L’Etat congolais va inexorablement vers une situation de cessation de payement. Les caisses de l’Etat sont vides. Les grèves se multiplient. Les enseignants, les infirmiers, les fonctionnaires, les personnels d’universités et bien d’autres sont en cessation de travail… Mêmes certains agents de l’Etat du Ministère du budget, chargés d’assurer l’organisation de la paie, sont en grève parce qu’ils n’ont pas touché leurs primes permanentes. Les parlementaires provinciaux vont faire au minimum 6 mois sans que leurs salaires soient payés. La rétrocession (40% des recettes de l’Etat doivent être rétrocédée aux Provinces) n’est plus rétrocédée… Il est difficile de dire où passent les maigres recettes de l’Etat. Il y a quelques 9 mois, le dollar américain s’échangeait à 920 francs congolais (Fc). Aujourd’hui, il se stabilise temporairement à 1570 Fc. C’est dire, en d’autres termes, que ceux qui gagnaient 75000 Fc (fonctionnaires et autres) ont perdu plus de 32 dollars sur leur salaire. Ce qui valait auparavant quelques 80 dollars n’en représente plus que 48 ! Ce qui fait 40% de perte alors que tous les produits de première nécessité ont augmenté de plus de 50%, comme le pain dont la quantité a aussi diminué… Complaisance? Incompétence? Complicité? Ou tout simplement dérèglement total? En tout cas plus rien ne va!
Pour le constater, il suffit tout simplement de se placer sur une jonction du boulevard du 30 Juin avec les autres routes secondaires… Le feu de signalisation n’a pas de sens: on en viendrait à croire que la police ou l’autorité de circulation routière avaient émis des permis de conduire avec une mention spéciale: « autorisation de brûler les feux de signalisation »… La police routière vit de cette dérégulation, car ici tel chauffeur lui donne 200 Fc, celui-ci 500 Fc, etc. Les policiers qui travaillent dans la brigade routière sont souvent en bonne santé. Gros avec des joues bien arrondies! La route est en effet leur « bilanga », leur champ. Le matin, ils vont au champ. Il est aussi à constater que leur nombre est de plus en plus important et que les méthodes changent. Ils n’hésitent plus à sauter au travers de la vitre de la portière pour prendre la clé de contact du chauffeur de taxi. De plus en plus, ce sont eux qui conduisent pour amener le chauffeur et son véhicule au « bureau de police ». Alors très souvent, quand les chauffeurs taxi arrivent dans une station terminus, ils vous demandent de payer à l’intérieur du taxi, alors que les vitres sont montées et que les portières sont bloquées. Un véritable jeu de chien et chat ! Très souvent la population regarde les policiers agir en véritables gangsters sans broncher. Elle fait sans doute payer aux chauffeurs leur manque de courtoisie. Car, c’est 1 pour 1000 chauffeurs de taxi de Kinshasa qui te dira merci quand tu lui donnes l’argent pour la course. C’est une profession de plus en plus arrogante, typique, qui traduit bien les désordres vécus, dans tout le pays, du dedans au dehors, dans l’attente de quelqu’un qui pourra remettre de l’ordre. Cette police qui devrait assurer la sécurité des chauffeurs, crée en réalité l’insécurité de ces derniers. Mais comment pourrait-il en être autrement dans une ville où l’infrastructure routière, capable de voir évoluer 5000 à 10.000 véhicules, doit en absorber plus de 2.000.000… Rien qui suit l’évolution de la démographie.
Début septembre 2017, à Kintambo, on a pu voir un cortège de policiers avec de gros engins, des mitraillettes montées sur des engins mobiles, avec un policier qui tourne la mitraillette dans tous les sens, des lance-eau et d’autres camions de transport des troupes… La vitesse de ce cortège de ces engins de mort était bien lente ! A Assanef, 7 km plus loin, sur l’avenue de 24 Novembre, le même cortège… C’était clairement une démonstration de force, un peu comme un avertissement. Un processus pour installer ou inoculer une peur au sein de la population. On étalait le matériel anti-émeute, sans émeute… juste pour montrer ses muscles.
