samedi 15 juin 2024

Les sacrifices oubliés des résistants

L'histoire est l'histoire (1). Elle fait partie de la culture qui laisse généralement de profondes cicatrices dans l'âme et dans les comportements des individus. On ne peut la rayer d'un seul trait. 

Il faut nécessairement se souvenir du passé pour vouloir le changement. Nous sommes héritiers et porteurs d’une civilisation dont la mémoire est principalement orale, surtout en Afrique.

Nous prenons rarement note des évènements. Nous écrivons rarement sur notre expérience vécue à la lumière des richesses et des souvenirs encore plus nombreux qui garnissent nos mémoires. Et avec les années, celles-ci s’effilochent et finissent par devenir diffus, vagues, inutilisables et obsolètes.

C’est un fait: une expérience ou une connaissance qui ne se communique pas, ne se partage pas, ne se systématise pas, c’est une expérience morte! Et la transformation sociale qu’elle peut engendrer ou provoquer s’arrête, faute de souffle pour la porter.

Sur ce papier, je vais essayer de centrer ma réflexion sur la vie "des résistants" que j’ai rencontré, entendu, ou lu dans des manuels car, dit-on, l’histoire oubliée est un avenir perdu.  

La résistance: de quoi parle-t-on?

Ce mot, selon le dictionnaire français, signifie: qualité par laquelle, un corps résiste à l’action d’un autre corps. Cette définition, notons-le, a plusieurs extensions. Elle signifie l’opposition aux desseins, aux volontés, aux sentiments d’un autre ou à ses propres passions. Elle signifie aussi: défense que font les hommes et les animaux ou les micro-organismes contre ceux qui les attaquent.

En France, pendant la seconde guerre mondiale, la résistance a été l’ensemble de mouvements et réseaux clandestins qui, durant cette dernière ont poursuivi la lutte contre l’axe et ses relais collaborationnistes sur le territoire français depuis le 22 juin 1940 jusqu’à la libération en 1944 (2)

Mais, Robert Belot avertit: la résistance est une décision risquée dont les conséquences ne sont écrites nulle part et qui se mûrit dans l’âpre solitude (ce point de vue emporte mon adhésion). Le résistant se bat contre lui-même, contre sa famille et parfois à l’insu de celle-ci, face à l’incertitude d’une histoire dont il ne connait pas la fin (3).

Les résistants, dans leur ensemble, n’ont pas d’épouses, et ceux qui en ont, ne les écoutent pas ou les quittent tôt. Les femmes les empêchent d’agir. Quand l’on posait à Yasser Arafat la question de savoir pourquoi il ne se mariait pas, il répondait : « Je suis marié à l’OLP (4) » j’évite, pour l’instant d’évoquer, Ernesto Che Guevara qui abandonna sa famille à Cuba…

Les hommes des combats souterrains  

En juin 2004, je revenais du territoire de Fizi en province du Sud Kivu en RD Congo, pour une mission d’évaluation du degré des destructions des infrastructures scolaires causées par la rébellion du Rassemblement Congolais pour la Démocratie (RCD), une rébellion pro Rwandaise.

 Accompagné d’un ami ce soir-là, il me demanda d’aller avec lui pour visiter un de ses cousins arrêté dans un cachot du lieu. Le geôlier accepta de nous ouvrir ledit cachot après nous avoir soutiré quelques pourboires. Sur la porte de ce dernier, des écrits : « ce cachot et la mort = 1 ».

Surpris, j’ai demandé au gardien si l’homme en détention et objet de notre visite était déjà condamné à mort? Il me sourit et ne répondit pas. Quant au prisonnier, il était arrêté pour avoir refusé de marier sa fillette de 12 ans afin de payer la dot de son épouse décédée avant qu’elle ne soit dotée: la mère de la fillette.

De retour à Bukavu, j’exprime ma vive préoccupation sur la situation des violations terribles des droits humains en territoire de Fizi à Pascal Kabungulu Kibembi, un grand défenseur des droits humains, secrétaire exécutif de « Héritier de la justice », une ONG spécialisée en la matière et avec laquelle je collaborais. Il prit note, promit d’enquêter et surtout de dénoncer cette situation.

Il sera assassiné quelques mois après, chez lui, le 31 juillet 2005, par des hommes armés qui l’ont abattu de sang-froid. Il était déjà vice-président de l’organisation régionale "La ligue des droits de l’homme dans la région des Grand Lacs". Il était toujours du côté des opprimés et n’était jamais en bons termes avec certains officiers militaires.

Human rights Watch, Amnesty International et Front Line, basées à Londres, réclamèrent une enquête et bien sûr des sanctions à l’encontre des auteurs du crime, mais rien n’y fit! C’était un résistant, selon moi.

Les résistants n'ont pas de région

Je me souviendrai toute ma vie de ces jeunes gens que j’ai vu venir de Fizi (5) dans le Sud du Sud-Kivu en RD Congo, en octobre 1996, pour défendre la ville de Bukavu menacée par des rebelles venus de l’Ouganda et du Rwanda et conduit par Laurent Désiré Kabila et Kisase Ngandu. Ils furent tous massacrés par les agresseurs à la grande poste de Bukavu, lieu où ils étaient rassemblés, et furent enterrés dans une fosse commune derrière cet immeuble de la ville. C’était le 29 octobre 1996, un mardi noir, le même jour que Monseigneur Christophe Munzihirwa, d’heureuse mémoire. C’était des jeunes volontaires dont la majorité ne connaissait même pas la ville qu’ils venaient défendre. Ils ont refusé ma main quand je voulu les saluer en guise d’encouragement!

C’étaient des résistants anonymes à l’instar de Matudidi, cet étudiant congolais à la Sorbonne, en France, qui abandonna ses études pour rejoindre la rébellion de Pierre Mulele qui s’opposait au néocolonialisme. Il s’était noyé dans le lac Tanganyika en 1964. Il était  originaire du Kwilu dans l’ex-province de Bandundu, très loin, à l’extrême-ouest du pays.

