jeudi 13 décembre 2012

Brève analyse de la situation après le retrait du M23 de Goma

     1. Le retrait du M23 de Goma, même s’il est partiel et qu’un grand nombre de ses hommes y sont restés camouflés en civils ou en policiers, est un échec pour ce mouvement, et surtout pour ses parrains.
Tenir Goma seul n’était pas tenable. L’objectif des rebelles était bel et bien de prendre aussi le Sud-Kivu et Bukavu en particulier.
La prise de Bukavu était programmée en même temps que celle de Goma. Mais le colonel Kahasha (Foka Mike), ex maï maï servant comme colonel dans les FARDC en Ituri, qui avait repris le maquis il y a quelques mois en faisant mine de se rallier au M23 le temps de remonter vers le Sud-Kivu, et sur qui le M23 comptait, s’est rendu aux FARDC. Sa défection a perturbé les plans du M23. (NDLR: Entre-temps, apparemment menacé d’être mis aux arrêts, Foka Mike a de nouveau disparu et repris le maquis dans le territoire de Kabare au Sud-Kivu).
Bukavu n’est donc pas tombée. Les pressions ont eu le dessus et ont imposé au M23 le retrait qu’on connaït.

2.  Le plan avait pourtant été soigneusement mis au point depuis le début de l’année. En janvier déjà, une rencontre de trois jours s’est tenue à Fizi, dans le sud du Sud-Kivu, rassemblant des délégations de tous les groupes armés opposés à Kabila, Banyamulenge compris. 
      Objectif : définir la  charte et la feuille de route devant conduire au renversement de Kabila ou, au minimum, au contrôle de l’Est du pays. Etrangement, cette réunion fut coordonnée par une femme occidentale, parlant avec un accent anglais et qui s’est présentée comme une fonctionnaire européenne…
(Notre avis est qu’il s’agissait plutôt d’un agent spécial des USA, ou de la Grande Bretagne, ou... ?). 
Le plan qui en sort prévoit la prise de Goma et d'Uvira, avec ainsi la ville de Bukavu prise en tenaille.

3. Pour plusieurs raisons (pressions internationales prévisibles, rejet d’une majorité de la population d’une occupation étrangère…), le contrôle de l’Est devait impérativement apparaître comme une affaire purement congolaise. On a vu comment le Rwanda s’est évertué tout au long de ces mois à faire croire qu’il n’était pas concerné. Les différentes manœuvres opérées pour mettre dans le coup le maximum de groupes maï maï congolais étaient indispensables pour réaliser cette mystification. On voit aussi comment le M23 avance  des revendications largement partagées par la population congolaise. Qu’on ne s’y trompe pas, c’est juste une façon de faire écran. Les actions d’intoxication de la population congolaise et le l’opinion internationale furent nombreuses avant, pendant et après la prise de Goma.

 
4. Les choses ne se sont manifestement pas passées comme prévu. D’une part, le groupe d’experts des Nations Unies a publié deux rapports qui ont mis clairement en lumière l’implication déterminante du Rwanda et de l’Ouganda dans la nouvelle guerre du  Kivu.Les réseaux d’information nationaux et internationaux ont, comme lors de la prise de Bukavu en 2004 par Nkunda-Mutebusi, joué a fond pour relayer, alerter, faire pression sur les décideurs.Par ailleurs, les « alliés » congolais du M23 ne furent pas aussi dupes ou dociles qu’attendus.De plus, l’armée congolaise résistant mieux que prévu, l’armée rwandaise et les Ougandais ont été contraints d’intervenir directement et de se dévoiler. Sans leur intervention déterminée, le M23 était incapable à lui seul d’atteindre les objectifs.

5. Tout cela a permis des pressions suffisantes pour imposer au M23 un retrait de Goma.
En dépit des ambiguïtés de ce retrait, en dépit des pillages importants perpétrés par le M23 à son profit ou à celui du Rwanda (chacun sait tout ce qui a franchi la frontière, et il est surprenant que pas une fois l’exigence de restitution ou de dédommagements n’ait encore été formulée) la vie y reprend peu à peu, le trafic reprend sur le lac… Il est donc légitime de parler d’une certaine victoire du nationalisme congolais et il y a lieu de s’en réjouir.

6. Pour autant, rien n’est terminé. Cette victoire est loin d’être totale ou définitive
, le revers des rebelles n’est peut-être qu’un repli tactique. Il y a lieu de rester vigilant, d’observer et d’analyser ce qui va se passer dans les jours qui viennent.D’une part, on peut estimer que Kabila est un peu piégé : le M23 dit s’être retiré pour « donner une chance à la paix et mettre Kabila devant ses responsabilités ». Le M23 attend les négociations… qui doivent se dérouler à Kampala, capitale de l'Ouganda, pays dénoncé par les experts de l’ONU pour son appui logistique important à la rébellion...Soit Kabila fait de grandes concessions dans ces négociations et il sera attaqué dans son pays, soit il n’en fait pas et les hostilités risquent de reprendre.Par ailleurs, sur le terrain, rien n’est joué. Des infiltrés du M23 sont restés à Goma, sont déjà présents à Bukavu. L’insécurité reste forte dans les alentours de Bukavu. Les maï maï congolais n’ont pas désarmés.  Foka Mike, comme déjà dit, a repris le maquis où il avait sans aucun doute laissé de nombreux hommes et des armes. On relève une recrudescence d’opérations attribuées (à raison ou à tort –il peut s’agir d’une
manipulation-) aux FDLR, tant au Nord qu’au Sud-Kivu.
Enfin, nous ne savons pas dans quel sens influera l’agenda et le contexte international dans les mois qui viennent : le Rwanda sera pour un an membre du Conseil de Sécurité, Susan Rice, soutien de longue date de Kagame, deviendra bientôt le nouveau Secrétaire d’Etat des Etats-Unis…

7. Les négociations ont commencé ce dimanche 10 décembre… en  l’absence du M23 qui a préféré la politique de la chaise vide!
Alors que le rapport du groupe d’experts de l’ONU a clairement mis en lumière l’implication du Rwanda et de l’Ouganda dans le soutien appuyé au M23, il est piquant de constater que c’est à Kampala que les négociations doivent démarrer… Il est avéré que dans la communauté internationale, plus d’une voix s’exprime pour faire pression sur Kabila afin qu’il fasse les concessions suffisantes. C’est le cas notamment du délégué de l’Union européenne en RD Congo, qui le fait en arguant de l’incapacité des FARDC à résister. Ce qu’il ne dit pas, c’est qu’au fil des accords successifs imposés à la RDC, l’ennemi a infiltré et pénétré tant et plus l’armée et les autres appareils de l’Etat et que dès lors, la trahison se trouve en son sein... Nul doute que de nouvelles concessions accentueront encore cet état de choses et permettront à nouveau aux tenants d’une partition du pays de faire un nouveau pas en avant.Le M23 revendique des postes de commandement, des postes ministériels, le gouvernorat du Nord et Sud-Kivu… Il ne fait pas de doute que l’Ouganda lui aussi avancera ses revendications...

8. Plus que jamais donc, il est indispensable de poursuivre le monitoring quotidien du terrain, d’analyser, de comprendre les intentions et plans des uns et des autres.
L’accalmie doit être mise à profit pour améliorer ce travail, renforcer les réseaux, les articulations dans le pays et avec l’extérieur, renforcer la diplomatie.

Bukavu, le 13-12-2012

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