L'histoire est l'histoire (1). Elle fait partie de la culture qui laisse généralement de profondes cicatrices dans l'âme et dans les comportements des individus. On ne peut la rayer d'un seul trait.
Il faut nécessairement se souvenir du passé pour vouloir le changement. Nous sommes héritiers et porteurs d’une civilisation dont la mémoire est principalement orale, surtout en Afrique.
Nous prenons rarement note des évènements. Nous écrivons rarement sur notre expérience vécue à la lumière des richesses et des souvenirs encore plus nombreux qui garnissent nos mémoires. Et avec les années, celles-ci s’effilochent et finissent par devenir diffus, vagues, inutilisables et obsolètes.
C’est un fait: une expérience ou une connaissance qui ne se communique pas, ne se partage pas, ne se systématise pas, c’est une expérience morte! Et la transformation sociale qu’elle peut engendrer ou provoquer s’arrête, faute de souffle pour la porter.
Sur ce papier, je vais essayer de centrer ma réflexion sur la vie "des résistants" que j’ai rencontré, entendu, ou lu dans des manuels car, dit-on, l’histoire oubliée est un avenir perdu.
La résistance: de quoi parle-t-on?
Ce mot, selon le dictionnaire français, signifie: qualité par laquelle, un corps résiste à l’action d’un autre corps. Cette définition, notons-le, a plusieurs extensions. Elle signifie l’opposition aux desseins, aux volontés, aux sentiments d’un autre ou à ses propres passions. Elle signifie aussi: défense que font les hommes et les animaux ou les micro-organismes contre ceux qui les attaquent.
En France, pendant la seconde guerre mondiale, la résistance a été l’ensemble de mouvements et réseaux clandestins qui, durant cette dernière ont poursuivi la lutte contre l’axe et ses relais collaborationnistes sur le territoire français depuis le 22 juin 1940 jusqu’à la libération en 1944 (2).
Mais, Robert Belot avertit: la résistance est une décision risquée dont les conséquences ne sont écrites nulle part et qui se mûrit dans l’âpre solitude (ce point de vue emporte mon adhésion). Le résistant se bat contre lui-même, contre sa famille et parfois à l’insu de celle-ci, face à l’incertitude d’une histoire dont il ne connait pas la fin (3).
Les résistants, dans leur ensemble, n’ont pas d’épouses, et ceux qui en ont, ne les écoutent pas ou les quittent tôt. Les femmes les empêchent d’agir. Quand l’on posait à Yasser Arafat la question de savoir pourquoi il ne se mariait pas, il répondait : « Je suis marié à l’OLP (4) » j’évite, pour l’instant d’évoquer, Ernesto Che Guevara qui abandonna sa famille à Cuba…
Les hommes des combats souterrains
En juin 2004, je revenais du territoire de Fizi en province du Sud Kivu en RD Congo, pour une mission d’évaluation du degré des destructions des infrastructures scolaires causées par la rébellion du Rassemblement Congolais pour la Démocratie (RCD), une rébellion pro Rwandaise.
Accompagné d’un ami ce soir-là, il me demanda d’aller avec lui pour visiter un de ses cousins arrêté dans un cachot du lieu. Le geôlier accepta de nous ouvrir ledit cachot après nous avoir soutiré quelques pourboires. Sur la porte de ce dernier, des écrits : « ce cachot et la mort = 1 ».
Surpris, j’ai demandé au gardien si l’homme en détention et objet de notre visite était déjà condamné à mort? Il me sourit et ne répondit pas. Quant au prisonnier, il était arrêté pour avoir refusé de marier sa fillette de 12 ans afin de payer la dot de son épouse décédée avant qu’elle ne soit dotée: la mère de la fillette.
De retour à Bukavu, j’exprime ma vive préoccupation sur la situation des violations terribles des droits humains en territoire de Fizi à Pascal Kabungulu Kibembi, un grand défenseur des droits humains, secrétaire exécutif de « Héritier de la justice », une ONG spécialisée en la matière et avec laquelle je collaborais. Il prit note, promit d’enquêter et surtout de dénoncer cette situation.
Il sera assassiné quelques mois après, chez lui, le 31 juillet 2005, par des hommes armés qui l’ont abattu de sang-froid. Il était déjà vice-président de l’organisation régionale "La ligue des droits de l’homme dans la région des Grand Lacs". Il était toujours du côté des opprimés et n’était jamais en bons termes avec certains officiers militaires.