Le héros de la guerre qui a défait la rébellion pro-rwandaise, le M23 en 2013, le colonel Mamadou Ndala, a été assassiné en pleine journée à Beni. Jusqu’à ce jour, le grand public ne connait rien ni sur les auteurs, ni sur les enquêtes amorcées. De nombreux Congolais le considèrent comme un résistant, un héros.

La société civile: les hommes des combats souterrains

Depuis les vagues des guerres qui ont déferlé sur la RD Congo dès 1996, le bureau de coordination de la société civile en province du Sud Kivu a, lui aussi, créé un autre front de contestation et de résistance. Certains animateurs ont été d’une vaillance héroïque forçant l’estime de la population. L’histoire non encore écrite du combat de la société civile, fourmille d’exemples d’hommes qui ont pu renverser des situations dramatiques alors que leurs vies paraissaient dépendantes des forces qui les dépassaient. Ces hommes (rares, il est vrai) ont manifesté leur capacité de résistants. Ils ont su, au cœur de l’adversité, prendre les risques de dénoncer, de s’opposer et d’exercer leur liberté dans des situations périlleuses.

En effet, en 1998, le 2 août, un mouvement rebelle pro-rwandais, le Rassemblement Congolais pour la Démocratie (RCD) déclencha une guerre en province du Sud Kivu. Pour le Rwanda et la communauté internationale, il s’agit d’une guerre civile créée par des Tutsis congolais menacés par d’autres communautés; juste une tournure des complices pour s’interdire d’intervenir et, par contre pour laisser-faire et faciliter leurs agendas économiques…

Au cours d’un sommet de l’Union Africaine tenu en urgence sur ces conflits, le président en exercice de l’époque, Mr Alpha Oumar Konare, ancien président du Mali, déclara qu’il s’agissait d’une guerre civile dans laquelle la présence du Rwanda dans la capture de Bukavu n’était pas avérée pour dire que le Rwanda n’est en rien impliqué.

Le bureau de coordination de la société civile du Sud Kivu de l’époque rassembla très vite des preuves par lesquelles il fournissait les listes des militaire rwandais au front à Bukavu, leurs unités d’origine dans l’armée rwandaise et même le n° des armes de ces militaires rwandais au front à Bukavu. Les données parvinrent à temps réel au ministre congolais des affaires étrangères Antoine Gonda M. en difficulté à Addis-Abeba. Celui-ci les transmit directement au président Alpha Oumar Konare.  Des preuves hyper-accablantes qui le laissa perplexe, aphone... La guerre prit alors une autre tournure.

Certains de ces combattants, ces véritables résistants sont toujours en vie et n’ont jamais été connus du grand public ni du pouvoir. Mission terminée?

En 2005, peu après l’assassinat de Pascal Kabungulu, un gouverneur du nom de Bulahimu Witankete, fut nommé à Bukavu. Accusé par la société civile d’être un mauvais gestionnaire et de dilapidation du trésor public, il sera vite rappelé à Kinshasa d’où il ne reviendra pas. Sans demander son reste, chassé par la société civile.

Last but not least, le gouverneur Théo Ngwabidje vient de quitter la province du Sud Kivu sur la pointe des pieds, en ce début 2024. Traqué lui aussi par le bureau de coordination de la société pour détournement de fonds et autres abus de pouvoir. Echappant sans cesse à plusieurs motions des députés provinciaux, glissant comme une anguille à toutes les tentatives d’éjection de son fauteuil de gouverneur, il a rejoint précipitamment Kinshasa comme député national, grâce probablement à l’alchimie électorale de 2023. Traqué et déplumé par le bureau de coordination de la société civile résistante à ses tentatives de corruption, il a laissé derrière lui une province du Sud Kivu exsangue, une province aux veines économiques tranchées...

"A côté de vous, sans que vous le sachiez toujours, luttent et meurent des hommes – mes frères – les hommes du combat souterrain pour la libération. Ces hommes fusillés, arrêtés, torturés, chassés toujours de leurs foyers, coupés souvent de leurs familles, combattants d’autant plus émouvants qu’ils n’ont point d’uniformes ni d’étendards, régiments sans drapeau dont les sacrifices et les batailles ne s’inscriront pas en lettre d’or dans le frémissement de la soie mais seulement dans la mémoire déchirée de ceux qui survivront... Saluez les.

C’est ainsi que luttent et meurent les hommes de combat souterrain, ce sont des soutiens de la gloire (6)…" 

Eh oui, les résistants sont partout

"Les résistants n’ont pas de patrie particulière, ni de région, ni de race…

Selon Jean Ziegler, sur terre, aucune liberté ne s’obtient sans souffrance et sang versé, les hommes opprimés se révoltent partout et toujours. Jamais l’homme n’accepte durablement ses chaines.

Le message du résistant dépasse l’évènement où il prend naissance. Il est universel et atemporel, chaque génération peut se l’approprier, chaque pays peut l’adopter comme modèle (7)

L’histoire contemporaine nous en fournit des exemples édifiants. Les injustices, les privations des libertés, les humiliations collectives et individuelles, l’oppression, la souffrance engendrent des constructions sociales, lesquelles souvent font naitre l’embryon d’une conscience collective anti-coloniales, opposées à toute forme d’occupation, d’exploitation ou d’imposition impérialiste.

Cette conscience nouvelle a permis à des peuples dominés, des opprimés, de s’organiser, de se réunir, et même de s’armer pour le combat dans l’espoir de recouvrer leur dignité perdue ou menacée, créant ainsi la résistance.

Les insurrections écrasées, les révoltes anti-impérialistes étouffées dans le sang sont nombreuses avec souvent peu de témoignages, et ceux qui existent sont oraux, contradictoires ou manipulés, rapportés par les vainqueurs sur les vaincus.

Du coup les résistants vaincus disparaissent dans la nature, du moins pour ceux qui ont échappé aux glaives des vainqueurs. 

Des jungles birmanes à la RD Congo, de la Palestine au Burkina Faso, des combattants ou plutôt des résistants sortis de nulle part sont au front, constitués souvent à la hâte, pour défendre leurs patries, leur liberté, leur dignité et cela sans rémunération. 

