1ère lecture : Exode 13, 3-10 Psaume 5, 6-8 Evangile : Matthieu 25, 14-30
Excellence Monseigneur le Vicaire Général,
Chers Frères et Sœurs dans le Seigneur,
Chers Compatriotes,
La RD Congo, notre pays, célèbre aujourd’hui un jour exceptionnel : le 60e anniversaire de son accession à la souveraineté internationale. Nous n’avons pas le droit d’oublier ce jour qui a été l’aboutissement de tant de sacrifices et du sang versé par les vaillants fils et filles du Congo.
Comme nous l’avions entendu dans la première lecture, à la sortie d’Egypte, Moïse avait dit aux Israélites : « Souvenez-vous de ce jour » (Ex 13,3.8). Et nous peuple congolais, nous avons ce grave devoir de mémoire, de nous souvenir de ce jour.
Seulement, l’événement que nous célébrons aujourd’hui est aussi, en partie, à la source de notre malheur d’aujourd’hui. Contrairement aux pays voisins, l’indépendance du Congo, obtenue le 30 juin 1960, a été une indépendance plus rêvée que réfléchie : alors qu’ailleurs, on réfléchissait sur le sens de l’indépendance, on préparait les gens aux conséquences de l’indépendance ; nous, au Congo, nous rêvions l’indépendance ; de telle sorte que notre indépendance a été rêvée avec émotion, avec passion, avec l’irrationalité, au point qu’à ce moment-là, nous ne savions pas ce qui nous attendait le lendemain. La conséquence sur le comportement des Congolais qui ont eu à accéder des responsabilités continue encore à se vérifier aujourd’hui.
Rêver de l’indépendance signifiait pour les Congolais de l’époque : accéder à l’indépendance pour occuper les postes des Blancs, s’asseoir sur les sièges des Blancs, jouir des avantages qui étaient réservés aux Blancs et pas aux Indigènes à l’époque. Accéder à l’indépendance signifiait pour beaucoup, la fin des travaux forcés, justement ; mais au-delà des travaux forcés, l’indépendance était comprise comme la fin de tous les travaux salissants. A l’indépendance, nous ne ferons plus des travaux de terre, nous serons tous des chefs. Nous allons occuper les postes des blancs. Le lendemain de l’indépendance, et cela s’est vérifié avec la décision de la zaïrianisation, les Congolais ont occupé les postes des Blancs. Et étant donné qu’ils ne comprenaient rien de ce que faisaient les Blancs quand ils occupaient tel ou tel poste, l’exercice d’autorité, l’exercice des charges, que ce soit des charges politiques ou dans le socio-économique ou dans l’administration a été compris comme l’occasion de jouir comme les Blancs.
Ainsi, l’exercice d’autorité au Congo a été compris comme une occasion de jouissance. On accède au pouvoir pour jouir, non pas pour rendre service à ceux qui sont sous ma responsabilité mais pour jouir comme le Blanc. Alors que ce dernier, quand il était assis sur ce fauteuil, il ne faisait pas que jouir. Il travaillait. Il comprenait le sens de son travail. Nous, par contre, nous avons mis de côté le service à rendre aux autres et nous avons mis l’accent sur la notion de la jouissance.
Un regard rapide sur les soixante ans qui viennent de se passer montre que ce grand rêve des Congolais a été progressivement brisé par une série de faits et événements. Nous avons connu la succession des régimes autocratiques qui arrivent au pouvoir comme les colons sans aucun souci de la volonté du peuple et cela continue jusqu’aujourd’hui : par la force, les guerres ou par la ruse, la fraude et en installant un système égoïste dans la gestion de la chose publique au lieu de promouvoir le bien-être commun du peuple congolais à qui on estime qu’on a aucun compte à lui rendre parce que ce n’est pas à grâce de lui qu’on est arrivé au pouvoir. On ne se sent pas du tout redevable à ce peuple. A cela s’ajoute la culture de l’impunité pour les grands. On sanctionne les petits qui volent une poule, qui vole une chèvre, qui donne un coup à quelqu’un. Il peut se retrouver à Makala. Les grands, c’est l’impunité totale. Heureusement qu’il y a quelque chose qui commence à bouger. Il y a l’acharnement de la majorité parlementaire actuelle à faire main basse sur la CENI et la Magistrature. Ce sont des pratiques qu’on ne peut jamais tolérer. Parce que nous savons que de ces deux institutions, dépendent l’indépendance du peuple. Et ses principes sont consacrés dans l’Etat de droit. Quand on parle de l’Etat de droit, il y a ces principes-là : l’indépendance de l’organe qui organise les élections et l’indépendance de la Justice, de la Magistrature. Si vous n’avez pas ces deux-là, oubliez l’importance qu’on puisse accorder au peuple.
