C’était au risque de leur vie. Il faut en effet se rappeler que précédemment, le 2 juin 1966, quatre compatriotes avaient été pendus à la Grand-Place de Pont Cabu (actuel Pont Kasa-Vubu) pour atteinte à la sûreté intérieure de l’Etat.
Trente cinq ans plus tard, on dirait que l’histoire est en train de se répéter puisque sous les tentatives saugrenues du régime de Joseph Kabila de se maintenir au pouvoir au-delà du mandat constitutionnel qui prend fin le 19 décembre 2016, un groupe de sept partis politiques (1) (G7) membres de la majorité présidentielle vient de claquer la porte de cette majorité, le 14 septembre 2015, en dénonçant dans une correspondance adressée au chef de l’Etat toutes les manœuvres dilatoires pour prolonger son mandat et ne pas respecter la constitution de la république.
Cette correspondance est à la base d’une grande et importante fronde au sein du régime Kabila. Elle entraîna plusieurs démissions en cascade dans les institutions publiques allant du gouvernement central aux gouvernements provinciaux. La dernière démission en date est celle du mardi 29 septembre 2015 du tout puissant gouverneur du Katanga, Moise Katumbi Chapwe qui a démissionné du parti présidentiel le PPRD (2) et de son poste de gouverneur de province. Comme ses pairs du G7, il dénonce la volonté délibérée du régime en place de ne pas respecter la Constitution qui limite à deux seulement le mandat du chef de l’Etat.
Une minute de courage peut-il récompenser des années (9 ans) de lâcheté ?
Au regard de ce théâtre politique qui ressemble a du déjà vu et déjà entendu, les citoyens se demandent si pareille situation fait avancer ou reculer la démocratie puisque tous ces gens ont géré le système depuis dix ans. Pourquoi est-ce seulement à une année de la fin du règne qu’ils se précipitent à quitter le régime. Comme qui dirait «quand le bateau veut chavirer, le rat en sort toujours le premier». Toutes les stratégies appliquées actuellement par les faucons du régime en vue de prolonger le mandat de Kabila ont été concoctées et ficelées avec eux: la tricherie électorale de 2011, la sortie du livre du professeur Evariste Boshab sur le troisième mandat de Kabila ou l’inanition de la nation congolaise, les évènements de janvier 2015 autour de la fameuse loi électorale et son article 8 (loi dite loi Evariste Boshab), les concertations nationales, les violations graves des droits humains, les détournements faramineux des biens publics… ils étaient tous là.Il n’est jamais tard pour mieux faire, dit-on, mais en politique tout se fait par calcul des dividendes et pas vraiment par souci du bien-être de la population. Il y a donc lieu d’être dubitatif sur la sincérité de cet acte de démission de la majorité présidentielle posé par ces véreux et vétérans politiciens congolais. Ce doute peut doublement induire quelques appréhensions de la situation. D’abord, on peut certes croire que le G7 en a eu ras-le-bol du régime Kabila puisque ce serait la troisième fois qu’ils auraient écrit au chef de l’Etat pour lui faire part des malaises qui gangrenaient leur famille politique.
Ensuite, rien n’empêche de penser qu’il s’agisse là d’une stratégie interne à la majorité et ou des katangais pour flouer finalement l’opposition qui, soutenue par la population, s’oppose farouchement au 3e du mandat de Joseph Kabila. Le chef de l’état est lui-même du Katanga. Cette hypothèse se défendrait par l’inconstance des opérateurs politiques congolais qui n’ont ni convictions idéologiques, ni une vision politique à long terme pour lesquelles ils accepteraient de tout perdre. Cette culture de renier facilement sa tendance politique la journée et la confesser la nuit et vice versa date de 50 ans. On dit que toute l’opposition d’Etienne Tshisekedi n’a consisté qu’à ce jeu-là, faire le jeu de la survie politique par le mensonge public. Où s’arrêtera donc la honte congolaise ? Il faudrait une nouvelle éthique de l’engagement politique devant cette incertitude démocratique qui risque de conduire à une régression. Cette culture qui apprendrait aux politiciens congolais de s’assumer et d’avoir le courage de leurs convictions.
Quelle incidence sur la démocratie congolaise ?
Le retrait du G7 de la majorité présidentielle pourrait donc être une stratégie katangaise de conserver le pouvoir au Congo, dès lors que tout potentiel dauphin à Kabila, de quelle trempe qu’il soit, fut-ce Moise Katumbi, n’aurait pas la chance d’être élu à la présidentielle sous le label du PPRD à cause des crises de légitimité, de pénétration et de distribution des richesses nationales surtout quand s’ajoutent le détournement des biens publics et la corruption qui caractérisent le régime depuis 15 ans.Légalement investi, Joseph Kabila n’a pas été accepté par les gouvernés à cause de son inefficacité face aux demandes des congolais; sa gouvernance n’a pas su contrôler le territoire national avec des politiques publiques conséquentes et une stratégie de communication adéquate. Cela étant, il était stratégiquement indispensable aux potentiels présidentiables de se lancer en opposition pour se faire accepter par les citoyens, mais là encore tout n’est pas gagné.
Le G7 est constitué de personnalités bien rodées en politique mais dont l’acte de démission, perçu comme une bravoure par certains, souffre tout de même d’un handicap gênant: celui d’avoir collaboré avec le régime de Joseph Kabila et bénéficié de ses faveurs depuis 10 ans mais aussi des nostalgiques du mobutisme.
