Analyse par Capsa Grands Lacs du Plaidoyer du Dr Denis Mukwege auprès de l’Union Européenne.
A la suite de cet article en guise d'introduction, nous vous invitons à lire l’intégralité du discours prononcé par le Dr Denis Mukwege devant le parlement Européen, à l’occasion de la remise du prix Sakharov qu’il a reçu.
Aux moments les plus chauds de la Guerre d’agression contre la RD Congo, perpétrée par le triangle de la mort constitué du Rwanda, de l'Ouganda et du Burundi dans une moindre mesure, d’aucuns pouvaient affirmer que le viol n’était que dégât collatéral observable dans toutes les guerres que l’humanité a connues.
De là à ne pas reconnaître qu’il fut réellement une arme de guerre dans le cas de la RD Congo, c’est un pas qui sera franchi par d’aucuns pendant longtemps… de la même manière qu’il a également été refusé de parler de génocide perpétré en RD Congo par le même triangle.
Il aura fallu du temps, de nombreux témoignages, dont celui, très fort, du Dr Denis Mukwege pour changer le regard que porte l’opinion publique sur ces crimes contre l’humanité.
Au regard de ses conséquence extrêmes, le viol est objectivement classable dans le registre des armes lourdes de destruction massive qui méritent de rejoindre les typologies classiques des armes chimiques, biologiques et pourquoi pas de l’arme atomique elle-même…
En effet, le mode opératoire du viol tel qu’il a été appliqué (constaté) de manière systématique et indistinctement sur l’ensemble des populations de tous âges dans l’Est de la RD Congo et cela sans la moindre intention d’assouvir un quelconque besoin physiologique des violeurs, permet d’affirmer qu’il y eu planification, avec des résultats attendus à court, moyen et long terme par les initiateurs.
L’installation d’un climat de terreur (des villages entiers se sont vidés…), la perte de toute échelle de valeurs par une communauté, la montée en puissance des violences conjugales, l’abandon des femmes, la fuite des hommes ont détruit la cohésion des communautés jusqu’à en disloquer certaines.
Nombre de victimes, extrêmement choquées physiquement et/ou psychologiquement, se sont suicidées. D’autres ont littéralement craqué ont fui et disparu de la circulation. Les plus solides ont simplement rabroué leurs épouses parce que, témoignent-ils en tant que témoin oculaire du déroulement de l’acte sexuel de viol sur leurs épouses, ces dernières avaient effectué des mouvements oscillatoires, signes de la prise de goût à l’opération avec le violeur. Il faut rappeler que la plupart du temps, les violeurs imposaient aux papas et aux garçons d’assister à la scène du viol !
A long terme, nous aurons une société totalement désarticulée, composée de nombreuses personnes contaminées par des infections sexuellement transmissibles dont le VIH, de cohortes d’enfants issus de viols, d’indésirables apatrides qui à long terme constitueront une catégorie de marginalisés qui pourraient se muer en kamikazes…
La balkanisation du Congo longtemps convoitée, sera ainsi rendue plus facile à atteindre…
Cependant, en fustigeant le viol comme arme de guerre, le Dr Denis Mukwege a su toucher et émouvoir l’humanité entière jusque là restée largement indifférente.
En lisant attentivement le discours du Dr Denis Mukwege en annexe, on comprend qu’avec une réelle volonté politique, ce plaidoyer de haut niveau peut ouvrir des pistes plus réalistes de reconstruction de la RD Congo. Si on laisse enfin ce pays tranquille, et dans la paix, il dispose de ressources matérielles, humaines suffisants pour relever les défis tant sociaux, économiques, environnementaux, techniques que politiques et construire un développement suffisant et profitable à toute sa population. Il est essentiel en effet, qu’au-delà de la simple émotion face à l’horreur des crimes, les responsables de la communauté internationale et les opinions publiques prennent conscience des véritables causes de ces crimes, ne les réduisent pas à des sauvageries individuelles, ni même ne se contentent de pointer du doigt quelques états voisins. La convoitise sur les richesses du Congo, la prédation généralisée n’est pas, loin s’en faut, que le seul apanage de criminels locaux ou africains… Il ne faudrait pas que l’Europe se contente de se donner simplement bonne conscience en donnant un prix prestigieux au Dr Mukwege et en versant une larme en écoutant ses paroles. La diplomatie de l’Europe est elle aussi fonction de ses intérêts économiques et trop souvent, l’aide au développement qu’elle fournit à la RDC cache mal la priorité qu’elle accorde aux intérêts de ses grandes entreprises.
Ce gynécologue congolais, le Dr Denis Mukwege, est plus qu’un médecin. C’est aussi un véritable militant défenseur des droits humains, qui a su concilier son délicat métier de médecin avec un combat pour la dignité humaine. On n’est jamais prophète chez-soi dit-on, mais, l’écho de son action inlassable a eu un vibrant retentissement dans le monde entier au point d’être pressenti prix Nobel de la Paix. Le dernier prix Sakharov décerné est le énième de par le monde.
Pourtant, dans son propre pays, pas un geste de sa reconnaissance ne lui a encore été décerné, ni par les autorités, ni même par les différents mouvements sociaux organisés pourtant témoins de son engagement.
Pourtant, par ce prix d’excellence offert par le Parlement Européen pour honorer le combat de tout un peuple sans défense, le Dr Denis Mukwege est donc devenu une icône.
Espérons que de nombreuses autres voix se joindront à la sienne, au pays et ailleurs, pour donner plus de force à ce combat. Et que, face à l’urgence et à la dimension du drame, les Congolais, les gens du Sud-Kivu en particulier, sauront faire taire leurs divergences et se coaliser pour rendre enfin ces crimes inconcevables et impossibles.
Le Dr Denis Mukwege a d’ailleurs terminé son allocution au Parlement Européen sur ces mots :
«Ensemble, décideurs politiques, acteurs de la société civile et citoyens, hommes et femmes, nous devons fixer une ligne rouge contre l’utilisation du viol comme arme de guerre, et construire un avenir meilleur pour offrir à nos enfants et à nos petits-enfants un cadre propice à leur épanouissement, et permettre à tous ceux qui ont trop souffert d’envisager le futur dans une liberté plus grande.»
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