Qui l’eut cru? Du scandale à l’ignominie à la place publique
Tout au long de décembre 2021, RFI a, chaque matin, consacré quelques minutes à décortiquer le rapport sur l’enquête dénommée Congo-Hold-up, minutieusement réalisée avec dix-neuf médias partenaires associés au consortium européen EIC et cinq autres ONG spécialisées (1). N’est-ce pas là, pour le congolais médusé, une bonne raison de s’exaspérer et de se lever unanimement pour enfin interroger les pratiques et d’aller en guerre contre ces dernières responsables de sa misère? Pendant que les milliards de dollars sont empochés par une poignée; sur toute l’étendue de la république, la grande majorité de congolais continue à trimer en conjuguant, sans succès, d’inlassables efforts pour faire face ne fût-ce qu’aux besoins de manger, de scolarisation, de santé, de sécurité…Haut-les-mains, ce peuple s’exclame abandonné par ses dirigeants au profit de quelques étrangers, tout venants, qui trouvent leur addition exacte. On a lu que même pour des miettes, des responsables font perdre au pays des milliards de dollars qui pourraient contribuer à son développement. Par sadisme, ou par inconscience même ceux qui de par la débrouille tentent des petites activités pour leur survivance sont extrêmement traqués, voire asphyxiés par d’innombrables services étatiques jusqu’à leur extinction…
En effet, cette enquête a mis à nu deux décennies de kleptocratie (2) sans commune mesure. Du jamais vécu. L’enquête met solennellement en cause les dirigeants congolais en l’occurrence le pré-carré du régime de Joseph Kabila au travers des combines et complicités nationales et internationales soutenues par les banques nationales et autres structures financières planétaires. Elles aussi sont dans le collimateur de cette mafia innommable.
"Pas d’intérêt, pas d’action" dit-on en Droit
et en Développement "Pas de problème, pas de projet"
En ce début 2022, l’enjeu dans notre démarche de conscientisation est plus que jamais d’inviter les congolais à rester circonspects, à évaluer les temps/époques passés, à désormais s’initier à questionner toutes les pratiques et, certaines habitudes sociétales (parfois dégradantes). Sinon elles s’érigent de plus en plus en traditions et, à la longue, sont acceptées comme normales dans la vie du congolais et deviennent du coup difficiles à extirper (3). Au demeurant, si après l’alerte sur des révélations combien troublantes/gravissimes, aucun relai des dynamiques nationales (associatives et institutionnelles) ne sourcille, ni ne se l’approprie; alors, il y a lieu d’en juger le degré prononcé (de l’effondrement) de l’obsolescence du congolais.
Et, puisque c’est de la grande corruption (4) qu’il est ici question, force est de rappeler que déjà au cours des analyses antérieures dans ce blog, pour prévenir ce drame à l’horizon, référence avait été faite à un journal chinois qui prophétisait presque que "si vous voulez tuer un pays, instaurez-y la corruption et, revenez-y vingt ans plus tard, ce pays n’existera plus". On pourrait même demander aux concernés en séminaire-ateliers, le loisir de fixer à partir de quand on commence à décompter les vingt ans.
Urgence d’initier la communauté à régulièrement questionner ses pratiques
Rompre avec la culture du silence conduit ipso-facto à la revendication légitime qui est une des voies royales pour faire prévaloir les droits d’une personne et/ou d’une communauté. C’est pourquoi, familiariser à questionner les pratiques est un exercice qui, en amont, devrait commencer par analyser les réflexes aussi anodins soient-ils dans la vie courante de société. C’est évidemment à travers les gestes en communauté, les rituels, et même le langage/vocabulaire que des attitudes en société ont pris corps. Elles y sont véhiculées ou tolérées, voire, régulièrement relativisées d’année en année. C’est par devers elles que sont ragaillardis de nombreux dirigeants/gestionnaires détourneurs des deniers publics. Pour avoir acheté deux ballons et des vareuses à une équipe de football du quartier ou pour avoir consenti à une quelconque assistance ponctuelle aux sinistrés en détresse/calamité/catastrophe naturelle, ils sont primés de mérites dans leurs contrées, et majestueusement classés notables du coin.