Par ailleurs c’était une démonstration de force sans grande conviction des acteurs, face à une population indifférente. Les policiers sont de plus en plus des adeptes de « l’éloge de la fuite ». C’est la population qui se fait justice aujourd’hui dans la majorité de communes de la ville de Kinshasa et dans le pays en général. Dans ma commune, à 20 minutes à pieds de la République de la Gombe, Gondwana calme, la population avait attrapé un brigand communément appelé « Kuluna », connu et recherché. Il portait un beau et bon nom: Jésus. La population a décidé de le brûler vif car il avait commis beaucoup de torts. Il a été brûlé vif et la police qui était pourtant à proximité est venue seulement 3 heures plus tard pour dire « vous avez fait un bon travail »… La criminalité est à son niveau le plus élevé de tout temps. Et la police est la plupart du temps absente, quand ce ne sont pas les policiers eux-mêmes qui posent des actes répréhensibles.
Ce n’est pas seulement à Kinshasa que se vit ce très bas niveau de l’ordre, mais encore, et plus dramatiquement, à l’Est, de manière plus « structurelle »… Aujourd’hui encore, on compte plus de 70 groupes armés présents dans les zones minières des deux Kivu, l’ancienne province de l’Orientale et le nord de l’ancienne province du Katanga. Rappelons que l’actuel président avait été élu en 2006 dans les 2 Kivu sur la question de la paix, avec un score très élevé. Mais la Pax-Kabila n’est jamais arrivée. La sanction a suivi en 2011 et elle pend toujours. La confiance n’y est plus. L’apparition des Filimbi, des Lucha et autres Indignés en témoigne clairement.
Dans le Kasaï, nous avons suivi avec intérêt les histoires de Kamwanasapu, où il était très difficile de démêler le vrai du faux. Les têtes des policiers tombaient-elles? Pourquoi fuyaient-ils? Pourquoi ce mouvement de rébellion a-t-il pu durer sans être maîtrisé ni par la police ni par l’armée? Quelle est son origine? D’aucuns sont convaincus qu’il s’agissait là seulement d’une stratégie pour créer des troubles et justifier le report des élections au niveau national. Quelle est vraiment la réalité? Tant de questions sans réponse jusqu’à maintenant. Reste que tout cela révèle un malaise profond de gouvernance et démontre que notre armée n’est pas équipée pour faire face à de telles éventualités tant internes qu’externes.
Le retour sur le devant de la scène de William Yakutumba le démontre bien. L’opacité de l’information n’aide pas, mais il est cependant clair que sans la présence et l’intervention des forces de la MONUSCO nos forces armées n’auraient sans doute pas combattu. La situation de notre armée aujourd’hui a beaucoup de similitudes avec celle d’un Mobutu finissant. La clochardisation des hommes de troupes reste une réalité quotidienne pour la très grande majorité… Les jeunes recrues ne vont pas vraiment combattre. Quelles convictions ont-elles? Quelles sont les raisons qui les ont poussés dans l’armée? Rare sont ceux qui sont motivés par la « beauté » de la guerre qui leur est offerte comme première expérience militaire… Et ceux qui ne sont pas partisans de « l’éloge de la fuite » deviennent tout simplement de la chair à canon. Le même imbroglio que l’on retrouve à Kinshasa, où les agents de l’ordre n’assurent plus l’ordre est perceptible dans tout le pays…
Cette question de l’ordre (ou du désordre) se pose avec une forte acuité et atteint un niveau inimaginable dans notre pays en « paix ». S’il est vrai est que, par rapport à tous les pays qui nous entourent, non seulement nous sommes un géant, tant par l’étendue du territoire que par les richesses qu’il contient, par le nombre d’habitants (plus de 80 millions d’habitants), nous devrions aussi l’être comme foyer de production par excellence ! Mais, tel n’est pas le cas. Le phénomène Lufu par lequel l’industrie locale fait face à une sérieuse menace venant de l’Angola qui pourrait emporter son maigre et faible tissu industriel, compromettre la souveraineté alimentaire… En effet, les produits en provenance de l’Angola, connus sous le nom de « Biloko ya Lufu », déferlent sur Kinshasa. Le Kongo Central et l’ex Bandundu sont maintenant présents partout dans les 17 provinces frontalières avec un autre pays. Tout processus de production congolaise est étouffé… Les taxes pleuvent sur toute initiative d’un national et la noie jusqu’à ce que mort s’ensuive. Alors, les 17 provinces frontalières de notre pays deviennent tout simplement des points d’entrées des marchandises que tous les pays voisins déversent sur la RD Congo. On s’étonne alors que la carte de la sécurité alimentaire de la RDC varie entre crise et famine! Il est clair que le non ordre ne donne pas au paysan ni le temps, ni la quiétude nécessaires pour la production des denrées alimentaires…
Du pain béni pour les les professionnels des urgences, les humanitaires et les autres comme la Banque Mondiale, PAM et leurs cohortes d’experts, qui » volent » au secours des populations… Leurs apports ne dureront qu’un temps et les conséquences du non-ordre continueront à se faire sentir longtemps. Les « piluliers » – ceux qui font passer la pilule – pourront poursuivre leur business. Nos populations le savent et sont de moins en moins dupes.
