etat de droit et pour la démocratisation du Zaïre.

Tout est parti des années 80, période d’apogée du régime dictatorial du président Joseph Mobutu et du vent de la perestroïka en Afrique. Le peuple en avait assez d’un régime autocratique de plus de deux décennies.
Mobutu avait, par la force du courant de la perestroïka et du programme d’ajustement structurel (PAS) ainsi que par l’ampleur des grognes sociales internes, entamé des consultations nationales à travers le pays pour recueillir les avis populaires sur la gestion de la république.

Plus de 6600 mémorandums lui avaient été remis. A l’issue de ces consultations populaires, il déclara le libéralisme politique le 24 octobre 1990 et ce fut le début de la démocratisation du pays.
Une Conférence nationale souveraine fut alors organisée à Kinshasa entre 1991 et 1993 au sein de laquelle la société civile du Sud Kivu fit des interventions remarquées par leur véhémence et leur pertinence contre la dictature. Son patriotisme impulsa une dynamique associative dans les autres provinces du pays et devint ainsi un modèle de référence de la société civile à travers le pays.

Vint alors une petite période transitoire marquée par la guerre et le génocide au Burundi (1993) et au Rwanda (1994). Ces conflits sanguinaires ont déversé au Sud Kivu et Nord Kivu des milliers de réfugiés. Un problème humanitaire imposé à la société zaïroise dans un Etat en déliquescence. Cette situation a légué au Kivu des problèmes d’insécurité générale jusqu’aujourd’hui. Devant cet afflux massif de réfugiés rwandais et burundais, la société civile orienta toute son attention vers des interventions humanitaires. Les congolais sont d'une hospitalité légendaire.


D'octobre 1996 à juillet 2004 : une société civile résistante avec des modes d’actions populaires (MAP) coercitifs.


Une société civile fédératrice, mobilisatrice et organisatrice des forces sociales à la base, bref une société civile authentique.

Cette période fut marquée par des guerres d’agression à répétition : guerre de libération avec l’Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération du Congo « AFDL », guerre de rectification avec le Rassemblement Congolais pour la Démocratie « RCD/Goma », guerre de protection des Tutsis avec Laurent Nkundabatware,... Toutes concoctées et soutenues entièrement par le Rwanda et l’Ouganda avec comme porte d’entrée le Sud-Kivu.

Alors que le pays était divisé en trois avec des tendances de balkanisation très poussées, la société civile mena un combat virulent de résistance populaire. Elle a su mobiliser toutes les forces sociales autour de l’intégrité territoriale, de l’unité du pays et contre le pillage systématique des ressources naturelles du pays. Beaucoup d’acteurs et de personnalités ont perdu leur vie (Msg. Christophe Munzihirwa s.j, Emmanuel Kataliko,…) et d’autres ont été forcés à l’exil. Mais en dépit de cela, la société civile est restée intransigeante jusqu'à imposer un dialogue inter-congolais avec une proposition d’un plan de paix. Bref, elle avait vraiment joué son rôle de contrepoids au pouvoir.

Vint alors une période de transition politique décidée et convenue au dialogue inter-congolais en Afrique du Sud. Ce dialogue politique amena au pouvoir tous les protagonistes par la formule de 1+4 (un président et quatre vice-présidents issus des rébellions). Certains acteurs clés de la société civile se retrouvèrent alors au pouvoir au détriment du combat populaire qui n’avait du reste pas encore abouti. Ce débauchage des acteurs déséquilibra tant soit peu la société civile et ce fut le début de son déclin.


De 2006 à 2011: une société civile embrouillée car débauchée par la politique du consensus pour le partage du pouvoir, une société civile confuse et politisée.


Elle a vendu son combat, son identité et ses acteurs à la politique.

L’entrée en politique de certains acteurs de la société civile suscita l'envie chez d’autres et devint un moyen facile pour les politiciens de flouer et de déséquilibrer cette force sociale.
Le pouvoir, longtemps menacé par cette force sociale, a vite perçu les faiblesses de certains acteurs de la société civile à partir de leur prestation lorsque ceux-ci sont eux-mêmes arrivés au pouvoir: ils n’ont pas fait différemment. Les politiciens se sont mis alors à corrompre et à se moquer de cette société civile. Ainsi certains acteurs changèrent leur fusil d’épaule.
Beaucoup entrèrent ou fondèrent des partis politiques et devinrent candidat aux élections de 2006. D'autres devinrent dépendants des politiciens. Mais leur indécision et leur ambivalence furent une menace réelle pour la crédibilité de la société civile jusqu'aujourd'hui.