Un combattant palestinien a déclaré en ce qui concerne sa rémunération: "Rien pour nous si nous ne faisons rien pour nous-mêmes. Ceux qui ont besoin d’être soutenus reçoivent 15 dinars par mois. Mais, comme mon père travaille et gagne 40 dinars par mois, je ne touche rien et je trouve que c’est normal" (8). Touchant, n’est-ce pas?

Les patriotes résistants du Kivu appelés Wazalendo en Swahili, n’ont pas eu besoin de rémunération pour défendre leurs terres en affrontant le M23, ce mouvement rebelle  qui ensanglante l’est de la RD Congo, la province du Nord Kivu, avec le soutien du Rwanda selon plusieurs sources gouvernementales congolaises et internationales.

Quels défis de la résistance!

Taraudés par la faim, les dures conditions du maquis et l’incertitude d’une victoire qu’ils espéraient faciles, les résistants, parfois démotivés, s’en prennent de temps en temps aux populations (pour lesquelles ils se battent) et leurs biens dans les zones sous leurs contrôles. 

J’ai vécu des situations affreuses entre 1998 et 2002, période pendant laquelle un groupe armé, le Mudundu 40, considéré au départ comme un mouvement de résistance du peuple Bashi du Sud Kivu contre l’occupation rwandaise, a basculé sous le label d’une autre rébellion : Le Rassemblement Congolais pour la Démocratie (RCD).

Très vite usée, sans pensée claire, sans doctrine, sans idéologie politique défendable ni stratégie cohérente, dépourvue de tout appui extérieur, la résistance se mua en un groupe d’oppression impitoyable, reproduisant la même terreur dans la région sous son contrôle: extorsion des biens des paysans (vaches, chèvres, poules.), pratiques fétichistes, tortures, exécutions sommaires des innocents, des femmes soupçonnées de sorcières brûlées vives… Je garde moi-même des souvenirs affreux de ce mouvement qui opérait dans la région où je travaillais et fit exécuter certains de mes collègues et connaissances. 

Des cas similaires ont été pratiqué en Afrique de l’Ouest par les résistants du PAIGC (9)  conduit par Amilcar Cabral en 1963.

Il en parle: "La lutte militaire victorieuse des guérilleros se transforme pour les populations civiles de certaines régions en cauchemar. Véritables seigneurs de la guerre, nombre de commandants des bases nationales, qui au combat témoignaient d’une énergie admirable se conduisaient face à leurs compatriotes libérés, comme des despotes, égoïstes, exploiteurs souvent cruels…, assouvissaient leurs haines personnelles et exécutaient sans ordre ni jugement ceux d’entre les paysans qui osaient contester leur pouvoir. Toute résistance aux nouveaux despotes locaux paraissait suicidaire…" (10)

Et Vieira, un ancien combattant, du PAIGC se souvient : "Par exemple, les gens croyaient que si quelqu’un tombait malade, c’était parce que les vieux voulaient le tuer. Alors les jeunes partaient en groupe pour chercher le coupable… On fit la chasse aux sorciers et certains des accusés furent fusillées ou brulés vifs." (11)

De tels comportements des combattants remettent en question la survie de certains mouvements de résistances, créant parfois des dissensions au sein des groupes et hypothéquant leur avenir. C’est sous ces dissensions internes que sera assassiné Amilcar Cabral le 20 janvier 1973 par le commandant de sa marine, Inocencio Kuni. Et comme une bougie, le PAIGC ne lui survivra que quelques années avant de s’éteindre...

Les mêmes problèmes ont été soulevés par Holden Roberto au Nord de l’Angola, Agostino Neto avec le MPLA, Jonas Savimbi, chef des Ovimbundus du Sud de l’Angola, quand ils luttaient contre les portugais pour obtenir l’indépendance de l’Angola. De même pour Lazaro Lavandame, le résistant du nord du Mozambique avec le peuple Makonde qu’il tentait de soulever contre les portugais, avant de faire volte-face, abandonna le FRELIMO (12)  pour rejoindre les troupes d’occupation portugaise au Mozambique.

Mêmes cas pour Thomas Sankara assassiné en 1987 par son ami et allié Blaise Compaoré avec l’appui des impérialistes occidentaux. Thomas Sankara n’avait sans doute rien compris des déclarations du New York Times lors du renversement du Président Iranien Mohammed Mossadegh en 1953 par un coup d’Etat réalisé, conjointement par les Américains et les Britanniques pour restaurer le Chah d’Iran.

Dans un éditorial approuvant le coup d’Etat, le New York Times écrivit: "Les pays sous-développés, riches en ressources naturelles ont reçu une leçon des choses: le prix très lourd que doit payer l’un d’eux pour avoir sombré dans la folie du nationalisme fanatique. Les Mossadegh du reste du monde devraient bien réfléchir avant de tenter de reprendre le contrôle de leurs ressources qui évidemment sont à nous" (13)

Mobutu, Joseph Kabila et Felix Tshisekedi semblaient avoir bien compris la leçon. Mais, des résistants a l’impérialisme ont payé de leur vie pour n’avoir pas voulu entendre ou même comprendre "la leçon":  P.E. Lumumba et Thomas Sankara en ont payé les frais.

En RD Congo, les résistants sont à découvrir

Depuis 1996 la guerre tue à l’Est de la RD Congo avec des intermittences. Des crimes de masses y ont été commis. Une abondante littérature existe déjà, notamment le mapping des nations unies. Ce qu’on ne dit pas, c’est que souvent, la résistance aux forces d’occupation est à la base de ces hideuses cruautés.

Dans son ouvrage "Qu’on nous laisse combattre et la guerre finira avec les combattants du Kivu", l’auteure, Justine Brabant a pu rencontrer des combattants ou plutôt des résistants qui affrontaient les rebelles du RCD en territoire de Fizi dans la province du Sud Kivu et raconte: "Ils se cachent dans des montagnes et à l’approche des colonnes ennemies fondent sur elles. Le même agresseur pousse la provocation jusqu’à établir des postes avancés de son armée le long de ces axes. Le même traitement lui est réservé."