Il sied de remarquer que certaines institutions d’appui à la démocratie sont (momentanément peut-être) en difficulté de fonctionnement suite à cette démission, car beaucoup d’entre elles fonctionnent sur base de quota des parties de la majorité présidentielle. C’est pourquoi par exemple la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI), dont certains animateurs appartenaient aux partis du G7, doit procéder à leur remplacement. Ce processus de remplacement aura certainement des répercussions sur le processus électoral particulièrement en ce qui concerne le calendrier électoral déjà en retard. Dans le contexte actuel, on peut imaginer que pour opérer ce bouleversement, le régime en place s’évertuera à prendre son temps. Il en est de même pour les bureaux de l’Assemblée nationale et du Sénat: mutatis mutandis en province. Nous ne parlons pas encore des mandataires dans les entreprises publiques sachant que l’Etat est un tout.
Par ailleurs il faut se rappeler que le G7 compte 80 députés à la chambre basse, ce qui fait de lui désormais la première force de l’opposition politique à la défaveur de l’UDPS d’Etienne Tshisekedi qui compte 41 députés et de l’UNC de Vital Kamerhe qui n’en compte que 17. Ceux-là n’ont jamais compris la nécessité de s’allier pour être fort. Après les élections de 2011, l’UDPS et l’UNC ont été proclamé successivement deuxième et troisième partis politiques de l’opposition, ils sont tous et chacun jaloux de ce positionnement. Dans ces conditions, quel genre de compromis pourrait se réaliser entre ce G7 et les autres partis de l’opposition et combien de temps faudra-t-il pour le faire puisque depuis 2011 ces derniers ne se sont jamais mis d’accords sur leur porte-parole.
In fine, toutes ces péripéties risquent d’écorner encore plus le processus démocratique déjà menacé par la volonté du régime de se maintenir au pouvoir au-delà du mandat constitutionnel. En outre, si demain les élections sont enfin là, il est davantage certain que le peuple se trompera sur les individus à choisir et sur les projets de société qui se présenteront à lui.
Beaucoup d’analystes politiques pensent que la démocratie a été, pour l’essentiel, un échec en Afrique, probablement du fait d’une conjonction de raisons structurelles et conjoncturelles (prise du pouvoir par des despotes peu éclairés, absence de structures étatiques, insuffisante éducation du peuple…). Ils n’ont pas du tout tort. En République Démocratique du Congo, les raisons structurelles et conjoncturelles sont très prononcées puisque la scène politique congolaise est marquée par la multitude des partis politiques et des acteurs sans ligne idéologique connue et défendue. Tout est marqué par une corrosion dénotée par une inconstance politique qui décrédibilise les acteurs politiques congolais.
Il suffit de revisiter les déclarations de tous les membres du G7 particulièrement celles de Moise Katumbi lorsque Vital Kamerhe (ancien secrétaire général du parti présidentiel) avait quitté la majorité présidentielle pour s’en convaincre. Elles étaient d’un acharnement indicible et des critiques virulentes à son encontre le traitant de traître aux ambitions démesurées. Aujourd’hui le temps a-t-il tranché ?
Somme toute, la fronde actuelle au sein de la majorité présidentielle pourrait avoir une double conséquence sur la démocratie en République Démocratique du Congo: d’abord affaiblir l’enracinement de la démocratie dans la mesure où ces démissions du G7 ne seraient pas sincères et s’inscriraient dans une logique noire du parti au pouvoir de flouer l’opposition politique et le peuple congolais qui s’opposent farouchement à la révision constitutionnelle en janvier 2015 et au glissement du mandat du président au-delà de décembre 2016. Mais cela étant, il ne faudra pas oublier que selon l’américain Juan Linz, un système politique s’écroule toujours lorsque le pouvoir éclate et lorsqu’il n’y a plus de croyance en la légitimité des acteurs politiques et des institutions. La révolution éclate toujours lorsqu’il y a un fossé entre les aspirations légitimes du peuple et les décisions du gouvernement. Selon Feyarebend, la révolution découle aussi d’une frustration, et sont considérés comme frustrés, les individus aspirant légitimement à une situation mais qui se trouvent bloqués par d’autres individus ou par un système sur le chemin de l’accession à la dite situation. Le ferment agitateur est fin prêt pour que le peuple se soulève contre tout acte politique qui tendrait à lui confisquer la satisfaction de ses aspirations. Cette fronde place-t-elle le Congo-Kinshasa sous le schéma burkinabé ? Difficile à dire pour l’instant.
Si par contre, le G7 joue franc jeu de l’opposition et de la population congolaise, la démocratie en sortira métallisée et stabilisée. Et leur acte sera pris pour un acte républicain et de grande bravoure politique: déjà que la culture de démissionner est une grande valeur citoyenne et démocratique, mais si cela est un grenouillage, la république et la démocratie en sortiront affaiblies.
Wait and see disent les anglais!
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(1) Le Mouvement Social pour le Renouveau (MSR), l’Alliance pour le Renouveau du Congo (ARC), le Parti Démocrate-Chrétien (PDC), l’Avenir du Congo (ACO), l’Union Nationale des Fédéralistes du Congo (UNAFEC), l'Union Nationale des Démocrates Fédéralistes (UNADEF), l’Alliance des Démocrates pour le Progrès (ADP).
(2) PPRD : Parti du Peuple pour la Reconstruction et la Démocratie.
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