Comment comprendre que 60 ans après son accession à la souveraineté internationale, le peuple congolais continue à s’appauvrir au point d’être classé aujourd’hui parmi les peuples les plus misérables de la terre. L’inviolabilité de son territoire n’est vraiment pas garantie et le projet de la balkanisation du Congo toujours à l’ordre du jour. Quand nous regardons tout ce qui se passe à l’Est du pays, la situation à Ituri, avec l’insécurité organisée, malheureusement par certains responsables à partir de Kinshasa, la situation à Beni-Butembo, avec les ADF-NALU qui sont toujours là. Comment expliquer que toute une armée du pays comme le Congo ne soit pas capable de déloger ces quelques individus qui sont dans la brousse à Beni. Et pourtant, vous vous en souviendrez qu’au mois de janvier, l’Armée avait solennellement annoncé ici la fin de ces Mouvements ADF-NALU qu’elle avait pris le contrôle de tout le territoire et qu’elle les avait mis hors d’état de nuire. Pourtant, ils sont toujours là et toujours menaçants. Il y a la situation au Sud-Kivu, dans le Diocèse d’Uvira, autour de Minembwe, où les Armées des pays voisins viennent s’affronter chez nous : le Rwanda et le Burundi. Et que dire de la situation au Tanganyika : même la Zambie qui, jusqu’ici, est considérée comme un pays ami, se permet d’occuper notre territoire. La vérité est que le Congo a 9 voisins, et tous sont présents chez nous : soit par leurs armées, c’est la plus part des cas, soit par leurs immigrés. Nous savons que derrière les immigrés se cache la politique d’occupation de notre pays. C’est le cas de Grand Nord, avec les réfugiés venant de Centrafrique et avec les éleveurs Mbororo. Quant à la spoliation de ses ressources naturelles, elle se fait au grand jour, avec la complicité de certains Congolais, sans que la population ne puisse en profiter réellement.
Nous devons bien le reconnaître, chers Frères et Sœurs, après 60 ans d’indépendance, le constat est sans appel : nous avons honteusement échoué. Nous n’avons pas été capables de faire du Congo un pays plus beau qu’avant. Nous n’avons pas aidé notre peuple à redresser son front plus que jamais courbé. En tout, nous avons collectivement failli.
Que devons-nous faire ? L’évangile de ce jour nous invite à la responsabilité. Car chacun de nous aura à rendre compte devant Dieu de ce qu’il aura fait de ses talents, de ce beau pays aux potentiels immenses : qu’avez-vous fait de votre pays ? C’est la question qui nous sera posée lorsque nous nous présenterons devant le Tribunal Suprême. Qu’avez-vous fait de toutes ces richesses, de toutes ces potentialités que je vous ai données gracieusement ? A cette question, ce n’est pas la classe politique qui va aider le pays à sortir de la détresse. Nous devons sortir de cette mentalité comme on l’entend souvent à la cité : que le Président ou le Gouvernement vienne faire ceci ou cela. Ce sont des comportements irresponsables. C’est le peuple lui-même.
Nous savons très bien que la coalition CACH-FCC qui est au pouvoir depuis plus d’une année, cette coalition sait très bien comment elle avait foulé au pied la volonté du peuple pour en arriver là. La coalition sait. Maintenant, ses membres le disent. Malgré tout, le peuple avait fini par se résigner et accepter le fait accompli. Un peu comme dans le récit de Jacob qui avait volé la bénédiction destinée à son frère aîné Esaü (cf. Gn 27), le peuple espérait que du mal originel pouvait sortir un bien. Malheureusement, le constat est là.
Il n’y a de coalition au pouvoir que de nom. De part et d’autre, c’est le désamour, le cœur n’est plus à l’ouvrage. Au lieu de travailler ensemble autour d’un programme commun de gouvernement, les coalisés ne se font plus confiance. Ils ont développé un rapport dangereux de rivalité qui risque d’entrainer tout le pays dans le chaos définitif. Pendant ce temps, l’action gouvernementale est complètement paralysée et le service légitime à rendre à la population est sacrifiée. Le peuple est abandonné. En définitive, la coalition au pouvoir a perdu sa raison d’être. Elle devrait normalement disparaître. C’est de la responsabilité de ceux qui se sont coalisés, le Président et le Président sortant, de faire éclater cette coalition qui conditionne le développement de notre pays. Et aussi longtemps que cette coalition sera là, il n’y a rien à espérer de nos Gouvernants. C’est inacceptable.