"(…) par une nuit de fin décembre 1998, les Mayi-mayi des environs (de Makobola) décident de lancer une attaque sur la base du RCD à Makobola, Ils y tuent deux militaires et retournent se réfugier dans des montagnes. Le lendemain le RCD lance une expédition punitive qui tourne au massacre. Du 30 décembre 1998 au 2 janvier 1999, les soldats du RCD, rassemblement épaulé par des militaires des armées rwandaises et burundaises tuent plus de 800 personnes à Makobola et dans les villages voisins. Peu avant, ce fut le même mode opératoire pour Kilungutwe et Kasika où des villages entiers furent littéralement décimés; des prêtres tués, le Mwami Mubeza tué, des femmes enterrées vivantes (…)"

Et de poursuivre: "Tandis qu’à Makobola, les représailles tournaient au bain de sang et que les jeunes des campagnes organisés en groupe Mayi-mayi multipliaient des sabotages et embuscades, à Bukavu on rusait, on rasait des murs et on s’attaquait aux symboles les plus éclatants de la présence du RCD, on photocopiait des tracts qu’on distribuait en cachette."

"La nuit on allait sur la place de l’indépendance descendre les drapeaux du RCD et y remettre le drapeau congolais. Ils étaient furieux, mais ils ne réussissaient pas à nous attraper ! C’était la résistance." (14)

"(...) Il n’est pas jusque dans les églises où les Kivutiens n’entendent parler d’invasion et de nécessaire résistance. En octobre 1996, le prêtre jésuite et archevêque de Bukavu, Christophe Munzihirwa dénonce dans ses lettres pastorales des attaques répétées du Rwanda contre le Zaïre. Il est assassiné quelques semaines plus tard par un commando des soldats rwandais alliés au RCD." (15)

Des mots d’ordre de grèves et des appels au refus de payer ses impôts circulent sur des tracts distribués en ville, sur des feuillets photocopiés à la va-vite et distribués sous le manteau où on peut lire par exemple: "Le haut commandement de force de résistance civile salue le courage et la détermination de la population kivutienne victime de l’occupation tutsi rwandaise, burundaise et ougandaise". Aussi, une toute petite radio des résistants émettait matin et soir on ne savait d’où pour réconforter la résistance populaire: ce qui n’arrêtait pas de déstabiliser les plans des agresseurs en furie…  La frontière entre l’opposition, la présence du RCD et le racisme anti-Tutsi est souvent floue… Des vendeurs des rues refusent de servir des clients douteux. (16)

Ainsi opérait la résistance dans le Kivu. Le sang a coulé énormément dans le Nord et le Sud Kivu et environ 30 ans après, le robinet sanguinolant n’est toujours pas fermé. Et les résistants qui se battent (en désordre) pour le fermer sont à découvrir… La France a reconnu la contribution de ces "soldats de l’ombre"  en 1944, mais en RDC la communauté internationale la surnomme "force négative". Quelle pénurie de mots!

Les résistants congolais et les autres résistants ont peut-être compris qu’ils doivent se libérer. Se libérer de l’hitlérisme tropical appuyé par les puissances capitalistes/impérialistes. En tête « Babylone la grande ». La libération d’un peuple ne peut venir d’ailleurs: Che Guevara a tenté de le faire comprendre en RD Congo en 1965, mais il ne fut ni compris ni accepté.

Voulant internationaliser la résistance contre l’impérialisme en Amérique latine, la terre qui l’a vu naître, il sera tué en Bolivie le 9 octobre 1967. Et la mort prématurée de ses camarades des maquis comme Camilo Cienfuegos, Celia Sanchez, Abel Santa Maria porta un coup dur à cette résistance. 

D’autres disciples du Che ont tenté de prendre la relève mais sans succès durable: c’est le cas de Inti Peredo en Bolivie, Carlos Marighela au Brésil, Cesare Montes au Guatemala, les Tupamaros en Uruguay, Fabio Vasquez en Colombie, Douglas Bravo au Venezuela, etc. mais les critiques des stratégies furent nombreuses et Cuba, le "parrain" affronta des problèmes économiques. La résistance à "l’Ogre" n’est pas facile. 

Les résistants après la résistance

A l’instar du PAIGC d’Amilcar Cabral, le mouvement révolutionnaire n’a pas survécu à la mort du Che, comme nous venons de le voir. Les idées de Patrice E. Lumumba et de Thomas Sankara ne leur ont pas survécu. Il n’en reste que des débris épars. En RDC comme ailleurs les résistants sont souvent profondément incompris, sans idéal politique, mal encadrés, peu ou pas entrainés. La défense de leur patrie, de leur liberté, de leurs droits reste le fondement de leur engagement. Ils donnent cependant la dignité à des millions de leurs concitoyens.

Dans certains Etats, la résistance contribue à la mise sur pieds des stratégies de lutte, à l’édification des nations et des forces d’organisations inédites en cas de victoire. Ils défendent dans des conditions difficiles et contre des ennemis communs les principes de liberté, de justice et de souveraineté nationale (qui sont les nôtres). Ils méritent admiration et solidarité.

Jean Ziegler affirme que certains d’entre les résistants ne font que "passer au firmament de l’espérance comme une comète vite éteinte laissant au ciel une trainée de lumière. D’autres creusent profondément le sol... Le sang se mêle partout à l’herbe. Mais vivants ou morts, défaits ou triomphants, des centaines de milliers de combattants marquent durablement l’histoire de tous les hommes. Aucun d’eux n’expire en vain. Chacun par son sacrifice devient l’ancêtre d’un monde plus juste, plus libre, plus humain à venir."