Human rights Watch, Amnesty International et Front Line, basées à Londres, réclamèrent une enquête et bien sûr des sanctions à l’encontre des auteurs du crime, mais rien n’y fit! C’était un résistant, selon moi.
Les résistants n'ont pas de région
Je me souviendrai toute ma vie de ces jeunes gens que j’ai vu venir de Fizi (5) dans le Sud du Sud-Kivu en RD Congo, en octobre 1996, pour défendre la ville de Bukavu menacée par des rebelles venus de l’Ouganda et du Rwanda et conduit par Laurent Désiré Kabila et Kisase Ngandu. Ils furent tous massacrés par les agresseurs à la grande poste de Bukavu, lieu où ils étaient rassemblés, et furent enterrés dans une fosse commune derrière cet immeuble de la ville. C’était le 29 octobre 1996, un mardi noir, le même jour que Monseigneur Christophe Munzihirwa, d’heureuse mémoire. C’était des jeunes volontaires dont la majorité ne connaissait même pas la ville qu’ils venaient défendre. Ils ont refusé ma main quand je voulu les saluer en guise d’encouragement!
C’étaient des résistants anonymes à l’instar de Matudidi, cet étudiant congolais à la Sorbonne, en France, qui abandonna ses études pour rejoindre la rébellion de Pierre Mulele qui s’opposait au néocolonialisme. Il s’était noyé dans le lac Tanganyika en 1964. Il était originaire du Kwilu dans l’ex-province de Bandundu, très loin, à l’extrême-ouest du pays.
Le héros de la guerre qui a défait la rébellion pro-rwandaise, le M23 en 2013, le colonel Mamadou Ndala, a été assassiné en pleine journée à Beni. Jusqu’à ce jour, le grand public ne connait rien ni sur les auteurs, ni sur les enquêtes amorcées. De nombreux Congolais le considèrent comme un résistant, un héros.
La société civile: les hommes des combats souterrains
Depuis les vagues des guerres qui ont déferlé sur la RD Congo dès 1996, le bureau de coordination de la société civile en province du Sud Kivu a, lui aussi, créé un autre front de contestation et de résistance. Certains animateurs ont été d’une vaillance héroïque forçant l’estime de la population. L’histoire non encore écrite du combat de la société civile, fourmille d’exemples d’hommes qui ont pu renverser des situations dramatiques alors que leurs vies paraissaient dépendantes des forces qui les dépassaient. Ces hommes (rares, il est vrai) ont manifesté leur capacité de résistants. Ils ont su, au cœur de l’adversité, prendre les risques de dénoncer, de s’opposer et d’exercer leur liberté dans des situations périlleuses.
En effet, en 1998, le 2 août, un mouvement rebelle pro-rwandais, le Rassemblement Congolais pour la Démocratie (RCD) déclencha une guerre en province du Sud Kivu. Pour le Rwanda et la communauté internationale, il s’agit d’une guerre civile créée par des Tutsis congolais menacés par d’autres communautés; juste une tournure des complices pour s’interdire d’intervenir et, par contre pour laisser-faire et faciliter leurs agendas économiques…
Au cours d’un sommet de l’Union Africaine tenu en urgence sur ces conflits, le président en exercice de l’époque, Mr Alpha Oumar Konare, ancien président du Mali, déclara qu’il s’agissait d’une guerre civile dans laquelle la présence du Rwanda dans la capture de Bukavu n’était pas avérée pour dire que le Rwanda n’est en rien impliqué.
Le bureau de coordination de la société civile du Sud Kivu de l’époque rassembla très vite des preuves par lesquelles il fournissait les listes des militaire rwandais au front à Bukavu, leurs unités d’origine dans l’armée rwandaise et même le n° des armes de ces militaires rwandais au front à Bukavu. Les données parvinrent à temps réel au ministre congolais des affaires étrangères Antoine Gonda M. en difficulté à Addis-Abeba. Celui-ci les transmit directement au président Alpha Oumar Konare. Des preuves hyper-accablantes qui le laissa perplexe, aphone... La guerre prit alors une autre tournure.
Certains de ces combattants, ces véritables résistants sont toujours en vie et n’ont jamais été connus du grand public ni du pouvoir. Mission terminée?
En 2005, peu après l’assassinat de Pascal Kabungulu, un gouverneur du nom de Bulahimu Witankete, fut nommé à Bukavu. Accusé par la société civile d’être un mauvais gestionnaire et de dilapidation du trésor public, il sera vite rappelé à Kinshasa d’où il ne reviendra pas. Sans demander son reste, chassé par la société civile.