De 2011 à nos jours: une société civile équivoque, désemparée, infiltrée, avec des acteurs avides d’argent et de prestige social.


Ils sont praticiens de la politique par le bas si on prête le terme à J-F Bayart. Leurs interventions peuvent être réduites à quelques mots ambigus tels que "à chaque jour suffit sa peine", "capitaliser les enjeux",…
Le pouvoir politique s’est ensuite fabriqué sa société civile et ses propres acteurs. Que ce soit au niveau national ou local, la société civile est disloquée en plusieurs tendances.
Beaucoup d’organisations et d'acteurs sont des produits des hommes politiques pour infiltrer et fragiliser totalement le combat du peuple. Plusieurs idéologies circulent dans la société civile. Les grands piliers de cette société civile tels que l’église catholique (dans le fait de certains animateurs surtout) et l’élite intellectuelle (professeurs et étudiants,…) ont perdu leur crédibilité sociale et cela a favorisé le dictat du pouvoir.
Bref, nous sommes en face d’une société civile dévergondée idéologiquement, qui ne fait plus l’unanimité et est incapable de porter les aspirations de la population car décrédibilisée pour avoir mangé dans l’assiette du pouvoir.
Petit à petit la société civile prend les allures de tremplin, ce qui gâche tout son combat et ternit son image.

Du point de vue organisation et fonctionnement, dans ses années de gloire, toutes les organisations de la société civile ont su mettre sur pied une charte qui définissait clairement leur mission et leur identité, leur organisation et leur mode de fonctionnement mais aujourd’hui cette charte a été délibérément torpillée par ces infiltrés des politiques, du moins dans certains de ses aspects.

La société civile est organisée en 10 composantes selon les thématiques d’interventions à la base : le développement, les droits de l’homme, les femmes, les jeunes, la composante culturelle et philanthropique, la composante scientifique, la composante à intérêt économique, les confessions religieuses, les syndicats et corporations, les personnes vivant avec handicap.
Actuellement on estime à plus de 3000 les organisations affiliées à la société civile de Bukavu sans compter les réseaux et plateformes.


De la résistance


La résistance a suivi le même parcours historique que la société civile puisque c’est elle qui donnait de l’impulsion et canalisait les revendications populaires. A coté de la résistance portée par la société civile, elle s’est organisée indépendamment face à une armée nationale discréditée: une résistance armée pour défendre l’intégrité territoriale et lutter contre la domination des pays agresseurs, contre le pillage systématique des ressources naturelles,…
Mais cette résistance a été aussi infiltrée et torpillée si bien qu’aujourd’hui il n’en reste presque rien. Entre-temps les bandes armées étrangères et quelques militaires loyalistes ont continué à piller et à violer massivement les droits de la population civile sans que rien n’y soit opposé!

Deux causes majeures ont concouru à cette situation : la paupérisation de la population et l’usure de la guerre. Mais il reste tout de même un "petit noyau" conscient de son rôle et de sa mission en tant qu’acteur de la société civile. Il travaille contre vents et marées.
La jeunesse du Sud Kivu, qui a constitué le fer de lance de la résistance, a été tellement clochardisée, manipulée et divisée qu'actuellement elle ne constitue plus une force sociale à craindre aux yeux du pouvoir en place. Mêmes certains grands leaders de la jeunesse d’hier sont devenus des nouveaux mandarins du pouvoir en place. Ceci constitue un élément d'inquiétude pour leurs collègues qui sont restés dans la logique du combat pour la résistance.
Les trois grandes superstructures mobilisatrices de la société, c'est-à-dire les églises, les universités et les associations, ont été tellement fragilisées et flouées que l'intensité et l'adhésion populaire à la résistance a sensiblement disparu. Le caractère de contrepoids qui est l'essence même de la société civile s'est commuée en une "étroite collaboration" avec le pouvoir alors que la situation de la gouvernance publique, des droits de l'homme, de la vie sociale dégénère chaque jour davantage. L'insécurité, le chômage, la déscolarisation, l'analphabétisme, l'injustice, l'impunité, la corruption, etc. sont toujours permanents.

La nécessité et l'urgence de mener aujourd'hui une démarche de reconsolidation et de redéfinition de la société civile s'impose avec persistance. Un distinguo entre "la société civile d’en-haut" et "la société civile d’en-bas", pour reprendre la classification de François Houtart, doit être un objectif. Ceci exige par conséquent une nouvelle identification des partenaires, des acteurs au nord comme au sud mais aussi une nouvelle redéfinition de leurs rôles.

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