Qu’importe la position qu’on occupe dans une société, dirigeant ou subalterne, l’habitude du "sehemu yangu" au règne de Joseph Kabila, qui signifie "quelle est ma part pour un dirigeant" a enfoncé le pays dans ce que vient de révéler aujourd’hui l’enquête ‘Congo Hold-Up’…
Si pour un policier de roulage, un taxateur d’impôt, un petit congolais c'est, par instinct de survie, que ces habitudes ont pris place dans son quotidien; par contre, pour les dirigeants, c’est bizarrement pour assurer leurs progénitures jusqu’à des dizaines de générations à venir. Ceux qui chutent au pouvoir amassent, sans état d’âme, vident les caisses de l’Etat jusqu’à arriver à en subtiliser abondamment pour toutes leurs progénitures futures (au lieu de penser à l’ensemble de ses administrés à l’exemple de feu Magufuli, ancien président Tanzanien). Ici je me réfère à un ancien gouverneur d’une Province qui disait à son collègue d’une autre: "N’ayez jamais froid aux yeux quand vous devez mettre la main sur l’argent de l’état", tout en se vantant de l’argent et des biens accumulés pour lui et pour sa progéniture…
Accoutumance faisant, ce jour, on intercepte même des jeunes gens diplômés en quête d’emploi en train de rêver, faisant l’apologie desdites pratiques en préméditant de s’aligner à ce modèle une fois aux affaires… Très rarement l’on s’est arrêté pour poser la question sur le pourquoi des situations pendant que Warner (5) nous recommande de questionner jusqu’à sept fois le pourquoi de ceci ou de cela pour se rassurer de la cause-racine avant de tabler sur les actions à mener. Dommage... Comme une hypnose collective, on est toujours resté sur l’homéopathique en justifiant certains comportements uniquement par la lutte pour la survie au détriment de toute moralité. C’est de plus en plus l’école de certaines personnes qui professent: "Gardez pour vous la morale mais laissez-nous le moral…"
Questionner nos pratiques, c’est éminemment un exercice qui, en aval, pousse à quitter définitivement le quiétisme (6). Le quiétisme entendu comme une contemplation quiétiste qui consiste à s’abandonner pour laisser faire l’esprit divin suivant les maximes des quiétistes ou des mystiques…
Dans certaines communautés on retrouve des coutumes et des interdits millénaires qui ont fini par enchainer ces mêmes-communautés jusqu’à les restreindre de se placer à la hauteur des mutations dans le monde moderne notamment en ce qui concerne la promotion de tout élan de développement autocentré (suite à la culture de la cueillette, l’instinct de servilité…) ou de la démocratie participative.
Par contre, dans le processus de conscientisation populaire, la démarche de Paolo Freire nous aide en toute circonstance à affronter toutes les étapes normatives de passation d’une conscience naïve à une conscience critique. Car il va sans dire que "Plus on se distancie de la captation de la réalité, plus on s’approche de la captation magique ou superstitieuse de la réalité".
Inconsolable, face au désarroi congolais, un fatalisme s’est incrusté et il se conforte au fil des temps par un répit aux chambres de prières des sectes religieuses en expansion dans le pays. A tort ou à raison, pour certains, cette résignation serait le fruit d’un christianisme mal ou peu assimilé. Mais présentement, le point culminant de cette obsolescence du congolais est d’avoir en face une bonne partie de la jeunesse congolaise plongée dans la surconsommation des boissons fortement alcoolisées à longueur des journées. "Quelle décapitation!" pourrait-on dire...
Questionner nos pratiques c’est enfin, pour la RD Congo faire preuve de sa détermination d’identifier toutes les pratiques, déceler les bonnes des mauvaises comme pour séparer le bon grain de l’ivraie afin de rationaliser toute la vie de société.