Last but not least, le gouverneur Théo Ngwabidje vient de quitter la province du Sud Kivu sur la pointe des pieds, en ce début 2024. Traqué lui aussi par le bureau de coordination de la société pour détournement de fonds et autres abus de pouvoir. Echappant sans cesse à plusieurs motions des députés provinciaux, glissant comme une anguille à toutes les tentatives d’éjection de son fauteuil de gouverneur, il a rejoint précipitamment Kinshasa comme député national, grâce probablement à l’alchimie électorale de 2023. Traqué et déplumé par le bureau de coordination de la société civile résistante à ses tentatives de corruption, il a laissé derrière lui une province du Sud Kivu exsangue, une province aux veines économiques tranchées...
"A côté de vous, sans que vous le sachiez toujours, luttent et meurent des hommes – mes frères – les hommes du combat souterrain pour la libération. Ces hommes fusillés, arrêtés, torturés, chassés toujours de leurs foyers, coupés souvent de leurs familles, combattants d’autant plus émouvants qu’ils n’ont point d’uniformes ni d’étendards, régiments sans drapeau dont les sacrifices et les batailles ne s’inscriront pas en lettre d’or dans le frémissement de la soie mais seulement dans la mémoire déchirée de ceux qui survivront... Saluez les.
C’est ainsi que luttent et meurent les hommes de combat souterrain, ce sont des soutiens de la gloire (6)…"
Eh oui, les résistants sont partout
"Les résistants n’ont pas de patrie particulière, ni de région, ni de race…"
Selon Jean Ziegler, sur terre, aucune liberté ne s’obtient sans souffrance et sang versé, les hommes opprimés se révoltent partout et toujours. Jamais l’homme n’accepte durablement ses chaines.
Le message du résistant dépasse l’évènement où il prend naissance. Il est universel et atemporel, chaque génération peut se l’approprier, chaque pays peut l’adopter comme modèle (7).
L’histoire contemporaine nous en fournit des exemples édifiants. Les injustices, les privations des libertés, les humiliations collectives et individuelles, l’oppression, la souffrance engendrent des constructions sociales, lesquelles souvent font naitre l’embryon d’une conscience collective anti-coloniales, opposées à toute forme d’occupation, d’exploitation ou d’imposition impérialiste.
Cette conscience nouvelle a permis à des peuples dominés, des opprimés, de s’organiser, de se réunir, et même de s’armer pour le combat dans l’espoir de recouvrer leur dignité perdue ou menacée, créant ainsi la résistance.
Les insurrections écrasées, les révoltes anti-impérialistes étouffées dans le sang sont nombreuses avec souvent peu de témoignages, et ceux qui existent sont oraux, contradictoires ou manipulés, rapportés par les vainqueurs sur les vaincus.
Du coup les résistants vaincus disparaissent dans la nature, du moins pour ceux qui ont échappé aux glaives des vainqueurs.
Des jungles birmanes à la RD Congo, de la Palestine au Burkina Faso, des combattants ou plutôt des résistants sortis de nulle part sont au front, constitués souvent à la hâte, pour défendre leurs patries, leur liberté, leur dignité et cela sans rémunération.
Un combattant palestinien a déclaré en ce qui concerne sa rémunération: "Rien pour nous si nous ne faisons rien pour nous-mêmes. Ceux qui ont besoin d’être soutenus reçoivent 15 dinars par mois. Mais, comme mon père travaille et gagne 40 dinars par mois, je ne touche rien et je trouve que c’est normal" (8). Touchant, n’est-ce pas?
Les patriotes résistants du Kivu appelés Wazalendo en Swahili, n’ont pas eu besoin de rémunération pour défendre leurs terres en affrontant le M23, ce mouvement rebelle qui ensanglante l’est de la RD Congo, la province du Nord Kivu, avec le soutien du Rwanda selon plusieurs sources gouvernementales congolaises et internationales.
Quels défis de la résistance!
Taraudés par la faim, les dures conditions du maquis et l’incertitude d’une victoire qu’ils espéraient faciles, les résistants, parfois démotivés, s’en prennent de temps en temps aux populations (pour lesquelles ils se battent) et leurs biens dans les zones sous leurs contrôles.
J’ai vécu des situations affreuses entre 1998 et 2002, période pendant laquelle un groupe armé, le Mudundu 40, considéré au départ comme un mouvement de résistance du peuple Bashi du Sud Kivu contre l’occupation rwandaise, a basculé sous le label d’une autre rébellion : Le Rassemblement Congolais pour la Démocratie (RCD).