Nous dénonçons les velléités actuelles, surtout de la Majorité parlementaire actuelle, qui tendent à remettre en question les espoirs de la population pour un pouvoir judiciaire réellement indépendant et au service du pays, et non des individus, et aussi pour une CENI au-dessus de tout soupçon. Sur ces deux points : la position de l’Eglise Catholique est claire.
Que par l’intercession de nos Bienheureux Martyrs, Isidore Bakanja et Marie-Clémentine Anuarite, Dieu libère le Congo de tous ceux qui l’écrasent et le conduise à sa pleine souveraineté.
Fridolin Cardinal Ambongo Besungu, ofm cap
Archevêque Métropolitain de Kinshasa
Ainsi, l’exercice d’autorité au Congo a été compris comme une occasion de jouissance. On accède au pouvoir pour jouir, non pas pour rendre service à ceux qui sont sous ma responsabilité mais pour jouir comme le Blanc. Alors que ce dernier, quand il était assis sur ce fauteuil, il ne faisait pas que jouir. Il travaillait. Il comprenait le sens de son travail. Nous, par contre, nous avons mis de côté le service à rendre aux autres et nous avons mis l’accent sur la notion de la jouissance.
Un regard rapide sur les soixante ans qui viennent de se passer montre que ce grand rêve des Congolais a été progressivement brisé par une série de faits et événements. Nous avons connu la succession des régimes autocratiques qui arrivent au pouvoir comme les colons sans aucun souci de la volonté du peuple et cela continue jusqu’aujourd’hui : par la force, les guerres ou par la ruse, la fraude et en installant un système égoïste dans la gestion de la chose publique au lieu de promouvoir le bien-être commun du peuple congolais à qui on estime qu’on a aucun compte à lui rendre parce que ce n’est pas à grâce de lui qu’on est arrivé au pouvoir. On ne se sent pas du tout redevable à ce peuple. A cela s’ajoute la culture de l’impunité pour les grands. On sanctionne les petits qui volent une poule, qui vole une chèvre, qui donne un coup à quelqu’un. Il peut se retrouver à Makala. Les grands, c’est l’impunité totale. Heureusement qu’il y a quelque chose qui commence à bouger. Il y a l’acharnement de la majorité parlementaire actuelle à faire main basse sur la CENI et la Magistrature. Ce sont des pratiques qu’on ne peut jamais tolérer. Parce que nous savons que de ces deux institutions, dépendent l’indépendance du peuple. Et ses principes sont consacrés dans l’Etat de droit. Quand on parle de l’Etat de droit, il y a ces principes-là : l’indépendance de l’organe qui organise les élections et l’indépendance de la Justice, de la Magistrature. Si vous n’avez pas ces deux-là, oubliez l’importance qu’on puisse accorder au peuple.
Comment comprendre que 60 ans après son accession à la souveraineté internationale, le peuple congolais continue à s’appauvrir au point d’être classé aujourd’hui parmi les peuples les plus misérables de la terre. L’inviolabilité de son territoire n’est vraiment pas garantie et le projet de la balkanisation du Congo toujours à l’ordre du jour. Quand nous regardons tout ce qui se passe à l’Est du pays, la situation à Ituri, avec l’insécurité organisée, malheureusement par certains responsables à partir de Kinshasa, la situation à Beni-Butembo, avec les ADF-NALU qui sont toujours là. Comment expliquer que toute une armée du pays comme le Congo ne soit pas capable de déloger ces quelques individus qui sont dans la brousse à Beni. Et pourtant, vous vous en souviendrez qu’au mois de janvier, l’Armée avait solennellement annoncé ici la fin de ces Mouvements ADF-NALU qu’elle avait pris le contrôle de tout le territoire et qu’elle les avait mis hors d’état de nuire. Pourtant, ils sont toujours là et toujours menaçants. Il y a la situation au Sud-Kivu, dans le Diocèse d’Uvira, autour de Minembwe, où les Armées des pays voisins viennent s’affronter chez nous : le Rwanda et le Burundi. Et que dire de la situation au Tanganyika : même la Zambie qui, jusqu’ici, est considérée comme un pays ami, se permet d’occuper notre territoire. La vérité est que le Congo a 9 voisins, et tous sont présents chez nous : soit par leurs armées, c’est la plus part des cas, soit par leurs immigrés. Nous savons que derrière les immigrés se cache la politique d’occupation de notre pays. C’est le cas de Grand Nord, avec les réfugiés venant de Centrafrique et avec les éleveurs Mbororo. Quant à la spoliation de ses ressources naturelles, elle se fait au grand jour, avec la complicité de certains Congolais, sans que la population ne puisse en profiter réellement.