En pensant aux victimes de la guerre à l’est de la RD Congo (massacre de Goma, Ituri et ceux du Sud Kivu) et au génocide encore  en cours en Palestine. Je fais miennes la pensée de Jean Ziegler: "Obtenir du lecteur de ce papier, une minute de silence en souvenir des centaines de milliers d’enfants, d’hommes et de femmes de toutes les couleurs, de toutes les nations, de toutes les religions, habitants les massues isolées, les villes, les déserts, les forêts, les rives des fleuves, et qui au cours de ce siècle révèrent la liberté. Ils furent déchiquetés par les bombes, arrêtés, torturés ou disparurent un matin, assassinés." (17) 

Nombreux de ceux qui ont pu survivre ou se battent encore, ne seront peut-être même pas invité au "banquet" en cas de victoire. Que de fois la victoire du combat des résistants est volée… L’oubli reste l’horizon le plus probable pour les résistants. Les plus modestes retournent dans leurs familles, à leurs métiers: un retour souvent difficile, une réinsertion sociale et professionnelle plus difficile encore pour ces héros anonymes qui peinent à se retrouver.

Pendant ce temps, d’autres passent du maquis aux ministères tandis que les rêves du plus grand nombre de résistants se dissolvent ainsi dans des jeux politiques incompréhensibles, comme on le voit en RD Congo alors qu’on espérait rendre utile cette force qui s’est spontanément dressée contre l’ennemi.

En visite dans la région de Toulouse en 1944, l’on posa à De Gaulle la question de savoir quel doit être le rôle de la résistance dans l’avenir. La réponse du général atterra l’assistance: « son rôle est terminé »

Vraiment terminé? Pas facile d’être résistant!

Xavier B.C.

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(1) Histoire c’est l’histoire, tiré du swahili « hadisi njo hadisi »
(2) Extrait du wiktionnaire, disponible sous licence CCBY-SA 3.0
(3) Robert Belot, auteur d’Henry Frenay, De la résistance à l’Europe, Ed. Seuil 2003
(4) Organisation Pour la Libération de la Palestine (OLP)
(5) FIZI : Terre des Hyènes en Swahili. Territoire choisi par CHE GUEVARA pour créer un mouvement de résistance contre l’impérialisme en Afrique en 1965.
(6) Pierre Brossolette à la BBC, le 22/09/1942, cité par Robert Belot Op cit.
(7) Jean Ziegler, Contre l’ordre du monde, Les rebelles, Ed du Seuil, 1985
(8) Gerard Chalian, la Résistance palestinienne, Ed. du Seuil, 1970
(9) Parti Africain pour l’Indépendance de la Guinée Bissau et du Cap Vert.
(10) Amilcar Cabral cite par Ziegler in Les rebelles. Op.cit.
(11) Vieira, cité par J .Ziegler, Idem
(12) Front pour la Libération du Mozambique
(13) Chomsky N.LES Doctrines des bonnes intentions p.53
(14) BRABANT Justine, Qu’on nous laisse combattre et la guerre finira. Les combattants du kivu.P.63, Ed. . La Découverte, Paris 2016
(15) BRABANT Justine, op.cit P.63
(16) Idem
(17) Ziegler J Idem.

lundi 3 juin 2024

La gouvernance entortillée en RD Congo. A qui la faute?

Pas moi dit le dindon, ni moi dit le canard. Tout le monde fait le Ponce Pilate !

Depuis l’indépendance en 1960, l’image de la RD Congo connue du monde et au monde n’a pas du tout changé, bien au contraire. Plus les anniversaires de son indépendance s’accumulent, plus son image va irrémédiablement de mal en pis: la dictature, le sous-développement, la pauvreté et la misère accrues, le détournement des deniers publics avec des chiffres faramineux qui donnent de l’insomnie, l’injustice et l’impunité, les guerres et l’insécurité permanente et généralisée, des minerais de sang, les viols massifs sur les femmes et des enfants, la prolifération des groupes armés, les enfants soldats, des massacres à grande échelle, le manque d'infrastructures de base, l’enclavement, le tribalisme au sommet de l’Etat, la prolifération des sectes comme un opium d’endormissement massif, les élections dites démocratiques totalement chaotiques... 

A la commission du péché originel d’Adam et Eve dans le jardin d’Eden, personne des deux n’admit être responsable de cette situation. Chacun rejetait la faute sur l’autre. "Ce n’est pas moi, c’est cette femme que tu m’as donnée", "Non ce n’est pas moi c’est le serpent…"

En ce qui concerne la mauvaise gouvernance au Congo-Kinshasa, personne ne semble être officiellement le responsable, tout le monde s’en lave les mains. Les dirigeants accusent le peuple, le peuple accuse les dirigeants, chaque régime accuse celui qu’il a remplacé ou facilement l’occident, etc. Durant le premier mandat de Félix Tshisekedi, son régime a accusé Joseph Kabila qu’il a remplacé. Au cours de son deuxième et dernier mandat, cette fois, c’est la Constitution de la République qui est mise en accusation. Politiquement c’est cynique mais c’est bien cela. Il faut donc la réviser pour trouver des solutions toutes faites aux multiples défis de gouvernance qui s’imposent au pays !  

Une Constitution des belligérants... ?

Une thèse avancée par le régime au pouvoir pour justifier sa volonté de réviser la Constitution est de la qualifier d’être celle des belligérants, allusion faite au contexte de son élaboration. Un contexte d’après-guerre, oui, mais qui ne justifie pas les appétits inopportuns de la réviser actuellement… A qui profiterait une révision constitutionnelle en ce moment-ci ? Le moment et le contexte sont-ils favorables à une telle chirurgie constitutionnelle ?

Ceux qui ont les yeux pensent que ceux qui ont les oreilles ne voient pas.

Sous la pression populaire, les guerres successives qui ont ravagé la RD Congo depuis 1996 jusqu’en 2000 ont débouché sur le dialogue inter-congolais à Sun City en Afrique du Sud entre 2001 à 2003. Il s’agissait notamment de la guerre de l’Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération du Congo (AFDL de Mzee Laurent-Désiré Kabila, Douglas Bugera, Masasu Nindaga) d’abord, ensuite celle du Rassemblement Congolais pour la Démocratie (RCD/Goma d’Azarias Ruberwa, Bizimana Karamuheto alias Bizima Karaha), RCD/ KML de Mbusa Nyamwisi et le professeur Wamba Dia Wamba et celle du Mouvement de Libération du Congo (MLC de Jean-Pierre Bemba). 