Très vite usée, sans pensée claire, sans doctrine, sans idéologie politique défendable ni stratégie cohérente, dépourvue de tout appui extérieur, la résistance se mua en un groupe d’oppression impitoyable, reproduisant la même terreur dans la région sous son contrôle: extorsion des biens des paysans (vaches, chèvres, poules.), pratiques fétichistes, tortures, exécutions sommaires des innocents, des femmes soupçonnées de sorcières brûlées vives… Je garde moi-même des souvenirs affreux de ce mouvement qui opérait dans la région où je travaillais et fit exécuter certains de mes collègues et connaissances.
Des cas similaires ont été pratiqué en Afrique de l’Ouest par les résistants du PAIGC (9) conduit par Amilcar Cabral en 1963.
Il en parle: "La lutte militaire victorieuse des guérilleros se transforme pour les populations civiles de certaines régions en cauchemar. Véritables seigneurs de la guerre, nombre de commandants des bases nationales, qui au combat témoignaient d’une énergie admirable se conduisaient face à leurs compatriotes libérés, comme des despotes, égoïstes, exploiteurs souvent cruels…, assouvissaient leurs haines personnelles et exécutaient sans ordre ni jugement ceux d’entre les paysans qui osaient contester leur pouvoir. Toute résistance aux nouveaux despotes locaux paraissait suicidaire…" (10)
Et Vieira, un ancien combattant, du PAIGC se souvient : "Par exemple, les gens croyaient que si quelqu’un tombait malade, c’était parce que les vieux voulaient le tuer. Alors les jeunes partaient en groupe pour chercher le coupable… On fit la chasse aux sorciers et certains des accusés furent fusillées ou brulés vifs." (11)
De tels comportements des combattants remettent en question la survie de certains mouvements de résistances, créant parfois des dissensions au sein des groupes et hypothéquant leur avenir. C’est sous ces dissensions internes que sera assassiné Amilcar Cabral le 20 janvier 1973 par le commandant de sa marine, Inocencio Kuni. Et comme une bougie, le PAIGC ne lui survivra que quelques années avant de s’éteindre...
Les mêmes problèmes ont été soulevés par Holden Roberto au Nord de l’Angola, Agostino Neto avec le MPLA, Jonas Savimbi, chef des Ovimbundus du Sud de l’Angola, quand ils luttaient contre les portugais pour obtenir l’indépendance de l’Angola. De même pour Lazaro Lavandame, le résistant du nord du Mozambique avec le peuple Makonde qu’il tentait de soulever contre les portugais, avant de faire volte-face, abandonna le FRELIMO (12) pour rejoindre les troupes d’occupation portugaise au Mozambique.
Mêmes cas pour Thomas Sankara assassiné en 1987 par son ami et allié Blaise Compaoré avec l’appui des impérialistes occidentaux. Thomas Sankara n’avait sans doute rien compris des déclarations du New York Times lors du renversement du Président Iranien Mohammed Mossadegh en 1953 par un coup d’Etat réalisé, conjointement par les Américains et les Britanniques pour restaurer le Chah d’Iran.
Dans un éditorial approuvant le coup d’Etat, le New York Times écrivit: "Les pays sous-développés, riches en ressources naturelles ont reçu une leçon des choses: le prix très lourd que doit payer l’un d’eux pour avoir sombré dans la folie du nationalisme fanatique. Les Mossadegh du reste du monde devraient bien réfléchir avant de tenter de reprendre le contrôle de leurs ressources qui évidemment sont à nous" (13)
Mobutu, Joseph Kabila et Felix Tshisekedi semblaient avoir bien compris la leçon. Mais, des résistants a l’impérialisme ont payé de leur vie pour n’avoir pas voulu entendre ou même comprendre "la leçon": P.E. Lumumba et Thomas Sankara en ont payé les frais.
En RD Congo, les résistants sont à découvrir
Depuis 1996 la guerre tue à l’Est de la RD Congo avec des intermittences. Des crimes de masses y ont été commis. Une abondante littérature existe déjà, notamment le mapping des nations unies. Ce qu’on ne dit pas, c’est que souvent, la résistance aux forces d’occupation est à la base de ces hideuses cruautés.