Dans cette situation persistante de « non-ordre », l’équipe qui dirige l’Etat congolais est incapable de défendre le citoyen, de le protéger. Les 15 années du pouvoir actuel n’ont pas donné ni la sécurité ni la paix au pays. Le « non-ordre » aura été permanent, entretenu et peut-être voulu.
La complaisance qui règne dans toutes les affaires de l’Etat est immense. Un fait illustre le niveau qu’elle peut atteindre: le président tchadien avait déclaré que, de gré ou de force, le Tchad allait prendre l’eau de la rivière Oubangi ! La RDC n’a jamais bronché… Ni le Ministre des affaires étrangères, ni le Ministère de la Coopération internationale, ni aucun Premier Ministre, ni le Président de la République. Ce message a été relayé par les autres présidents des pays autour du Tchad mais la RDC est restée muette. Silence de complaisance, de complicité ou incompétence?
Complaisance et dérèglement encore dans le secteur de la justice. Amener un Monsieur Lambda à la justice est chose risquée. L’utilisation des procédures a atteint des niveaux invraisemblables. Deux parties payeront et payeront encore tout au long des procédures et à la fin il n’y aura pas de justice. Tout est procédure. On passe de procédure en procédure et chaque fois c’est comme si on recommençait tout à nouveau. Et au bout du compte, les 2 parties auront payé et payé encore, sans que justice ne soit vraiment rendue. Le plus fort financièrement a les meilleurs atouts pour l’emporter. Cependant, même les faibles financent les avocats, les magistrats et autres personnels de la justice.
Les séjours en prison eux-mêmes sont soumis à la loi de l’argent. Si tu détournes un peu d’argent et que tu te retrouves en prison, tu y passeras à coup sûr un très mauvais séjour car les faiseurs de loi de la prison te traiteront d’idiot pour avoir volé peu d’argent et tu ne seras pas capable de leur donner leur part! Mais si tu as détourné des millions, tu seras un héros car tu pourras partager… Et, ton séjour en prison sera doux et assisté!
Cette complaisance annihile l’intelligence du système. Un exemple: dans le livre de Paul Baril, un gendarme français, « Parole d’honneur », il affirme que le leadership du Rwanda a tiré plus de 3 milliard de dollars américains des exploitations illicites des minerais par des groupes armés dans les deux Kivu, et ce sur une période de 2 ans… Il donne même le nom de la personne de service qui faisait la navette entre les mines illicites des Kivu et Kigali, pour y déposer de grandes quantités de minerais. Il fait état de la mésentente entre cet agent et le président rwandais et il signale de plus où se trouve aujourd’hui ce monsieur de service… Sans la complaisance au sommet de la justice dans notre pays, et alors que nous sommes dans une situation de cessation de payement, un pays «souverain» ne devrait-il pas ne fut-ce qu’ouvrir une information judiciaire et remonter cette filière? Pour quelles obscures raisons ne le fait-on pas? Où vont les richesses du pays?
A l’époque de Mobutu, la Gécamines a extrait jusqu’à 550 milles tonnes de cuivre. A l’époque, on sentait le pays vibrer car cette manne du cuivre allait dans tous les systèmes de distributio et de solidarité. Aujourd’hui, la production du cuivre a dépassé le million de tonnes, mais pourtant, la pauvreté s’accroît et l’Etat est en cessation de payement!
Comme disent certains compatriotes dans la pénibilité du transport en commun dans la ville de Kinshasa: « Letat akufa na mboka oyo : L’Etat est mort dans ce pays ».
Pourtant, avant de rentrer dans sa logique de spirale infernale qui entraîne inexorablement l’équipe du pouvoir vers la sortie, l’Etat avait tenté un certain nombre d’actions!