Malgré toute la bonne foi, ce dialogue inter-congolais (DIC) n’a pas mis fin à l’insécurité qui sévit principalement à l’Est du Congo. D’autres  groupes rebelles supplétifs ont vu le jour: le Conseil National pour la Défense du Peuple (CNDP de Laurent Nkundabatware et Bosco Ntaganda) puis le Mouvement du 23 mars 2009 devenu M23 (avec Bertrand Bisimwa, Sultan Makenda, Willy Ngoma,…) tous deux, grande fabrique rwando-ougandaise.

Ces assises nationales multi acteurs ont eu pour mérite d’aboutir à un compromis politique entre les belligérants et la société civile invités à Sun City: le gouvernement de 1+4, Joseph Kabila avec quatre vice-présidents issus de l’opposition non armée, du gouvernement central et des rébellions. Ce compromis fut qualifié d’ "accord global et inclusif de Sun City" signé le 19 avril 2002, dans lequel les partis avaient convenu comme objectifs : la réunification, la pacification, la reconstruction du pays, la restauration de l'intégrité territoriale et le rétablissement de l'autorité de l'Etat sur l'ensemble du territoire national, la réconciliation nationale, la formation d'une armée nationale restructurée et intégrée, l'organisation d'élections libres et transparentes à tous les niveaux permettant la mise en place d'un régime constitutionnel démocratique et la mise en place de structures devant aboutir à un nouvel ordre politique.

La transition politique eut lieu, une équipe de rédaction d’une nouvelle Constitution fut mise en place. Cette Constitution fut soumise au référendum politique le 18 et 19 décembre 2005, promulguée le 18 février 2006. Elle sera révisée le 11 février 2011. Elle cessa par ce référendum d’être celle des belligérants. La prendre aujourd’hui sous cet angle pour justifier sa révision n’est qu’un prétexte qui cache mal d’autres désirs politiques. 

D’ailleurs l’article 219 de cette Constitution stipule qu’aucune révision ne peut intervenir pendant l’état de guerre, l’état d’urgence ou l’état de siège ni pendant l’intérim à la Présidence de la République (…). Pour rappel, une partie du pays est sous état de siège depuis plusieurs années déjà, le Nord-Kivu et l’Ituri.

Les Congolais ont d’autres priorités de gouvernance qu’une modification constitutionnelle. Une révision constitutionnelle actuellement, pour quelque motif que ce soit, est inopportune. C’est plutôt un indice d’une posture extra juridique régressive du pouvoir de Felix Tshisekedi par rapport aux acquis du processus de démocratisation qui a fait son bonhomme de chemin depuis avril 1990.

La Constitution actuelle est-elle rémissible?

Certes, certains articles de la Constitution devraient-ils être reformulés ou carrément élagués car ils sont porteurs d’un fond critique et donc, d’un danger contre la République et contre la démocratie. Mais comment le faire sans tomber dans la tentation de toucher aux articles verrouillés?

Les Congolais peuvent-ils faire confiance au régime actuel de Félix Tshisekedi qui est à son deuxième et dernier mandat légal et lui laisser entreprendre cette révision sans peur de la tailler à sa volonté afin de conserver le pouvoir le plus longtemps possible? Aucune garantie ne s’offre car les membres du parti présidentiel voire le président lui-même ont déjà lâché les mots qui fâchent, montrant leur volonté de toucher aux articles sacro-saints de cette Constitution.

Boris Mirkine-Guetzévitch, l’un des pionniers de la « soviétologie » connue en Occident dans les années 1920 comme la Constitution de l’URSS, dit que la Constitution est une œuvre de circonstance. Oui, mais les circonstances actuelles du Congo (la guerre à l’est, la prise en otage du pays par des groupes d’intérêts internes et externes divers, la mauvaise gouvernance économique, sécuritaire, politique, sociale et environnementale) sont-elles favorables et opportunes à une révision constitutionnelle objective? Aucune garantie!

Hugues Rabault dans son article intitulé « Carl Schmitt et l’influence fasciste. Relire la théorie de la Constitution », publiée dans la Revue française Constitutionnel, 2011/4 (n°88) dit «nos mythes actuels conduisent les hommes à se préparer à un combat pour détruire ce qui existe». Nous en dirions pour notre part, que les mythes actuels au sein du parti (l’UDPS) au pouvoir risquent de conduire les Congolais à préparer un combat qui pourrait détruire complétement ce qui existe déjà. Cela pourrait risquer d’apporter de l’eau au moulin de différents esprits espiègles et belliqueux qui en veulent à ce pays. Pourtant, depuis Mzee Laurent-Désiré Kabila jusqu’à Joseph Kabila, les Congolais se sont constitués en chiens de garde de l’intégrité territoriale de leur pays ainsi que de leur Constitution, gage de leur unité politique.

Quelques articles constitutionnels alertent rouge...

Comme dit plus haut, certains articles de cette loi fondamentale constituent un cheval de Troie à certains maux qui rongent et tracassent la République. Dans leurs formulations et dans leur entendement, ils sont une réelle menace contre le pays et contre la  voie de la démocratie.

A titre illustratif : 

L'article 217 : « La République Démocratique du Congo peut conclure des traités ou des accords d’association ou de communauté comportant un abandon partiel de souveraineté en vue de promouvoir l’unité africaine. » 

Cet article menace l’intégrité territoriale et pêche contre la souveraineté du pays: il prête le flanc à toutes les velléités des pays voisins qui rêvent de déposséder la RD Congo d’une partie de son territoire national. Cette clause pourrait même servir à certaines autorités congolaises patriotardes, permettre de céder unilatéralement une partie du pays à qui ils veulent pour se maintenir au pouvoir. L’histoire retient que Mobutu aurait donné l’ile de Nkombo au Sud-Kivu à son ami Habyarimana du Rwanda, l’on raconte aussi que la partie frontalière de Gatumba au Burundi, appartiendrait au Zaïre dans le temps si on s’en tient à la frontière naturelle, la rivière Ruzizi. Comment est-elle devenue burundaise ?