Dans son ouvrage "Qu’on nous laisse combattre et la guerre finira avec les combattants du Kivu", l’auteure, Justine Brabant a pu rencontrer des combattants ou plutôt des résistants qui affrontaient les rebelles du RCD en territoire de Fizi dans la province du Sud Kivu et raconte: "Ils se cachent dans des montagnes et à l’approche des colonnes ennemies fondent sur elles. Le même agresseur pousse la provocation jusqu’à établir des postes avancés de son armée le long de ces axes. Le même traitement lui est réservé."
"(…) par une nuit de fin décembre 1998, les Mayi-mayi des environs (de Makobola) décident de lancer une attaque sur la base du RCD à Makobola, Ils y tuent deux militaires et retournent se réfugier dans des montagnes. Le lendemain le RCD lance une expédition punitive qui tourne au massacre. Du 30 décembre 1998 au 2 janvier 1999, les soldats du RCD, rassemblement épaulé par des militaires des armées rwandaises et burundaises tuent plus de 800 personnes à Makobola et dans les villages voisins. Peu avant, ce fut le même mode opératoire pour Kilungutwe et Kasika où des villages entiers furent littéralement décimés; des prêtres tués, le Mwami Mubeza tué, des femmes enterrées vivantes (…)"
Et de poursuivre: "Tandis qu’à Makobola, les représailles tournaient au bain de sang et que les jeunes des campagnes organisés en groupe Mayi-mayi multipliaient des sabotages et embuscades, à Bukavu on rusait, on rasait des murs et on s’attaquait aux symboles les plus éclatants de la présence du RCD, on photocopiait des tracts qu’on distribuait en cachette."
"La nuit on allait sur la place de l’indépendance descendre les drapeaux du RCD et y remettre le drapeau congolais. Ils étaient furieux, mais ils ne réussissaient pas à nous attraper ! C’était la résistance." (14)
"(...) Il n’est pas jusque dans les églises où les Kivutiens n’entendent parler d’invasion et de nécessaire résistance. En octobre 1996, le prêtre jésuite et archevêque de Bukavu, Christophe Munzihirwa dénonce dans ses lettres pastorales des attaques répétées du Rwanda contre le Zaïre. Il est assassiné quelques semaines plus tard par un commando des soldats rwandais alliés au RCD." (15)
Des mots d’ordre de grèves et des appels au refus de payer ses impôts circulent sur des tracts distribués en ville, sur des feuillets photocopiés à la va-vite et distribués sous le manteau où on peut lire par exemple: "Le haut commandement de force de résistance civile salue le courage et la détermination de la population kivutienne victime de l’occupation tutsi rwandaise, burundaise et ougandaise". Aussi, une toute petite radio des résistants émettait matin et soir on ne savait d’où pour réconforter la résistance populaire: ce qui n’arrêtait pas de déstabiliser les plans des agresseurs en furie… La frontière entre l’opposition, la présence du RCD et le racisme anti-Tutsi est souvent floue… Des vendeurs des rues refusent de servir des clients douteux. (16)
Ainsi opérait la résistance dans le Kivu. Le sang a coulé énormément dans le Nord et le Sud Kivu et environ 30 ans après, le robinet sanguinolant n’est toujours pas fermé. Et les résistants qui se battent (en désordre) pour le fermer sont à découvrir… La France a reconnu la contribution de ces "soldats de l’ombre" en 1944, mais en RDC la communauté internationale la surnomme "force négative". Quelle pénurie de mots!
Les résistants congolais et les autres résistants ont peut-être compris qu’ils doivent se libérer. Se libérer de l’hitlérisme tropical appuyé par les puissances capitalistes/impérialistes. En tête « Babylone la grande ». La libération d’un peuple ne peut venir d’ailleurs: Che Guevara a tenté de le faire comprendre en RD Congo en 1965, mais il ne fut ni compris ni accepté.
Voulant internationaliser la résistance contre l’impérialisme en Amérique latine, la terre qui l’a vu naître, il sera tué en Bolivie le 9 octobre 1967. Et la mort prématurée de ses camarades des maquis comme Camilo Cienfuegos, Celia Sanchez, Abel Santa Maria porta un coup dur à cette résistance.
D’autres disciples du Che ont tenté de prendre la relève mais sans succès durable: c’est le cas de Inti Peredo en Bolivie, Carlos Marighela au Brésil, Cesare Montes au Guatemala, les Tupamaros en Uruguay, Fabio Vasquez en Colombie, Douglas Bravo au Venezuela, etc. mais les critiques des stratégies furent nombreuses et Cuba, le "parrain" affronta des problèmes économiques. La résistance à "l’Ogre" n’est pas facile.
