Et la population congolaise est affaiblie par l’usure quand, 15 ans après la réédition des mêmes exploits de guerre dans l’Est de la RD Congo, plusieurs médias présentent à la une de leurs journaux la désintégration, la dislocation ou encore l’éclatement ou l’explosion du M23.
Tous ces termes signifient littéralement la même chose ou presque, mais ne peuvent en aucun cas traduire correctement la situation qui se profile dans le Nord Kivu où des combats violents opposent deux factions dites rivales du M23; combats qui créent encore une fois de plus une grave catastrophe humanitaire pour une population qui a déjà trop souffert.
Pour mieux comprendre ce qui se passe au sein du M23...
... il convient de se souvenir de l’histoire de 1998, quand deux ans après la prise du Congo Kinshasa, le président Laurent Désiré Kabila remerciait les coalisés rwandais et ougandais en leur demandant de rentrer chez eux.
Ces derniers lui retournèrent les canons et déclenchèrent immédiatement une opération militaire aéroportée de l’extrême Est (Goma) à l’extrême Ouest (Kitona). Ce fut la première guerre. Elle ne s’est jamais vraiment terminée jusqu’à ce jour car elle n’a fait que se métamorphoser au fil des années.
Avec l’appui non voilé des quelques anglo-saxons, il se formalisa un mouvement hybride, le RCD, qui gouverna près de la moitié du pays cinq ans durant à partir de Goma pris pour capitale/siège de ses institutions. Il a exercé pleinement le pouvoir dans presque tous ses attributs et avec une forte implication du Rwanda voisin.
Non respect des accords par le Gouvernement: un motif passe-partout en tout temps et en tout lieu
Le motif déclaré pour cette guerre d’agression fut le non respect par l’AFDL des accords de Lemera, accords dans lesquels il était entendu qu’à l’issue de la guerre contre Mobutu, le sol et le sous-sol congolais appartiendraient à l’AFDL et que son exploitation devrait en être faite par les forces alliées dont le Rwanda et l’Ouganda. Ce qui fut fait par ces pays au travers de l’exploitation des ressources naturelles dont le coltan, l’or, le bois, le café mais aussi les taxes administratives, domaniales et d’importation… Les signes visibles indéniables de cette exploitation sont la reconstruction éclair du Rwanda et de l’Ouganda.
A ce stade là, ce fut suite aux efforts inlassables et persistants de la société civile du Sud Kivu et de la ferme volonté des Congolais de ne pas accepter la partition du pays que finalement des pourparlers de paix furent enclenchés, sur fond d’un plan de paix élaboré par la société civile du Sud Kivu. Et, enfin, la Communauté Internationale s’est impliquée dans le processus de Lusaka, de Gaborone, de Sun City…
Un stratagème qui a toujours porté
Hélas, quand enfin on est arrivé à ficeler un accord de partage de pouvoir qui prévoyait l’intégration des ex-rebelles dans les fonctions d’administration et dans les services de sécurité dont l’armée et la Police Nationale congolaise, quand une loi d’amnistie fut votée en leur faveur, quand le retour indéfini des réfugiés rwandophones fut acté, quand la reconnaissance des actes juridiques officiés pendant l’agression fut gagnée… une faction de ce mouvement fit marche arrière, refusa les accords pour maintenir une aile armée en standby…
Ce scénario s’est répété chaque fois que le pays s’est trouvé dans des phases extrêmes d’accomplissement des étapes essentielles des réformes engrangées. Concrètement, en 2004, quand, aux termes des négociations, le colonel Laurent Nkunda fut élevé au rang de général d’armée congolaise, il accepta mais il refusa rapidement l’affectation sur Kinshasa pour y exercer ses nouvelles fonctions. Il préféra continuer à superviser le CNDP et administrer les mêmes espaces qui constituent encore aujourd’hui le fief du M23. Et après ce refus de se rendre à Kinshasa, son groupe a mené une guerre sans merci aux institutions dans le Nord Kivu (…) et finti par prendre la ville de Bukavu en juin 2004 à la barbe de la MONUC, l’actuelle MONUSCO… Le refus de Nkunda de se rendre à Kinshasa s’est généralisé à l’ensemble des troupes sous son contrôle. Elles refusèrent catégoriquement d’être permutées dans des provinces autres que celles proches du Rwanda, du Burundi, et de l’Ouganda. Devant la proposition de brassage de leurs troupes avec les troupes du gouvernement, afin de constituer une armée nationale réformée, ces derniers imposèrent plutôt le mixage…qui leur permettaient de constituer des régiments entiers homogènes dans les territoires de l’Est du pays.
Voilà comment les premiers balbutiements pour la constitution d’une armée républicaine furent sabotés et annihilés. Il en sera de même quelques temps plus tard en ce qui concerne la Police de proximité définie comme nouveau mode opératoire de la Police Nationale congolaise. Ils lui préféreront plutôt des unités de police collées aux entités territoriales qu’ils administraient contrairement aux recommandations du rapport de GMR3, commandité par le gouvernement et les partenaires.