Pour faire la paix avec Kigali, Felix Tshisekedi aurait signé des accords inédits  avec Kagame qu’il n’a pas respecté avant de se rebiffer. On accuse LD Kabila d’avoir signé les accords dit de Lemera qui donnaient tout le Kivu au Rwanda et qu’il n’aurait pas aussi respecté, etc.

Il est géographiquement connu que la superficie du Congo est de 2.345.410 km2, mais tout porte à croire aujourd’hui qu’il a déjà perdu beaucoup de kilomètres du côté de l’Angola, de la Zambie, de l’Ouganda. Déplacement des bornes ici, conflit de limites par-là, etc. Le Rwanda tente en vain depuis trente ans d’annexer plutôt le Kivu. 

Il est donc urgent que cet article endiablé soit extirpé de la Constitution, sinon il servira de base juridique à certaines causes irrémédiables contre le pays. L’arrivée des immigrés refoulés de la Grande Bretagne vers le Rwanda devrait aussi poser des questions dès lors que le monde entier sait que ce petit pays n’a pas assez d’espace pour lui-même, où pourrait-il mettre ces immigrés si ce n’est pas chez son voisin, la RD Congo?

L'article 4, la création des nouvelles provinces : « De nouvelles provinces et entités territoriales peuvent être créées par démembrement ou par regroupement dans les conditions fixées par la Constitution et par la loi. » Malheureusement sans demander aux autochtones…

Le démantèlement de onze à vingt-six provinces a eu quel avantage? A-t-il concouru à l’unité et à la cohésion nationale, au rapprochement de l’administration des administrés, au développement territorial promis ou, il a conduit malheureusement au développement du régionalisme et du tribalisme?

Aujourd’hui, la création des nouvelles entités territoriales qui fâchent l’opinion publique congolaise repose sur cet article 4, par exemple la question de la commune rurale très contestée de Minembwe au Sud-Kivu perçue par les congolais comme un Etat dans un Etat. En effet, les tutsis dits banyamurenges vivants dans le territoire de Fizi au Sud-Kivu, revendiquent depuis plusieurs années, leur propre espace territorial où ils se sentiraient mieux protégés. Le Premier Ministre Matata Mponyo avait pris en 2013 un décret créant des nouvelles villes et communes rurales dont Minembwe. En lien avec l’esprit des articles 9, 51 et 217 évoqués dans ce texte, les Congolais ont interprété cela, comme une opportunité offerte à ce groupe ethnique de revendiquer un jour l’autodétermination car ils auront déjà un espace géographique dont d’ailleurs les limites physiques et culturelles ont fait tiquer plus d’un observateur averti.

Par ailleurs, aujourd’hui, la tension et l’attention sont grandes. L’avenir de la démocratie est menacé. Un des principes de la démocratie, c’est la loi de la majorité et le respect de la minorité. Actuellement, on est dans un film de la manipulation identitaire et d’appartenance géographique. Certaines minorités sociologiques qui échouent aux élections brandissent le spectre du démembrement, de l’autonomie ethnique. Le Congo compte près de quatre cent cinquante-trois ethnies, ce qui veut dire qu’à la longue, chaque ethnie pourrait un jour réclamer sa province en croyant abusivement que c’est la solution idéale aux problèmes de développement qui se posent à leur entité d’origine. La cohésion nationale est en danger à cause de la mauvaise gestion du res publica. Le Nord et le Sud-Kivu, deux provinces issues du premier démembrement de l’ancien Kivu par feu Mobutu en 1988, sont encore hantées par l’esprit du démembrement. Au Nord-Kivu on parle de plus en plus de créer la province du grand nord et celle du petit sud qui s’étendrait jusqu’à Kalehe dans le Sud-Kivu tandis qu’au Sud-Kivu on parle de la nouvelle province d’Elila qui séparerait les territoires majoritairement occupés par les shis (Kabare, Walungu, Idjwi, Kalehe) et prendrait donc les territoires de Shabunda, Mwenga, Uvira et Fizi. Le Rwanda qui veut avoir une main mise sur les ressources de cette partie n’est pas loin de ces dynamiques divisionnistes. Sinon à qui cela profite-t-il vraiment?

L'article 6: le pluralisme politique. « Le pluralisme politique est reconnu en République Démocratique du Congo. Tout Congolais jouissant de ses droits civils et politiques a le droit de créer un parti politique ou de s’affilier à un parti de son choix. (…) Ils se forment et exercent librement leurs activités dans le respect de la loi, de l’ordre public et des bonnes mœurs. Les partis politiques sont tenus au respect des principes de démocratie pluraliste, d’unité et de souveraineté nationale… »

Le pluralisme politique, sans aucun encadrement, crée autant d’ambition sans idéologie et sans projet de société. Chaque politicien crée sur une base tribale ou de son village d’origine son propre parti etc. Tout cela met la démocratie en danger car ça ne respecte aucune logique démocratique. Aujourd’hui, la politique est le seul secteur qui paye le mieux, tout le monde veux avoir son parti politique plutôt qu’une entreprise. S’il y avait autant d’entreprises qu’il y a de partis politiques ou d’églises de réveil, ce pays à la population estimée à 102 millions d’habitants en 2023 serait classé parmi les pays en voie de développement. Dans les vieilles démocraties, on classe les partis selon l’idéologie politique qu’ils défendent, la droite ou la gauche, les républicains et les démocrates, les travaillistes et les conservateurs,… On y parle moins de l’opposition et du parti au pouvoir. Au Congo, il est difficile de distinguer et de séparer idéologiquement ces formations politiques. Ils sont comme des pierres qui vont où va l’eau de la rivière. L’opposition est quasi inexistante et désorganisée sur le plan des principes.