Nous devons bien le reconnaître, chers Frères et Sœurs, après 60 ans d’indépendance, le constat est sans appel : nous avons honteusement échoué. Nous n’avons pas été capables de faire du Congo un pays plus beau qu’avant. Nous n’avons pas aidé notre peuple à redresser son front plus que jamais courbé. En tout, nous avons collectivement failli.
Que devons-nous faire ? L’évangile de ce jour nous invite à la responsabilité. Car chacun de nous aura à rendre compte devant Dieu de ce qu’il aura fait de ses talents, de ce beau pays aux potentiels immenses : qu’avez-vous fait de votre pays ? C’est la question qui nous sera posée lorsque nous nous présenterons devant le Tribunal Suprême. Qu’avez-vous fait de toutes ces richesses, de toutes ces potentialités que je vous ai données gracieusement ? A cette question, ce n’est pas la classe politique qui va aider le pays à sortir de la détresse. Nous devons sortir de cette mentalité comme on l’entend souvent à la cité : que le Président ou le Gouvernement vienne faire ceci ou cela. Ce sont des comportements irresponsables. C’est le peuple lui-même.
Nous savons très bien que la coalition CACH-FCC qui est au pouvoir depuis plus d’une année, cette coalition sait très bien comment elle avait foulé au pied la volonté du peuple pour en arriver là. La coalition sait. Maintenant, ses membres le disent. Malgré tout, le peuple avait fini par se résigner et accepter le fait accompli. Un peu comme dans le récit de Jacob qui avait volé la bénédiction destinée à son frère aîné Esaü (cf. Gn 27), le peuple espérait que du mal originel pouvait sortir un bien. Malheureusement, le constat est là.
Il n’y a de coalition au pouvoir que de nom. De part et d’autre, c’est le désamour, le cœur n’est plus à l’ouvrage. Au lieu de travailler ensemble autour d’un programme commun de gouvernement, les coalisés ne se font plus confiance. Ils ont développé un rapport dangereux de rivalité qui risque d’entrainer tout le pays dans le chaos définitif. Pendant ce temps, l’action gouvernementale est complètement paralysée et le service légitime à rendre à la population est sacrifiée. Le peuple est abandonné. En définitive, la coalition au pouvoir a perdu sa raison d’être. Elle devrait normalement disparaître. C’est de la responsabilité de ceux qui se sont coalisés, le Président et le Président sortant, de faire éclater cette coalition qui conditionne le développement de notre pays. Et aussi longtemps que cette coalition sera là, il n’y a rien à espérer de nos Gouvernants. C’est inacceptable.
Nous dénonçons les velléités actuelles, surtout de la Majorité parlementaire actuelle, qui tendent à remettre en question les espoirs de la population pour un pouvoir judiciaire réellement indépendant et au service du pays, et non des individus, et aussi pour une CENI au-dessus de tout soupçon. Sur ces deux points : la position de l’Eglise Catholique est claire.
- Autour de la question de la CENI, nous notons de la part de la Présidente de l’Assemblée Nationale une attitude de mépris vis-à-vis de l’Eglise Catholique, de l’Eglise Protestante et de la population congolaise. Ces deux Eglises qui représentent plus de 80% de la population congolaise ont dit non à la nomination d’un personnage qui a déjà fait ses preuves dans les fraudes électorale. Malgré le non de ces deux Eglises, Madame la Présidente continue tranquillement à faire croire au peuple que les Confessions religieuses se sont réunies pour signer un document pour la candidature de ce Monsieur qui était le cerveau-moteur du système Naanga. Nous n’en voulons pas.
- La deuxième preuve du mépris que l’Assemblée Nationale a pour le peuple, c’est par rapport à ces trois lois Minaku-Sakata. Le peuple n’en veut pas. L’Eglise Catholique, l’Eglise Protestante, les associations civiles se sont prononcées massivement contre ces lois qui ne visent qu’à protéger ceux qui se sentent coupables. Et là, nous notons aussi une attitude de mépris, d’arrogance qui a caractérisé l’ancien système. Nous ne l’acceptons pas.
Que par l’intercession de nos Bienheureux Martyrs, Isidore Bakanja et Marie-Clémentine Anuarite, Dieu libère le Congo de tous ceux qui l’écrasent et le conduise à sa pleine souveraineté.
Fridolin Cardinal Ambongo Besungu, ofm cap
Archevêque Métropolitain de Kinshasa
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