Enfin, quand le général Nkunda s’est trouvé dans le collimateur de la Cour Pénale Internationale (CPI) après ses multiples crimes de guerre perpétrés sur les populations congolaises, son mouvement n’a pas trouvé d’autres moyens de le protéger que de faire mine de l’éjecter, de remettre le bâton de commandement à Bosco Ntaganda, un autre général de la même configuration ethno-politico-militaire et aux mêmes performances de va-t-en-guerre. Le général félon Nkunda alla s’enkyster au Rwanda, en lieux sûrs, pour sa totale sécurité. C’est naturellement au Rwanda où tous se réfugient pour leur protection.
Après 3 ans à la tête du CNDP, le successeur de Nkunda, Bosco Ntaganda est à son tour nommément pointé par la CPI dans la même affaire qui transporta Thomas Lubanga à la CPI et pour bien d’autres forfaits effectués au Nord Kivu par la suite. Vite, un élan de solidarité tribalo-ethnique s’est organisé entre février et avril 2012 autour de la question et une coalition militaire se reconstitua pour protéger Ntaganda en usant de la même stratégie, celle de faire éclater une guerre meurtrière qui mettrait la Province du Nord Kivu à feu et à sang. De nouveau, le même argument de non-respect des accords du 23 mars 2009 est mis en avant. Devant une population affaiblie, désemparée et mécontente du pouvoir de Kinshasa, le M23 trouvera stratégique d’élargir (même sans un moindre mandat de la population) son cahier de charges aux revendications principales d’une population désabusée.
Encore une fois le gouvernement surpris par une guerre avant qu’il n’ait pu asseoir une armée républicaine est contraint à une énième négociation. Celle-ci partira encore inévitablement sur des bases inconfortables pour un gouvernement qui a étalé son incapacité d’arrêter ou d’empêcher la capture de Goma en novembre 2012. L’une des probables portes de sortie du tunnel, si pas l’unique: la négociation. Car la possibilité d’engager des mercenaires afin de traquer le M23 appuyé ouvertement par le Rwanda et l’Ouganda n’avait pas beaucoup de chance devant une guérilla utilisant en bases arrières les pays voisins et des langues locales qui sont utilisées à la fois dans les rangs de l’armée régulière ainsi que par les assaillants.
Cette négociation ne pouvait se révéler que difficile pour le gouvernement, bien que cette fois pourtant, la Communauté Internationale ait pointé clairement du doigt les coupables et leurs soutiens, à travers deux rapports du groupe d’experts des Nations Unies. L’opposition, frustrée par le résultat contesté des élections, a joué son propre agenda et ne s’est pas vraiment montrée ni professionnelle, ni consciente des véritables enjeux nationaux.
Une fois de plus, on obligera donc le gouvernement congolais à négocier avec les bourreaux de son peuple. Il convient de relever que jamais le gouvernement rwandais n’acceptera de négocier avec les FDLR et que la Communauté Internationale ne fit jamais aucun effort pour l’y pousser…
Enfin, après plusieurs ballets diplomatiques internationaux, un accord est tout de même conclu et contresigné par 9 chefs d’états de la région le 24 février 2013 avec la bénédiction des Nations Unies. La composition d’une force internationale pour traquer les forces négatives, dont le M23, est acceptée après moultes discussions et une résolution pour le renforcement du mandat de la MONUSCO est adoptée au Conseil de Sécurité des Nations Unies. C’est alors que le M23 vole en éclats. Dissensions réelles ou nouvelle mise en scène pour tromper l’opinion internationale? Les parrains du M23 renouvellent-ils la vieille tactique de Museveni qui multipliait les groupes rebelles à sa solde en les montant, à l’occasion, les uns contre les autres? Laissent-ils tomber la faction trop infréquentable et discréditée du M23 pour mieux avancer leur stratégie avec la faction Makenga ? Il y a lieu de se poser les questions. Et bien naïf qui verrait dans cette scission un pas en avant positif vers la paix dans l’Est du Congo et la souveraineté congolaise affermie. La récente reddition de Bosco Ntaganda à l’ambassade des Nations Unies et sa probable extradition vers la Cour de Justice Internationale, si elles représentent une avancée en terme de justice, laissent pour autant toutes ces questions politiques plus que jamais d’actualité.
Présentement, pour continuer et conclure les négociations de Kampala par un accord final, les deux factions du M23, celle fidèle à Runiga et Bosco Ntaganda et celle régentée par Sultani Makenga se revendiquent respectivement la souveraineté d’interlocutrice devant l’équipe gouvernementale présente aux dites négociations. Les deux délégations rivales du M23 étant représentées par Bertrand Bisimwa d’une part et l’autre par Réné Abandi, curieusement tous deux des lieutenants jusqu’à présents très proches et répondant de Laurent Nkunda. Entretemps, les populations du Nord Kivu sont encore en train de subir la guerre dans les territoires de Rutshuru, Rugari, Rumangabo…
Ce qui est intrigant
Dans un document qui semble l’accord prêt à être signé, une fois encore le pouvoir de Kinshasa tombe dans les même erreurs: intégration dans l’armée des sujets étrangers, des rwandais à des postes stratégiques avec espoir d’apporter la paix et finir la guerre.
