Les négociations de Kampala sont suspendues jusqu’au 4 janvier. Au delà du cynisme que peut représenter cette suspension pour les centaines de milliers de déplacés qui errent sur les chemins, pour la population de Goma qui vit dans l’angoisse d’une reprise de la ville par le M23 et qui subit quotidiennement une insécurité croissante, il y a lieu de se demander quelles sont les véritables motivations des uns et des autres dans cette pause.
Malgré les discours et les communiqués rassurants, les négociations piétinent. Le M23 avance des revendications auxquelles le gouvernement congolais ne peut souscrire, sous peine d’apparaître encore un peu plus comme traître à la Nation. Sous peine encore d’inciter tous les autres groupes armés à reprendre les hostilités de plus belle. Ils ne pourraient en effet n’en tirer comme seule conclusion que seul le langage de la force est entendu à Kinshasa. C’est probablement déjà les enseignements que tirent comme conclusion les groupes maï maï de Foka Mike ou les raia Motomboki qui reprennent les actions armées. C’est ainsi que dans la nuit du mercredi 19 au jeudi 20 décembre, de violents accrochages se sont produits du côté de Walungu, à quelques 50 km de Bukavu.
Sans doute des signes positifs sont à relever. Quoique toujours présent dans la banlieue proche de Goma, infiltré dans la ville même, le M23 a du se résoudre au repli, sous la pression internationale. Incapable de vaincre militairement sans l’appui de l’Ouganda et du Rwanda, il a montré sa faiblesse. Faiblesse non seulement militaire mais aussi politique et administrative. Car prendre une ville ou un territoire est une chose, l’administrer durablement en est une autre… A Goma, en dépit de quelques simulacres de «soutien» de la population aux «libérateurs» tout au début, les masques sont vite tombés. Par ailleurs, les parrains du M23 ont été contraints de tenir compte des pressions consécutives aux rapports du groupe d’experts de l’ONU qui les mettent clairement en cause. Susan Rice ne sera pas secrétaire d’Etat, et le coup de fil d’Obama à Kagame, s’il est loin de tout résoudre, pèsera aussi dans la balance…
L’arrivée même du Rwanda au Conseil de sécurité des Nations Unies pourrait avoir des effets insoupçonnés elle aussi. Il n’est pas si évident, comme d’aucuns le disent, que cette présence conforte d’office le Rwanda qui reste, quoi qu’il en soit, un petit pays dépendant de l’aide internationale. Kagame est fragilisé. Il doit compter avec son opposition intérieure et les fissures qui apparaissent dans son propre camp et parmi son cercle proche. Les contradictions dans la société rwandaise seraient profondes. Entre Tutsis et Hutus évidemment, ces derniers étant très massivement étouffés et mis à l’écart de la direction du pays depuis plus de 17 ans déjà, mais également parmi les Tutsis, entre les anglophones et les francophones, parmi les anglophones, entre ceux issus de la lignée royale, et ceux, comme Kagame, issus de la lignée de la reine-mère, à qui les premiers reprochent une usurpation du pouvoir royal… Les intérêts des Banyamulenge du Congo ne recouvrent pas entièrement, loin s’en faut, ceux des Tutsis vivant au Rwanda.
Une nouvelle guerre extérieure pourrait bien entendu, comme c’est souvent le cas, occulter ces dissensions et recréer l’unité nationale. Elle pourrait aussi, au contraire, se révéler le déclencheur d’une plus grande désintégration de la société et d’un affaiblissement du régime. Que se passerait-il si la guerre devait aussi être portée sur le sol rwandais? Or, le risque n’est plus à exclure. Chacun sait que d’anciens proches de Kagame, écartés brutalement, ne demandent qu’à en découdre. Kagame est dans son dernier mandat, s’il ne change pas la constitution. Il ne lui sera pas si facile de réaliser une telle opération, ni même d’opérer un tour de passe-passe. N’est pas Poutine qui veut…
Dans ce contexte incertain, Kagame peut-il risquer de se mettre ses traditionnels soutiens à dos? Rien n’est moins évident, quelles que soient ses déclarations.
Un échec des négociations, suivi d’un long enlisement de la situation sur le terrain, n’est donc pas à exclure. C’est même, certainement, l’hypothèse la plus probable.
On ne peut pour autant se laisser distraire et exclure une reprise des hostilités générale, qui reprendraient par Goma et s’étendraient à l’ensemble du Kivu.
Il est évident que chacune des parties met aussi à profit le temps des négociations et de leur suspension pour reprendre des forces, se repositionner et se préparer aux prochaines opérations. Toutes les parties se préparent à la guerre.
Aux alentours de Goma, le M23 consolide ses positions, se réarme et prépare ses troupes. L’insécurité n’y a jamais été si forte. Les habitants vivent toujours dans une grande psychose, les assassinats se multiplient, des banques sont braquées et le butin va vers le pays voisin. Beaucoup de commerçants et d’acteurs sociaux quittent la ville, certains partent vers le Nord, d’autres vers Kisangani ou Bukavu, car tous s’attendent à une reprise des combats. L'insécurité croît fortement aussi à Bukavu et dans l’ensemble du Sud-Kivu. A Uvira et dans la plaine de la Ruzizi, de nouveaux foyers de tensions sont réapparus, opposant durement les Barundis, dont le Mwami a été assassiné il y a quelques mois, aux Bafuleros. Ces derniers jours, les heurts furent nombreux et la tension monte encore d’un cran avec la mort, le samedi 22 décembre du Mwami des bafuleros, qui la trouvent suspecte et crient à l’empoisonnement. Les balles ont crépité dans la foulée. Quelques jours plus tôt, le Président de l’Assemblée provinciale Baleke, originaire d'Uvira et en mission de négociation en vue d’apaiser les tensions et trouver un accord entre les deux communautés, sera pris par le coup par le major Banyamulenge de la place d'Uvira…
De nombreux infiltrés du M23 sont signalés à Kalehe, sans doute à Bukavu aussi. Il y a quelques jours des incursions des éléments rwandais ont été signalées vers Nyangezi à une vingtaine de kilomètres de la ville de Bukavu. Les manœuvres d’approche de certains leaders sont en cours.
Du côté gouvernemental, on appelle à la mobilisation générale. L’opération de recrutement de jeunes pour l’armée a été lancée. Les résultats sont minces. Mais on signale déjà des troupes angolaises et zimbabwéennes aux côtés des FARDC.
Les FDLR ne sont pas en reste et se remobilisent. Le font-ils de leur propre chef ou à l’initiative du pouvoir congolais, comme ça s’est déjà vu dans le passé, ou bien encore n’est-ce qu’une mascarade organisée une fois de plus par Kigali pour justifier une nouvelle intervention officielle cette fois? Certes, l’argument-prétexte des FDLR est bien usé déjà, mais il peut encore servir.
En cette fin 2012 donc, la situation reste incertaine et toutes les questions restent. Les négociations sont suspendues et on ne sait trop si elles reprendront et si oui, sur quelles bases. Chaque partie met ce temps à profit pour se renforcer, affiner ses stratégies et se chercher des alliances.
Les chefs d’Etat de la Sadec ont parqué leur accord pour l’envoi sans délai de la force neutre qui devrait neutraliser une «force négative» avec laquelle le gouvernement doit négocier… Que signifie tout cela?
L’opinion internationale va rentrer dans la léthargie des fêtes de fin d’années.
Espérons qu’elle ne se réveille pas avec un conflit qui aurait repris, plus meurtrier que jamais.
Le 26-12-2012
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