mardi 14 avril 2015

RDC: Des élections locales hypothétiques pour 2015

Après la publication du calendrier global des élections, la majorité des congolais pouvait enfin considérer que le processus tant réclamé venait de démarrer.
Hélas, 50 jours après, c’est toujours l’impasse. Embûches sur embûches se multiplient. Les opérateurs politiques semblent de plus en plus reconsidérer leur enthousiasme d’antan, et le pouvoir Kabila, en quête d’une formule qui lui permette de se maintenir à la tête du pays s’en retrouve conforté. Dès lors, les élections locales sont de plus en plus hypothétiques selon nombre d’analystes.

Le schéma burkinabé avait fait trembler les dirigeants africains allergiques à toute alternance. Plus récemment pourtant, l’exemple du Nigéria devrait rassurer sur les réelles possibilités d’alternance apaisée en Afrique.
Nous développerons ci-après cette épineuse question en trois axes de réflexion.

50 jours après publication du calendrier électoral global, le processus est toujours à la case départ!


A la lecture du dernier développement, il est désormais plus qu’évident qu’aucune des échéances, locales ou nationales, telles que publiées avec précision dans le dernier «Calendrier des élections provinciales, urbaines, municipales et locales 2015 et des élections présidentielles et législatives 2016» ne pourra jamais être tenues. En effet, selon l’esprit et la lettre de ce calendrier global publié le 12 février 2015, six opérations préliminaires indispensables pour la mise en marche du processus électoral devraient avoir démarré, fût-ce pour rassurer de la volonté politique mais aussi de la crédibilité de l’institution de gestion des élections en RD Congo. Ces tâches viennent alourdir la liste des véritables préalables. On sait les retrouver à la page 2 du calendrier. Il s’agit de:

  1. Les travaux de construction des bureaux et entrepôts de la CENI dans les démembrements - 12/02/2015
  2. La mise en place d’un système de sécurisé de télécommunication. 1ère et 2e phase: entretien du réseau existant et extension vers les secteurs et chefferies - 12/02/2015
  3. Élaboration des mesures d’application de la loi électorale - 12/02/2015
  4. Préparation du projet de répartition des sièges par le gouvernement et dépôt au parlement - 10/03/2015
  5. Examen et adoption de la loi portant répartition des sièges pour les élections communales et locales - 22/03/2015
  6. Audit externe du fichier électoral - 24/03/2015
Et comme ces étapes n’ont toujours pas démarré, peut-on estimer que le processus a réellement commencé?
Ou doit-on penser qu’un autre plan est envisagé dans le but d’élaborer un nouveau calendrier qui prendrait mieux en compte les préoccupations des parties prenantes, comme revendiqué par l’opposition et la société civile? Ou que la CENI se trouve en face de contraintes politiques et financières qu’elle ne maîtrise pas?

Plusieurs voix, comme celle de l’ONG AETA (1) diffusée ce 31 mars 2015, prennent de plus en plus de force pour proposer la mise en scelle de ce calendrier électoral alternatif ainsi que la convocation d’un dialogue politique. Parmi les éléments épinglés dans l’analyse d’AETA, nous relevons notamment l'attention portée sur la gestion des risques majeurs liés à la tenue des élections locales en 2015.
Nous avons-nous-mêmes, sur notre blog, exprimé de fortes inquiétudes sur l’aboutissement du processus tel que déclenché.
Nous invitons nos lecteurs à relire ce que nous en disions dans quelques-uns de nos articles:

  1. RDC: la révision constitutionnelle, un pas de danse, un pas dans l’enfer! (mai 2014)
  2. RDC: Encore une loi électorale ombrageuse (janvier 2015)
  3. RDC: Le Calendrier électoral global enfin publié, capitulation ou retour aux bons sentiments? (février 2015)
  4. Le processus électoral déclenché en RD Congo : attention à la fraude électorale, voire la fraude légale (mars 2015)
  5. Pas de sécurisation du processus électoral sans une police nationale impartiale - Rétrospective de la répression d'une manifestation de l'opposition à Bukavu en février 2014 (Est de la RD Congo) (février 2015)

D’interminables embûches jonchent la voie du processus…


On n’organise pas les élections pour les perdre dit un adage politique. Cet adage justifierait les différentes embûches et obstacles constatés dans le chef du pouvoir après qu’il ait manqué la possibilité d’introduire une révision constitutionnelle.
Toute la rhétorique d’Evariste Boshab développée au travers de son volumineux ouvrage intitulé "Entre la révision constitutionnelle et l’inanition de la nation" (Éd. Larcier, 444 pages) n’a pas su déclencher ladite Révision constitutionnelle…
Nonobstant, ceci lui mérita le poste gracieux de Vice Premier Ministre, Ministre d’Etat, Chargé des questions stratégiques dont l’Intérieur et la Sécurité. Ce poste élevé vient juste après celui de Premier Ministre et lui donne de larges possibilités de manœuvre d’ici les élections…

En quoi consistent ces embûches révélées à ce jour :

Primo, le démembrement des 11 en 26 provinces pendant l'année électorale


Il s'agit certes d'une obligation constitutionnelle liée à la décentralisation. Mais fallait-il attendre l’approche des élections pour déclencher la division des provinces (Katanga, Bandundu, Equateur, Orientale, les 2 Kasaïs) alors qu’elle était initialement planifiée pour 2010, soit trois ans après promulgation de la constitution de 2006?