L'article 9 met en cause la souveraineté des citoyens congolais et consacre plutôt la souveraineté de l’Etat. «L’Etat exerce une souveraineté permanente notamment sur le sol, le sous-sol, les eaux et les forêts, sur les espaces aérien, fluvial, lacustre et maritime congolais ainsi que sur la mer territoriale congolaise et sur le plateau continental.» Et donc, finalement, le sol et le sous-sol n’appartiennent à personne sauf à l’Etat. La souveraineté du citoyen ou de la citoyenne congolaise ne s’exerce seulement que sur la maison qu’on occupe, et non sur la propriété foncière, encore que là, avec la suprématie accordée au code minier sur le code foncier tout devient problème. La souveraineté foncière appartient plutôt à l’Etat et non pas au citoyen. Tous les problèmes de déposséder les paysans de leurs terres partent en partie de là. Et ce sont des question de société qu’il faut résoudre.

L'article 10, sur la nationalité. «La nationalité congolaise est une et exclusive. Elle ne peut être détenue concurremment avec aucune autre. La nationalité congolaise est soit d’origine, soit d’acquisition individuelle. Est Congolais d’origine, toute personne appartenant aux groupes ethniques dont les personnes et le territoire constituaient ce qui est devenu le Congo (présentement la République Démocratique du Congo) à l’indépendance. Une loi organique détermine les conditions de reconnaissance, d’acquisition, de perte et de recouvrement de la nationalité congolaise.»

Une grande question se pose avec acuité aujourd’hui: qui est congolais et qui ne l’est pas? Sur le plan juridique, comment distingue-t-on un national d’un étranger? La loi en la matière est-elle vraiment suivie? L’administration congolaise (le ministère de l’intérieur et des affaires étrangères) qui gère cette question ne saura jamais répondre à ces questions. Le dernier recensement général de la population date de 1984 sous le régime de feu Mobutu.

L’exclusivité très controversée et revendiquée de la nationalité congolaise demeure un des sérieux problèmes nationaux qu’il faut absolument trancher sans ouvrir la boîte de Pandore. Les populations de l’Est dans leur esprit nationaliste et protectionniste sont farouchement opposées à la double nationalité car elles savent que ce serait donner un chèque en blanc aux ressortissants de la sous-région qui leur font la guerre en se faisant illégalement passer pour des Congolais: Laurent Nkundabatware, Bosco Ntaganda et autre. La Constitution rwandaise à son article 25 consacre la double nationalité.

Entre-temps beaucoup d’autorités congolaises ont la double nationalité et ne font pas mieux en termes de gouvernance pour le développement du pays. Ils sont de père et de mère comme on dit. La question de nationalité est trop sensible en période électorale car la loi en fait théoriquement un des critères pour postuler. Malheureusement cela n’est jamais suivi ni respecté.

Avant les élections du 20 décembre 2023, on a assisté à un débat virulent sur la nationalité de Moïse Katumbi qui voulait se faire élire comme Président de la République sous le label de l’opposition politique. La nationalité de sa femme est entrée dans le débat public en l’assimilant aux pays agresseurs. Noël Tshiani, proche du pouvoir de Felix Tshisekedi, a jeté le pavé dans la marre sur la congolité, en exigeant d’être congolais de père et de mère pour avoir des hautes fonctions politiques dans le pays.

Partout au monde, la question de nationalité est une question de souveraineté nationale qui est toujours gérée avec délicatesse politique, avec patriotisme et sans complaisance ni émotion quelconque pour le bien de la République. Le Congo doit passer par là et faire un choix une bonne fois pour toutes, tout en mesurant sa portée sur le contexte et vice-versa. Quelles sont les limites de l’intégration régionale sur la question de la souveraineté nationale et d’intégrité territoriale?

L'article 51 consacre l’existence des minorités en République Démocratique du Congo. «L’Etat a le devoir d’assurer et de promouvoir la coexistence pacifique et harmonieuse de tous les groupes ethniques du pays. Il assure également la protection et la promotion des groupes vulnérables et de toutes les minorités. Il veille à leur épanouissement.» 

Cet article affirme qu’il existe des groupes ethniques minoritaires parmi les plus de 450 ethnies que compte le Congo. La grande question c’est: quelle est la base scientifique d’une telle affirmation ? Comment le législateur peut-il soutenir qu’il y a des minorités sans les citer. Comment les a-t-on identifiées en tant que telles? La conséquence c’est que, devant les enjeux du pouvoir, même démocratique, certains individus se font passer malhonnêtement comme appartenant à une certaine minorité imaginée. 

Il faut quand même préciser que la notion de minorité est une notion importée du Rwanda et du Burundi où justement on trouve des groupes ethniques minoritaires entre les Hutus, les Tutsis et les Twa (pygmées). En République Démocratique du Congo, cette notion de minorité relève plutôt de la stratégie politique que l’expression sociologique d’une réalité démographique donnée. Il va falloir qu’un jour ou l’autre on puisse distinguer sociologiquement et numériquement les plus de 450 ethnies répertoriées et bien les localiser sur la carte du Congo.

La mauvaise gestion de toutes ces questions et beaucoup d’autres, contrarient le bon fonctionnement de la République. Et au Congo, personne n’est responsable de cela, tout le monde fait le Ponce Pilate, il se lave les mains… C’est toujours les autres, c’est la Constitution.

Le peuple congolais veut la stabilité, il faut donc en aborder froidement les questions qui fâchent dans un schéma républicain. Elaguer, nettoyer de la Constitution les articles à problèmes sans céder à la tentation de toucher à ses articles verrouillés? Ainsi on aura adapté cette Constitution aux grandes ambitions du Congo. 

Le pouvoir en place doit s’assumer dans sa gouvernance et ne pas rechercher le bouc émissaire ici et là. La Constitution actuelle symbolise le contrat social et politique qui le lie au peuple congolais, en outre, elle a déjà fixé et réparti toutes les responsabilités publiques. Chercher à s’en dérober ou à se cacher derrière la Constitution pour expliquer son incapacité est une lâcheté politique.