Pour rappel, c’est déjà une première fois les accords de Sun City qui ouvrirent les portes de l’armée nationale aux rebelles, via les décisions dites de brassage. Le dernière opération de ce genre sera l’intégration en 2009 des hommes du CNDP de Laurent Nkunda.
Un proche collaborateur de Kabila dira même a l’occasion: « La Communauté Internationale nous a imposé d’intégrer des mutins et des rebelles sans formation:; cela fut un coup fatal. De fait, des grades ont été généreusement distribués à d’ex-chefs de guerre, ouvrant ainsi le champ à des commandements parallèles court-circuitant l’Etat Major de Kinshasa, ainsi qu’à des alliances nouées entre officiers dans les Kivus pour contrôler les mines de cassitérite… »
Chronique d’un désastre programmé…
De tout ce qui précède, que devient le M23
biologie, la scissiparité signifie une reproduction asexuée qui s’effectue par une division (d’un organisme) en plusieurs parties devenant à leur tour un individu comple …
C’est en ces termes que d’aucuns qualifieraient les dernières divergences apparues avec fracas au sein du M23, divergences qui ont conduit à la re-déstabilisation de Rumangabo, Rugari et Rutshuru au Nord Kivu suite aux combats meurtriers entre les deux factions rivales du M23 juste après la signature de l’accord du 24 février à Addis-Abeba.
Ne serait-ce pas encore une épopée de plus pour ce mouvement criminel du M23 ?
Cette nouvelle aventure de dissidence ressemble, pour ceux qui ont vécu l’histoire, aux précédentes manœuvres de dissidence, séparations de ce mouvement armé. Le mode opératoire reste le même. L’acte nommant le lead du M24 porte l’entête du CNDP (et le CNDP est sur le registre officiel des partis politiques membres de la Majorité Présidentielle de Joseph Kabila…)
Un élément inquiète particulièrement et incite à la plus grande vigilance, c’est la persistance du plaidoyer du M23 pour le retour des soi-disant réfugiés congolais au Rwanda. Ceci ne ressemble à rien d’autre qu’à une stratégie de colonie de peuplement. En effet, à chaque fois qu’on a demandé les adresses des réfugiés retournés c’est le silence radio… Pire encore quand ils sont sur le point d’être intégrés dans l’armée et dans la police nationale congolaise et qu’on essaie de procéder à leur réelle identification, ils disparaissent dans la nature.
Et au bout du processus, où allons-nous ?
Il ne sera sans doute plus très compliqué un jour de déclarer dans l’Est de la RD Congo un état pro-rwandophone qui occuperait ces espaces toujours perturbés par eux-mêmes et où auront été implantées des populations venues du Rwanda, du Burundi, de la Somalie, de l’Erythrée. Ce sera un espace protégé par des armées d’expressions rwandaises qui auront massivement et progressivement intégré l’armée régulière et les frontières mitoyennes seront ouvertes largement au non de l’intégration régionale protégée insufflée tant par la CEPGL que la CIRGL. Il n’est pas anodin d’ailleurs, qu’à la sortie d'Addis-Abeba en février dernier, le Président rwandais ait insinué dans les médias qu’il n’y aurait pas de paix ou de stabilité régionale tant qu’on n’aura pas établi au Congo un espace où les tutsis se trouveraient sécurisés contre toute attaque des autres populations congolaises.
Il reste donc impensable et absurde pour les Congolais de cheminer dans des négociations qui se concluraient de nouveau par un nouvel afflux d’étrangers et par surcroît des militaires reconnus criminels dans une armée nationale appelée à se réformer. Si tel devait à nouveau être le cas, le pays en payera le prix un jour ou l’autre, et ces négociations auront été tout sauf un pas réel vers une paix et une souveraineté durable.
Par rapport à l’intégration régionale, la société civile, le pouvoir toutes tendances confondues, opposition et majorité présidentielle, et les amis du Congo devraient aider d’abord à une intégration nationale afin de réduire les inégalités qui sont à la base des frustrations et qui n’ont cessé de faire émerger les mouvements criminels. A ce sujet, on devrait procéder à l’émergence d’un partenariat équitable et négocié dans les normes en matière d’accès aux ressources naturelles de la RD Congo.
Enfin par rapport aux criminels, il est pour nous essentiel de ne jamais fléchir en les cajolant par crainte de récidive de leur part. Sinon désemparée, la population ne pourra que continuer à développer des mécanismes de survie et d’autodéfense contradictoires avec l’émergence de valeurs et de comportement d’un Etat de droit.
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