Encore une fois on sait visiblement percevoir de la mauvaise foi du pouvoir dans de tels agissements au cours de ce fastidieux processus d'alternance. C'est un réel déficit de volonté politique. Le plus grave des coups qu'on peut asséner au processus électoral déclenché c'est de lui adjoindre le démembrement des six provinces pendant l’année électorale en cours. Rien que ce démembrement devrait coûter des milliards de dollars quand on sait seulement qu'aucune infrastructure devant les abriter n'est prête. De cette même façon, il avait été tenté de programmer le recensement général de la population alors que réalisme faisant, le réaliser en même temps que les élections s’avérait infaisable.

Pour illustration, visualisez dans le tableau ci-dessous l’ampleur estimée du seul paramètre relatif aux ressources humaines à payer avec l’installation des nouvelles provinces dans le cadre de la décentralisation (2).


Total général: 2082 + 3863 + 10857 = 16.802 postes à pourvoir par voie démocratique et électorale.

Enfin, au-delà de toute cette exigence en ressources tant humaines que logistiques et infrastructurelles induites par l’implantation de nouvelles provinces, il est absurde de prétendre réaliser l’installation des nouvelles provinces en une année électorale sereine car, l’opération oblige :

  1. de découper une province donnée en 4 nouvelles provinces (le gouvernement a annoncé 6 provinces à découper d’ici juillet 2015);
  2. de voter les députés de ces 4 nouvelles provinces soutirées d’une seule;
  3. d’élire les bureaux de ces 4 nouvelles provinces qui immédiatement après
  4. devront élire les 4 nouveaux gouverneurs & vices gouverneurs;
  5. d’installer immédiatement les 4 nouveaux gouvernements provinciaux…
A vous de juger si c’est réaliste ou si on peut estimer qu’il s’agit de jouer à la prolongation et/ou au glissement...

Secundo, la convocation d’un dialogue national de plus en plus réclamé par l’opposition et une frange de la société civile

Encore une boîte de Pandore, car on ne sait pas prévoir par où ce énième dialogue pourrait déboucher.
En effet, que peut engendrer un xième dialogue dans les conditions inégalitaires du moment, où le pouvoir durcit quotidiennement sa logique de non-ouverture?
Citons:
  • la privatisation et la politisation à outrance des services de sécurité avec des arrestations des opposants, 
  • l’enclavement du Congo profond et la précarité des moyens de communication restreignant fortement la mobilité des candidats,
  • les médias extrêmement verrouillés par un Ministre de communication enclin au sophisme, 
  • une communauté internationale indexée, prise à partie et régulièrement taxée de rouler pour l'opposition et la société civile...sont de multiples exemples des écueils en vue.
Dans un contexte aussi désespérant, l'opposition et la société civile, se sentent coincées, sans moyen, sans réelle marge de manœuvre… Elles sont contraintes de se rabattre sur la demande du dialogue comme voie de sortie. On peut a priori s’imaginer qu’au terme de ce dialogue, un gouvernement d’Union nationale en sorte et, au sein duquel le partage du pouvoir entre les protagonistes permettrait un accès de l’opposition aux moyens de l’Etat congolais.
Pareil dialogue, s’il avait lieu ne pourrait se révéler qu’un coup de politiciens (toutes tendances confondues) et se faire contre les intérêts de la population. Des rumeurs persistantes font état de pourparlers en coulisse allant dans ce sens.
Il faut se rappeler qu'en 2005, ce fut pareil. N'eût été la clairvoyance de la société civile qui a clamé tout haut à travers des manifestations généralisées: "Allons droit aux élections sans tergiverser" on risquait de s'enliser...
Alors, comment ne pas sourciller devant une opposition visiblement désarticulée qui, depuis bientôt une décennie n’a pas réussi à s’entendre sur une tête de file pour canaliser ses aspirations et renforcer ses luttes?
Il y a toute chance que ce dialogue soit similaire à la Conférence nationale souveraine qui, au crépuscule du règne du Maréchal Mobutu, a pris deux ans pour finir par être dissoute au moment où ses commissions sensibles devaient rendre publique l’économie de leurs travaux. Les commissions avaient annoncé qu’elles allaient « éventrer le boa »... Un immense travail avait été réalisé, mais sans lendemain car ses géniales résolutions n’ont jamais été mises en pratique…