Les résistants après la résistance
A l’instar du PAIGC d’Amilcar Cabral, le mouvement révolutionnaire n’a pas survécu à la mort du Che, comme nous venons de le voir. Les idées de Patrice E. Lumumba et de Thomas Sankara ne leur ont pas survécu. Il n’en reste que des débris épars. En RDC comme ailleurs les résistants sont souvent profondément incompris, sans idéal politique, mal encadrés, peu ou pas entrainés. La défense de leur patrie, de leur liberté, de leurs droits reste le fondement de leur engagement. Ils donnent cependant la dignité à des millions de leurs concitoyens.
Dans certains Etats, la résistance contribue à la mise sur pieds des stratégies de lutte, à l’édification des nations et des forces d’organisations inédites en cas de victoire. Ils défendent dans des conditions difficiles et contre des ennemis communs les principes de liberté, de justice et de souveraineté nationale (qui sont les nôtres). Ils méritent admiration et solidarité.
Jean Ziegler affirme que certains d’entre les résistants ne font que "passer au firmament de l’espérance comme une comète vite éteinte laissant au ciel une trainée de lumière. D’autres creusent profondément le sol... Le sang se mêle partout à l’herbe. Mais vivants ou morts, défaits ou triomphants, des centaines de milliers de combattants marquent durablement l’histoire de tous les hommes. Aucun d’eux n’expire en vain. Chacun par son sacrifice devient l’ancêtre d’un monde plus juste, plus libre, plus humain à venir."
En pensant aux victimes de la guerre à l’est de la RD Congo (massacre de Goma, Ituri et ceux du Sud Kivu) et au génocide encore en cours en Palestine. Je fais miennes la pensée de Jean Ziegler: "Obtenir du lecteur de ce papier, une minute de silence en souvenir des centaines de milliers d’enfants, d’hommes et de femmes de toutes les couleurs, de toutes les nations, de toutes les religions, habitants les massues isolées, les villes, les déserts, les forêts, les rives des fleuves, et qui au cours de ce siècle révèrent la liberté. Ils furent déchiquetés par les bombes, arrêtés, torturés ou disparurent un matin, assassinés." (17)
Nombreux de ceux qui ont pu survivre ou se battent encore, ne seront peut-être même pas invité au "banquet" en cas de victoire. Que de fois la victoire du combat des résistants est volée… L’oubli reste l’horizon le plus probable pour les résistants. Les plus modestes retournent dans leurs familles, à leurs métiers: un retour souvent difficile, une réinsertion sociale et professionnelle plus difficile encore pour ces héros anonymes qui peinent à se retrouver.
Pendant ce temps, d’autres passent du maquis aux ministères tandis que les rêves du plus grand nombre de résistants se dissolvent ainsi dans des jeux politiques incompréhensibles, comme on le voit en RD Congo alors qu’on espérait rendre utile cette force qui s’est spontanément dressée contre l’ennemi.
En visite dans la région de Toulouse en 1944, l’on posa à De Gaulle la question de savoir quel doit être le rôle de la résistance dans l’avenir. La réponse du général atterra l’assistance: « son rôle est terminé »
Vraiment terminé? Pas facile d’être résistant!
Xavier B.C.
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(2) Extrait du wiktionnaire, disponible sous licence CCBY-SA 3.0
(3) Robert Belot, auteur d’Henry Frenay, De la résistance à l’Europe, Ed. Seuil 2003
(4) Organisation Pour la Libération de la Palestine (OLP)
(5) FIZI : Terre des Hyènes en Swahili. Territoire choisi par CHE GUEVARA pour créer un mouvement de résistance contre l’impérialisme en Afrique en 1965.
(8) Gerard Chalian, la Résistance palestinienne, Ed. du Seuil, 1970
(9) Parti Africain pour l’Indépendance de la Guinée Bissau et du Cap Vert.
(10) Amilcar Cabral cite par Ziegler in Les rebelles. Op.cit.
(11) Vieira, cité par J .Ziegler, Idem
(12) Front pour la Libération du Mozambique
(13) Chomsky N.LES Doctrines des bonnes intentions p.53
(14) BRABANT Justine, Qu’on nous laisse combattre et la guerre finira. Les combattants du kivu.P.63, Ed. . La Découverte, Paris 2016
(15) BRABANT Justine, op.cit P.63
(16) Idem
(17) Ziegler J Idem.
Quelles sont les armes de la résistance, de peur de ne pas perdre sa vie? Est-il normal que quand on résiste il faut s'attendre à la mort ?
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