En définitive
Pour 2022, le FPT offre aux animateurs de la communauté, juste un espace idéal pour discuter de toutes ces choses qui ont trait à leurs vies jusqu’à faire des simulations où les communautés peuvent être impliquées dans la recherche des solutions. Ce qui suppose au préalable de rompre avec la culture du silence qui empêche… C’est notamment partant de l’identification des problèmes-source de la société, de déceler leurs causes-racines, d’initier de manière consensuelle des plans locaux de développement et inviter à une participation régulière à l’évaluation de ce qu’on aura décidé de faire pour l’émergence d’un Congo digne au niveau de chacun des 157 territoires du pays.Certes, dans pareilles ambitions, la formation des irrésistibles s’impose: des personnes correctes, vertueuses pour casser la tendance. Celles au gabarit de ce qu’Etienne Bisimwa avait dénommé le résiduel positif qu’on retrouve dans toutes les classes sociales et à tous les niveaux. C’est avec cette poignée que s’amorcerait une révolution positive, vivier de prédilection pour les dirigeants charismatiques qui vont travailler pour le bien-être de tous les congolais loin des slogans et des promesses somnifères.
Ceci ne pourra être un cadeau mais justifiera la lutte d’un peuple abandonné à lui-même et qui se sera pris en charge tel que prescrit à l’article 64 de la constitution du pays qui, bien au-delà de faire face à ce dérèglement sans relâche du système mais rentre plus vers la restitution du pouvoir à son détenteur premier, le Congolais.
La pédagogie de conscientisation enseigne comment chaque communauté sait bien ce qu’il lui faut et les efforts des animateurs se limitent à accompagner ces communautés en disposant le cadre et les conditions pour qu’ensemble elles réalisent leur rêve légitime de bien-vivre.
Questionner nos pratiques et les habitudes dans la communauté est le fondamental de la démarche de conscientisation collective. Ce n’est pas question de se jeter de pierre c’est du coup ramener à contextualiser les situations et à rationaliser au maximum l’agir dans la communauté.
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(1) Liste des médias partenaires: le réseau EIC (https://eic.network/), RFI, Mediapart, De Standaard, Le Soir, NRC, Der Spiegel, InfoLibre, Politiken, Expresso, VG, Nacional, RCIJ, Bloomberg, L'Orient-le Jour, BBC Africa Eye, KvF, The Namibian, The Continent, The Wire…
(2) Kleptocratie : En politique, régime politique où une ou plusieurs personnes à la tête d’un pays pratiquent à une très grande échelle la corruption.
(3) Cfr RD Congo… référence à "La théorie des vitres cassées" in http://alfajirikivu.blogspot.com
(4) Grande corruption pour désigner cette corruption pratiquée par les riches pas pour survivre mais pour accumuler
(4) Grande corruption pour désigner cette corruption pratiquée par les riches pas pour survivre mais pour accumuler
(5) Lire "La Méthode de Mais pourquoi de Warner dans la pédagogie de la conscientisation sur la méthode dans l’identification des causes profondes de la situation"
(6) Cfr dictionnaire android
Réflexion très intéressante car elle pointe du doigt le mal qui détruit pour longtemps notre société. Je me réjouis de la distinction faite entre petite corruption ou corruption de survie(Jean-François Médard l'appelle "corruption policée") et la grande corruption qui, elle, constitue des crimes économiques. Il est également important de souligner cette note martelant sur le résiduel positif (appelé le "petit reste d'Israël" par les biblistes, pour dire que tout n'est pas fini, une lueur d'espérance qui nous éloigne de ces 20 ans annonciateurs du cataclysme. Le FPT réfléchit très certainement sur les stratégies à articuler pour que ces différents enseignements touchent une plus large audience, y compris les personnes ne pouvant pas avoir accès à ces technologies de pointe pour la communication. De même aussi ceux qui sont directement concernés par ces détournements à grande échelle.
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