Tercio: la poussée de la Monusco à la sortie


Face à la défaillance de la Monusco dans nombre de ses missions antérieures, surtout dans la sécurisation des citoyens, la majorité des personnes soumises à un sondage (91%) à Kinshasa, Goma et Bukavu estiment que « la Monusco s’est toujours employée à la protection des milices plutôt qu’à mettre fin à leurs activités (No Nkunda, no job)…) et à d’autres faits." Depuis novembre 1999, la mission onusienne aurait plus brillé par les scandales autour du trafic des minerais, du carburant, d’approvisionnement des milices plutôt que par des grandes victoires sur le terrain… Le pouvoir veut négocier la sortie de la Monusco.
Par contre, quelques partis politiques de l’opposition et pas mal d’organisations de la société civile congolaise estiment encore que la présence de la force onusienne serait une garantie supplémentaire pour le respect du calendrier électoral par toutes les parties.
De son côté, le Rwanda ne souhaiterait pas mieux que l’éjection de la Monusco soit faite, histoire de revanche pour avoir dénoncé au travers de rapports extrêmement détaillés les exactions des
troupes rwandaises en RDC… Le Rwanda hausse également le ton pour faire voir à son tour l’inefficacité de la Monusco et son incapacité à anéantir les FDLR dans l’est de la RD Congo…
Toutefois, on ne peut nier que la Monusco aura tout de même été d'une grande utilité dans l’accompagnement des élections de 2006, notamment en disponibilisant ses experts en matière électorale, par sa présence dans tous les coins du pays ainsi que grâce à sa lourde logistique et sa Radio Okapi, média à grande portée qui couvre l’ensemble du pays...
Le déclenchement simultané de la traque des FDLR sans les Nations Unies renfermerait autant de risques de recréer une guerre qui rendrait inaccessible certains coins du pays et ne pourrait rester loin de tout soupçon pour les acteurs qui ont vécu au jour le jour la situation d’un conflit régionalisé dans les Grands-lacs africains dans toute sa complexité…
Et si pourtant, sous la pression de la population, le pouvoir était quand même contraint d’organiser des élections et les perdait, les nouveaux dirigeants pourront-ils se tirer d’affaire d’un héritage d’avance miné, jonché d’innombrables embûches?

L’impasse devant : «Sors de là que je m’y mette» et, d’autre part «J’y suis et j’y reste!»


Devant cette impasse, on peut craindre que les protagonistes, opposition comprise, semblent être en train de rabaisser leurs prétentions, au point d’arriver à ce qu’on appellerait : « Mettons-nous ensemble et mangeons ensemble ». Même si, pour le pouvoir en place, il est de bonne guerre d’encore développer sans démordre des dispositions pour se maintenir, avec ou sans l’actuel commandant de bord.
Dans un tel contexte, le dialogue ne sera encore qu’un jeu de dupes qui ressemble à une conjuration contre tout un peuple qui, pourtant, a déjà manifesté sa ferme détermination à voir arriver le changement et cela, au prix du sacrifice de ses fils et de ses filles. Au stade actuel, le maître-mot de la population, c’est l’alternance en vue de la sanction des urnes. Le dernier vote de la loi électorale contestée par la population a rendu les électeurs plus méfiants à l’égard des députés qu’ils ont élus lors des derniers suffrages. Les évènements de janvier 2015 sont restés un signal qui ne trompe pas et, quoiqu’il en coûte, la population est restée vigilante.
Enfin, « vouloir les élections, bonnes ou mauvaises » n’est pas uniquement animé par le désir de la sanction car, avec les développements de la situation socio-politique en RD Congo durant ces deux dernières législatures, les élections sont désormais perçues comme du business, un enjeu alléchant qui permet aux élus un embourgeoisement rapide et facile. Pour les électeurs, c’est finalement l’occasion de donner la chance à d’autres personnalités (de préférence des familiers) d’être servi et non laisser toujours les mêmes personnes s’enrichir sur son dos!
Peut-on, à ce stade, confirmer l’impasse si, 50 jours après la publication du calendrier les choses ne bougent toujours pas alors qu’on trouve au calendrier quelques tâches qui ne demandent pas des moyens exceptionnels? Il semble bien que oui…
Dommage, d’autant que, pendant ce temps, les partis politiques de l’opposition et la société civile donnent à leur tour l’impression de rester dans une position attentiste et de se contenter de miser sur une médiation étrangère pour l’arbitrage en leur faveur…

Voilà ce qui nous semble se mettre en place du côté des politiques: un plan B pour s’accorder pour l’exercice du pouvoir et le partage de ses bénéfices.
Seule la population peut empêcher cette dérive. Ses masses populaires désabusées, avec en tête les motards, les étudiants, les désœuvrés, les défenseurs des droits, les personnes vivant «au taux du jour» et curieusement même les Eglises, n’ont pas dit leur dernier mot…

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(1) AETA asbl: Agir pour les Elections Transparentes et Apaisées
(2) Besoins en ressources humaines et infrastructures induites par la décentralisation en perspective du démembrement annoncé en juillet prochain.

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