La plus importante est celle qui a marqué la 2e moitié de la décennie 2000 et que l’on avait appelé le contrat Sino-Congolais. Au départ, 9 milliards de dollars. C’est sur ces bases qu’on a lancé la politique de 5 chantiers, sur le slogan « la Révolution de la modernité ».
A l’époque, les autres créanciers de la RDC avaient tant réagi que le montant de cet engagement fut réduit à 6 milliards et que la garantie de la RDC fut supprimée. Le FMI et la Banque Mondiale furent le fer de lance de cette réaction, dénonçant sa très grande opacité (ces termes finaux n’ont jamais été dévoilés au public…). Le pays n’aurait pourtant rien à perdre à lever le voile sur ce contrat… Cette opacité n’est bonne ni pour la Chine ni pour la RDC. Elle laisse au contraire à penser qu’il y a effectivement des clauses embarrassantes qu’il vaut mieux occulter.
Ce contrat était basé sur un échange entre « les mines et les infrastructures ». Ce sont « les amis en besoin » qui se sont rencontrés. 10 ans après, la Chine s’est servie en minerais, mais de l’autre côté, on est en droit de se demander où sont ces fameuses infrastructures tant attendues. Les besoins de l’un n’ont pas résolu les questions fondamentales de la RDC. Dans la version 2007 de ce contrat, la dominante porte sur les mines et les infrastructures. Quelles sont les quantités des minerais que la Chine a déjà prises au titre de ce contrat? A combien de dollars américains ces quantités sont-elles évaluées? Que reste-t-il de ce contrat? Quelles sont les infrastructures que la Chine a construites au titre de ce contrat? Quels ont été les garde-fous pour que ce contrat ne soit pas le lieu de la corruption en RDC et en Chine?
Il est donc très difficile de dire aujourd’hui que le contrat sino-congolais a bien aidé le pays. On peine à croire au « gagnant-gagnant ». C’est sans doute comme tous ces produits que la Chine déverse sur le continent avec l’aide de commerçants africains: des produits pour leur temps, court, à usage unique…! Ces produits sont achetés à des prix «imbattables» vers le bas et vendu à des prix tout autant «imbattabl », mais vers le haut. Il est donc urgent de se poser la question de l’intérêt pour la RDC de la coopération chinoise, d’en évaluer les résultats, les forces et les faiblesses du point de vue de la RD Congo.
Car en définitive, ce ne sont ni les chinois, ni les belges, ni les américains ni les « marsiens » qui viendront développer la RDC. Nous devons nous organiser par nous-mêmes! La révolution de la modernité construite sur les fonds chinois, dans un environnement de double corruption, ne pouvait pas produire des résultats satisfaisant les exigences de notre développement. La révolution de la modernité n’a pas révolutionné grand-chose… parce que la RDC ne se développera pas avec les valeurs produites ailleurs.
Nous devons produire nos valeurs. Alors, comment coopérer? Remettons en avant une idée de Malcom X qui disait que nous devions mettre en place un nouveau jeu adulte qui défend nos intérêts et qui reconnaît aussi ceux des autres. Et, ceux qui viennent chez-nous doivent jouer le jeu avec les règles que nous aurons mises en place. Comment le faire? Quelles en sont les exigences? Ceci est possible si seulement nous avons une vision de notre propre devenir et si nous mettons en place les outils pour que ce devenir soit effectif. C’est dans ce processus que nous devrions situer la place de celui qui vient de loin et qui veut collaborer à notre devenir. Pendant 50 ans nous avons coopéré de la même façon! Il est temps de nous arrêter et de remodeler notre coopération pour enfin coopérer autrement, au-delà des sentiments. « Les amis dans le besoin » n’est pas une vision de coopération ! Tout compte fait, c’est un autre mensonge. Il nous faut mettre sur pieds une coopération adulte et non complaisante. Ceci est possible et nous avons des pistes pour cela!
Concluons simplement en disant que la fin de la complaisance pourra sonner quand l’Etat reconnaîtra sa première valeur qu’est le Congolais. Quand l’Etat se décidera de savoir:
> Qui est congolais?
> Que fait le congolais?
> Et Où est le congolais?
C’est seulement sur base de ceci que l’Etat pourra lever sa construction « sur, avec et pour » le congolais dans une perspective réelle de développement, fondée sur une vision qui galvanise à tous les niveaux, vivante au raz du citoyen. Il faut alors conscientiser et éduquer l’actuelle classe politique et bien former ceux qui demain feront la politique: les jeunes.
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